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CONFERENCE DE FRANCOIS DUBET Vidéo enregistrée le 17 janvier 2002, Bibliographie : Dubet F.(dir). Ecole, familles, le malentendu. Textuel.1997 François Dubet expose à sa manière l'évolution d'une partie du système éducatif français. La plainte enseignante, la plainte éducative qui se manifestent par des remarques du type : " Les élèves ne s'intéressent à rien… " " Les élèves sont violents… " " Le ministère se fiche de nous… " " Les chefs d'établissement sont soit inexistants soit tyranniques… " " Les parents ne s'intéressent pas à l'école et quand ils s'y intéressent c'est catastrophique… " Dénotent davantage une rhétorique de la plainte plutôt qu'une vrai situation de terrain. A tel point que l'enseignant qui " oserait " dire le contraire serait considéré comme déviant et devrait se faire discret. Les logiques des acteurs de l'école consistent à rendre leurs conditions de travail impossibles par la culture de la perception apocalyptique qu'ils en ont. Sans doute est-ce l'image mythique de l'école qui leur fait ressentir le présent inacceptable ? Pourtant, lorsque l'on fait un flash-back dans l'histoire du système éducatif, on s'aperçoit qu'il faut davantage nuancer les remarques que l'on fait sur l'école actuelle. Considérons trois dimensions : L'école n'a pas été fabriquée uniquement pour? " écrire lire compter ". Elle a été faite pour fabriquer un type de citoyens, un type de français. Il s'agissait aussi de s'opposer à l'Eglise afin de fonder une République. Pourtant, l'école a été faite comme une Eglise. Les enseignants de la 3ème République sont davantage laïcs qu'anticléricaux. Seulement, ils partagent cette volonté de cantonner les pratiques religieuses au cercle privé. Bien sûr, on ne s'intéresse pas aux conséquences socioculturelles. Il s'agit de créer une conscience nationale, de fabriquer des Français, une histoire nationale, une géographie nationale, un savoir pratique et d'éradiquer les patois. Pour les enfants de la bourgeoisie cette évolution du système n'a pas eu de conséquences notables. En théorie, la volonté de l'école de la République? est d'évoluer vers plus de justice. Ce système devient idéologiquement, politiquement et pédagogiquement progressiste. En pratique, l'élitisme républicain n'est pas de permettre aux meilleurs, toutes classes confondues, d'aller le plus loin possible dans les études et la réussite sociale ; mais, de permettre aux meilleurs des classes populaires d'aller jusqu'aux classes les moins prestigieuses du collège ou du lycée. L'école fonctionne sur le modèle d'une? contre-église. C'est un sanctuaire. Elle fonctionne en vase clos. Les parents ne peuvent pas y entrer. Elle n'a de compte à rendre qu'à elle-même. Elle sépare les sexes. La formation des instituteurs se fait sur le modèle des séminaires. Ils sont similaires à des " prêtres républicains ". Ils constituent des fédérations et ne vivent que par elle. Parallèlement, les professeurs sont recrutés par des concours très difficiles. Ils constituent donc un groupe d'intellectuels érudits. Dans les deux cas ce sont d'anciens bons élèves destinés à se retrouver face à des élèves ayant le même profil qu'eux. Le souvenir de cette école passée est vécue aujourd'hui comme un âge d'or. Les mécanismes de sélection en amont de l'entrée au collège et au lycée font que tous les élèves qui n'ont pas la capacités de jouer le jeu de l'école pour des raisons culturelles ou socio-économiques n'y entrent pas. C'est ce qui donne cette impression de paix dans l'école. Mais, le prix à payer, c'est la mise à l'écart des " cas sociaux " dont on ne veut pas entendre parler. Toutefois, la paix apparente nécessitait tout de même une soupape de sécurité : les chahuts des professeurs de certaines matières jugées peu importantes (dessin, musique…) avec la complicité des adultes. Chahuts qui aujourd'hui seraient inacceptables. Il y avait donc une espèce d' " apartheid " créée par l'école avec une fermeture hermétique sur le monde. L'on pourrait croire alors que le système est bien rôdé. Pourtant, c'était un monde peu organisé. Un chef d'établissement, jusque dans les années 70 était un notable en fin de carrière qui avait un rôle peu important. C'était un monde clérical au sens d'ordre régulier. On ne s'intéresse pas à la vie de l'élève en dehors de l'école. La 1ère transformation de l'école consiste en un passage d'un