INTERMINABLES ADOLESCENCES, LES 12-30 ANS
puberté, adolescence, post-adolescence : " une société adolescentrique ", C.E.R.F/Cujas, 1994, 222 p
Tony ANATRELLA

 

 

Introduction : la valorisation de l’adolescence

 L’adolescence est l’âge privilégié du 20ème siècle. C’est une période qui se prolonge de plus en plus tardivement en exerçant une forte attraction sur les enfants, comme sur les adultes.

Les conduites juvéniles sont précoces, avant même les transformations de la puberté, et se maintiennent longtemps dans la vie psychique de nombreux adultes.

Aujourd’hui, les adolescents s’étonnent de voir leur jeunesse mimée par leurs parents, leurs aînés, qui veulent ressembler aux jeunes et rester ados. En voulant réduire la différence entre les générations dans l’espoir d’une meilleure communication, la relation entre jeunes et adultes est faussée car personne ne reste à sa place. Les relations de copinage ajoutent à la confusion.

Si l’avenir de l’Homme c’est l’enfant, l’adolescence n’est pas son destin, mais un passage fondateur dont il faudra bien faire le deuil pour vivre psychologiquement et socialement. 

  • L’adolescence, un fait social

    Jusqu’au 18ème siècle, le mode de passage entre la période de l’enfance  et celle de l’âge adulte se faisait plus tôt et l’adolescence, rapidement franchie, était d’ailleurs confondue avec les mutations physiques de la puberté qui était beaucoup plus tardive qu’aujourd’hui.

    Le développement de l’institution scolaire et de l’économie de marché qui oblige à se déplacer et à faire la preuve de ses talents va favoriser l’extension d’un espace consacré à l’éducation et à la formation de l’enfant, puis de l’adolescent.

    La situation de chacun  sera de moins en moins donnée par les acquis de sa famille, mais sera surtout le résultat de l’éducation. Les enfants vont pouvoir faire des études et accéder à d’autres métiers que ceux de leurs parents dans la volonté d’une promotion sociale obtenue grâce à la formation.

    Si bien que cet espace entre l’enfance et la vie adulte est devenu un temps de formation et de préparation. Ce nouvel âge de la vie n’est pas le résultat de la crise que vivent la plupart des sociétés contemporaines, mais une conséquence historique de la modification des conditions de vie depuis le 18ème siècle.

  • L’adolescence, un fait psychique

    L’adolescence est surtout un processus psychique, un ensemble de systèmes, qui oeuvre aux remaniements de la personnalité, favorisent sa maturation dans la résolution des conflits de base et ouvrent une ère nouvelle  aux activités psychiques qui seront différentes de celles de l’enfant.

    L’adolescence commence lorsque la puberté s’achève. Cette période de mise en place du processus psychique des remaniements de la personnalité s’instaure entre 12 et 30 ans. Les délais de maturation, ainsi, se sont allongés.

    Ce long travail de maturation s’articule par rapport à 3 processus :

    La puberté (12-17/18 ans) au cours de laquelle l’organisation bio, psy, psychologique transforme l’économie de l’individu et son image corporelle .
    L’adolescence (17/18 - 22/24 ans) va s’efforcer d’intégrer le corps sexué et d’intérioriser son identité dans la capacité à exister de façon autonome psychiquement même si l’individu reste relativement dépendant de son milieu
    La postadolescence (22/23-30 ans) travaille à la consolidation du moi au sein d’un lieu entre les nécessités du fonctionnement interne de la personnalité et les exigences de la réalité extérieure. 

     

  • La société Adolescentrique

    Les adolescents eux-mêmes s’étonnent d’être les confidents et les conseillers de leurs aînés alors qu’ils aimeraient que ce soit l’inverse. Les relations sont brouillées. La relation éducative peut s’en trouver perturbée puisque l’identité de chacun par rapport à l’autre reste vague. Un peu comme s’il n’existait  que des enfants ou des adolescents sans la dimension de la parenté.

    Cette transgression de la différence des générations qui trouve son origine dans la dénégation de la parenté et de la filiation conduit à se situer tous comme des enfants dans la vie ou comme de grands adolescents.

     Une société adolescentrique s’instaure de plus en plus. C’est une société qui se conforme de plus en plus aux adolescents, à leurs états de conscience, à leur façon de penser et d’agir.

  • Conclusion : Oedipe le mal aimé

    La psychologie juvénile prend le pouvoir : vers la société adolescentrique

    Le temps de l’adolescence est une réalité récente. Les jeunes davantage insérés dans le monde des adultes jusqu’au milieu de ce siècle dans un statut et des rôles qui situaient chacun à sa place étaient repérables grâce à leurs conduites dites juvéniles. Mais dés la fin de la dernière guerre mondiale, l’adolescence contemporaine est née avec la génération des yéyés.

    L’adolescence est ainsi devenue un fait psychique avec ses lois, ses tâches et ses enjeux. Les changements de condition de vie ont favorisé l’apparition et l’allongement de l’adolescence. Un nouvel âge de la vie s’est affirmé comme réalité sociale mais aussi comme processus psychique avec des tâches particulières à traiter.

    a)      La guerre contre l’image du père

    L’oncle est une image ambiguë dans notre contexte socioculturel. Il est devenu un faux père qui ne peut pas faire fonctionner la loi. Il incite à l’éviter, à l’ignorer et cette relation perverse favorise le détournement de la loi à ses propres fins. La délinquance juvénile trouve pour une part son origine dans l’incapacité des adultes ou des jeunes à dire ou à entendre la loi.

