Sigmund Freud naquit à Freiberg (aujourd'hui Prìbor, République tchèque). Lorsqu'il avait trois ans, sa famille s'enfuit à Leipzig devant les émeutes antisémites qui faisaient rage à Freiberg, puis s'installa à Vienne, où Sigmund Freud fit ses études. Il devait y demeurer jusqu'au moment de l'Anschluss, l'annexion par l'Allemagne de l'Autriche, en 1938. Tenté par le droit, il opta pour la médecine peu avant son entrée à l'université de Vienne en 1873. En 1876, en troisième année de médecine, Freud commença des recherches sur la physiologie et la pathologie du système nerveux au laboratoire de physiologie dirigé par le médecin allemand Ernst Wilhelm von Brücke. Il rencontra alors le clinicien Josef Breuer et les deux hommes devinrent amis. Freud obtint son diplôme de médecin en 1881, au terme de son année de service militaire obligatoire. En 1883, il entra dans le service du médecin psychiatre allemand Karl Meinert. Privatdozent de neuropathologie en 1885, il partit pour Paris afin de suivre les leçons du neurologue Jean Martin Charcot: il découvrit alors la pathologie de l'hystérie, d'abord auprès de Charcot, au cours de ses leçons à LaSalpêtrière, où il fut le témoin des pouvoirs de suggestion du maître sur ses malades, puis à Nancy auprès du médecin Hyppolyte Bernheim, hostile à l'hypnose et partisan de la suggestion à l'état de veille. Ces deux séjours lui permirent de connaître deux méthodes thérapeutiques de l'hystérie. Par ailleurs, Josef Breuer lui rapporta qu'une de ses patientes, AnnaO., suggérait elle-même au cours de séances de demi-hypnose une méthode d'analyse, qu'elle appelait «talking cure» (traitement par la parole) ou encore «ramonage de cheminée». Pour Freud, c'était le début d'un mode d'investigation nouveau. En 1886, Freud quitta Paris et ouvrit à Vienne un cabinet médical spécialisé dans les maladies nerveuses. Défenseur des théories peu orthodoxes de Charcot sur l'hystérie et l'hypnothérapie, il se heurta à la vive opposition du corps médical viennois dont il allait inspirer la méfiance durant toute sa vie. En octobre de la même année, il épousa Martha Bernays, avec laquelle il était fiancé depuis de longues années; parmi leurs enfants, sa fille Anna deviendra psychanalyste. Sa méthode thérapeutique était encore classique: pour soigner les hystériques, il avait recours à l'électrothérapie et à l'hypnose. La première étude que publia Freud, Une conception de l'aphasie, étude critique, parut en 1891; mais cet ouvrage marqua la fin d'un parcours dans une voie qu'il allait abandonner complètement pour une nouvelle approche qu'il venait de découvrir et à laquelle il allait donner, en 1896, le nom de «psychanalyse».
Les débuts de la psychanalyse
On peut situer la naissance de la psychanalyse à la date de la publication de
l'œuvre commune de Freud et de Josef Breuer, les Études sur l'hystérie (1895),
qui présentait l'étude d'un cas devenu célèbre, celui d'AnnaO. Dans cet ouvrage,
les symptômes de l'hystérie sont attribués à des manifestations d'énergie émotionnelle,
associée à des traumatismes psychiques oubliés et passés dans l'inconscient
depuis l'enfance. La thérapie consistait à user de l'hypnose pour pouvoir amener
le patient à rappeler et à réactiver l'expérience traumatique. Elle permettait
ainsi de libérer par la catharsis, les émotions à l'origine des symptômes. La
publication de cet ouvrage marqua le début de la théorie psychanalytique mais
suscita également l'hostilité durable de la médecine officielle. La même année,
Freud rompit avec Breuer en raison de leur différend sur la question de l'étiologie
sexuelle des névroses. En 1896, la mort de son père poussa Freud à faire une
autoanalyse au cours de laquelle il découvrait chez lui-même ce qu'il voyait
chez ses patients: la force des souvenirs oubliés et les modifications de l'affectivité.
