Présentation de la catégorie des CPE

 

Voici le texte d'une conférence prononcée en juin 2002 à l'occasion d'un congrès organisé en Espagne par l'université de Castilla - La Mancha

Bonjour, Tout d'abord, je tiens à remercier les organisateurs de ce congrès qui ont fait appel à moi pour présenter les solutions retenues par la France dans la lutte contre les violences scolaires. Puis, permettez-moi de vous présenter des excuses : je ne parle malheureusement pas l'espagnol, et de ce fait j'ai conscience du mérite accru dont vous allez faire preuve en suivant cette conférence matinale. Je suis conseiller principal d'éducation ( CPE ) . J'appartiens, de ce fait, à une catégorie professionnelle de l'éducation qui n'existe qu'en France. Au nombre d' environ 10000, les CPE sont nommés dans les collèges et les lycées. Nous sommes le plus souvent de un à trois dans les établissements, exceptionnellement ce chiffre peut atteindre 5 ou 6 dans les grosses cités scolaires. Dans les autres pays, notre fonction est habituellement exercée par les enseignants. En France, la fonction enseignante est définie pour l'essentiel en terme d'heures de cours devant les élèves, ce qui limite trop souvent la fonction à la transmission de connaissances, la mission plus globale d'éducation revient dans le cadre de ce que l'on nomme " la vie scolaire " à cette catégorie des CPE qui constituent une équipe éducative avec les surveillants et éventuellement les aides éducateurs dont ils coordonnent l'activité. Bien qu'il ne s'agisse pas du sujet central, j'aurai peut être l'occasion d'y revenir à l'occasion de cette intervention. Depuis une dizaine d'années, je suis chargé de la formation des conseillers principaux d'éducation et ponctuellement, j'interviens dans les formations de professeurs à l'IUFM de Paris ( Institut universitaire de formation des maîtres). Je participe aussi à la réflexion ou au fonctionnement de numéros téléphoniques destinés à aider les élèves confrontés à des problèmes de violence. Il s'agit du numéro national " SOS Violence " et du numéro régional " Jeunes, violences, écoute ". Je participe à des instances nationales et régionales relatives à la vie lycéenne ( CAVL et CNVL). Enfin, je suis membre du comité " Santé des jeunes " de la Fondation de France et participe au comité de rédaction de la revue " Enfances et psy ". Une fois cette présentation effectuée, la principale difficulté qui s'est présentée à moi au moment de la rédaction du texte de cette conférence fut la multiplicité des approches et des mesures retenues pour atteindre l'objectif d'un " établissement pacifié dans un environnement sensible ". Pour une large part, cette diversité découle du fait que les dispositifs retenus, doivent pour être efficaces, être adaptés au contexte dans lequel ils sont mis en œuvre. Dés lors, il est légitime de se poser la question : " Peuvent-ils devenir transférables ? ". Dans le même temps, lorsque l'on est amené à examiner la relation des expériences menées dans divers pays, l'on est frappé de percevoir au-delà des particularismes, des lignes de forces qui reviennent en écho. Pour faire vite, nous pouvons dire qu'elles se situent au cœur même de la diversité dans l'importance accordée aux initiatives locales et de ce fait dans la prédominance du rôle des acteurs. Une fois les limites fixées ( il ne saurait être question de dégager des modèles), la démarche comparative et l'échange d'expériences se trouvent légitimés. Certes, il fut un temps - que l'on pourrait situer au début de l'émergence du sentiment d'insécurité - où l'on réduisait l'origine de la violence à une causalité unique, le plus souvent extérieure à l'école. C'était à cause du chômage, ou encore la faute des parents ou bien un effet désastreux de la massification. De ce fait, les solutions présumées échappaient au monde scolaire qui subissait... On aurait pu le pressentir hier, et on le sait aujourd'hui les seules approches pertinentes sont multifactorielles, et sont de l'ordre de la pensée complexe plus que de celui du déterminisme sociologique primaire. Restait donc pour moi cette question : " Comment répondre à la commande qui m'était passée par les organisateurs de ce congrès sans tomber dans l'énumération de la multitude de mesures adoptées ? ". L'histoire offre souvent une échappatoire salvatrice au conférencier. Acceptons l'offre sans toutefois reprendre les études effectuées, en particulier par Eric Debarbieux qui démontrent que le phénomène de violence n'est pas si nouveau que cela. Si le ressenti lié à l'insécurité est bien réel, si l'augmentation des faits de violence est indéniable, l'école reste d'une certaine manière un lieu protégé, dans lequel les faits de violence grave restent heureusement très rares. Toutefois, se développe le sentiment de l'insécurité qui découle du développement d'incivilités répétées mais aussi de nouvelles formes de violence. Pour comprendre les mesures retenues en France, je pense qu'il nous faut passer par une dimension historique incontournable, qui se situe autour de la décennie 1975-1985. Ces deux dates encadrent une période riche en décisions relatives au monde scolaire et en modifications dans le regard porté sur ces évolutions, capable de penser ces évènements et susceptibles de nous aider à les comprendre. Nous le verrons, les solutions apportées à la lutte contre la violence scolaire sont pour l'essentiel très largement postérieures. 1975 représente le début de ce que l'on nomme en France la massification. Initiée par " le collège unique " du ministre René Haby, elle sera prolongée, au début des années 80, par le mot d'ordre de " 80% d'une classe d'âge au baccalauréat ". Le système scolaire rassemble dans les mêmes structures des élèves qui, antérieurement, étaient orientés dans des filières différentes ( on crée de l'hétérogénéité là où il y avait de l'homogénéité), et les élèves qui par le passé étaient exclus du système éducatif sont maintenus scolarisés, quitte à recréer une exclusion interne par le jeu des filières. De façon concomitante, l'on passe d'un système fortement centralisé, à la régionalisation qui se traduit par une décentralisation politique et une déconcentration administrative. L'on donne du pouvoir aux instances locales, les établissements scolaires deviennent des " ETABLISSEMENTS PUBLICS LOCAUX D'ENSEIGNEMENTS ". Si le décret date d'août 1985, dès 1981 la notion de projet d'établissement perce au travers des politiques de " discrimination positive " qui sont mises en place dans le cadre des zones d'éducation prioritaire ( ZEP). Dans le même temps, pour penser ces évolutions et les accompagner, la réflexion sociologique suit un cheminement parallèle. La pensée quantitative à connotation déterministe qui dominait largement se voit supplantée par des approches microsociologiques qui privilégient les différences locales au travers de " l'effet établissement ". 