LA LAICITE, UNE DOCTRINE DE
LEDUCATION NATIONALE
Par Collet Fabien
Fabien.Collet@wanadoo.fr
(Ecrivez-moi à cette adresse pour obtenir un exemplaire papier relié avec
notes et annexes)
Ceci est mémoire de DEA soutenu à la faculté de droit de Grenoble en 1995 qui tente d'expliquer l'apparition et l'évolution de la notion de laïcité de l'école en France en soulignant l'utilisation doctrinale qu'en a fait l'Education nationale.
TABLE DES MATIERES
Introduction
1ère PARTIE : LA DOCTRINE BOULEVERSEE
2ème PARTIE : LA DOCTRINE RENOUVELEE
INTRODUCTION
De la décision prise en 1989 par trois jeunes filles de confession musulmane de se présenter dans leur collège coiffées dun " foulard " allait naître lune des plus importante polémique qua pu connaître lécole publique depuis de nombreuses années. Ravivant des luttes dune époque que lon croyait révolue, cet événement, amplifié par les médias, eut pour conséquence la remise en cause dune notion qui, bon an mal an, sétait imposée comme un compromis fragile mais garant de la paix scolaire : la laïcité. La mise à plat du concept que cela a engendré donna lieu à de formidables empoignades théoriques et fit lobjet dabondants commentaires et analyses qui cependant se sont souvent focalisés sur une approche par trop manichéenne du débat, à savoir : pour ou contre le foulard ? A ce titre, appel était fait aux référentiels historiques qui demeurent encore la matrice des idées daujourdhui.
A travers largument sans cesse relancé dune nouvelle définition de la laïcité, il sagit aussi de voir en pratique les conséquences dun tel bouleversement conceptuel. De fait, lEducation nationale, première impliquée, à la fois actrice et témoin de ces affrontements, se retrouve naturellement au coeur de cette recomposition.
Mais, prélude à cette étude tendant à disséquer les liens entre la laïcité et sa transcription instrumentaliste au sein dune " doctrine de lEducation nationale ", il convient dapporter quelques éléments indispensables à lintelligibilité du sujet. Notre démonstration ne saurait se déparer en effet dune approche historique de lavènement du principe de laïcité, qui fera lobjet ensuite dune tentative de définition, tant le rapport entre lidée affirmée de laïcité et ses concrétisations a souvent conduit à des solutions de compromis parfois délicates, voire paradoxales. Enfin, après avoir montré la longue émergence du concept et dune définition arrêtée, il sagit de témoigner de la relance du débat à travers "laffaire du foulard" et de ses enjeux quant à lapproche de notre sujet.
A) Aspects historiques de la notion de laïcité
Aucune date précise ne peut être attribuée à lapparition du concept. Cest la succession de dispositions juridiques relayées par des courants de pensée qui a, petit à petit, façonné la laïcité et lui a donné son sens. Cette longue évolution primitive sachevant par les traductions concrètes de la notion à la fin du XIXème siècle peut ainsi être abordée premièrement en mettant en évidence la genèse du principe, deuxièmement par les témoignages de lavènement de celui-ci.
1) La genèse du principe
Cette genèse qui a pour principal point de départ la Révolution française peut être envisagée sous deux aspects; dans un premier temps à travers le caractère conflictuel de la naissance de la laïcité et dans un deuxième temps en mettant en lumière les hommes qui ont porté l'idéal laïque et ont contribué ainsi à son retentissement.
a) Une apparition conflictuelle
Deux étapes historiques fondamentales, marquées par des luttes d'influence permanentes, vont générer la constitution d'une laïcité à la française : la Révolution de 1789 et l'évolution des rapports entre l'Eglise et l'Etat au XIXème siècle.
Les expériences révolutionnaires
D'aucuns font remonter l'existence de la laïcité à la Grèce ancienne. En fait, si cette époque a inspiré les penseurs du XVIIIème et du XIXème siècle et que le mot laïcité vient du grec, la laïcité telle que nous l'entendons est une idée neuve qui n'existait pas dans l'Antiquité. Le vocable laïque vient en effet du grec laikos par l'intermédiaire du latin laicus et désignait celui qui fait partie du peuple et par conséquent celui qui ne possède pas la connaissance, par opposition au klericos qui, lui, appartient à la communauté de ceux qui ont été initiés aux mystères sacrés. Au Moyen-Age, à l'époque où le christianisme était hégémonique, le laïc désignait simplement celui qui avait été admis par la grâce du baptême dans la communauté des fidèles, tandis que le clerc était celui qui, ayant reçu les premiers ordres, faisait partie de la hiérarchie de l'Eglise. Lorsque le fait religieux perdit de son importance, le terme laïc désigne celui qui ne se réclame d'aucune appartenance religieuse. La laïcité en tant que telle est donc née à l'époque moderne, principalement face au pouvoir spirituel et temporel que s'était arrogé l'Eglise. Comme l'écrit Claude MOSSE : " L'idée laïque, liée à l'idéal démocratique et républicain, est une idée moderne élaborée face au pouvoir abusif du clergé. " Linstitution de cette religion dEtat, caractéristique de lAncien Régime, était fondée depuis 1515 sur le Concordat conclu à Bologne entre François Ier et Léon X. Ce concordat reconnaissait une place prééminente dans lEtat à lEglise catholique : elle formait un ordre privilégié, ses biens étaient exemptés dimpôts, des missions de service public lui étaient confiées. Une des brèches dans cette construction fut lEdit de Tolérance de 1787 qui opéra la laïcisation de létat-civil avec linstauration du mariage civil. Notons également quen contrepartie de la situation privilégiée reconnue à lEglise catholique, lEtat se réservait sur elle des droits importants comme la nomination des évêques et des archevêques ou le droit de prescrire ou non lexécution en France de tout décret de concile ou bulle pontificale.
La Révolution constituera une nouvelle étape en tentant de mettre fin à lemprise que lEglise exerçait sur les esprits et les constitutions. Ce premier mouvement laïque prend sa source dans le siècle des Lumières selon Louis CAPERAN : " Incontestablement, les idées qui animeront la foi laïque prennent leur premier élan dans lEncyclopédie de DIDEROT, dans le Dictionnaire philosophique de Voltaire et son essai sur les moeurs, dans le Contrat social de Rousseau et la profession de foi du Vicaire savoyard. Le message nouveau proclame la tolérance universelle, dissocie la morale et le dogme, conçoit et propose une honnêteté naturelle indépendante du catholicisme traditionnel et distincte de la religion. "
Les constituants décidèrent ainsi, dans une perspective de laïcisation de lEtat, de placer sous les auspices non pas de Dieu mais de "lEtre Suprême" les deux textes fondateurs quils votèrent; dune part la Déclaration des droits de lhomme et du citoyen du 26 août 1789 et dautre part, la Constitution du 3 septembre 1791. Etait également consacré le principe de liberté de conscience, la Déclaration du 26 août 1789 disposant ainsi que " Nul ne peut être inquiété pour ses opinions, même religieuses. " La constitution montagnarde de 1793 va dans la même direction en édictant que " le libre exercice des cultes ne peut être interdit. " La Constitution de lan III enfin précise : " Nul ne peut être empêché dexercer, en se conformant aux lois, le culte quil a choisi. "
Mais, à ces dernières dispositions, vont se rattacher des attitudes diverses dans le domaine des relations entre lEglise et lEtat. Ainsi, en mettant le 2 novembre 1789 les biens du clergé à la disposition de la nation et en instituant par les décrets des 12 juillet-24 août 1790 la Constitution civile du clergé, lEglise voit ses membres transformés en fonctionnaires de lEtat, nommés après élection, payés sur le Trésor Public et astreints à prêter serment à la Constitution. Les conventionnels, eux aussi, placèrent la Constitution dite de lan I quils votèrent le 23 juin 1793 sous linvocation de lEtre Suprême. Mais, par ailleurs, ils encouragèrent toute une série de manifestations antireligieuses. Daprès Jacques MINOT, le 7 novembre 1793 " on put assister à la Convention à une séance de déchristianisation, puis, quelques jours plus tard, à un spectacle de ballets en lhonneur de la Raison devant lautel de Notre-Dame. "
Aux derniers jours cependant de la Convention, la liberté des cultes est décrétée telle quelle était contenue notamment dans la Déclaration des droits de lhomme et du citoyen précitée. Celle-ci est primordiale pour lavenir comme le souligne Louis CAPERAN : " La suprême exigence logique de cette liberté de conscience nétait-elle pas de demander à la séparation complète de lEglise et de lEtat la garantie du libre exercice de tous les cultes et du droit dexpression de toute libre pensée ? " A ce titre, de la tentative de sécularisation de lEtat, à laquelle succédera en 1794 une période de détente, il faut déjà déceler une velléité de séparation. La première, la constitution de lan III, posera que " Nul ne peut être forcé de contribuer aux dépenses dun culte; la République nen salarie aucun. " Selon Jacques ROBERT : " cest un siècle avant la loi de séparation de lEglise et de lEtat, un premier essai de séparation entre les cultes et la République. " Néanmoins, de fortes limitations seront ensuite apportées à lexercice du culte comme la loi du 7 vendémiaire an IV qui prohibera les manifestations extérieures, la loi du 22 germinal an IV qui réprimera le fait de sonner les cloches pour convoquer les fidèles à un exercice du culte ou la loi du 19 fructidor an V qui donnera à lautorité administrative le droit de déporter, par des arrêtés individuels motivés, les prêtres qui troubleraient la tranquillité publique. Corrélativement, les cultes nationaux censés se substituer au catholicisme ne feront pas long feu. Pour ne reprendre que quelques exemples, cest FOUCHE instaurant à Nevers le culte de la République ou ROBESPIERRE avec lEtre Suprême puis la déesse Raison. Pour Léo HAMON, ces célébrations nont pas réussi à être " cette grande communion dont avaient rêvé les hommes de la Révolution. " Sur le plan des représentations, retenons pour conclure que si les mots-clefs de lAncien-Régime sont le trône et lautel, ceux du régime nouveau sont la loi et la nation que lon retrouve gravés sur plus dun frontispice de Parlement de lépoque. " Dès ce moment, la laïcité est inscrite dans lavenir de la République, car la République et la laïcité sont deux réalités qui nen font quune "
Dans le domaine de lenseignement, la Révolution va permettre une première traduction concrète dune laïcisation de lécole. Linstruction, un des grands enjeux nationaux, va ainsi, à partir de cette époque, constituer le terrain privilégié des luttes pour la conquête laïque.
Pendant des siècles, lenseignement a été considéré en France comme lun des aspects du rôle social joué par lEglise. " Cest ainsi que depuis le déclin des institutions gallo-romaines et jusquà la veille de la Révolution, lenseignement fut essentiellement affaire dEglise. " expose Ch. FOURRIER. A partir de la Révolution, ce monopole de fait de lEglise est battu en brèche et le pouvoir civil prend la direction de ce service social. Pendant une courte période, lenseignement donné dans les écoles de la Révolution sera laïc, en ce sens quil ne comportera plus de cours de religion. Mais le personnel de ces écoles ne sera pas laïc pour autant.
Les expériences révolutionnaires dune sécularisation de la vie publique ont ainsi constitué une étape déterminante. Néanmoins, succéda un intermède dans lequel les relations entre lEglise et lEtat sont essentielles pour comprendre léclosion future de la laïcité.
* Lévolution des rapports entre lEglise et lEtat au XIXéme siècle
Le Concordat de 1801, promulgué par la loi du 18 germinal an X et complété par des articles organiques, va régir lEglise jusquen 1905. Le principe général du régime concordataire est celui de la liberté des cultes. Mais une distinction est établie entre eux. Certains sont simplement licites, dautres bénéficient dune reconnaissance officielle. Parmi ces derniers, le culte catholique, les deux principales Eglises protestantes, le culte israélite, sont érigés en services publics. Ceci se manifeste notamment, pour lEglise catholique, par la création dun Ministère et dun Budget des cultes et la fonctionnarisation des ministres des cultes, lEtat ayant également le choix des évêques.