ordre régulier à un ordre séculier. Les portes s'ouvrent. On laisse entrer ceux qui étaient autrefois exclus de l'école. L'idée est de donner sa chance de réussir à tous les enfants par souci de justice. On quitte l'élitisme républicain pour arriver à la notion d'égalité des chances. Cela a donné le plan Langevin-Wallon qui veut élargir l'entrée de l'école, puis la réforme Haby qui ouvre le collège à tous sans distinction. Dès lors, les règles du jeu changent. Dans les années 60, l'opinion publique se centre sur des idées du types : " arrivée des barbares… " " le niveau baisse… " 1. La connivence culturelle ne joue plus : Les élèves ne sont plus enfants d'enseignants. Les enfants de milieux populaires font leur entrée. La question de l'utilité de l'école se pose de plus en plus. 2. Les problèmes entrent dans l'école : La mixité avec ce que ça implique de distractions et de préoccupations pour les adolescents. - Les histoires personnelles et familiales qui influent sur l'élève. 3. La production des inégalités et de l'échec scolaire : Avant on pouvait dire que l'inégalité était le résultat d'un déterminisme social. Dès lors que l'école donne sa chance à tous, l'élève enfant d'ouvrier ne peut plus se rattaché à cette notion de déterminisme. Aussi, s'il est en échec ne peut-il s'en prendre qu'à lui-même. Dans l'ancien système, l'essentiel de la sélection était produit par les inégalités sociales. Si on ne faisait pas d'étude c'était parce qu'on était fils d'ouvrier. Dans le système actuel, c'est l'école qui sélectionne. Si on est en échec c'est parce qu'on ne travaille pas bien. Donc, l'image de la grande institution qui crée l'égalité et la justice à l'entrée n'est pas fausse, mais, au final, elle produit de l'inégalité. Les conséquences sont : Une démoralisation des professeurs face à l'hétérogénéité des élèves Un mécanisme qui est facteur de violence scolaire. Par exemple, la violence contre les professeurs est due à cette idée inconsciente que l'élève n'est défini que par son échec ou sa réussite. En fait, il y a égalité au milieu du système mais inégalité à ses extrémités. Le résultat c'est la dérégulation de la situation scolaire. Les élèves ne sont plus motivés. De ce point de vue la souffrance des professeurs est légitime. Il faut savoir que les élèves ont trois registres de motivation au collège : " Travailler ? Oui. Mais à quoi ça sert ? "…sachant que plus les titulaires d'un diplôme sont nombreux, plus ce diplôme perd de sa valeur marchande. " Travailler ? Oui. Mais à quoi ça sert intellectuellement ? "…sachant que le sens intellectuel des études est complètement différé. L'enseignant répond à des questions que l'élève ne connaîtra qu'en fin de parcours. C'est d'autant incohérent que dans cette société de consommation de masse l'école a perdu le monopole de la culture. Autrefois, il n'y avait que l'école ou l'église pour s'ouvrir sur le monde. L'école est passée d'une situation culturelle de type religion d'état à une situation de type média culturel au même titre que d'autres médias. Les élèves ont désormais le sentiment de pouvoir " grandir " en dehors de l'école. C'est pourquoi les professeurs sont tenus de créer les conditions d'apprentissage avant de commencer leur cours. On ne peut plus dire aux élèves : " si t'es pas content…tu pars… ". (troisième registre de motivation voir cassette vidéo). La plainte des enseignants repose sur une expérience de travail totalement déstabilisée. Fondamentalement, il y a, dans la relation pédagogique, quelque chose qui a complètement changé de nature avec la massification. La massification n'a pas répondu à l'idéal égalitariste républicain dans la mesure où la réalité produite a été tout autre. Un des effets de la massification est la création d'un marché scolaire qui se traduit par la volonté d'une partie des familles de choisir l'établissement scolaire de leurs enfants. L'idée que l'instruction est à elle seule l'éducation ne tient plus. Autrefois, c'était acquis. On est dans une situation où la question de la fonction éducative se pose. Le nouveau système scolaire nécessite aujourd'hui des personnels polyvalents comme on les trouve dans certains pays d'Europe. On est devant un système qui souffre pour un certain nombre de raisons. Des raisons qui tiennent fondamentalement au fait que les responsables politiques ont refusé de prendre des décisions politiques. L'école est cousue de paradoxes. Par