1975 représente aussi la date qui marque pour Rancurel le début de la violence en milieu scolaire. L'Inspection Générale " Etablissement et vie scolaire " va à partir de cette date, alertée par les chefs d'établissements, mener les premières enquêtes, certes modestes sur le phénomène. Elles donnent lieu à des rapports coordonnés par G.Tallon. On est encore face à un phénomène largement nié ou pour le moins sous-estimé. La loi du silence règne, les établissements préfèrent masquer la réalité afin de préserver leur réputation. Cette crainte de la ternir est d'autant plus forte que, pour la première fois à partir de 1981, les établissements, mis en concurrence, subissent le regard comparatif de la presse. S'il est légitime de relever la concomitance du début de la massification et l'émergence des premiers faits de violence, je crois qu'il serait trop facile et de ce fait caricaturale de réduire le phénomène à ce lien de causalité. Cette simplification hâtive en nierait la dimension complexe et multifactorielle . Il faudra attendre 10 ans entre la première note de 1982 adressée par l'Inspection générale ( Rancurel) au ministre de l'éducation nationale de l'époque Alain Savary et les premières mesures adoptées en 1992. Convient-il de s'interroger sur cet écart ? Je pense qu'une fois encore les causes en seraient nombreuses. Nous ne disposions pas alors des études scientifiques qui seront produites pour l'essentiel après 1992, le pouvoir ne maîtrisait pas les nouvelles donnes de la décentralisation, les établissements scolaires découvraient de façon timide et parfois désordonnée les effets de leur autonomie… 1982-1992 Dix ans de silence sur la violence scolaire, dix ans que la décennie suivante va essayer de combler, chaque ministre et même chaque année portant sa pierre à l'édifice. Ce sont donc dix années de mesures destinées à apaiser les établissements scolaires que je me propose de vous exposer, certaines isolées, d'autres inscrites dans des plans structurés. Comment classer ces mesures ? Voulant répondre à la diversité des situations et résultant de la diversité des analyses, elles apparaissent souvent sous la forme du catalogue où chacun est invité à puiser. Nous tenterons une classification, même s'il convient d'avoir en tête la complémentarité des dispositifs, masquée parfois par leur empilement. La première mesure retenue fut donc celle qui permettait de protéger l'établissement contre les intrusions extérieures. Evidemment, l'on est tenté de voir dans cette mesure le reflet d'un comportement traditionnel des organisations confrontées à des difficultés nouvelles. Face à l'incompréhension du phénomène auquel l'école était confrontée, la faute ne pouvait venir que de l'extérieur. Nous avions vécu pendant des siècles dans un âge d'or, en partie illusoire, qu'il convenait de restaurer. L'approche se réduisait à une causalité unique et entraînait une réponse unique. Sans vouloir sous-estimer cette aspect de la question, force est de constater que ce premier type de mesure répondait à une préoccupation réelle qui découlait des effets négatifs de décennies d'urbanisme. Alors que l'architecture des années soixante, une époque où en France, l'on inaugurait un collège par jour, était orientée autour de la notion d'ouverture de l'école, l'on va rapidement ériger des murs et barder les établissements de clôtures dont ils étaient parfois privés. La violence extérieure menaçait, en particulier la violence des cités. Dans un beau texte, Philippe Perrenoud, chercheur à l'université de Genève, nous rappelle que la première condition pour apprendre consiste à se sentir en sécurité. La perméabilité de nombreux établissements scolaires était devenue trop importante Les conflits engagés à l'extérieur se prolongeaient à l'intérieur. Si ces mesures limitaient l'intrusion d'élèves extérieurs, elle n'empêchait pas la violence de l'extérieur portée par les élèves eux-mêmes. Alors que les départements et les régions construisaient des enceintes, l'état modifiait le droit et créait la contravention d'intrusion en 1993. jusqu'à cette date, l'établissement public ne possédait pas d'arsenal juridique propre pour se défendre. On isola donc les établissements scolaires de leur environnement devenu hostile. Cette fermeture de l'école fut renforcée par une fermeture plus symbolique, il fallait rappeler aux jeunes la nécessaire rupture entre les lois et les rites de la cité et ceux de l'école. La fermeture des portes et l'accueil par le personnel, du concierge au chef d'établissement, ont dès lors été considérés comme un moment qu'il convenait de valoriser, sinon de sacraliser. Le moment du passage d'un univers aux règles souvent perçues comme barbares ou mafieuses, à la loi de l'école devait être valorisé dans un rite de passage. Les élèves devaient être accueillis. Cette attention portée à ce moment particulier reste considérée comme fondamentale aujourd'hui. Il ne s'agit pas seulement de surveiller les entrées, mais réellement d'accueillir chaque matin les élèves dans leur établissement. Cet accueil se traduit le plus souvent par un rituel présidé par un responsable de l'établissement, souvent par le chef d'établissement lui-même et non plus comme antérieurement, par la simple présence du personnel de surveillance. Les élèves sont salués, souvent par leur nom ou prénom. Ce dispositif d'accueil est alors considéré comme le premier temps de la " pacification " de l'établissement. Il s'agit d'un moment de respect dont l'une des fonctions est de développer le sentiment d'appartenance à une communauté différente des communautés d'appartenances du quartier ou de l'origine culturelle. Consacrer du temps à l'accueil journalier, mais aussi consacrer du temps à l'accueil en début d'année font partie des préoccupations dont la prise en compte