    Dans de nombreuses familles où la parenté et la filiation ne sont pas claires, les membres se vivent tous sur un même plan, comme appartenant au monde juvénile.

    Si bien que la place du travail éducatif est laissée à des personnes représentatives d’une symbolique adulte : les grands parents, les profs, les psychiatres prennent relais devant l’abandon, l’incompétence ou le manque de savoir faire des parents.

    La société incite à ne pas se confronter à Oedipe et encourage à demeurer dans les frustrations de l’immaturité. L’impératif catégorique de rester jeune pour ne pas devenir adulte est largement souligné aussi bien dans les représentations collectives que dans l’attitude de bien des adultes.

    b) L’image du père absent et le vide subjectif

    L’attitude incertaine de nombreux adultes sans références précises, sans stabilité personnelle et sans maturité affective leur a donné l’idée de se reposer sur les jeunes ou leur a laissé croire qu’ils pouvaient se débrouiller seuls et, encore, mieux sans les adultes sous couvert d’autonomie.

    Le manque de relation d’appui se manifeste à la puberté puis à l’adolescence à travers un sentiment d’abandon et la recherche de conduites additives, de dépendances dans toutes les formes de la toxicomanie : errances affectives, utilisation de produits ou jeux avec les aliments. Les personnalités affaiblies et en carence d’élaboration interne restent en surface, dotés d’un imaginaire plat comme un écran de télévision.

    La vie intérieure est pauvre et la subjectivité superficielle. Le mode du look en est sa traduction et le manque de capacité interne à vivre avec soi  même est compensé par le besoin d’être enveloppé par un fond musical ou de provoquer de la chaleur à l’intérieur de son corps avec de l’alcool ou d’autres drogues pour se donner le sentiment d’être quelqu’un. Le produit remplace l’objet mutal défectueux, il manque quelqu’un. Ce défaut d’intériorisation nous le constatons en particulier lorsque certains adolescents se plaignent en présentant des difficultés de concentration intellectuelles dans leur travail scolaire.

    c) A la recherche d’une médiation avec le réel.

     Il s’agit de reconnaître avant tout et d’admettre que le pubère, puis l’adolescent sont engagés dans un travail psychique, au sortir de l’enfance pour s’inscrire dans une identité sexuelle et dans l’ordre de la filiation, d’acquérir son self et de vivre une relation efficiente au réel.

    Telles sont les tâches à accomplir pour parvenir à une réelle autonomie personnelle même si le jeune est encore dépendant matériellement de ses parents.

    Des adultes auront  même la tentation de séduire ou de devenir complices pour être surs de toujours être aimés.

    La fonction parentale est ce qui permet la structuration d’une personnalité et de sa qualité va dépendre le destin psychique d’un individu.

    Il ne s’agit pas de faire le procès des parents mais de dégager les structures de leur fonctionnement qui favorise ou désorganise une vie. Les parents ont été progressivement dépossédés de leurs compétences. Le rôle de géniteur avec la procréation assistée, le rôle nourricier confié à d’autres, le rôle de l’éducation confondue avec l’enseignement remis à l’école, le rôle de l’autorité médiatrice du réel abandonnée aux enfants ou aux médias donnent l’image d’une fonction parentale éclatée et impuissante dont tous les partenaires finissent par souffrir.

    Dans ce système le pire est de vivre une relation magique à l'État qui devra assurer le bonheur des citoyens en distribuant des contrats de garantie dans tous les domaines. Ne soyons pas étonnés de voir se développer des personnalités juvéniles de plus en plus fragiles et morcelées.

    Il est de plus en plus fréquent de voir des adolescents s’effondrer après avoir enregistré une mauvaise note à la suite d’un devoir ou d’un examen. Au lieu d’être stimulés à travailler, certains sont entamés dans l’estime d’eux même et paralysent leurs capacités. Dans bien des cas la note insuffisante se vit comme une perte d’amour du prof et non pas comme l’évaluation du travail accompli.

    Actuellement, les jeunes fragilisés dans leur idéal du moi, reçoivent le moindre reproche scolaire comme une atteinte à leur intégrité psychologique, quand ce n’est pas la famille toute entière.

    Il est naïf de croire et démagogique de dire que la formation des élèves passe uniquement par l’acquisition de connaissances, par la maîtrise des techniques modernes et par la simple augmentation des budgets de l'Éducation Nationale, sans poser et prendre les moyens de traiter les problèmes éducatifs.

    Il est nécessaire d’aider les jeunes à apprendre à s’évaluer afin qu’ils évitent de se survaloriser ou de se dévaloriser. Il est vital d’exiger la loyauté et l’honnêteté dans son travail plutôt que d’être complice de la tricherie organisée et banalisée socialement aussi bien par les adultes que par les jeunes.

  • Le travail d’intégration et de maturation psychique :

    La puberté, l’adolescence, la postadolescence, sont trois mouvements distincts d’un même processus, celui de l’adolescence. Ils participent aux remaniements décisifs des structures de la personnalité. Un capital psychique important est mis en oeuvre durant ce temps. La promotion d’une pédagogie de la subjectivité et la relation des adultes aux jeunes doivent en tenir compte  si l’on ne veut pas choir dans les pièges de la société adolescentrique . Une coopération intergénération est essentielle pour l’épanouissement des jeunes comme pour les adultes qui, tout en laissant à leur place, ont besoin des jeunes pour bien vieillir. Sinon, l’adolescence qui doit être une étape risque de devenir un Etat. 



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