Ainsi, de lhéritage de la Révolution au Concordat, lEglise voit sa position largement péricliter. Ce déclin va avoir une conséquence fondamentale pour lEglise : la mise en place dune stratégie de conservation et de renforcement de la place traditionnelle quelle détenait au niveau de lenseignement depuis des siècles. Ce nouvel enjeu représenté par lécole sera dautant mieux intégré par lEglise que lEtat, jusquaux lois laïques, ne se donnera pas les moyens de ses ambitions en matière scolaire malgré laffirmation du droit du peuple à linstruction dès la Constitution de 1791 et malgré la reprise de lidée de responsabilité de lEtat en matière déducation dans les constitutions suivantes. Paradoxalement, cette démarche ecclésiastique qui trouve son acmé dans les lois de libéralisation de lenseignement, va certainement contribuer à rapprocher le système français de la laïcité. Ainsi, le caractère proclérical des lois Guizot du 28 juin 1883, Falloux du 15 mars 1850 et Dupanloux du 12 juillet 1875 va inévitablement provoquer une réaction laïque. Léconomie de ces lois est remarquable dans le sens où elles sont ostensiblement favorables aux congrégations religieuses. Ainsi, Georges BURDEAU remarque notamment une disposition de la loi Falloux : " ...tandis quun laïque ne pouvait enseigner sans un brevet délivré par le ministre de lInstruction publique, il suffisait aux membres des congrégations dune lettre dobédience de lévêque. " Nous avons donc, sans entrer dans le détail des lois, des textes nettement profitables à lEglise. Cette prise dimportance du clergé est lun des facteurs, mais non le seul, tendant à expliquer la méfiance du pouvoir face à lappropriation de lenseignement par lEglise. Cependant, un autre phénomène sera, dans la réalité, celui qui va motiver les fameuses lois laïques; il sagit des pratiques cléricales dans lécole publique. Ayant survolé les lois de libéralisation de lenseignement, on peut aisément imaginer que les religieux ont trouvé dans cette évolution au moins un motif de soulagement. Bien plus, une volonté de conquête de linstruction publique sest développée et concrétisée pendant tout le XIXème siècle. Les congrégations religieuses ne se sont pas contentées de saisir lopportunité que représentaient pour elles les écoles libres, mais elles ont, au gré dun contexte qui leur était plutôt favorable, réussi à investir lenseignement public après lintermède bonapartiste de luniversité impériale. Les chiffres sont dailleurs éloquents : en 1879, à la veille des grandes lois laïques, sur 37000 congréganistes enseignants, la moitié exerçait dans les écoles primaires publiques.
Mais le contexte historique est loin dêtre suffisant pour expliquer laboutissement inévitable aux lois de 1880. Pendant toute la période considérée, de grands noms se sont investis en faveur de la laïcité et ont joué un rôle important en tant quinspirateurs. Il convient maintenant de sintéresser à eux.
b) Les pères de la laïcité
En premier lieu, lapport de CONDORCET dans les fondations de lécole laïque est fondamental. La caractéristique la plus étonnante de cet homme du XVIIIème siècle, cest la farouche hostilité quil voue à légard de lEglise comme en témoignent les termes dune des lettres destinées à son correspondant VOLTAIRE : " Ne trouvez-vous pas comme moi que la race dhommes la plus méprisable et la plus odieuse est celle des prêtres catholiques ? " Mais cest principalement son rapport sur linstruction publique présenté devant lAssemblée législative le 20 Avril 1792 qui fit sa renommée. Ce projet développe principalement comme idées les principes dégalité et duniversalité de linstruction tout en postulant comme élément fondamental la libération de lesprit. CONDORCET tient ainsi à bannir de lécole toute doctrine politique, toute autorité religieuse et tout dogme intellectuel ou pédagogique. Ainsi, les grands principes de neutralité, dobjectivité et donc de laïcité sont donc proposés. Les priorités de lépoque ne lui ayant pas permis de faire adopter son projet, Jules FERRY lui rendit un hommage posthume quatre-vingt ans plus tard : " Javoue que je suis resté confondu, quand, cherchant à vous apporter autre chose que mes propres pensées, jai rencontré dans CONDORCET ce plan magnifique et trop peu connu déducation républicaine. Je vais tâcher de vous en décrire les traits principaux : cest bien, à mon avis, le système déducation normal, logique, nécessaire, celui autour duquel nous tournerons peut-être longtemps encore et que nous finirons, un jour ou lautre, par nous approprier. " Cependant, la contribution indéniable de CONDORCET ne doit pas occulter les autres apports doctrinaux tendant à remettre en cause les doctrines religieuses.
" La science, voilà la lumière, lautorité, la religion du XIXème siècle. " écrit le philosophe VACHEROT. En 1862, Clémence ROYER traduit "Lorigine des espèces" de DARWIN alors que les Eglises maintiennent le sens littéral de la Genèse et combattent lévolutionnisme. " Ce nest plus seulement la philosophie qui met en cause la religion, mais le progrès des sciences. " Vers 1860, le positivisme avec Auguste CONTE invite à une conception rationaliste de lunivers doù tout surnaturel est exclu. Avec RENAN, TAINE, LITTRE, LAROUSSE, le contisme aboutit au scientisme qui ne reconnaît pour vrai que ce qui a été vérifié par lexpérimentation. Jules FERRY déclare, en 1875, " avoir pour le christianisme "une admiration historique très grande" mais considère que "les illusions théologiques ne tiennent plus debout."" Le physiologiste Paul BERT compare le clergé au phylloxera : il sera ministre de lInstruction publique en 1881-1882 dans le cabinet de GAMBETTA.
La Ligue de lEnseignement, créée en 1866 par Jean MACE dont linfluence est indéniable dans loeuvre laïque qui suivra, a pour premier objectif de multiplier les bibliothèques populaires. Inévitablement, se posera la question du contenu de lenseignement à lécole.
Cest ainsi que les "pères" de la laïcité, en cette deuxième moitié du XIXème siècle, portent principalement leurs réflexions sur léducation pour les raisons que lon a en partie évoquées; doù une certaine logique à voir apparaître en premier la laïcisation de lécole. Pour Léon GAMBETTA, il est nécessaire dinvestir sans compter pour développer une instruction publique exempte de toute influence congréganiste qui représente le plus grand danger pour la formation de lhumanité de demain : " Il faut refouler lennemi, le cléricalisme, et amener le laïque, le citoyen, le savant, le français, dans nos établissements dinstruction, lui élever des écoles, créer des professeurs, des maîtres... " Ces velléités laïques, cest Jules FERRY qui les réalisera. Cet avocat de formation va faire une carrière politique sur un cheval de bataille : léducation nationale. A partir de sa nomination comme ministre de lInstruction publique, il va marquer de son sceau toutes les grandes réformes qui vont suivre.
Il est donc temps, après ce bref exposé de la montée en puissance laïque, de décrire maintenant les deux points culminants institutionnalisant la laïcité en principe républicain : les lois scolaires et la séparation de lEglise et de lEtat.
La laïcisation de lécole ayant été la première reconnue, il paraît sensé de faire son étude précédemment à celle de la laïcisation de lEtat.
a) Les lois scolaires
" Parce quelle est un atout politique de première grandeur, lécole a été lorigine de deux forces qui prétendent au gouvernement des esprits : lEtat et lEglise. Pour avoir été trop ambitieuse en entreprenant de substituer son propre monopole à celui de lEtat, lEglise finalement fut vaincue. " écrit François BURDEAU; et les lois scolaires furent le symbole de cette chute. Durant toute lépoque préparatoire de ces lois, le thème des deux jeunesses éduquées selon des principes radicalement opposés nétait, selon Dominique JULIA : " pas un vain mot à un moment où lEglise, par la voix de Pie IX, avait condamné sans appel la civilisation moderne assimilée aux Ténèbres et à Bélial, et revendiquait, au nom de la vérité quelle détenait, le droit exclusif denseigner la jeunesse. " Dans le même sens, Jules FERRY affirma : " Depuis quatre-vingt ans, deux systèmes sont en présence; ils se sont partagés les esprits et ont entretenu au coeur même de la société un antagonisme, une guerre acharnée [...] il faut effacer cette contradiction, dissiper ce trouble des intelligences; et il ny a quun moyen, cest de se désintéresser, dans léducation publique, dune façon impartiale, de toutes les doctrines [...] cest de réaliser la séparation de ces deux mondes, le monde civil et le monde religieux. "
Le caractère impératif dune laïcisation de lécole, on le voit, était à son paroxysme, mais quen est-il du contenu de ces lois ?
* La laïcisation de lenseignement
Jules FERRY va échelonner sa réforme dans le temps afin quelle soit plus facilement adoptée. A ce titre, " le réalisme prudent dont fit preuve FERRY, qui se refusa à précipiter les choses comme leussent souhaité les radicaux et les gambettistes à la Paul BERT, eut une importance capitale. " Sans revenir sur la liberté de lenseignement, il rend dabord à lEtat le monopole de la collation des grades en 1879. Il soccupe ensuite de lécole primaire publique quil rend gratuite par une loi promulguée le 16 juin 1881 et obligatoire par une loi du 28 mars 1882. De cette gratuité et de cette obligation vont tout naturellement découler la laïcisation des programmes. En effet, selon J-M MAYEUR : " Lobligation, la gratuité et la laïcité formait aux yeux des républicains un tout inséparable. La gratuité permet lobligation qui, dans un pays divisé de croyance, impose la laïcité. " Cest ainsi que la loi de 1882 prévoit dans son article premier la suppression de lenseignement religieux à lécole publique. Les auteurs du texte ont en effet remplacé "l'instruction morale et religieuse" qui figurait jusque là dans les programmes par "l'instruction morale et civique". Cependant, comme le notera Louis CAPERAN : " cette loi présentée comme une loi sur la laïcité ne contiendra le mot laïc, ni dans son intitulé, ni dans son texte. " Elle sappellera "Loi sur lenseignement primaire obligatoire", personne nayant osé insérer dans la loi le terme principal de la trilogie scolaire.
* La laïcisation du personnel
En ce qui concerne la laïcisation du personnel enseignant, FERRY se refusait à lenvisager dans limmédiat, il ne fallait pas brusquer les esprits et il importait de former le personnel nécessaire.
Pour ce qui est de lenseignement primaire, la laïcité va être instaurée par la loi organique du 30 octobre 1886. Notons à ce titre que le remplacement progressif des membres des congrégations enseignantes dans les écoles publiques par du personnel laïque sest effectué sans heurts graves et séchelonnera sur dix ans.
Pour lenseignement secondaire, cest la jurisprudence du Conseil dEtat qui a dégagé le principe à travers larrêt Abbé BOUTEYRE du 10 mai 1912 : ce dernier sétait inscrit sur la liste des candidats au concours dagrégation de philosophie de lenseignement secondaire, mais le ministre lavait exclu de la liste des candidats autorisés à concourir au motif que lagrégation constitue un concours de recrutement des enseignants publics et quun prêtre ne pouvait être admis dans le personnel de lenseignement public en raison du caractère laïc de ce dernier. Le Conseil dEtat rejeta le recours de labbé Bouteyre et consacra ainsi le principe de la laïcité du personnel dans lenseignement secondaire.
Dans lenseignement supérieur, la laïcisation des professeurs na fait lobjet daucune réglementation, sans doute en raison de lexistence des facultés de théologie catholiques et protestantes, rendant difficile lexclusion des ecclésiastiques.
Le principe de laïcisation de lécole ayant été consacré, restait à létendre à lensemble de lEtat.
b) La séparation de lEglise et de lEtat
La conquête progressive du pouvoir par une majorité hostile, soit au cléricalisme, cest-à-dire limmixtion du clergé dans le domaine temporel favorisée par les régimes précédents, soit même au catholicisme, au nom dune philosophie rationaliste, transforme les bases des rapports issus du concordat de 1801.