est susceptible d'améliorer le climat des établissements et de favoriser leur apaisement. Les établissements qui réussissent le mieux dans ce domaine établissent des liens entre les cycles et surtout avec les établissements situés en amont et en aval. Attacher de l'importance au passé de l'élève et se préoccuper de son devenir, c'est le considérer comme une personne et cette attitude concourt au climat de sérénité de l'établissement. Cela nécessite une certaine ouverture de l'établissement, une capacité à travailler en réseau avec les autres établissements du quartier et de la ville. On le voit donc, la problématique de l'ouverture et de la fermeture traverse cette question de la prévention de la violence en milieu scolaire. Nous l'avons vu, le monde extérieur à l'école joue un rôle important pour comprendre et combattre la violence. Les établissements scolaires dont ce n'était ni la mission ni la tradition ne maîtrisaient pas cet extérieur. On peut même dire que dans les dernières décennies, cette capacité à comprendre l'environnement de l'école c'était atténuée du fait que les nouveaux établissements avaient été implantés dans des quartiers éloignés des lieux d'habitation des personnels qui y exerçaient. Formellement fermée, l'école était donc contrainte de s'ouvrir sur l'extérieur au travers du partenariat. Jusqu'au début des années 90, les services de l'état ou des collectivités territoriales n'entretenaient que peu de relations et elles n'étaient pas institutionnalisées. Sans conteste, le partenariat qui bouleversa le plus les idées reçues fut celui établi entre l'éducation nationale et la police et, dans une moindre mesure celui établi avec la justice. Dans la tradition universitaire française, la police devait se maintenir à la porte des établissements scolaires, leur appliquant une sorte de statut d'extra territorialité. Initié en 1991, dans trois départements pilotes Paris, Seine-Saint-Denis, et Rhône un dispositif expérimental fut mis en place. " Cette démarche repose sur une institutionnalisation des relations entre responsables de la sécurité et de l' éducation nationale " (circulaire du 27 mai 1992). Si l'incitation est généralisée, l'on constate que durant ces années 90, se développe ce qui avait pris naissance au début des années 80, c'est-à-dire une politique ciblée, diversifiée, adaptée aux situations locales, une politique de discrimination positive. Pour la France, cette évolution critiquée par beaucoup, en particulier par ceux que l'on a regroupé sous le terme de " républicains ", représentait une véritable révolution culturelle. Les moyens ne sont plus distribués également mais équitablement. L'on détermine donc des " zones " puis plus tard, le mot zone étant trop négativement connoté, des " sites " dans lesquels on développe des politiques particulières qui s'accompagnent de moyens financiers et humains. En 1981 avaient été créées les zones d'éducation prioritaires (ZEP) à partir de critères qui se voulaient essentiellement liés aux difficultés d'apprentissages des élèves en collèges et lycées, en 1991, dix ans plus tard, on crée l'appellation d'établissements sensibles, environs 170 établissements (souvent des lycées et collèges) concentrés dans 5 académies ( Lille, Lyon, Marseille, Créteil et Versailles). Les plans des années 90 s'appuieront tous sur le niveau local, les moyens n'étant attribués qu'aux établissements situés dans des périmètres confrontés à la violence et justifiant l'octroi d'une aide particulière. Concrètement, ce partenariat se traduit par des rencontres, des échanges entre les responsables institutionnels. Le rapprochement entre forces de sécurité et enseignants doit tendre notamment à mieux harmoniser la gestion des périodes à risque d' une journée ou d' une semaine scolaire. Ces échanges permettent aux uns et aux autres de mieux percevoir une réalité que la proximité avait tendance à occulter. Je pense par exemple au fait que le corps enseignant avait tendance à ne pas faire de lien entre les manifestations de la tension et de la violence scolaire, et les temps forts de la vie scolaire que représentent les périodes de conseil de classe en fin de trimestre, considérés par les policiers comme des indicateurs de risques particulièrement pertinents. Par parenthèse cela confirme d'importance accordée par les élèves à leur évaluation. Il découle de cette politique que les images réciproques des uns et des autres, y compris chez les élèves, ont été profondément et favorablement modifiées. Elles ont entraîné une plus grande rapidité et une meilleure qualité d' intervention en cas de problèmes. Cette démarche de partenariat se situe essentiellement aux niveau des responsables départementaux. En 1990 les établissements scolaires sont incités à instaurer et développer les CES : Comités d'environnement social. Ces comités, présidés par les chefs d'établissements et réunis à leur initiative rassemblent les personnes ou associations qui dans le quartier où est situé l'établissement sont susceptibles d'avoir à faire avec les jeunes scolarisés dans l'établissement. Il peut s'agir de policiers voire de commerçants ou encore d'associations de quartier. A ces personnes extérieures s'ajoutent les personnes qui travaillent dans l'établissements ou en sont les usagers. On y rencontre le plus souvent l'infirmière et les services sociaux, le CPE, des enseignants, des parents d'élèves et des élèves. Il s'agit d'échanger des informations mais aussi de croiser des regards et des points de vue sur les jeunes. Je pense qu'il est nécessaire de préciser qu'à l'origine, ces Comités sont constitués afin de lutter contre la drogue et ses méfaits. Cette structure va se développer et se transformer à l'arrivée d'un nouveau ministre, Mme Ségolène Royal. De CES, il devient CESC, Comité d'éducation à la santé et à la citoyenneté. Si dans ses pratiques de fonctionnement, il change peu, cette nouvelle appellation clarifie les missions et les étend, en rappelant la mission éducative de cette instance. Nous sommes en 1998 et une circulaire : " Prévention des conduites à risque et comité d'éducation à la santé et à la citoyenneté " va définir 6 axes d'intervention : Contribuer à la mise en place de l'éducation citoyenne dans l'école ou l'établissement, en rendant l'élève responsable, autonome et acteur de prévention ; Organiser la prévention