Ladolescence, un fait social
Jusquau 18ème siècle, le mode de passage
entre la période de lenfance et celle de lâge
adulte se faisait plus tôt et ladolescence, rapidement
franchie, était dailleurs confondue avec les mutations
physiques de la puberté qui était beaucoup plus tardive
quaujourdhui.
Le développement de linstitution scolaire et de léconomie
de marché qui oblige à se déplacer et à
faire la preuve de ses talents va favoriser lextension dun
espace consacré à léducation et à
la formation de lenfant, puis de ladolescent.
La situation de chacun sera de moins en moins donnée
par les acquis de sa famille, mais sera surtout le résultat
de léducation. Les enfants vont pouvoir faire des études
et accéder à dautres métiers que ceux de
leurs parents dans la volonté dune promotion sociale
obtenue grâce à la formation.
Si bien que cet espace entre lenfance et la vie adulte est
devenu un temps de formation et de préparation. Ce nouvel âge
de la vie nest pas le résultat de la crise que vivent
la plupart des sociétés contemporaines, mais une conséquence
historique de la modification des conditions de vie depuis le 18ème
siècle.
Conclusion : Oedipe le mal aimé
La psychologie juvénile prend le pouvoir : vers la
société adolescentrique
Le temps de ladolescence est une réalité récente.
Les jeunes davantage insérés dans le monde des adultes
jusquau milieu de ce siècle dans un statut et des rôles
qui situaient chacun à sa place étaient repérables
grâce à leurs conduites dites juvéniles. Mais
dés la fin de la dernière guerre mondiale, ladolescence
contemporaine est née avec la génération des
yéyés.
Ladolescence est ainsi devenue un fait psychique avec ses lois,
ses tâches et ses enjeux. Les changements de condition de vie
ont favorisé lapparition et lallongement de ladolescence.
Un nouvel âge de la vie sest affirmé comme réalité
sociale mais aussi comme processus psychique avec des tâches
particulières à traiter.
a) La guerre contre limage
du père
Loncle est une image ambiguë dans notre contexte socioculturel.
Il est devenu un faux père qui ne peut pas faire fonctionner
la loi. Il incite à léviter, à lignorer
et cette relation perverse favorise le détournement de la loi
à ses propres fins. La délinquance juvénile trouve
pour une part son origine dans lincapacité des adultes
ou des jeunes à dire ou à entendre la loi.
Dans de nombreuses familles où la parenté et la filiation
ne sont pas claires, les membres se vivent tous sur un même
plan, comme appartenant au monde juvénile.
Si bien que la place du travail éducatif est laissée
à des personnes représentatives dune symbolique
adulte : les grands parents, les profs, les psychiatres prennent
relais devant labandon, lincompétence ou le manque
de savoir faire des parents.
La société incite à ne pas se confronter à
Oedipe et encourage à demeurer dans les frustrations de limmaturité.
Limpératif catégorique de rester jeune pour ne
pas devenir adulte est largement souligné aussi bien dans les
représentations collectives que dans lattitude de bien
des adultes.
b) Limage du père absent et le vide subjectif
Lattitude incertaine de nombreux adultes sans références
précises, sans stabilité personnelle et sans maturité
affective leur a donné lidée de se reposer sur
les jeunes ou leur a laissé croire quils pouvaient se
débrouiller seuls et, encore, mieux sans les adultes sous couvert
dautonomie.
Le manque de relation dappui se manifeste à la puberté
puis à ladolescence à travers un sentiment dabandon
et la recherche de conduites additives, de dépendances dans
toutes les formes de la toxicomanie : errances affectives, utilisation
de produits ou jeux avec les aliments. Les personnalités affaiblies
et en carence délaboration interne restent en surface,
dotés dun imaginaire plat comme un écran de télévision.
La vie intérieure est pauvre et la subjectivité superficielle.
Le mode du look en est sa traduction et le manque de capacité
interne à vivre avec soi même est compensé
par le besoin dêtre enveloppé par un fond musical
ou de provoquer de la chaleur à lintérieur de
son corps avec de lalcool ou dautres drogues pour se donner
le sentiment dêtre quelquun. Le produit remplace
lobjet mutal défectueux, il manque quelquun. Ce
défaut dintériorisation nous le constatons en
particulier lorsque certains adolescents se plaignent en présentant
des difficultés de concentration intellectuelles dans leur
travail scolaire.
c) A la recherche dune médiation avec le réel.
Il sagit de reconnaître avant tout et dadmettre
que le pubère, puis ladolescent sont engagés dans
un travail psychique, au sortir de lenfance pour sinscrire
dans une identité sexuelle et dans lordre de la filiation,
dacquérir son self et de vivre une relation efficiente
au réel.
Telles sont les tâches à accomplir pour parvenir à
une réelle autonomie personnelle même si le jeune est
encore dépendant matériellement de ses parents.
Des adultes auront même la tentation de séduire
ou de devenir complices pour être surs de toujours être
aimés.
La fonction parentale est ce qui permet la structuration dune
personnalité et de sa qualité va dépendre le
destin psychique dun individu.
Il ne sagit pas de faire le procès des parents mais
de dégager les structures de leur fonctionnement qui favorise
ou désorganise une vie. Les parents ont été progressivement
dépossédés de leurs compétences. Le rôle
de géniteur avec la procréation assistée, le
rôle nourricier confié à dautres, le rôle
de léducation confondue avec lenseignement remis
à lécole, le rôle de lautorité
médiatrice du réel abandonnée aux enfants ou
aux médias donnent limage dune fonction parentale
éclatée et impuissante dont tous les partenaires finissent
par souffrir.
Dans ce système le pire est de vivre une relation magique
à l'État qui devra assurer le bonheur des citoyens en
distribuant des contrats de garantie dans tous les domaines. Ne soyons
pas étonnés de voir se développer des personnalités
juvéniles de plus en plus fragiles et morcelées.
Il est de plus en plus fréquent de voir des adolescents seffondrer
après avoir enregistré une mauvaise note à la
suite dun devoir ou dun examen. Au lieu dêtre
stimulés à travailler, certains sont entamés
dans lestime deux même et paralysent leurs capacités.
Dans bien des cas la note insuffisante se vit comme une perte damour
du prof et non pas comme lévaluation du travail accompli.
Actuellement, les jeunes fragilisés dans leur idéal
du moi, reçoivent le moindre reproche scolaire comme une atteinte
à leur intégrité psychologique, quand ce nest
pas la famille toute entière.
Il est naïf de croire et démagogique de dire que la formation
des élèves passe uniquement par lacquisition de
connaissances, par la maîtrise des techniques modernes et par
la simple augmentation des budgets de l'Éducation Nationale,
sans poser et prendre les moyens de traiter les problèmes éducatifs.
Il est nécessaire daider les jeunes à apprendre
à sévaluer afin quils évitent de
se survaloriser ou de se dévaloriser. Il est vital dexiger
la loyauté et lhonnêteté dans son travail
plutôt que dêtre complice de la tricherie organisée
et banalisée socialement aussi bien par les adultes que par
les jeunes.