A côté des lois scolaires, une série de dispositions législatives vont mettre fin à toute influence de lEglise dans les services publics; cest par exemple la suppression du caractère confessionnel des cimetières, le service militaire imposé aux clercs ou létablissement du divorce, que lEglise nadmet pas, par une loi du 19 juillet 1884. Cest enfin la suppression, par la loi du 12 juillet 1880, du repos dominical. A ces mesures anticléricales se sont ajoutées des mesures proprement antireligieuses comme lexclusion des congrégations religieuses de la liberté dassociation, proclamée par la loi de 1901 ou linterdiction faite à des évêques de se rendre à Rome sur convocation du Pape. Cest la période, au début de ce siècle, dite du "combisme", du nom dEmile Combes, franc-maçon qui succède à Waldeck Rousseau en 1902 en tant que Président du Conseil et qui sera qualifié danticléricaliste virulent. Cest aussi lépoque de la célèbre "affaire des fiches" à travers laquelle il fut révélé à la Chambre que les fonctionnaires, notamment les officiers, faisaient lobjet de fiches confidentielles où étaient consignés les renseignements concernant leurs opinions. Cest également au cours de cette période quest votée la loi du 7 juillet 1904 interdisant lenseignement dans les écoles privées aux membres de toutes les congrégations, autorisées ou non.
Du côté du Saint-Siège, on considérait que lorganisation dune religion en service public était une immixtion intolérable de lEtat dans le domaine religieux. Le 25 juillet 1904, cest la rupture des relations diplomatiques entre la France et le Vatican. LEtat ne pouvant continuer à entretenir des cultes dont il réprouvait le principe et les cultes ne pouvant accepter le contrôle dun pouvoir qui leur était hostile, la séparation dès lors était la seule issue. Selon larticle 2 de la loi du 9 décembre 1905 " la République ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte. " Par cette phrase, " le législateur mettait fin à plusieurs siècles dinterpénétration étroite, puis dalliance, entre le pouvoir spirituel et temporel. " écrit Jean MORANGE . Nous tirerons pour notre part deux idées forces : dune part, lEtat est incompétent en matière religieuse, et dautre part, la liberté religieuse est forcément induite par cette proposition.
* LEtat est incompétent en matière religieuse
Si la République ne reconnaît aucun culte, cela ne signifie pas quelle nie lexistence des religions. Il sagit plutôt dune manière de se protéger contre la critique selon laquelle lEtat ne serait pas neutre et privilégierait une religion sur une autre ou sur plusieurs autres. Cest en réalité un coup darrêt à la théorie de la religion dEtat. Ainsi, nous pouvons dire avec Jacques ROBERT: " Cette absence de toute reconnaissance dun culte [...] veut simplement dire que le fait religieux - et ceci contrairement aux solutions concordataires - cesse dêtre un fait public. " Dès lors, cette signification se trouve logiquement renforcée par la proposition précitée: " La République ne salarie ni ne subventionne aucun culte. " Toujours avec Jacques ROBERT, nous pouvons analyser cette phrase sous deux aspects :
1. Selon un premier point de vue, elle implique la suppression du service public de lEglise. Dès lors, le Ministère et le Budget des cultes disparaissent, de même que les traitements donnés aux ministres des cultes. Mais lEglise doit alors être libre de sorganiser et de se fixer ses propres règles.
2. Selon un second point de vue, elle interdit "linscription des crédits en vue de subventionner à titre permanent et régulier le service des cultes." Cependant, ce principe ne sapplique pas avec une rigueur absolue. Il est en effet possible de subventionner des hôpitaux, des crèches... sexerçant dans un cadre confessionnel. Il en est de même par exemple pour les aumôneries des établissements publics.
Cependant, aucune prééminence quelconque ne peut être attribuée par lEtat à une religion sous la forme dun versement de subsides.
* La liberté religieuse est induite
Si la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte, la conséquence normale que nous pouvons en tirer est que la liberté religieuse doit prévaloir. Il est vrai que si lEtat ne soccupe pas des affaires religieuses, il doit laisser ce domaine dans la sphère privée sans sy immiscer par une éventuelle réglementation. La liberté religieuse étant garantie par la Constitution, elle doit alors effectivement être combinée avec la loi de 1905 : la République, qui ne connaît aucun culte, est cependant tenue de garantir lexercice des libertés publiques au rang desquelles se situe la liberté religieuse. Et il est nécessaire de ne pas oublier cet important devoir de lEtat car cest en partie celui-ci qui va être en cause à loccasion du nouveau débat français sur la laïcité, relancé à partir dun fait divers deux cents ans après la Révolution française.
Ce tour dhorizon de lémergence de la laïcité à travers une perspective historique nous permet de mieux comprendre le formidable enchevêtrement qui a prévalu à la naissance du principe. De la rencontre des époques au choc des idées, la laïcité trouve sa source autant dans lAncien Régime que dans la IIIème République, dans lEglise que dans lEtat, entre révolution et conservatisme. Dès lors, on comprend les difficultés existantes à en définir les contours de manière précise.
B) A la recherche dune définition de la laïcité
Daprès Claude NICOLET : " La laïcité ne nous a pas été donnée comme une révélation. Elle nest sortie de la tête daucun prophète; elle nest exprimée dans aucun catéchisme. Aucun texte sacré nen contient les secrets, elle nen a pas. Elle se cherche, sexprime, se discute, sexerce et, sil faut, se corrige et se répand. " Cela explique la difficulté à définir dune manière satisfaisante la notion. Maurice BARBIER y voit trois raisons principales : " premièrement car la laïcité nappartient pas à la catégorie de la substance, mais à celle de la relation; deuxièmement car elle nétablit pas un lien positif mais une séparation; dernièrement car elle nest pas une notion statique mais dynamique. " Cest pourquoi, dans une perspective de clarification, nous nous emploierons à définir la laïcité sous deux angles inédits : un angle sociologique et un autre plus juridique.
1) Dun point de vue sociologique
A travers cet intitulé, il sagit dappréhender les différentes acceptions qua connu la laïcité depuis sa création en regard des faits politiques et sociaux, afin de montrer le long cheminement qui a prévalu à la définition récente du concept.
Cest ainsi que pour Jacques BUR : " selon les circonstances, et selon les sentiments de qui en fait usage, la notion de laïcité peut recouvrir soit une neutralité positive et bienveillante de lEtat en face de toutes les croyances religieuses, soit une neutralité jalouse et hargneuse érigée à la hauteur dun principe, voire dun idéal, soit même un laïcisme doctrinaire; expression quasi-religieuse dun humanisme positiviste ou athée. " Le laïcisme auquel fait référence Jacques BUR et qui traduit une conception étroite de la laïcité caractérisée par un rejet systématique de toute sujétion religieuse dominera la fin du XIXème siècle et perdurera au début du XXème, soit au moment de lérection des grandes lois laïques. Cest la période de lanticléricalisme, du combisme que nous avons déjà évoqué. Mais, progressivement, ce climat dhostilité entre lEglise et la République va laisser place à un certain apaisement qui va conduire la laïcité à connaître un nouveau sens. Ainsi, la loi de 1905 qui a pour philosophie la réalisation de la paix religieuse va mettre un terme relatif aux "combats" que se livraient catholiques et laïques. Parallèlement, lEglise va sapercevoir quelle nest pas pour autant écartée de la vie publique. Elle acquiert une plus grande liberté, simplement limitée par lordre public. Mais le retour dune véritable entente entre lEglise et lEtat ninterviendra quaprès 1945. Tout au plus pouvons-nous constater que lentre-deux-guerres a introduit quelques changements assez substantiels dans la forme des rapports entre lEglise et lEtat : le rétablissement des relations diplomatiques entre le Saint-Siège et le gouvernement de la République, laccord intervenu entre les deux pouvoirs pour la désignation des évêques, la constitution des associations diocésaines, la suspension de lapplication des lois sur les congrégations ont liquidé le contentieux hérité de la Séparation. De part également les conflits sociaux qui éclatent au début du siècle et les séquelles de la première Guerre Mondiale, les français vont peu à peu se détourner du conflit religieux, reléguant lanticléricalisme au second plan.
Ainsi, daprès le contexte historique et social du début du siècle, on constate donc lémergence dun climat dapaisement autour du débat religieux. La population préoccupée par dautres questions, la République définitivement installée et lEglise désormais séparée de lEtat vont concourir au déclin du laïcisme. Dune conception tronquée de la laïcité conçue comme un instrument de lutte, celle-ci va dans les faits reprendre son contenu original : celui dune laïcité-neutralité. Cette neutralité en matière scolaire trouve son illustration pratique pour Jacques ROBERT de deux manières : " Elle signifie dabord que lenseignement donné ne doit pas être hostile à la religion; elle veut dire ensuite que les conditions de fonctionnement des écoles doivent permettre aux élèves qui le désirent de remplir leurs obligations religieuses. " Tout en préservant limpartialité des maîtres et du contenu des programmes, la neutralité ne doit pas faire obstacle à la liberté de conscience des enfants et dans une certaine mesure à son exercice. Pour Gustave PEISER : " cette neutralité, cest le choix de laisser le choix. Elle ne soppose pas à la religion, seulement elle ny participe pas. " Notons encore avec ce professeur que cette neutralité est plus forte dans le primaire que dans le secondaire, dans le secondaire que dans le supérieur.
Mais, pour revenir à notre approche évolutive dégageant le passage du laïcisme à la neutralité, il convient de sintéresser également à lintermède vichyssois. En avril 1940, le Maréchal Pétain, écrivait dans la Revue des deux mondes : " Parmi les tâches qui simposent au gouvernement, il nen est pas de plus importante que la réforme de léducation nationale. " Le gouvernement de Vichy va alors prendre le contre-pied des lois de 1882. Mais, que ce soit au niveau de lécole ou de lEtat, la plupart des mesures prises à cette époque contre la laïcité seront abrogées à la Libération sauf la loi sur la restauration des congrégations enseignantes.
Après cet examen plutôt sociologique tendant à dégager les mutations de la laïcité dans les esprits, il convient à présent daborder un aspect essentiel de lassise du concept : langle juridique.
2) Dun point de vue plus juridique
Il sagit ici de faire ressortir les principales dispositions législatives et réglementaires depuis les lois laïques dans le but de saisir au mieux le contenu de la laïcité par une approche textuelle.
Dans un article resté célèbre, Jean RIVERO sattache à dégager la notion juridique de laïcité : " des conceptions fort différentes ont pu être développées par des hommes politiques dans le feu des réunions publiques; mais une seule a trouvé place dans les documents officiels; les textes législatifs, les rapports parlementaires qui les commentent, les circulaires qui ont accompagné leur mise en application ont toujours entendu la laïcité en un seul et même sens, celui de la neutralité de lEtat. " Contrairement à lanalyse sociologique faite précédemment et qui avait montré quen fait, la laïcité avait évolué progressivement vers la neutralité, en droit, cette neutralité aurait toujours existé. Pour Jean RIVERO encore, cela implique que lEtat renonce à se faire le propagandiste daucune foi. Mais si la neutralité interdit à lEtat toute pression qui pourrait déterminer loption dune conscience, elle lui prescrit aussi le respect des libres options. Cest toute la philosophie de la loi de Séparation de 1905 que nous avons précédemment étudiée et qui reste la base du système actuel. Par ailleurs, toujours selon Jean RIVERO, la laïcité ainsi définie sintègre dans un principe plus général : " il ny a aucune raison, en effet, de distinguer entre les options de lhomme selon quelles aboutissent à un engagement religieux ou à des adhésions philosophiques ou politiques. "
Au niveau constitutionnel, la norme suprême du 4 octobre 1958, dans son article 2, dispose que : " La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure légalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction dorigine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. " La définition de la République comme "laïque" figurait déjà dans la Constitution de 1946. Les débats parlementaires préalables au vote de cet article montrent quil a été introduit en référence à la loi de Séparation de 1905. En ce qui concerne lécole publique, le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 affirme : " La Nation garantit légal accès de lenfant et de ladulte à linstruction, à la formation professionnelle et à la culture. Lorganisation de lenseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de lEtat. "
Mais, un certain nombre dautres textes vont également compléter les lois de 1880.
Pour la gratuité, on peut citer larrêté du 29 décembre 1943, ainsi que lordonnance du 8 janvier 1945; pour lobligation scolaire, cest lordonnance du 6 janvier 1959 qui fixe la limite des 16 ans révolus. Cest le décret du 30 août 1985 qui confère au règlement intérieur des établissements secondaires le soin de déterminer notamment les modalités selon lesquelles seront mis en application le respect des principes de laïcité et de pluralisme (article 3, alinéa 1er). Quant à lenseignement supérieur public, sa laïcité est précisée par la loi du 26 janvier 1984, dite " loi Savary " par son article 3 : " Le service public de lenseignement supérieur est laïc et indépendant de toute emprise politique, économique, religieuse ou idéologique... "
Il en va différemment concernant la laïcité du personnel enseignant, et ceci même dans le second degré par le bié dune interprétation libérale de la loi de 1905 par la juridiction administrative, ayant rendu caduc larrêt Bouteyre de 1912 précité. Cest ainsi que le Conseil dEtat, dans son avis du 21 septembre 1972, opine que la neutralité de lenseignement public nempêche pas un ecclésiastique de concourir à lagrégation.