des dépendances, des conduites à risque et de la violence dans le cadre du projet d'établissement ; Assurer le suivi des jeunes dans et hors l'école en faisant appel aux compétences en interne ou en s'appuyant sur des relais extérieurs ; Venir en aide aux élèves manifestant des signes inquiétants de mal-être : usages de produits illicites, absentéisme, désinvestissement scolaire, repli sur soi, conduites suicidaires… Renforcer les liens avec les familles Apporter un appui aux acteurs de la lutte contre l'exclusion, en renforçant les liens entre l'établissement, les parents les plus en difficulté et les autres partenaires concernés. Dans un rapport déposé à Lionel Jospin en avril 2002, Jean-Pierre Baeumler, regrette " la faible implication des élèves, des parents et dans une certaine mesure des enseignants ". Il rappelle que " l'élève doit être un acteur essentiel des actions engagées, auxquelles les parents doivent être pleinement associés. Le CESC (comité d'éducation à la santé et à la citoyenneté) doit aider les élèves à choisir des comportements responsables dans le respect de soi, de l'autre et de l'environnement. " Il rappelle que " le CESC doit s'appuyer sur un diagnostic précis à partir des difficultés propres à chaque établissement. "Il considère qu'il lui appartient d' " inventer de nouveaux cadres de concertation et de travail en commun notamment avec les collectivités locales, les bassins de formation et les familles. " Permettez-moi un aparté. Jean-Pierre Baeumler emploie ici le verbe " inventer ", j'en profite pour dire que la caractéristique de l'évolution des pratiques professionnelles dans les dernières années est marquée par cette dimension d'initiative et de création donnée aux fonctionnaires, créativité qu'ils devront exercer dans la classe dans la mise en place de pédagogies différenciées ( nous en reparlerons) mais aussi plus collectivement dans la mise en place de projets et de dispositifs, dans le cadre de l'établissement ou dans celui de partenariats externes. Il s'agit de mon point de vu d'une véritable révolution dans le statut des fonctionnaires dont la mission ne se limite plus à l'application des textes (lois, circulaires, programmes), mais à qui il est demandé de concevoir, d'imaginer, de créer. Cette mutation considérable impose une vision nouvelle du " fonctionnaire citoyen " dont il conviendrait de dégager toutes les conséquences, en particulier dans le domaine de la formation des maîtres. Ce nouveau " fonctionnaire citoyen " doit percevoir clairement les enjeux des choix qu'il opère et les conséquences des dispositifs qu'il met en place. Jean-Pierre Baeumler conclut son rapport en émettant le vœu que le CESC devienne " le dispositif de l'éducation nationale dans la conduite des politiques de la ville, des politiques éducatives locales et des contrats locaux de sécurité ". S'il ne m'est pas possible d'évoquer l'ensemble des dispositifs qui découlent de la décentralisation et du transfert de compétences entre l'état, les régions, les départements et les villes, permettez-moi d'attirer votre attention sur le dispositif de contrat éducatif local (CEL) qui concerne le plus directement les établissement scolaires. Il a pour objectif de mieux répondre aux besoins des jeunes, enfants et adolescents, en adaptant de façon plus pertinente l'offre éducative aux rythmes des élèves. En travaillant ensemble dans le cadre des CEL, municipalités et établissements scolaires peuvent partager leurs approches et mutualiser les moyens dont ils disposent pour offrir aux jeunes de la ville un éventail d'activités équilibrées. La recherche de la cohérence du monde des adultes est certainement l'un des axes à développer si l'on veut réellement permettre une éducation réussie de la jeunesse. On sait combien les adolescents vont s'engouffrer dans les failles et les faiblesses et je crois qu'il est inutile d'insister sur l'image peu structurée que le monde adulte offre aujourd'hui aux jeunes. Ces remarques générales dépassent très largement le simple cadre du développement des politiques partenariales . Le développement de cette activité partenariale a profondément bouleversé les rapports entre les services de l'état et des collectivités territoriales. Ce qui aurait semblé invraisemblable devient possible en moins de dix ans. Les établissements scolaires accueillent des policiers en tenue dans leurs locaux afin que ceux-ci puissent dispenser des interventions à caractère pédagogique et éducatif , le plus souvent relatif à la prévention. Les services de police concernés se déclarent très favorables à cette évolution. Ces mesures aussi périphériques qu'elles puissent paraître, ont concouru à l'apaisement des établissements scolaires. Ce travail partenarial se poursuit aujourd'hui. Les derniers chiffres connus en France, qui datent de janvier 2002, même s'ils sont inégaux démontrent une meilleure performance des établissements scolaires, une meilleure capacité à éviter dans leur enceinte les actes de violence. Mais en même temps, si l'école semble mieux maîtriser les phénomènes de violence, l'on assiste à un déplacement de cette violence que l'on n'a pas réussi à éradiquer. Les jeunes sont toujours victimes de cette violence, même si elle se déplace aux abords des établissements scolaires. Ce déplacement a amené les ministères concernés à prendre des mesures spécifiques afin de traiter la violence dans ces zones intermédiaires entre l'école et la cité. C'est le sens d'un texte paru en ce début d'année scolaire et relatif à la situation particulière de l'île de France. Une école trop fermée sur elle-même, d'une certaine manière, l'on retrouve ce thème dans la question relative au droit scolaire. A l'école, il arrivait trop souvent dans un passé récent que les règles appliquées soient en contradiction avec les lois de la République. Le développement de la judiciarisation de nos sociétés amenait souvent à la mise en cause devant les tribunaux du bien fondé des décisions prises par l'école. Des règlements intérieurs n'étaient pas conformes aux principes du droit, qu'il soit français ou international. Le Ministère décida donc de rappeler les principes du droit dans un texte publié en juillet 2000 qui exigeait que les règlements intérieurs des établissements soient revus afin qu'ils deviennent conformes à ces principes. Cette démarche était