La correspondance qu'il entretint avec son ami, le médecin et biologiste allemand
Wilhelm Fliess, témoigne de ses découvertes. Entre 1895 et 1900 Freud approfondit
la plupart des concepts qui allaient constituer le fondement de la pratique
et de la doctrine psychanalytiques. Peu après la publication de ses études sur
l'hystérie, Freud abandonna l'hypnose comme méthode cathartique, sous l'impulsion
d'une de ses malades, Elisabeth vonR. Il lui substitua la technique de la libre
association des idées à laquelle il demandait à sa patiente de se livrer, en
lui demandant de ne rien censurer. Cette démarche devait laisser paraître les
processus inconscients à l'origine des troubles névrotiques. Grâce à elle, entre
autres, Freud avait découvert l'existence de certains mécanismes psychiques:
notamment le refoulement, décrit comme un mécanisme psychologique inconscient
par lequel le souvenir d'événements pénibles ou menaçants est maintenu hors
du champ de la conscience, et la résistance, définie comme l'opposition inconsciente
à la prise de conscience des expériences refoulées afin d'éviter l'angoisse
qui en résulterait. Ainsi, en utilisant les libres associations de sa patiente
pour la guider dans l'interprétation des rêves et des lapsus, Freud avait reconstitué
le fonctionnement des processus inconscients. C'est à partir de l'analyse des
rêves qu'il élabora sa théorie de la sexualité infantile et découvrit en 1897,
le complexe d'Œdipe (voir Psychanalyse; Voir aussi Œdipe), qui est l'attachement
amoureux et hostile de l'enfant pour le couple parental (haine du père/amour
de la mère), attachement qui se résout par l'identification. C'est aussi à cette
époque qu'il élabora la théorie du transfert, processus par lequel les attitudes
affectives établies au départ envers des figures parentales dans l'enfance sont
reportées («transférées») plus tard sur d'autres êtres qui entourent le sujet.
Durant cette période allant de 1897 à 1900, marquée par la parution de l'Interprétation
des rêves (1900), l'une de ses œuvres majeures, Freud jeta les bases de la majorité
des ouvrages qui allaient suivre, notamment la Psychopathologie de la vie quotidienne
(1901) et le Mot d'esprit et ses rapports avec l'inconscient(1905). Dans l'Interprétation
des rêves, Freud analysait divers rêves qu'il avait faits durant les trois années
de l'autoanalyse commencée en 1897. Ce livre définissait et faisait fonctionner
les concepts fondamentaux qui sous-tendent la technique et la doctrine psychanalytiques.
Il démontrait notamment que grâce à la méthode des associations libres, l'analyste
peut découvrir au travers du contenu manifeste du rêve son contenu latent, qui
représente la réalisation d'un désir. La psychanalyse devenait alors à la fois
une pratique et une théorie. En effet, la transformation du contenu manifeste
du rêve en contenu latent, de même que la superposition de deux désirs antagonistes
chez l'hystérique, se situent dans une théorie générale de la personnalité,
que Freud appelle appareil psychique. On retrouve chez tout être humain un processus
au cours duquel s'inscrivent dans sa mémoire des éléments de sa vie, puis ils
s'effacent de la conscience sous l'effet du refoulement, qui est la répression
imposée notamment par le père à l'indicible ou à l'infaisable, puis le refoulé
réapparaît dans le rêve, dans le symptôme. Le premier topique ou mode de représentation
du fonctionnement psychique de Freud, dont les instances sont le conscient,
le préconscient et l'inconscient, est né au cours de ces années-là. En 1902,
Freud fut nommé professeur titulaire à l'université de Vienne. Mais le monde
médical continuait à considérer son œuvre avec hostilité. Ses ouvrages suivants,
Psychopathologie de la vie quotidienne (1904) et Trois Essais sur la théorie
de la sexualité (1905), ne firent que creuser le fossé entre lui et la psychiatrie
officielle viennoise. Freud continua donc à élaborer seul les concepts de la
psychanalyse, entouré cependant de quelques médecins (plus tard de non-médecins).
Dès 1906, Freud avait en effet constitué un petit groupe de dix-sept élèves
et disciples, qui se réunissait chaque mercredi. Parmi eux se trouvaient les
psychiatres autrichiens William Stekel et Alfred Adler, le psychologue autrichien
Otto Rank, et les psychiatres suisses Eugen Bleuler et Carl Gustav Jung. L'adhésion
de ce dernier à la psychanalyse constitua d'abord pour Freud un important enjeu,
celui de pouvoir sortir la psychanalyse de son cadre viennois et juif. Freud
confia à ce psychiatre protestant la direction de l'Association psychanalytique
internationale (API). Au nombre des autres associés qui se joignirent au cercle
en 1908, figuraient le psychiatre hongrois Sándor Ferenczi et le psychiatre
britannique Ernest Jones.