La neutralité, proprement dite, de lenseignement public à tous les degrés, et reprise par la loi de 1905 dans son article 30 : " Lenseignement religieux ne peut être donné aux enfants de six à quatorze ans inscrits dans les écoles publiques quen dehors des heures de classe. ", est réaffirmée par la loi du 31 décembre 1959. Larticle 1 énonce : " LEtat assure aux enfants [...] la possibilité de recevoir un enseignement [...] dans un égal respect de toutes les croyances [...]. Il prend toutes dispositions utiles pour assurer aux élèves de lenseignement public la liberté des cultes et de linstruction religieuse. "
Ainsi, si les maîtres de l'enseignement public, dans l'exercice de leurs fonctions, doivent observer une stricte impartialité à l'égard de la religion, le service doit s'adapter à la liberté des pratiques. Dans la ligne de la loi du 28 mars 1882 qui prévoyait que les écoles publiques devaient vaquer un jour par semaine, outre le dimanche, pour permettre aux parents qui le désirent de faire donner à leurs enfants un enseignement religieux, un certain nombre de règlements et d'instructions sont intervenus; par exemple, pour autoriser les élèves à quitter l'école dans la semaine précédent leur première communion. Cependant, l'agrément de ces facilités ne doit pas perturber l'organisation du service de l'enseignement public et dans tous les cas, ce n'est pas pendant les heures normales de classe que l'enseignement religieux pourra être donné. Dans l'enseignement secondaire, l'adaptation du service à la liberté des pratiques sera encore plus poussé avec l'institution des aumôneries dont la loi du 9 décembre 1905 prévoit que les dépenses peuvent être inscrites aux budgets des collectivités publiques.
En ce qui concerne le problème de la neutralité religieuse des élèves eux-mêmes, une brève circulaire du 15 mai 1937 du ministre Jean ZAY pose le principe par une formule prémonitoire : " Aucune forme de prosélytisme ne saurait être admise dans les établissements. "
Quoiquil en soit, après la seconde Guerre Mondiale, la laïcité-neutralité va peu évoluer. Définitivement acquise et acceptée en ce qui concerne lEtat, les conflits vont se cantonner exclusivement à lécole, plus particulièrement à travers le combat pour lécole libre, entretenant la tension entre laïques et religieux. Cependant, les termes du débat ont changés. Dune part, le conflit se circonscrit désormais au financement de lenseignement privé, comme en témoigne les lois Marie, Barangé, Debré, Guermeur; dautre part, ce combat pour lécole libre apparaît moins comme une querelle idéologique que comme la volonté davoir le choix, de préserver une alternative à lécole publique. Tout concourt donc à dépassionner le débat, la neutralité nétant plus vraiment remise en cause. Certes, le projet de loi Savary de 1984 constituait une atteinte à cette neutralité dans son objectif dunification de lenseignement dans un même appareil. Mais léchec du projet peut se comprendre par des ambitions menaçant linstauration dun relatif consensus autour de la question scolaire.
Comme lénonce Jacques MINOT : " on pouvait espérer entrer dans une ère dapaisement, de tolérance et de compréhension réciproque " Mais lannée 1989 allait sonner le glas de ce fragile équilibre.
C) La relance du débat à travers laffaire du foulard islamique
Après avoir examiné les faits, nous essayerons de dégager les enjeux de cet événement dans les rapports de lEducation nationale à la laïcité.
1) Lexamen des faits
Le 18 septembre 1989, au collège Gabriel Havez de Creil, dans lOise, trois jeunes musulmanes portant un voile islamique sont provisoirement exclues des cours par le proviseur qui estime que le port du foulard représente une atteinte à la laïcité et à la neutralité de lécole publique. Le 9 octobre, les jeunes filles reprennent les cours au collège; un compromis a en effet été trouvé entre le proviseur, linspecteur dacadémie, les parents et la médiation dassociations locales. Il sagissait dautoriser le foulard jusquà lentrée en classe, mais de lôter une fois le seuil franchi. Mais le problème resurgit soudainement le 19 octobre lorsque les trois collégiennes rompent leur accord en remettant leur foulard pendant les cours. Il semblerait que ce revirement de comportement ait succédé à des rencontres entre les jeunes musulmanes et lun des représentants de la Fédération Nationale des Musulmans de France. Ces contacts auraient, semble-t-il, poussé les élèves concernées à radicaliser leurs velléités de refus. La réaction du proviseur ne sest pas faite attendre : les élèves furent conduites en bibliothèque, les cours ne leur étant plus ouverts. Ce fut à partir de ce moment que la dimension de ce problème a changé et que le proviseur na pas pu maîtriser lévolution que va prendre ce qu'on a appelé "l'affaire du foulard."
Cest donc pendant le mois doctobre que laffaire a explosé, notamment au plan médiatique. Les journaux qui avaient signalé les événements de Creil sétaient jusque-là contentés de leur donner une importance secondaire. Mais à partir de la seconde exclusion des trois jeunes filles, la presse et la télévision vont se ruer littéralement sur laffaire, ce qui permettra à de nombreuses personnalités, plus ou moins inspirées sur la question, de prendre part à un débat devenu national. Les premières institutions à prendre la parole ont été les associations de lutte contre le racisme, notamment S.O.S. Racisme, puis certains groupes nationalistes montèrent au créneau en faisant valoir laspect intransigeant de la laïcité. Ce sont ensuite les revues et quotidiens nationaux qui vont prendre le relais et contribuer à faire de ce conflit local un enjeu à l'échelon du pays. Ainsi, "l'appel des cinq" intellectuels fut par exemple un des temps forts de cette période. Parallèlement à ces débats passionnés, de nouveaux voiles sont brusquement apparu dans différentes écoles aux quatre coins de la France (Marseille, Avignon, Montfermeil...).
Mais il convient à présent de s'intéresser aux enjeux d'un tel retentissement.
2) Les enjeux
En premier lieu, il n'est pas étonnant de voir que la renaissance du conflit entre laïques et religieux s'opère dans un domaine qui, dans l'histoire, a constitué le théâtre privilégié des affrontements et dans lequel le compromis semblait le plus fragile : l'école publique.
En deuxième lieu, il faut noter que la publicité de cette affaire est tout autant le fait d'une atteinte stricto sensu à la neutralité que l'enchevêtrement d'autres combats intéressants d'autres causes et qui se sont retrouvés greffés au débat, contribuant sans nul doute à l'amplification du phénomène. En paradigme, il s'agit, outre le problème de la religion à l'école en général, du cas de l'Islam; il s'agit aussi, corrélativement, de la question de l'égalité entre l'homme et la femme et des interrogations concernant une des vocations premières de notre institution scolaire : l'intégration des immigrés par l'école.
En troisième lieu, on peut d'ores et déjà avancer qu'une relance du débat sur la laïcité occasionne pour l'Education nationale la perte d'un référentiel. La lente construction des bases de l'entente laïque, nous l'avons vu, s'est toujours révélée plus ardue en matière d'enseignement. Des lois, règlements ou instructions sont donc venus préciser les modalités du principe de laïcité en fonction de problèmes ou événements ayant pu soulever des difficultés dans son application. L'Education nationale, elle-même, au niveau central et local, a du composer avec certaines situations afin de garantir la continuité du principe de laïcité; des considérations locales ou circonstancielles ayant parfois nécessité une adaptation de la règle aux faits. Cela dit, les membres de l'Education nationale, favorables peut-être pendant longtemps à une conception étroite de la laïcité (et je pense ici plus particulièrement aux instituteurs), ont relativement bien intégré la définition la plus consensuelle de la laïcité après 1945 : la neutralité. On peut donc dire, et notamment à la fin des années quatre-vingt, que le contenu de la laïcité tel qu'il était délimité dans les textes et par la jurisprudence recouvrait ce que nous allons désormais appeler "la doctrine de l'Education nationale". Sous ce terme de doctrine, nous rangerons l'ensemble des normes et valeurs qui guident l'Education nationale dans l'application de la laïcité. Partant de ce postulat, l'objet de notre étude va consister à démontrer, qu'à partir de l'affaire du foulard, cette doctrine, qui se confondait jusqu'alors avec la neutralité, va subir une profonde remise en cause, qui l'amènera à se recomposer autour de principes nouveaux, dictés par la conjoncture locale.
Dans cette perspective, notre étude procédera en première partie d'une description des motifs ayant prévalu à l'exigence d'un renouvellement de la doctrine de l'Education nationale en matière de laïcité; en deuxième partie d'une tentative de démonstration de l'avènement de celui-ci.
PREMIERE PARTIE: LA DOCTRINE BOULEVERSEE
A partir de l'affaire du foulard islamique, l'interpénétration de faits et de prises de positions philosophiques, religieuses ou juridiques va entraîner un bouleversement de la doctrine de l'Education nationale qui reposait jusqu'à présent sur la neutralité.
Pour dégager les facteurs déterminants de cette évolution, il faut partir d'un constat : ce conflit du foulard, d'une part a plongé la laïcité au coeur des controverses, entraînant une remise en cause de son contenu, d'autre part, le Conseil d'Etat a été amené a trancher pour une certaine conception de la laïcité en regard d'un nouveau contexte, sans que cela ne satisfasse réellement laïques et religieux. C'est donc la combinaison de ces deux paramètres qui conduira ensuite à une "réaction" de l'Education nationale.
CHAPITRE PREMIER :LA NOTION DE LAICITE AU COEUR DES CONTROVERSES
Le premier élément ayant ainsi nécessité un renouvellement de la doctrine de l'Education nationale, c'est la remise en cause d'une définition de laïcité sur laquelle on croyait pouvoir se baser pour longtemps et qui constituait tout de même le piédestal de notre système éducatif.
Afin de mettre en évidence les différents enjeux que sous-tend cette remise en cause, il convient dans un premier temps de souligner le nouveau rapport aux religions que cela induit et dans un deuxième temps de rendre compte de l'exigence d'une redéfinition de la laïcité.
A) Religions et compromis laïque
Qu'une atteinte à la laïcité trouve sa source dans des velléités religieuses est peu étonnant. Cependant, la mise à plat que cela a provoqué est plus intéressante. Elle semble être le révélateur d'une offensive du monde religieux en direction de " lespace public neutre ". A travers notre problématique, il sagit donc dinsister sur le réveil du religieux, puis den tirer les conséquences pour lEducation nationale.
1) Le réveil du religieux
Daucuns contestent la véracité de ce réveil du religieux . Force est pourtant de constater que les faits semblent aller dans ce sens. Au déclin des idéologies amorcé depuis 1968 va coïncider lessor dune religiosité, parallèle aux grands cultes. Pour Gérard CHOLVY, " le réveil du religieux participe de la quête dun ailleurs. " Historiquement, la première vague salimente au terreau du christianisme. Aux communautés anciennement implantées en France, (mennonites du pays de Montbéliard, baptistes, quakers, darbystes, salutistes) se sont ajoutés, venant des Etats-Unis, ladventisme du 7ème jour : austères en morale, versant la dîme, ses 8000 fidèles, ouverts à loecuménisme, sont très soucieux du respect de la liberté religieuse. Parmi les nouvelles religions dorigine chrétienne, signalons également les pentecôtistes et les témoins de Jéhovah qui sont les plus actifs. La seconde vague de religiosité est venue dOrient après 1968, en partie par le relais américain : la secte Moon, les Enfants de Dieu, lEglise de scientologie, la méditation transcendantale. A cette liste non exhaustive, on pourrait ajouter dautres approches parareligieuses tel le New Age.