dictée par le constat que le sentiment d'injustice était ressenti par de nombreux élèves et que ce sentiment était un vecteur de violence. L'on reprochait aux jeunes de ne pas connaître et respecter la loi, et dans le même temps, ceux qui formulaient ce reproche adoptaient des mesures ou prenaient des décisions contraires aux principes du droit. Dans le même temps les équipes enseignantes étaient invitées à rechercher une plus grande cohérence dans les sanctions appliquées ( Debarbieux) . Ce travail de réflexion sur la loi s'accompagne d'une incitation au développement d'instances de concertation et d'écoute dans les établissements scolaires. La judiciarisation ne devait pas se traduire par une application aveugle des textes. Tout au long de la décennie écoulée, les établissements scolaires ont donc été incités à associer les élèves à l'élaboration et à la rédaction des règlements intérieurs. En début d'année, la première heure de cours est consacrée en partie à la lecture et à l'explicitation du règlement intérieur qui est ainsi porté à la connaissance de tous. Bernard Defrance aime à rappeler que si " nul n'est censé ignorer la loi ", la discipline qui n'est pas enseignée à l'école c'est le droit ! Au-delà de la simple information, les établissements scolaires sont incités à adapter leurs règlements aux évolutions et aux attentes de la communauté scolaire. Très longtemps ces règlements, complètement obsolètes étaient totalement méconnus des acteurs, inadaptés et peu respectés. Aujourd'hui les élèves sont sollicités pour participer à la rédaction de ces règlements. Afin de leur permettre de mieux intégrer les règles à respecter, de façon complémentaire, les établissements sont incités à élaborer des " Chartes de vie pour l'école ". L'élaboration d'une charte devient l'occasion : d'affirmer des valeurs ; de donner du sens à la règle et à la loi ; de prendre des engagements et de les respecter ; de favoriser la communication entre les élèves et les adultes de l'établissement. Par ailleurs, les établissements étaient incités à mettre en place " des mesures alternatives au conseil de discipline ". Dès 1997 on trouvait cette incitation. Il faut dire qu'en France, dans les années 80-90 s'est développé de façon considérable le recours au conseil de discipline dont les délibérations aboutissaient de façon pratiquement systématique à l'exclusion définitive, des établissements scolaires, des élèves qui comparaissaient devant le conseil. Nombreuses sont les études qui ont montré que cette exclusion était un facteur de violence, beaucoup d'élèves exclus se retournaient contre les établissements qui les avaient exclus (l'évènement tragique survenu en Allemagne fin avril semble confirmer cette attitude). De plus, ces études démontrent que l'on ne fait que déplacer la violence et le problème en déplaçant l'élève. Ainsi, un certain nombre d'élèves multipliaient les exclusions au point d'effectuer un véritable itinéraire de découverte des établissements scolaires de banlieue. On ne faisait donc que soulager momentanément l'établissement scolaire d'accueil sans apporter réellement une solution au problème rencontré par le jeune ni à celui vécu, de ce fait, par la société. Parmi les mesures retenues destinées à répondre à cettepréoccupation, nous pouvons citer les classes relais. Il s'agit de structures expérimentales qui ont été créées dans des collèges ou dans des lieux extérieurs. On y retrouve, dans de petites unités, des jeunes rencontrant de très grandes difficultés, faisant souvent l'objet de mesures judiciaires, en voie de déscolarisation et ayant dans la plupart des cas perdu le sens des règles. L'accueil dans les classes relais est prévu pour une durée limitée à quelques mois, à l'issue de ce bref séjour, l'élève est susceptible de rejoindre son collège et sa classe d'origine. Les formes et les méthodes mises en œuvre sont très variées et dépendent pour une large part de la composition des équipes qui constituent la structure et qui d'ailleurs en ont été souvent à l'initiative. De façon assez générale, il ressort des premiers bilans effectués, que la durée du passage des élèves dans la classe relais est insuffisante pour produire des résultats significatifs capables d'éviter la récidive. Actuellement est menée une réflexion sur le développement de la mise en place d'internats relais capables d'accueillir, cette fois tout au long de la semaine, les élèves exclus d'autres structures. Les internats relais permettront de provoquer l'indispensable rupture entre le jeune et son quartier. Les établissements scolaires sont donc incités à développer des instances intermédiaires de parole et d'écoute qui rassemblent dans les meilleurs des cas - ceux dont les résultats sont les plus efficaces - des élèves et des adultes de l'établissement. Par exemple, dans tel établissement, les élèves savent que chaque jour, ou certains jours de la semaine, des équipes d'élèves et d'adultes sont à leur disposition pour les écouter. Il peut s'agir d'un professeur et de l'infirmière ou l'assistante sociale qui avec un ou deux élèves reçoivent d'autres élèves, les écoutent et tentent de leur venir en aide, ou facilite la résolution du conflit auquel ils sont confrontés. On a beaucoup dit que nombreux étaient les élèves qui manquaient de repères et ne bénéficiaient pas de l'encadrement nécessaire. Pour pallier cette difficulté des établissement ont recours au tutorat. Les adultes de l'établissement se partagent la responsabilité du suivi éducatif des élèves. Ils les aident à grandir, beaucoup de jeunes ayant besoin pour croître de s'appuyer sur un adulte. Cette responsabilité n'est pas dévolue aux seuls enseignants, tous les personnels y sont associés. Les effets bénéfiques sont multiples sur le climat de l'établissement, et la participation des personnels non enseignants à cette activité n'est pas étrangère à cette réussite. Sous le même mot de tutorat, l'on désigne souvent un parrainage des élèves les plus jeunes par leur aînés. Habituellement l'ambition n'est pas la même et, si l'on sait définir le cadre et les limites de ce parrainage, les résultats peuvent être très favorables au développement d'un climat agréable dans l'établissement. Ces dispositifs sont à distinguer de ceux mettant en scène des médiateurs, ou des grands frères ou encore des élèves chargés de mener une