Le développement de la doctrine psychanalytique de 1910 à 1920
Freud créa l'API en 1910. Au fur et à mesure que le mouvement prenait de l'ampleur,
gagnant de nouveaux adhérents à travers l'Europe et les États-Unis, Freud dut
se soucier du maintien de l'unité doctrinale et faire face aux dissensions et
aux déviations. Il dut d'abord se séparer d'Adler et de Jung avec qui il avait
fait une tournée de conférences aux États-Unis. En fait, Adler et Jung, chacun
de leur côté, élaborèrent de nouveaux fondements théoriques, en désaccord avec
la place fondamentale donnée par Freud à la sexualité dans l'origine de la névrose.
Une deuxième vague d'exclusions intervint après la Première Guerre mondiale,
avec le départ de Rank en 1924 puis de Ferenczi en 1929. Entre 1910 et 1920,
Freud poursuivit la recherche théorique au travers de sa pratique!; il fit paraître
les Cinq Leçons sur la psychanalyse (1909), un texte connu sous le titre «le
Président Schreber» (1911), Totem et Tabou (1912), dans lequel Freud tenta une
recherche anthropologique sur les origines de l'humanité, l'Introduction à la
psychanalyse (1916-1917) et Deuil et Mélancolie (1917). C'est au cours de cette
période qu'il définit la spécificité du comportement de l'analyste face au patient,
à savoir la règle fondamentale, selon laquelle la demande du patient, qui s'exerce
au travers du transfert, ne doit pas recevoir de réponse de l'analyste, pour
que l'analysant puisse opérer une «régression» vers son passé et trouver les
affects à l'origine du symptôme.
Le tournant de 1920 et ses conséquences
Un changement apparut en 1920 dans la doctrine freudienne, avec la parution
de son ouvrage Au-delà du principe de plaisir. Il introduisit dans sa conception
la notion de «pulsion de vie», qu'il appela Eros et la «pulsion de mort», qu'il
nomma Thanatos. Dès lors, le ça, le moi et le surmoi constituaient les trois
instances de la personne. Cette conception nouvelle se révéla opératoire dans
les ouvrages tels que le Moi et le Ça (1923) et Inhibition, Symptôme et Angoisse
(1926). Freud multiplia également les tentatives pour expliquer et populariser
la psychanalyse, notamment dans Ma vie et la psychanalyse (1925) et Abrégé de
psychanalyse (1938).
La tentation anthropologique
Freud chercha également à constituer une vision globale de l'homme qui s'apparentât
davantage à une anthropologie qu'à une philosophie. Dès avant le début de la
Première Guerre mondiale, il avait tenté de dresser un tableau de l'humanité
primitive dans Totem et Tabou. Il entendait trouver une origine phylogénétique
à la psyché de l'homme, à la constitution du moi par la «castration» en évoquant
la mise à mort du chef de la «horde primitive» par ses fils. Il renoua avec
cette approche anthropologique après la Première Guerre mondiale, notamment
dans l'Avenir d'une illusion (1927), Malaise dans la civilisation (1930) et
Moïse et le monothéisme (1939). Pour Freud, la religion maintient par la notion
de sacrifice une culpabilité permanente de l'humanité. Atteint dès 1923 d'un
cancer de la mâchoire qui nécessitait un traitement continu et douloureux et
quantité d'opérations chirurgicales, il réussit à continuer, malgré ses souffrances,
de pratiquer, d'élargir et de diffuser la psychanalyse. Mais la montée du nazisme
le guettait: ses œuvres furent brûlées à Berlin en 1934. Lorsque les Allemands
occupèrent l'Autriche en 1938, Freud s'enfuit avec sa famille à Londres, où
il mourut le 23septembre 1939. La contribution essentielle de Freud fut la création
d'une approche entièrement nouvelle de la personne humaine. En outre, il a fondé
une nouvelle discipline médicale et élaboré des méthodes thérapeutiques fondamentales.
Dans l'histoire des idées, la psychanalyse constitue une des théories à la fois
les plus influentes et les plus décriées. Karl Popper, un adversaire déclaré
de la psychanalyse, appelle celle-ci un ensemble théorique irréfutable («infalsifiable»),
dont on ne peut que tout prendre ou tout laisser et qui ne progresse pas: c'est
un hommage incontestable tout autant qu'une critique. Mais les innombrables
continuateurs de la psychanalyse, comme en France Jacques Lacan, qui lança le
mot d'ordre de «retour à Freud», témoignent du caractère révolutionnaire de
l'œuvre de Freud sur l'ensemble de l'évolution des sciences humaines.
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