Cette nouvelle religiosité, beaucoup mieux que les sectes contraignantes et les grandes Eglises, répond à une quête diffuse de religion alternative, non structurée, individualisée, dans laquelle on sengage en restant libre de choisir dans chaque religion les aspects les plus attirants. Retenons malgré tout que ces courants restent minoritaires. Cependant, ils sont révélateurs dun renouveau religieux auquel les cultes les plus importants tenteront de se raccrocher, au premier desquels lIslam et dans une moindre mesure les Eglises judéo-chrétiennes.
a) Lhéritage des religions judéo-chrétiennes
En ce qui concerne lEglise catholique, la notion de réveil du religieux peut paraître paradoxale puisque la tendance est indubitablement à un double déclin des instances chrétiennes : leur pouvoir dinfluence a considérablement diminué en même temps que le nombre de fidèle a périclité. Cependant, le poids cultuel qu'elle occupe malgré tout et les liens étroits qu'elle a tissé avec l'Etat font que le moindre sursaut est amplifié. S'il ne semble pas que l'Eglise catholique ait participé, en tant qu'instigateur, du renouveau du religieux, elle a tout de même essayé de se laisser porter par les mouvements qu'ont engendré les religions parallèles que nous avons citées et surtout a du réagir par rapport à la montée de l'Islam. Cette montée a forcé l'Eglise à être plus engagée et à trouver les moyens de garantir son assise. C'est pourquoi elle a cherché à retrouver une place prépondérante dans les débats nationaux. Ce n'est cependant pas ses tentatives de reconquête "en douceur" qui seront mis en avant mais bien plutôt ses déviances réactionnaires, voire intégristes. On parle ainsi volontiers de renouveau du religieux à propos du retour de l'Eglise catholique sur des positions antérieures à Vatican II. Mais ce sont les velléités intégristes qui alerteront surtout l'opinion. Selon le cardinal Joseph LEFEBVRE, " lintégrisme est incapable de distinguer ce qui, dans la doctrine, est définitivement fixé, susceptible de progrès, ou laissé encore à la libre discussion des théologiens, il en arrive à vouloir arrêter tout progrès et semble se complaire en condamnations sommaires. Ceux qui sont atteints de ce mal sont souvent, par ailleurs, enclins aux généralisations hâtives. " Cette approche, pour être d'origine catholique, ne semble pas éloignée de la définition actuelle du Petit Larousse : " attitude et disposition desprit de certains croyants qui, au nom dun respect intransigeant de la tradition, se refusent à toute évolution. " Le paradigme le plus représentatif et médiatique de cet intégrisme est la vague dattentats qui a suivi la diffusion cinématographique de " La dernière tentation du Christ " de Martin SCORSESE. Cet intégrisme catholique français trouverait son inspiration dans un triple courant politico-religieux : celui de la Contre-Réforme des XVIème et XVIIème siècle, de la Contre-Révolution et de lanti-"modernisme". Les partisans invoquent la tradition, identifiée aux valeurs éternelles du catholicisme et de la nation française. Leur anticommunisme est constant et ils défendent les idées du Front National. Ils dénoncent lEtat corrompu, la franc-maçonnerie, la "juiverie".
En ce qui concerne le protestantisme, le rapport de force est différent. Forte dune tradition laïque, la religion protestante a depuis toujours constitué un potentiel de collaboration et non dopposition. En témoigne un texte que la Ligue de lenseignement a signé en avril 1989 avec la Fédération protestante de France intitulé : " Pour un nouveau pacte laïque ". Cependant, les offensives religieuses de cette confession ne sont pas absentes, mais demeurent marginales.
En ce qui concerne le judaïsme, son installation ancienne en France confère à ce culte un statut particulier en regard des discriminations dont il a fait lobjet dans lhistoire. Ceci la amené à se replier sur lui-même et donc à limiter toute démarche tendant à concourir dun retour du religieux, tout au moins dans sa version virulente. Il est dailleurs intéressant de noter que, contrairement à lIslam, les conversions au judaïsme sont extrêmement difficile, ceci révélant un état desprit différent. Daucuns voient cependant un sursaut identitaire qui passe notamment par le religieux; les indicateurs de ce sursaut seraient linflation de lédition à thème juif, un redressement des effectifs dans les écoles juives ainsi que diverses manifestations visant à multiplier les lieux et les occasions de socialité juive.
Convenons, malgré l'apparent relent confessionnel négligeable des trois grands cultes judéo-chrétiens, que la véritable offensive religieuse émane de lIslam, dont laffaire des foulards est une des expressions.
b) Le choc avec lIslam
LIslam, qui était simplement une religion quantitativement importante et, accessoirement, une réserve inépuisable de stéréotypes pour limaginaire occidental, a fait, depuis une quinzaine dannées, " une entrée bruyante en politique, en diplomatie et en stratégie à léchelle mondiale ". Cette montée de lIslam, qui concerne environ un milliard dindividus, pratiquement tous situés dans les nations parmi les plus pauvres, états pétroliers exceptés, est lun des événements majeurs de la fin du XXème siècle.
En France, la querelle scolaire navait mis aux prises que les catholiques et les laïques; les protestants et les juifs restant, comme nous lavons vu, à lécart du conflit, car ils se satisfaisaient très bien de lécole laïque. Mais, depuis une trentaine dannées, la France est devenue un pays à forte immigration et dont la composition humaine sest profondément modifiée. La présence sur notre sol de plus de quatre millions détrangers, de culture et de religions différentes de celles de la majorité des Français, a soulevé des problèmes de voisinage, dassimilation et plus encore dintégration difficiles à résoudre, surtout lorsquil sagissait dimmigrés de confession islamique chez lesquels les blessures de la Guerre dAlgérie étaient encore vivantes. Laffaire des foulards faisait craindre que lhistoire allait recommencer et que lEtat allait rencontrer avec une autre religion les difficultés quil avait connu avec le catholicisme. LIslam est, en effet, une religion particulièrement exigeante. Ses textes fondateurs sont le Coran, parole de Dieu recueillie par le Prophète; la Sunna, ensemble des faits et des dits du Prophète; enfin, la Charria, qui explicite lensemble des préceptes que le croyant doit observer dans la vie quotidienne. LIslam nest donc pas seulement une religion, cest aussi un mode dorganisation de la société civile, ces deux aspects étant inséparables. Doù la question aujourdhui : " Islam et laïcité sont-ils compatibles ? " Sans doute faut-il rester prudent et ne pas exagérer cette opposition; il existe en effet une infinie variété daspects dIslam. Celui des pays maghrébins ne ressemble pas à celui des pays de lIndonésie; lIslam sunnite ne ressemble pas à lIslam chiite... Il reste tout de même que lIslam est le premier symbole du réveil du religieux dont les manifestations parfois violentes, donc intégristes, font peur. Citons en exemple lappel au meurtre lancé contre lécrivain Salman Rushdie par layatollah Khomeiny, qui a conforté limage dun Islam intolérant et agressif. Lopacité autour de limage de lIslam, qui est pourtant la deuxième religion de France, est renforcée par linexistence dune instance représentative. Un pas cependant a été franchi le 20 novembre 1993 avec la création du Conseil Consultatif des Musulmans de France, chargé de pallier à cette carence de représentativité. Son président, Dalil BOUBAKER, recteur de la Mosquée de Paris, a ainsi réussi à acquérir une véritable autorité et fait office dinterlocuteur privilégié. Cependant, au moment de laffaire du foulard, le choc avec lIslam est dur. Un tel fossé dincompréhension semble diviser deux rationalités; une rationalité laïque, forte dun enracinement progressif, et une rationalité islamique confrontant dautres valeurs et dont la rigidité rend complexe les compromis qui jusque-là permettaient de pallier aux conflits. Le réveil du religieux, essentiellement caractérisé par une offensive du monde musulman dans le monde de lEducation, participe donc de la controverse sur la notion même de laïcité. Mais pour comprendre la réaction future de lEducation nationale, il convient danalyser, en pratique, les problèmes que cela pose au niveau scolaire.
2) LEducation nationale désarçonnée
Les atteintes à la laïcité provoquées par un réveil du religieux, caractérisé dans le domaine scolaire par laffaire du foulard islamique, va avoir des conséquences majeures pour lEducation nationale. Celle-ci, pour qui la laïcité-neutralité constituait une véritable doctrine, va être confrontée ce que lon pourrait appeler un "vide théorique" ou tout au moins une période dinfirmation des acquis. Cette période trouve sa traduction dans la rupture dun équilibre laborieusement constitué et dans la remise en cause du principe même de laïcité.
a) Un équilibre rompu
Cet équilibre, cest celui qui instituait en pratique la notion de neutralité. Déjà décrite, cette neutralité ne signifiait pas une attitude foncièrement hostile à légard du fait religieux. Il sagissait aussi de garantir aux élèves la liberté de conscience et de ne pas rendre impossible son exercice. Cest ainsi quun compromis sest constitué qui, sil restait ferme sur le bien-fondé des principes laïques, organisait le service public de lEducation nationale de telle sorte que les membres des différentes confessions puissent satisfaire aux exigences de leur culte. Cest par exemple la libération dun jour par semaine des élèves en vue de recevoir, pour ceux qui le souhaitent, une instruction religieuse. Cest aussi linstauration des aumôneries dans les établissements secondaires. Mais, ces dérogations à une acception stricte de la laïcité peuvent concerner des régions entières, dans le souci de ne pas heurter les sensibilités locales, et pour des raisons souvent historiques. Il en va ainsi de lAlsace-Moselle, qui reste sous le régime du Concordat, des Articles organiques et autres textes antérieurs à 1871 qui avaient été maintenus par lAllemagne lorsquelle avait annexé ces trois départements, au moment où, en France, la "Révolution laïque" battait son plein. Dans cette région, quatre cultes sont reconnus : catholique, luthérien de la confession dAugsbourg, réformé, israélite. Lenseignement religieux est assuré dans les locaux scolaires et aux heures de classe, dans le premier et le second degré. Le régime de la loi Falloux pour le premier degré, qui a été aboli dans le reste de la France par les lois de 1880, est toujours en vigueur en Alsace-Moselle. Linstruction religieuse est assurée, depuis 1974, par les seuls maîtres qui se portent volontaires ou, à défaut, par des ministres du culte ou dautres personnes rétribuées sous forme dheures complémentaires. A la demande des parents ou tuteurs, les élèves peuvent être dispensés de lenseignement religieux, qui est alors remplacé par des cours de morale. Pour lenseignement secondaire, cest également la loi Falloux qui est en vigueur, à quelques exceptions près. Cet exemple exprime bien la volonté de compromis qui a présidé à linstauration de la laïcité. Il est également notoire que, notamment dans certains établissements parisiens, pour les élèves de confession juive, le port de la Kippa est toléré. La religion musulmane nest pas en reste puisque toute une série de mesures ont contribué à concilier règles dorganisation et préceptes cultuels. Le ministre de tutelle transmet ainsi aux établissements secondaires la liste des principales fêtes religieuses de chaque confession et donne pour consigne à ce titre, lindulgence pour les absences des élèves à loccasion de ces célébrations. En ce qui concerne lIslam, il sagit par exemple de la fête de lAïd. Retenons également leffort fait par les services de restauration scolaire en direction des musulmans tenus de respecter un certain nombre de privations culinaires, notamment pendant le Ramadan, en leur proposant des mets de substitution.
Mais, à travers laffaire du foulard, la question est de se demander si léquilibre ainsi constitué peut survivre à une attaque qui remet en cause les fondements même de la laïcité.
b) Le principe de laïcité remis en cause
La neutralité, qui concilie fermeté et ouverture, se trouve en face dune situation compromettante; le foulard islamique est-il ou non contraire avec elle. Si on laisse de côté les exceptions consenties pour se borner à raisonner dun point de vue général, la laïcité-neutralité semble incompatible avec le port du " hidjab ". Car si lécole ne doit pas aller à lencontre de la liberté de conscience des élèves, elle bannit des salles et des heures de classe toute manifestation qui puisse sapparenter à une quelconque pratique religieuse. La question est donc de savoir si le port du foulard constitue une pratique religieuse contraire au principe de neutralité. Les partisans dune réponse affirmative argumentent que le hidjab est le symbole de lasservissement de la femme par la religion, quil constitue une traduction extrémiste de lexercice du culte et que par son caractère ostentatoire, il introduit au sein même des établissements et lors des enseignements des considérations étrangères à la mission éducative de lécole publique. Les partisans du foulard répondront, quant à eux, que le port de celui-ci est un élément fondamental et indissociable de lexercice des préceptes de la Charria, que ne pas le porter constituerait donc un manquement grave envers ses devoirs religieux, que ce voile ne constitue en rien un instrument ostensible ou de propagande puisque composé dun bout de tissu de couleur neutre. Ces arguments que lon pourrait délayer à linfini nourrissent les démonstrations dun débat sans fin. Quand bien même les tenants de la neutralité seraient fondés dans leurs arguments, lécole publique ne peut pas ignorer toute une marge de la population et lexclure du système éducatif au nom de la laïcité. Le coeur de la controverse, cest donc bien la conciliation des aspirations des élèves de confession islamique avec une certaine conception de la laïcité qui ne semble pas pouvoir répondre à ce double défi : la laïcité doit gouverner à lorganisation générale du système éducatif public mais ne saurait prendre la forme dune doctrine dexclusion. Face au constat de limpuissance de la neutralité à satisfaire cette exigence dans ce cas particulier, lEducation nationale a été prise dans un nécessaire mouvement de remise en cause de la neutralité, suscitant un remodelage du concept de laïcité. Rien détonnant donc à voir émerger toute une réflexion partant de lidée de la nécessité dune redéfinition.