médiation. Dans les établissements et les quartiers les plus sensibles, tout ce qui pourrait être assimilé à une démission des adultes représenterait une charge très difficile à supporter pour les élèves, dangereuse pour le monde adulte qui renonce à assurer l'héritage qu'il a à transmettre (Arendt) et favorable à toutes les dérives mafieuses. Si faire des élèves " des acteurs de prévention " représente une ambition souvent louable, les dispositifs mis en œuvre nécessitent une formation adaptée et un suivi vigilant, deux conditions qui se heurtent souvent à l'instabilité des équipes en place. La loi du silence est souvent l'une des caractéristiques des situations propices au développement de la violence. Sans vouloir se substituer aux dispositifs locaux et au contact direct, vont se mettre en place dans les 5 dernières années des services téléphoniques dont les objectifs seront de lever la loi du silence. Il peut s'agir d'une simple écoute anonyme et gratuite, destinée à aider l'appelant en détresse qui, le plus souvent, est la victime de la violence. Les écoutants sont des professionnels (souvent psychologues), c'est le cadre que s'est fixé " Jeunes, violences, écoute " un numéro de téléphone créé par la région Ile-de-France. Il peut s'agir aussi d'un numéro destiné davantage à signaler aux administrations locales les cas afin d'y porter remède comme le fait le numéro du ministère " SOS Violence ". A ces dispositifs plus particulièrement destinés aux élèves victimes, s'ajoutent dans les rectorats, au niveau régional des cellules d'écoute pour les personnels ou d'aide pour les équipes. Des audits sont proposés aux établissements pour les aider et des formations peuvent être effectuées sur site. S'il faut remonter à 1991 pour trouver les textes fondamentaux sur les droits et obligations des élèves, c'est tout au long de la décennie que l'insistance sera portée sur la nécessité d'impliquer les élèves dans la vie de l'établissement et dans la vie de la cité. D'une certaine manière, l'on peut dire que l'établissement scolaire sera pacifié, ou du moins aura plus de chances de l'être si les élèves se sentent impliqués dans la vie collective et citoyenne en faisant vivre leurs droits collectifs. Dans la suite des manifestations des lycéens de l'année 1990, des droits individuels et collectifs leurs sont octroyés et formalisés. En résumé, l'on peut dire que l'on étend, dans le cadre de l'établissements scolaire, les droits reconnus dans la société française. En réponse à d'autres manifestations plus récentes de lycéens et de collégiens, confronté à une certaine inadaptation des instances de vie lycéenne, le ministère a modifié en juillet 2000 les textes relatifs à la vie lycéenne. Pour le faire, il s'est inspiré, en particulier des conclusions de la consultation nationale des lycéens, orchestrée par Philippe Meirieu. Pour que l'élève se sente mieux dans son établissement scolaire, il faut qu'il ait le sentiment d'être écouté, que ses préoccupations sont prises en comptes et se traduisent par la mise en place de réponses adaptées. Le constat qui était fait alors était, que trop souvent la vie lycéenne restait une enveloppe creuse et formelle. Il était nécessaire de créer un nouveau lieu de parole où les élèves se trouveraient représentés à parité avec les adultes de l'établissement. Mieux, les élèves constituaient eux-mêmes et eux seuls le conseil de la vie lycéenne, les adultes associés étant présents pour les aider dans leur réflexion et les écouter. Certes, l'instance n'est pas délibérative mais seulement consultative, toutefois, elle doit être consultée préalablement pour toutes les questions relatives à la vie lycéenne. Les élèves peuvent demander que soient débattues dans ce cadre toutes les questions concernant leur vie de lycéens. Cette volonté d'associer plus étroitement les lycéens à la vie de leur établissement, accompagnée d'une volonté de raviver la vie démocratique de l'établissement, s'ils ne visaient pas exclusivement la prévention de la violence, concouraient au développement d'un climat favorable dans l'établissement. Nous avons vu que dans les dernières années, les mesures pour venir en aide aux établissements ont été ciblées en direction des " zones " dont les caractéristiques sociologiques justifiaient d'une telle attention. Cela au nom du principe suivant lequel les établissements scolaires n'étaient pas à égalité face à la violence. Sans remettre en cause cette loi fondamentale, les travaux de la sociologie contemporaine ont bien mis en lumière " l'effet établissement " qui précise qu'à situation comparable, les établissements scolaires réussissent inégalement. Pour une large part, ces différences sont liées à ce que l'on nomme " le climat " de l'établissement. Nous allons nous attacher à mettre en lumière les dispositifs susceptibles d'améliorer ce climat, et de favoriser l'installation d'un climat apaisé. Inspirée des démarches de la pédagogie institutionnelle, l'heure de vie de classe ou heure de vie scolaire a pour fonction de favoriser la parole dans un cadre régulier et fixé préalablement. Chaque quinzaine, les élèves savent qu'ils disposeront d'une heure destinée à évoquer les problèmes rencontrés pendant cette période. Animée par un adulte qui peut être le professeur principal ou le CPE, l'on aborde les questions qui préoccupent les élèves en essayant d'y apporter une réponse et une solution collective. Ce dispositif a été retenu en 1999 dans les lycées et a donné satisfaction dans les établissements où il a été réellement mis en place. Malheureusement, cette injonction ministérielle ne s'est pas traduite par le déblocage de moyens supplémentaires, ce qui a amené de trop nombreux établissements à en faire une application modérée, sans que toutes les classes disposent d'un créneau horaire réellement inscrit dans l'emploi du temps des élèves. L'on voit pourtant le bénéfice que l'on peut tirer de l'instauration de tels temps d' échanges. L'élève sait qu'il disposera d'un temps pour exprimer les difficultés rencontrées et que ce temps est un temps différé. Ce décalage entre l'événement subit et le temps pour en parler est un décalage très formateur. Le temps du droit est toujours un temps différé. Il s'oppose ainsi au temps de la violence qui presque toujours est le temps de l'impulsion, de l'immédiateté de la pulsion ( Meirieu). La réflexion sur le temps pourrait représenter l'un des axes de cette conférence. Lutter contre la violence, c'est prendre du temps, le temps de la prévention qui est l'un des temps de l'éducation s'oppose au temps de l'urgence qui est le plus souvent le temps de la violence. Parmi les mesures mises en place dans les dix dernières années , il nous faut signaler le dispositif d'école ouverte. Les établissements scolaires peuvent ouvrir pendant leurs périodes de fermeture habituelles, en bénéficiant d'une aide particulière. Il peut s'agir des vacances scolaires ou même dans certain cas, le mercredi et le samedi. A l'origine, ce dispositif avait été mis en place dans les quartiers défavorisés afin d'offrir des activités aux enfants qui ne pouvaient pas partir en vacances. Pendant ces périodes d'ouverture, des activités différentes de celles pratiquées pendant l'année sont proposées à un public constitué majoritairement d'élèves de l'établissement. Mais il peut s'agir aussi de jeunes du quartier, voire de parents d'élèves. Les activités sont animées par des personnels de l'établissement, volontaires ( professeurs, CPE, surveillants ) mais aussi par des personnes des associations de la ville. Ce dispositif dont les effets bénéfiques sont mis en avant par les équipes volontaires permet une autre perception de l'école par les élèves et leurs familles. Aux activités à caractère socio-éducatif traditionnel ( animation sportive et culturelle, jeux divers…) s'ajoutent et c'est fondamental des activités liées aux apprentissages, le plus souvent du soutien scolaire. Dans certains cas, l'école ouverte s'inscrit dans un dispositif d'accueil. Avant la rentrée scolaire, l'établissement est ouvert afin d'accueillir les futurs élèves. L'école ouverte prend parfois la forme d' " école de parents " dont l'objectif est d'aider les familles à mieux comprendre les enjeux de l'école et à mieux maîtriser ses objectifs et son organisation. L'attention portée aux parents d'élèves a été largement accrue dans la dernière période en France. Cette attention n'est pas étrangère à la lutte contre la violence. En effet, une meilleure compréhension des partenaires éducatifs que sont parents et enseignants est certainement un facteur d'apaisement de la vie scolaire. La bonne " estime de soi " du jeune, parfois affaiblie par la succession d'appréciations scolaires négatives, a besoin de cette reconnaissance. Parmi les indicateurs retenus pour déterminer un climat de tension apparaît un lien fort entre la rotation des personnels, l'instabilité des équipes et l'installation d'un climat de violence. S'est donc posée au ministère la question ; " Comment ralentir la fuite des personnels nommés dans les établissements classés sensibles ? ". Cette rotation, sans que l'on puisse déterminer si elle est cause ou effet, est d'une ampleur inquiétante qui explique les difficultés de ces établissements. Dès leur nomination, les personnels ( les chefs d'établissements comme les enseignants n'aspirent qu'à partir et déposent leur demande de mutation. ). Alors que l'installation d'un climat favorable ne peut s'établir que dans la durée, la mémoire de l'établissement n'est portée, souvent, que par les élèves. Dans certains collèges, aux cours de leurs scolarité, les élèves connaîtront plusieurs équipes différentes qui éphémères n'auront pas la maîtrise de l'histoire du collège et de ses élèves. En face d'eux, ces équipes de passage se trouvent face à des élèves qui ajoutent à la maîtrise de l'environnement de la cité, celle du collège où ils se trouvent, pour certains d'entre eux qui redoublent, pendant six ans. Pour freiner l'hémorragie, dans les établissements classés " sensibles ", une prime a été instituée, mais celle-ci n'a pas eu les effets escomptés. D'un montant insuffisant , elle n'a pas permis de retenir les personnels. Le taux d'encadrement de élèves a été au cours des divers plans largement renforcé, les effectifs des classes allégés. La nomination de CPE et de surveillants a produit des effets parfois assez spectaculaires (l'accent a été mis ces dernières années sur l'implantation ciblée de personnels non enseignants). Mais en fait, c'est du côté de la réponse paradoxale que le ministère est allé chercher une solution. Pour stabiliser les équipes, il a favorisé leur possibilité de mutation, après une période de stabilité. Les personnels s'engagent à rester quatre ou cinq ans et bénéficient alors d'un barème leur permettant de rejoindre la région, voire le poste qu'ils convoitent. C'est l'un des dispositifs retenus dans le cadre des " PEP4 ", Postes à Exigences Particulières. L'autre principale mesure adoptée dans ce cadre est l'allègement des horaires d'enseignement des professeurs au profit d'heures de concertation ou de formation. Enfin, les enseignants peuvent demander à muter à plusieurs dans le même établissement, constituant ainsi une équipe. Il est trop tôt pour évaluer les effets de cette politique instituée cette année, mais les premiers échos semblent favorables. Stabiliser les équipes semble un objectif d'autant plus nécessaire qu'il n'est pas imaginable d'agir sur le climat sans se placer dans la durée. La seule action susceptible de produire du changement doit s'appuyer sur le temps. Certes, il est indispensable initialement de protéger l'établissement et les élèves, de même, il est indispensable de rétablir l'ordre et la discipline, mais ce premier temps incontournable ne saurait suffire. Une fois la sérénité atteinte, la pire illusion consisterait à se satisfaire de cet objectif limité et de fait éphémère. Les équipes doivent sans tarder se projeter dans la durée, élaborer des projets. Il serait illusoire d'imaginer pouvoir énumérer la diversité des projets tant ceux-ci doivent être liés, d'une part à la composition des équipes et d'autre part à la situation de l'établissement et aux attentes explicites ou implicites des usagers. La relative impuissance des pouvoirs publics comme la fragilité des dispositifs résultent de la personnalisation, voire de l'individualisation de ces dispositifs. Nous savons que cette situation n'est pas spécifique à la France, et lorsque l'on examine la relation des expériences réussies dans d'autres pays européens ou en Amérique du nord, l'on perçoit à chaque fois l'importance des équipes, voire des acteurs individuels. Je crois