exemple, un enseignant peut souffrir des programmes de sa matière et ne pas accepter qu'on les change de peur d'abaisser le prestige de sa matière. Il est communément admis dans le milieu enseignant qu'1/3 des élèves n'a pas sa place au collège. Mais, on est dans une situation où on ne peut plus bricoler indéfiniment. Il faut changer la nature des règles. Pour cela, il faudrait admettre que le collège c'est l'école obligatoire pour tous, qu'il n'a pas pour finalité la classe de seconde du lycée (et au-delà la classe terminale, la prépa et normal sup !) mais sa propre finalité. On ne peut pas dénoncer une sorte d'anomie générale et en même temps refuser d'éduquer et donc de nier cette anomie. Les solutions seraient : La présence des professeurs dans l'enceinte de l'établissement 12h pour les cours et 12h pour les autres activités liées à l'enseignement. Définir des finalités en soi du collège et d'accepter les fonctions éducatives. Refuser de régler ou même de voir les problèmes sociaux qui entrent au collège est une aberration. Les élèves sont autant en souffrance que les professeurs, si ce n'est plus, car ils n'expriment pas leur souffrance comme les professeurs au sein de corporations où ils se sentent soutenus. Certains cas de violences de l'élève sont peut-être la seule expression de cette souffrance. Lorsqu'un élève s'entend dire régulièrement qu'il est nul, on peut imaginer qu'il le vit comme une violence. Quelques questions de l'auditoire : (Transcription non textuelle) Dans le cadre de la fonction éducative quelle peut être la logique d'articulation entre enseignants et CPE ? Réponse : Les CPE ont un rôle d'amortisseurs efficace. Il ne faut pas imaginer le collège parfait et entreprendre de le mettre en place. Ce que disent les élèves, c'est qu'ils ne rencontrent jamais d'adultes mais des professionnels qui disent tout le temps : " …c'est pas mon job ! ". La formation des professeurs ne peut plus être une formation catéchiser. Par exemple, l'éducation civique est très positive mais l'apologie de la démocratie dans un espace qui ne l'applique pas n'est pas une démarche cohérente. Il faudrait que chaque établissement se construise comme une institution. Le problème aujourd'hui c'est que les établissements sont de plus en plus disciplinaires, les règlements intérieurs énoncent des règles que les professeurs n'appliquent pas ou qu'on a pas la possibilité de faire appliquer. Les enseignants ne se consultent pas. En fait, il s'agit de créer des conditions de fonctionnement et non des règles. On ne pourra pas échapper à cette évolution du système scolaire qui ne garantit pas la profession dont on a le diplôme. On pouvait raisonner autrement lorsqu'il y avait reproduction sociale. Le contrepoids serait un contrôle politique renforcé. Actuellement, on donne très peu d'autonomie, en échange on exerce très peu de contrôle. Transformer les inspections en instrument d'audit de la vie scolaire changerait la représentation qu'on a de l'établissement. La destruction de l'estime de soi des professeurs et des élèves serait moins effective. Il faudrait donc plus d'autonomie et plus de contrôle. Dans une société qui valorise la consommation et l'instantané, quels sont les outils qui permettraient aux enfants de se réapproprier la notion de temps et de construction (du savoir) ? Réponse : Il n'y a rien de pire que d'imaginer que le savoir tombe tout de suite dans les arcanes de l'intellect des élèves. L'école a son propre rythme et les élèves en ont conscience. L'idée (développée plus avant) est essentiellement de ne pas trop différer le résultat de l'enseignement. Il faudrait faire réaliser quelque chose aux élèves. Quelque chose qui mobilise chez eux les savoirs fondamentaux. Il faudrait réintroduire un mécanisme de " question/réponse " : " …on fait ça pour répondre à ça… ". Aujourd'hui, l'école apporte toutes les réponses à des questions qu'elle ne pose pas ! En théorie, tout le monde admet que les bons élèves pourraient être orientés vers des études techniques et professionnelles, mais en pratique on pense que c'est du gâchis. On sait très bien que les gens apprennent rapidement les règles d'un nouveau jeu (par exemple, l'euro) ; d'où la possibilité de changer de règles. Mais politiquement on pense que c'est dangereux. © Ministère de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie |
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