B) La nécessité de redéfinir la laïcité
Pour Edgar MORIN : " il est remarquable que, dans laffaire du foulard, les opinions antagonistes se soient toutes légitimées au nom de la laïcité. Elles témoignaient surtout quon ne savait plus exactement ce que signifiait la laïcité, et quun "trou noir" sétait creusé sous ce terme. " Il apparaît ainsi que lexigence dune redéfinition correspond en fait à un besoin de clarification. Doù le débat national qui sinstaure alors pour redonner à la laïcité un contenu en adéquation avec les mutations sociétales. Nous nous plongerons donc en premier lieu au coeur du débat afin de marquer les oppositions conceptuelles qui divisent les prétendants à une redéfinition de la laïcité; en deuxième lieu, nous soulignerons limportance du contexte international dans cette démarche.
1) Entre exclusion et ouverture
A travers cet intitulé, il sagit de témoigner de laffrontement de deux "familles" de pensée laïque. Nous nous intéresserons donc dabord aux promoteurs d'une nouvelle laïcité, ensuite aux conceptions qui les opposent avec les partisans dune laïcité traditionnelle.
a) Les promoteurs dune laïcité ouverte
Dun point de vue général, lémergence dune nouvelle conception de la laïcité avait été favorisée par le fait que lEtat, qui na plus besoin de lutter contre la religion pour saffirmer, accepte aisément sa présence et son action dans la société. Dautre part, la religion, qui est désormais indépendante de lEtat, peut jouir dune entière liberté que lEtat doit respecter et protéger. " Cela contribue à relativiser et à transformer la notion traditionnelle de laïcité. La liberté religieuse apparaît alors comme une valeur supérieure à la laïcité. " Plusieurs exemples montrent que les relations entre lEtat et les religions ont évolué dans le sens du dialogue et même de la collaboration. La loi prévoit ainsi que le service public de radio et de télévision doit diffuser des émissions religieuses le dimanche matin : cest le cas pour le judaïsme, le protestantisme, le catholicisme et lIslam. Ces quatre religions sont également représentées dans deux organismes consultatifs, chargés de donner leur avis sur des problèmes moraux particuliers : le Comité national déthique et le Conseil national du SIDA, créés respectivement en 1983 et en 1989. Certains y voient là un tournant culturel de la laïcité française. Elle deviendrait ainsi un référent commun qui permettrait à des groupements dordre éducatif, civique, déthique sociale ou religieuse de dialoguer malgré leurs divergences. Concrètement, cest la Ligue de lEnseignement qui va s'imposer comme la " figure de proue du renouveau de la réflexion laïque. " Ses activités éducatives et culturelles couvrant un large domaine parascolaire la rendent peut-être plus attentive que les syndicats aux évolutions de la société. La Ligue va alors prendre contact avec des milieux intellectuels et des personnalités religieuses pour relier la laïcité aux grands problèmes de société et aux questions sur le sens de la vie. Après quune série dentretiens eurent permis de confronter diverses versions de la laïcité , des rencontres et un colloque sur le thème "Laïcité 2000" ont proposé une approche pluridimensionnelle. La Ligue invente l'expression de "laïcité-plurielle" qui constitue le titre même des Assises organisées sur son initiative le 1er décembre 1990. Les réactions à ces orientations "libérales " ne manquent pas de virulence, telle celle d'Etienne PION : " Le cheval de Troie s'appelle "nouvelle laïcité" ou "laïcité 2000" ou encore" laïcité ouverte", voire "laïcité plurielle", toutes dénominations qui masquent mal la volonté d'édulcorer les implications administratives et civiques d'un concept de laïcité auquel on aura au préalable donné un tout autre contenu; ses modalités de mise en pratique seront, bien entendu, avant tout favorables aux intérêts particuliers des milieux cléricaux. "
Ceci illustre le fossé qui se creuse entre deux conceptions de la laïcité auxquelles nous allons nous intéresser maintenant.
b) Laïcité et tolérance
Deux écoles saffrontent : la première définit la laïcité comme coexistence harmonieuse des différences, ou encore comme une tolérance élargie; la seconde se réclame dune laïcité rigoureuse, fidèle à la tradition républicaine. Ainsi, un chercheur du CIEP place dun côté les héritiers dune tradition jacobine pour qui lécole, lieu de diffusion des valeurs universelles, est un espace de neutralité absolue, à labri de toutes les influences extérieures, politiques, sociales, religieuses. De lautre, il y a ceux qui considèrent lenfant dans sa globalité, avec ses différences, la tâche de lécole étant den permettre lexpression. Saffrontent deux discours, lun fondé sur lexclusion et lassimilation, lautre sur laccueil et lintégration, tous les deux se réclamant du même principe de laïcité. Faut-il quune laïcité soit ouverte ou fermée ? Lincapacité de la neutralité à répondre de manière satisfaisante aux questions posées par le port du foulard incite donc à envisager dautres champs de référence comme la tolérance. Certes, la laïcité ne peut pas être un principe de tolérance stricto sensu car " la tolérance est destinée à contrer les effets dune norme qui, trop abrupte ou trop discriminante, générerait les risques dun arbitraire alors que la laïcité est une notion juridique relevant de la loi fondamentale. " Il est peut-être préférable de parler "desprit de tolérance" qui est réellement une approche nouvelle de la laïcité, qui se détache non seulement dune vision active ou stricte mais aussi dune acception neutre qui, sans renier ses principes fondateurs, ferait de la laïcité une théorie attentive aux aspirations sociétales. Mais lorsquon parle desprit de tolérance, faut-il y voir la fin de la laïcité ? Sans doute est-ce là lorigine de lâpreté de la réaction des "laïques convaincus".
Quoi quil en soit, constatons que le débat fait rage et que chacun est décidé à faire triompher sa conception. Cependant, il apparaît que le contexte général est plus favorable à louverture quà lexclusion; cest notamment le cas au niveau international.
2) Le contexte international
La nécessité de redéfinir la laïcité trouve également son fondement dans un certain nombre de textes internationaux auxquels la France a adhéré et qui rendent lévolution du contenu de la laïcité indubitable. De surcroît, cette évolution est accentuée par une Europe de plus en plus intégratrice et uniformisante.
a) les grands textes libéraux
Larticle 55 de la Constitution de 1958 reconnaît aux traités et aux accords, régulièrement ratifiés ou approuvés, une valeur supérieure à celle de la loi interne et ceci dès leurs publications. Si les conventions internationales et européennes furent pendant longtemps victimes de linterprétation de cet article par le Conseil Constitutionnel et le Conseil dEtat, le principe est aujourdhui acquis que ces conventions ont une autorité effective supérieure à celle des lois internes, mêmes postérieures.
Or, le droit international ne connaît pas la notion de laïcité, il insiste sur la liberté religieuse et ses différentes manifestations, et la France a ratifié plusieurs conventions qui reconnaissent cette liberté de manifester sa religion : il sagit en particulier du Pacte de 1966 relatif aux droits civils et politiques, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de lhomme et des libertés fondamentales, et plus récemment de la Convention internationale sur les droits de lenfant que nous allons étudier.
* La Convention européenne des droits de lhomme et le Pacte de 1966 relatif aux droits civils et politiques.
La Convention européenne de sauvegarde des droits de lhomme et des libertés fondamentales a été élaborée sous légide du Conseil de lEurope. Elle a été signée à Rome le 4 novembre 1974.
Son article 9 dispose : " 1. Toute personne a droit à la liberté de penser, de conscience et de religion; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, lenseignement, les pratiques et laccomplissement des rites.
2. La liberté de manifester sa religion et ses convictions ne peut faire lobjet dautres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de lordre ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et des libertés dautrui. "
Ces dispositions ont été pratiquement intégralement reprises dans larticle 18 alinéa 1 et 3 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, adoptés par lAssemblée Générale des Nations Unies le 6 décembre 1966 et ratifié par la France en 1980.
Ces deux textes insistent avant tout sur la liberté religieuse et ils prévoient la liberté de manifester sa religion même en public. La Cour européenne des droits de lhomme a d'ailleurs reconnu lapplication de ce principe dans les services publics.
* La Convention internationale sur les droits de lenfant
Celle-ci a été adoptée par lAssemblée Générale des Nations Unies le 20 novembre 1989 et ratifiée par la France le 2 juillet 1990. Elle reconnaît à lenfant le droit aux attributs de la personnalité et le bénéfice des droits civils dont la liberté dexpression, la liberté de pensée, de conscience, de religion, dassociation...
Lapplication de cette convention a rendu nécessaire des adaptations de la législation française. LEducation nationale a du prendre une position plus ouverte envers la liberté dexpression. Le décret du 18 février 1991 reconnaît ainsi, tout en les encadrant, les libertés dassociation, de réunion et dexpression des lycéens.
Pour conclure, on peut dire que ces textes internationaux qui reconnaissent une liberté religieuse très générale, contribuent à favoriser une transformation de la notion traditionnelle de laïcité.
b) Europe et laïcité
La France est le seul Etat laïque de lUnion Européenne, cest à dire qui connaît la séparation juridique totale de lEglise et de lEtat. Certains pays sont placés sous le régime du Concordat avec le Vatican, dautres, comme le Danemark ou le Royaume-Uni, ont une religion dEtat. Selon Odon VALLET, lavenir de la laïcité en France pourrait être affecté par cette situation européenne. Au niveau éducatif, la France est le seul Etat dans lequel la religion est totalement exclue de l'école publique ou école d'Etat. Si une homogénéisation des politiques éducatives a toujours été rejetée par les ministres de l'Education des pays de l'Europe, il est cependant intéressant d'examiner comment les autres Etats européens gèrent les relations école/religion à l'heure où certains posent la question de l'Europe de l'Education. Nos voisins accordent tous une place à la religion dans l'enseignement public. En Grèce par exemple, les cours de religion et d'éducation civique sont obligatoires dès la troisième année d'école primaire et pendant toute la scolarité. En Italie, l'instruction religieuse et civique est prévue également à partir de la troisième année d'école primaire. En Allemagne, les différents länders jouissent d'une grande autonomie en matière d'éducation. L'enseignement du catholicisme ou du protestantisme est obligatoire dans toutes les filières et dès le premier degré. Une expérience a été lancée en Rhénanie-Westphalie où des cours de Coran ont été dispensé aux musulmans dans certaines classes primaires. De plus, rien ne s'oppose en Allemagne au port du foulard par de jeunes filles. Si l'Angleterre ne connaît pas et comprend mal le problème du port du voile islamique en France, elle a cependant connu des problèmes liés à la population musulmane qui se sont résolus dans un sens favorable à l'exercice religieux. Ainsi, toutes les religions sont présentes dans les écoles d'Etat britanniques et les élèves sont libres d'y affirmer leurs croyances. Il semble donc que l'on puisse conclure que les Etats européens sont moins hostiles que la France à la manifestation par les élèves de leur convictions religieuses. Cela pourrait inciter la France à adopter une conception plus ouverte de la laïcité.