que l'on ne peut pas aborder la question de la violence dans l'école sans aborder la question des conditions dans lesquelles vont s'effectuer les apprentissages. Pour Eric Debarbieux ( dans un rapport publié en mai 2002 à la Documentation Française ), depuis une dizaine d'années, la délinquance est nourrie par " un sentiment de ressentiment fort contre l'institution scolaire chez une fraction des jeunes d'origine populaire. " Ce ressentiment a " développé des violences " antiscolaires " tournées tout autant contre les personnes, enseignants ou élèves, que contre les bâtiments eux-mêmes ". Il s'ensuit, pour Debarbieux, que l'établissement scolaire lui-même, peut devenir, au-delà du quartier, " le lieu d'une délinquance des mineurs hyperspécifique et hyperterritorialisée ". En France, l'orientation de l'élève est décidée, en dernière instance, par le chef d'établissement. Même si l'élève est consulté et que des procédures d'appel existent, la décision ultime, une fois les procédures épuisées, échappe à l'élève et sa famille. C'est probablement l'une des plus fortes violences institutionnelles, l'élève étant orienté dans une filière qu'il n'a pas choisie. Pour atténuer les effets de cette violence, une démarche d'éducation à l'orientation doit être menée dans les établissements scolaires. Un lien fort peut certainement être établi entre la violence scolaire et la façon dont l'élève peut se sentir soutenu ou abandonné face aux difficultés scolaires qu'il rencontre. Certes il existe une dimension pédagogique individuelle dans cette question, un " effet maître " indéniable, mais pour une large part, cette question relève de décisions plus collectives et de choix pédagogiques opérés au niveau de l'établissement, choix d'ailleurs qui renforcent les attitudes individuelles des enseignants. La façon dont les élèves sont regroupés en classes et en groupes d'élèves relève en France de décisions locales prises au niveau de l'établissement. Le débat qui anime cette question tourne autour de l'homogénéité et de l'hétérogénéité des groupes d'élèves ainsi constitués. Les travaux récents menés sur cette question démontrent la meilleure efficacité globale du choix de l'hétérogénéité ( les meilleurs élèves étant moins pénalisés que ne le sont les moins bons), mais surtout le risque serait moindre de développer un sentiment d'exclusion chez les élèves rejetés dans des classes ou des filières d'exclusion. Mais ce choix de l'hétérogénéité nécessite la mise en œuvre au niveau de la classe d'une pédagogie différenciée difficile à mener. En son absence, le risque de relégation sera transféré au niveau de la classe, mettant en difficulté le professeur. Ce constat amène de nombreux établissements à adopter une composition homogène des classes, décalant la différenciation pédagogique au niveau de l'établissement : des moyens différents sont mis en œuvre au niveau des classes comme au niveau de l'établissement. Dans les deux cas, il conviendra de mettre en place des dispositifs de soutien importants, en veillant à ce que ce soient bien les élèves qui en ont réellement besoin qui en bénéficient prioritairement. On le voit, le débat est complexe puisqu'il met en relation les aspirations individuelles des enseignements et les choix organisationnels retenus par la communauté scolaire. Même si j'éprouve une préférence pour le premier dispositif, je me garderais bien de trancher tant les décisions dépendent du contexte et de la mise en œuvre des politiques retenues. Une remarque s'impose toutefois, j'ai certainement fait preuve d'optimisme en parlant de débat autour de cette question. Malheureusement, dans beaucoup d'établissements scolaires, les choix opérés s'effectuent dans le secret des bureaux, sans que cette question soit réellement débattue, dans le triomphe honteux de l'implicite. Je pense que les établissements qui réussissent le mieux, sont ceux qui font de cette question une question ouverte, réellement débattue, non seulement par les responsables de l'établissement et les professeurs mais en associant l'ensemble des acteurs de la communauté scolaire, sans oublier les parents et les élèves. Les décisions retenues et les dispositifs adoptés ont le plus de chances d'être compris et probablement d'être meilleurs. On le voit, les dispositifs adoptés pour lutter contre la violence et permettre l'établissement d'un climat apaisé sont variés. Ils ont tous comme caractéristique d'être très liés aux acteurs du terrain et connaissent souvent de ce fait des destins éphémères évoluant au gré de la constitution des équipes. Dans le meilleur des cas, ils profitent des changements aléatoires qu'ils subissent pour adopter des dispositifs plus performants, mais il arrive que les établissements connaissent à nouveau des moments difficiles. La politique ministérielle délimite des cadres dans lesquels les initiatives locales sont sollicitées. Afin de les encourager, sont publiées des expériences réussies dont on sait qu'elles ne peuvent pas être transférables mais dont on espère qu'elles donneront d'autres idées aux équipes intéressées. Pour conclure de façon plus positive, je dirais qu'il existe probablement une caractéristique qui traverse l'ensemble des établissements qui réussissent. Ce sont ceux dans lesquels la parole circule. Parole entre les professionnels, mais aussi parole entre adultes et élèves, parole entre parents et professeurs, parole entre élèves . Cette parole doit être capable de nommer les difficultés réelles, et, dans ce cas, je crois en la capacité de la communauté à trouver les solutions adaptées. Mais j'ai bien conscience en disant cela qu'une telle parole pour exister, doit s'appuyer sur des équipes déjà suffisamment fortes…

Je vous remercie de votre attention, et suis prêt à répondre à vos questions.

Bibliographie
Arendt H. La crise de la culture .Folio essais Gallimard 1996
Auduc J.L. Le système éducatif Hachette éducation 2001
Ballion R. Le lycée une cité à construire, Hachette 1993
Charlot B. et Emin J.Cl. Violence état des savoirs Armand Colin 1997
Debarbieux E. La violence en milieu scolaire T 1, T2 et T3 ESF 1996-99-2001
Defrance B. La violence à l'école, Syros 1988
Huerre P. Ni anges ni sauvages. 2002
Meirieu Ph. Le choix d'éduquer. ESF 1991
Perrenoud Ph. La pédagogie à l'école des différences ESF

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