Pour les raisons que nous avons décrites, la neutralité est mise à mal. Dans un climat général de réveil du religieux, l'Islam, à travers l'affaire du foulard, plonge la notion de laïcité au coeur des controverses. Le besoin de redéfinir la laïcité devient alors une exigence. Ceci explique le bouleversement que subit l'Education nationale quant à la viabilité de sa doctrine laïque : la neutralité. Mais le véritable ébranlement de cette neutralité interviendra le 27 novembre 1989 avec l'émergence d'une "doctrine" jurisprudentielle inédite en matière de laïcité scolaire qui mettra définitivement l'Education nationale au pied du mur : y adhérer ou non.
CHAPITRE SECOND :L'EMERGENCE D'UNE DOCTRINE JURISPRUDENTIELLE
Le Conseil d'Etat ayant été amené à se prononcer sur le port de signes religieux dans les établissements scolaires, suite aux événements de l'automne 1989, a tranché pour une acception ouverte de la laïcité. Cependant, lorsqu'il s'agira de transcrire pratiquement la règle énoncée par le Conseil d'Etat, un certain nombre d'écueils vont se révéler et pousser ainsi l'Education nationale à se dégager de cette "doctrine" du Conseil d'Etat afin de se mettre en quête d'une doctrine propre, susceptible de succéder à la neutralité. Le rôle de la juridiction administrative dans cette recomposition est fondamentale puisqu'elle va ainsi créer une vague de contestations, particulièrement au sein de l'école publique, et permettre de ce fait une réaction.
Afin d'analyser en quoi la jurisprudence a innové en matière de laïcité et en quoi les solutions proposées ont encouragé l'Education nationale à rechercher une autre voie, notre étude procédera en prodrome de l'examen des avancées jurisprudentielles, puis de la contestation des lacunes de cette doctrine.
A) Les avancées jurisprudentielles
L'avis du Conseil d'Etat du 27 novembre 1989 constitue bien évidemment le coeur de ces avancées. De part la primauté qu'il va accorder à la liberté de conscience et d'expression des élèves, il marquera le point de départ d'une nouvelle ère laïque, s'éloignant quelque peu des théories fondatrices. Il satisfera de ce fait les partisans d'une laïcité plus bienveillante à l'égard des religions. Par ailleurs, cet avis va être l'occasion d'une extension de la recevabilité des recours en faveur des justiciables sur le plan interne; mais une plus grande protection des individus est également remarquable au niveau externe.
C'est pourquoi nous nous intéresserons à l'avis du Conseil d'Etat ainsi qu'à ses prolongements, puis corrélativement, à l'élargissement de la recevabilité des recours sur la base du principe de laïcité.
1) Sur le fond : un avis du Conseil d'Etat du 27/11/89 très libéral
Afin de procéder à l'étude de l'avis du Conseil d'Etat qui nous permettra de témoigner de son caractère libéral en matière de laïcité, il convient d'abord de s'employer à l'exégèse de cet avis puis de faire état d'une jurisprudence ultérieure confirmative.
a) Le contenu de l'avis du Conseil d'Etat
La Haute Juridiction a du répondre à la question de savoir si " compte tenu des principes posés par la Constitution et les lois de la République et eu égard à lensemble des règles de fonctionnement de lécole publique, le port de signes dappartenance à une communauté religieuse est ou non compatible avec le principe de laïcité. " Ensuite venaient deux questions daspect plus pratique sur les comportements que devaient avoir les chefs détablissement face à ce problème.
Le Conseil, après avoir rappelé les bases juridiques nationales et internationales, va dune part exposer le principe existant, et dautre part en fixer les limites.
* Le principe : la liberté dexpression des élèves
La démarche du Conseil dEtat va être progressive, partant des implications de la laïcité de lenseignement public pour aboutir aux problèmes à résoudre : le port de signes religieux :
" ...Le principe de la laïcité de lenseignement public, qui est un des éléments de la laïcité de lEtat et de la neutralité de lensemble des services publics, impose que lenseignement soit dispensé dans le respect dune part de cette neutralité par les programmes et les enseignants et dautre part de la liberté de conscience des élèves. " Mais le Conseil dEtat ne sarrête pas à laffirmation formelle de cette liberté de conscience des élèves. Il la précise en y ajoutant un élément nouveau, la liberté dexpression étendue aux croyances : " La liberté ainsi reconnue aux élèves comporte pour eux le droit dexprimer et de manifester leurs croyances religieuses à lintérieur des établissements scolaires... "
Mais le Conseil va plus loin et précise la portée de cette manifestation de croyances. Sattachant particulièrement à la question initialement posée, il donne une réponse de principe : " dans les établissements scolaires, le port par les élèves de signes par lesquels ils entendent manifester leur appartenance à une religion nest pas par lui-même incompatible avec le principe de laïcité, dans la mesure où il constitue lexercice de la liberté dexpression et de manifestations de croyances religieuses... "
Mais Jean-Claude WILLIAM nous montre cependant que, malgré une solide argumentation juridique, la position de la Haute Assemblée nest pas partagée par tous. En effet, pour certains, les textes visés par le Conseil d'Etat permettent, au contraire, d'aboutir à l'impossibilité de tolérer le port de signes religieux à l'école. C'est pourquoi l'auteur en arrive à cette conclusion : " En donnant un nouveau contenu à la notion de laïcité, le Conseil dEtat a donc fait preuve de réalisme, intégrant les nouvelles données, celles-ci étant prises en compte - telle est du moins sa conception - par le droit positif. "
Cependant, dans le soucis dencadrer cette large liberté, des limites vont être dégagées.
* Lexception : les limites à cette liberté
Comme il la fait pour le principe, le Conseil dEtat va, à chaque stade de son raisonnement, indiquer les limites des libertés quil proclame. En effet, aucune liberté ne peut être garantie si elle nest pas circonscrite dans certaines limites. Prenant acte de cet adage, le Conseil va lappliquer dans son avis.
Ainsi, lorsquil fait référence au droit pour les élèves dexprimer et de manifester leurs croyances religieuses à lintérieur des établissements scolaires, il précise que cette liberté doit être exercée " dans le respect du pluralisme et de la liberté dautrui, et sans quil soit porté atteinte aux activités denseignement, au contenu des programmes et à lobligation dassiduité. "
De plus, cet exercice peut aussi " être limité dans la mesure où il ferait obstacle à laccomplissement des missions dévolues par le législateur au service public de léducation " : donner une culture à lenfant, le préparer à la vie professionnelle, à devenir un citoyen responsable, développer sa personnalité, lui inculquer des valeurs...
Enfin, lorsquil en arrive au droit du port des signes religieux, le Conseil dEtat encadre aussi ce principe de liberté : " ...ne saurait permettre aux élèves darborer des signes dappartenance religieuse qui, par leur nature, par les conditions dans lesquelles ils seraient portés individuellement ou collectivement, ou par leur caractère ostentatoire ou revendicatif, constitueraient un acte de pression, de provocation, de prosélytisme ou de propagande, porteraient atteinte à la dignité ou à la liberté de lélève ou des autres membres de la communauté éducative, compromettraient leur santé ou leur sécurité, perturberaient le déroulement des activités denseignement et le rôle éducatif des enseignants, enfin troubleraient lordre dans létablissement ou le fonctionnement normal du service public. "
Le Conseil dEtat termine son avis par des considérations pratiques, rappelant que les directeurs décole et les chefs détablissements sont responsables de lordre dans leur établissement, et de leur bon fonctionnement. A ce titre, ils peuvent prendre des mesures temporaires de refus dadmission dun élève ou dun enseignant. Plus particulièrement et concernant les signes religieux, les élèves méconnaissant les conditions citées pourront se trouver soumis à une procédure disciplinaire.
Le contenu de lavis ayant été dégagé, il convient à présent de sintéresser à la conformité de la jurisprudence ultérieure à ces principes.
b) Une jurisprudence ultérieure confirmative
Très logiquement, fidèle aux principes évoqués plus haut, le Conseil dEtat, par sa jurisprudence, va tenter dunifier le droit sur ce point. Plusieurs arrêts vont y participer.
Le premier dentre-eux date du 2 novembre 1992. Il sagit de larrêt Kherouaa et autres dans lequel le Conseil va annuler une disposition du règlement intérieur dun établissement scolaire ainsi que les exclusions délèves prises sur son fondement. A ce titre, le Conseil dEtat va rappeler la lettre de son avis et ainsi le confirmer. Ce sera également le cas dans larrêt Yilmaz du 14 mars 1994 qui, une nouvelle fois, annule des dispositions à peu près équivalentes. Enfin, le dernier arrêt paru sur le port de signes religieux est larrêt Aoukili du 10 mars 1995. Le Conseil dEtat sera, là aussi, saisi dune demande dannulation dun règlement intérieur et dexclusions prises sur son fondement. Or, ce règlement se contentait de rappeler les principes tels quils ont été exprimés dans lavis du 27 novembre 1989. Dès lors, sa légalité est évidente pour le Conseil; néanmoins, la requête sera rejetée aux motifs que la décision dexclusion était basée sur les troubles provoqués dans la vie de létablissement auxquels sajoutaient des manifestations dintransigeance islamique de la part du père des élèves expulsées. Cest le 10 juillet 1995 que deux décisions du Conseil dEtat ont apporté une nouvelle touche à laffaire. Lune a rejeté la demande de sursis du ministre de lEducation nationale à lencontre du jugement du Tribunal Administratif de Strasbourg ayant annulé les arrêtés dun recteur. Ceux-ci confirmaient lexclusion définitive dune jeune fille voilée. Pour le Conseil, aucun moyen invoqué ne paraît sérieux et de nature à justifier le rejet des conclusions du Tribunal Administratif (contrairement aux propositions du commissaire du gouvernement M. SCHWARTZ). Lautre, a rejeté la demande dune association tendant à annuler la circulaire du 20 septembre 1994, mais nous y reviendrons plus loin.
Le fond de l'avis et ses prolongements jurisprudentiels ne doivent pas cependant nous faire négliger une avancée corrélative importante : l'élargissement de la recevabilité des recours.
2) Corrélativement : l'élargissement de la recevabilité des recours
Cette extension de la recevabilité des recours est le fait de la jurisprudence du Conseil d'Etat ainsi que de la Cour européenne des droits de l'homme.
a) La réduction des mesures d'ordre intérieur
C'est à travers la décision Kherouaa, déjà abordée, que d'aucuns ont pu remarquer un infléchissement substantiel de la jurisprudence en faveur d'un contrôle élargi des mesures d'ordre intérieur. Il s'agit de mesures exclusivement internes à l'administration, purement discrétionnaires et n'ayant aucun effet sur la situation juridique des intéressés. David KESSLER rappelle ainsi que sont regroupées en règle générale sous la catégorie de mesures d'ordre intérieur " les mesures de gestion interne qui portent sur le fonctionnement des services administratifs " et les " mesures de police interne qui peuvent être des sanctions prononcées par une autorité administrative envers des personnes dont elle est responsable ". Trois pôles traditionnels dapplication de mesures dordre intérieur doivent être dégagés : les décisions non "statutaires" internes aux armées, les décisions de l'administration pénitentiaire affectant les détenus et enfin, les établissements d'enseignement. Les décisions affectant la tenue des élèves constitueraient jusqu'à la décision Kherouaa des mesures d'ordre intérieur. Mais sur ce point, l'avis du Conseil d'Etat du 27 novembre 1989 et la décision Kherouaa ont modifié la jurisprudence. Si le juge faisait cependant porter son contrôle sur les décisions affectant la situation juridique des intéressés, notamment pour les décisions d'exclusion temporaire ou définitive, ainsi que sur les décisions affectant le droit des intéressés, la décision Kherouaa constitue une évolution notable, le juge ayant contrôlé le règlement intérieur d'un établissement d'enseignement et les décisions d'exclusion de trois jeunes filles prises en son application. Le troisième "considérant" énonce ainsi que " larticle 13 du règlement intérieur du collège Jean Jaurès de Montfermeil, dans la rédaction qui lui a été donnée par une décision du 30 novembre 1990, dispose que "le port de tout signe distinctif, vestimentaire ou autre, d'ordre religieux ou philosophique est strictement interdit"; que, par la généralité de ses termes, ledit article institue une interdiction générale et absolue en méconnaissance [...] notamment de la liberté d'expression reconnue aux élèves et garantie par les principes de neutralité et de laïcité de l'enseignement public. " Larticle 2 de la décision conclura ainsi à lannulation de larticle 13 du règlement intérieur. Le raisonnement est similaire dans laffaire Yilmaz dont nous pouvons reproduire le cinquième considérant : " Considérant que le Conseil dadministration du lycée polyvalent Joachim Du Bellay a, le 11 juin 1991, ajouté au titre II du règlement intérieur de cet établissement la disposition suivante : "Aucun élève ne sera admis en salle de cours, en étude ou au réfectoire la tête couverte"; qu'il ressort des pièces du dossier que, par cette modification, le Conseil d'administration a entendu également réglementer le port de signes distinctifs de caractère religieux; que cette disposition institue une interdiction permanente et dont le champ d'application recouvre la majeure partie des locaux scolaires; qu'ainsi et alors qu'il n'est pas établi que des circonstances particulières aient justifié une telle mesure, elle méconnaît [...] notamment la liberté d'expression reconnue aux élèves dans le cadre des principes de neutralité et de laïcité de l'enseignement public. "
La réduction des mesures dordre intérieur, dont la décision Kherouaa constitue une étape importante, est donc un des corrélatifs majeurs de lavis du
Conseil dEtat du 27/11/89. Un mouvement semble sêtre ainsi amorcé vers une extension de la recevabilité des recours; mais cette évolution est également palpable au niveau européen.
b) La liberté religieuse devant la Cour européenne des droits de l'homme
Il s'agit ici de montrer en quoi la Cour européenne peut être un facteur déterminant dans la reconnaissance d'une plus grande liberté religieuse et de ce fait, susciter les recours de particuliers contre des décisions moins libérales d'ordre interne. Pour cela, nous nous appuierons principalement sur un arrêt du 25 mai 1993 Kokkinais c/ Grèce, la Cour se prononçant pour la première fois sur la substance de la liberté garantie par l'article 9 de la Convention. Voici les faits : le 2 mars 1986, M. Kokkinakis et son épouse, tous deux témoins de Jéhovah, se rendent au domicile de Mme Kyriakaki avec laquelle ils engagent une discussion. Accusés d'infraction à l'article 4 de la loi de nécessité relative à la répression des actes de prosélytisme, M. Kokkinakis saisit la Commission européenne des droits de l'homme qui défère l'affaire à la Cour européenne des droits de l'homme. Larrêt rendu le 25 mai 1993 permet de dégager les éléments constitutifs de la liberté religieuse et de mieux cerner la nature de ce droit. Elle met ainsi en évidence l'importance que revêt la liberté de pensée, de conscience et de religion laquelle constitue " une des assises d'une société démocratique au sens de la Convention. " Elle précise que si la liberté religieuse " relève dabord du for intérieur ", elle implique en outre celle de manifester sa religion. Ainsi, la Cour affirme que " le témoignage, en paroles et en actes, se trouve lié à lexistence de convictions religieuses ". Cette liberté comporte donc en principe le droit dessayer de convaincre son prochain, par exemple au moyen dun enseignement, sans quoi du reste la liberté de changer de religion ou de conviction consacrée par larticle 9, risquerait de demeurer lettre morte. Aussi, le prosélytisme est-il une activité dont lexercice est protégé au titre de la liberté de manifester sa religion.
Il ressort de tout cela que la Cour établit quil existe un droit absolu à la liberté de manifester sa religion. Ceci amène Hélène SURREL à conclure à " une tendance à la valorisation de la liberté de religion dont témoigne, par exemple, le document de la réunion de Copenhague sur la dimension humaine de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe, et qui renforce la position de la doctrine selon laquelle le droit à la liberté religieuse est un droit intangible qui ne peut faire lobjet de dérogations bien que ne figurant pas parmi les droits de larticle 15, alinéa 7 de la Convention. " En conclusion, il semble donc que cet arrêt marque un encouragement déterminé en faveur dune plus grande liberté religieuse, toute personne se sentant insuffisamment protégée pouvant invoquer les principes dégagés par la Cour. Yann AGUILA, cependant, tempère ce propos en soulignant que la Cour ne censure pas la création dun délit de prosélytisme par la législation grecque ayant fondé la condamnation des époux Kokkinakis. Malgré tout, l'importance des principes énoncés ne doit pas nous échapper.
Les avancées jurisprudentielles que nous avons exposées révèlent donc un bouleversement de la notion de laïcité, principalement du fait de l'avis du Conseil d'Etat qui semble instituer le passage d'une laïcité-neutralité à une laïcité ouverte. Cette "doctrine" jurisprudentielle novatrice doit cependant se mesurer à l'épreuve des faits; c'est lors de cette étape que vont apparaître un certain nombre de lacunes.
B) Les lacunes de cette doctrine
Les solutions proposées dans l'avis du Conseil d'Etat, confrontées à leur traduction pratique, vont mettre à jour les lacunes de la doctrine. L'intérêt, pour nous, de cette étude, réside dans la démonstration du caractère insatisfaisant des principes énoncés par la Haute Juridiction de manière à faire ressortir ensuite la nécessité pour l'Education nationale d'élaborer sa propre doctrine. Dans ce cadre, il convient de souligner les problèmes suscités par les termes de l'avis du Conseil d'Etat, puis de mettre en évidence les prémices contestataires issus du corps de l'Education nationale.
1) Les problèmes suscités par les termes de l'avis du Conseil d'Etat
Deux types de problèmes semblent devoir être extraits de par la problématique annoncée; d'une part, il s'agit de s'intéresser aux questions rédactionnelles de l'avis, d'autre part de noter les difficultés d'application de celui-ci par les tribunaux administratifs.
a) Quant à sa rédaction
Selon l'avis du Conseil d'Etat, rappelons que l'école, en ce qui concerne les élèves, n'a pas à être un lieu absolument neutre où l'expression des croyances serait totalement bannie. Il convient toutefois que le port de signes d'appartenance religieuse ne se fasse pas de manière ostentatoire ou revendicatrice de telle sorte qu'ils constitueraient un acte de pression, de provocation, de prosélytisme ou de propagande et porteraient ainsi atteinte à la dignité ou à la liberté de l'élève ou d'autres membres de la communauté éducative. On trouve ici la difficulté inhérente à la formulation de toute règle juridique dès qu'elle quitte l'univers des normes pour prendre en compte le réel. Pour Jean RIVERO : " la règle ne peut régir les situations concrètes quen les regroupant sous des mots abstraits qui leur confèrent une unité sans rapport avec leur réalité et laissent nécessairement place, dans lapplication, à la subjectivité qui peut engendrer larbitraire. " En effet, les termes "ostentatoire", "revendicatif", "pression", "provocation" ou "prosélytisme" recouvrent un contenu difficile à cerner qui rend problématique la qualification des faits; la marge d'appréciation est large. Les foulards sur les cheveux sont-ils, par eux-mêmes, "ostentatoires" ? Quand un signe devient-il "revendicatif" et de quoi ? Quand constitue-t-il un acte de "pression", de "provocation" ? L'appréciation des "circonstances de temps et de lieu" peut seule trancher la question. Il en va de même des comportements qui accompagnent le port du signe. Par lui-même, il ne peut guère constituer un acte de prosélytisme si celui qui l'arbore ne tient pas des propos par lesquels il incite ses camarades à suivre son exemple, sa conviction ou sa foi. Mais où commence le prosélytisme ? Le témoignage silencieux doit-il être pris en compte ?
Les limites posées par la circulaire suscitent donc un grand nombre d'interrogations. Le flou de ces limites répond en fait à une volonté : adapter au mieux la règle aux circonstances locales. Certes, une inadéquation de la norme aux réalités semble être évitée par ce procédé, mais il convient d'en apprécier également les conséquences.
En fait, le problème parait simplement déplacé. Ce sont ceux qui seront chargés d'appliquer la règle qui seront confrontés à cette difficulté d'interprétation quant à la constatation des faits et leurs éventuelles sanctions; en loccurrence, il s'agit des responsables d'établissement. Mais nous nous attacherons pour l'instant aux disparités d'application de l'avis par les tribunaux administratifs.
b) Quant à son application par les tribunaux administratifs
Le manque d'unité dans la mise en oeuvre judiciaire des principes définis par le Conseil d'Etat va instaurer une certaine méfiance à l'égard de ceux-ci et encourager les attaques contre la viabilité des solutions proposées. De récentes affaires vont nous permettre d'illustrer les hésitations des juges administratifs du premier degré. Il s'agit de jugements du Tribunal Administratif de Lille rendus le 13 avril 1995 et de jugements du Tribunal Administratif de Clermont-Ferrand du 6 avril et du 18 mai 1995.
Examinant les recours de vingt-six jeunes musulmanes voilées issues de trois collèges, un lycée et une université, les magistrats de Lille ont rendus cinq jugements distincts. De la provocation au prosélytisme, du trouble de l'ordre public au simple port du foulard islamique, ils dressent un tableau complet de la question. Le tribunal s'est appuyé sur l'avis du Conseil d'Etat, dans chacune de ces décisions, il en reprend les termes mêmes. En conclusion, il estime que le port du foulard islamique ne peut à lui seul justifier une exclusion et qu'il n'y a pas lieu d'édicter "une interdiction générale et absolue". En d'autres termes, le foulard n'est pas "en soi" un signe ostentatoire.
Sur ce point, le tribunal de Clermont-Ferrand adopte une toute autre position. En effet, à travers son jugement du 6 avril 1995, tout en annulant lexclusion de la jeune Razieh pour défaut de concertation, le Tribunal de Clermont-Ferrand va employer sur le fond, une attitude dune sévérité inédite. Pour la première fois, les magistrats vont estimer que le foulard est " en soi " ostentatoire. Selon eux, il est " un signe didentification marquant lappartenance à une obédience religieuse extrémiste dorigine étrangère. " Cette obédience, poursuit le Tribunal, " se réclame dune orientation particulièrement intolérante, refuse aux personnes de sexe féminin légalité que leur reconnaissent les institutions démocratiques de la France, cherche à faire obstacle à lintégration des français et étrangers de confession musulmane à la culture française en sopposant au respect de la laïcité. " Un tel point de vue, ajoutent les magistrats, " ne saurait tenter de simposer par un prosélytisme en milieu scolaire. " Le Tribunal conclut donc que " le hidjab, ostensiblement porté par la jeune Razieh sur linsistance de ses parents, [...] ne saurait être regardé que comme un signe constituant [...] un élément de prosélytisme et de discrimination de nature à justifier une sanction en application du règlement intérieur de lécole, laquelle sanction ne pouvant être inférieure à la mesure conditionnelle de refus dadmission. " Jamais juridiction administrative n'était allée aussi loin. Plusieurs jugements étaient bien venus confirmer des exclusions de jeunes musulmanes voilées. Mais chaque fois, les juges avaient motivé leur décision par des absences en cours, des troubles à l'ordre public, des déclarations provocantes d'un dignitaire religieux local. Ici, le jugement de valeur est tout autre et rentre en contradiction totale avec l'avis du Conseil d'Etat. Comment expliquer ces errements du Tribunal Administratif de Clermont-Ferrand ? Toujours est-il qu'il semble vouloir persister dans cette voie puisqu'un deuxième jugement du 18 mai 1995 a confirmé cette argumentation.
Dans cette dernière affaire, celui-ci avait pour mission d'examiner la demande de M. et Mme NADERAN tendant à l'annulation, d'une part de la disposition du règlement intérieur du collège Albert Camus relative au port par les élèves de signes ostentatoires, d'autre part de la décision par laquelle le Recteur de l'Académie de Clermont-Ferrand a confirmé la mesure d'éviction temporaire conditionnelle prise à l'encontre de leur fille Ensieh par le Conseil de discipline du collège en question. Cette affaire va être de nouveau l'occasion pour les juges de qualifier d'ostentatoire "en soi" le voile. Voici quelques extraits significatifs du jugement : " Considérant, en premier lieu, que le hidjab est un vêtement voyant, très rarement porté en France, même par les musulmanes et nest pas répandu unanimement dans lensemble des pays où lIslam est la religion la plus pratiquée; que lorsquil est arboré en France du moins, il exprime la volonté affichée de manifester ladhésion à une conception fondamentaliste de la pratique religieuse qui nest pas toujours exempte de tout lien avec des préoccupations politiques extrémistes; quainsi le hidjab ne peut être regardé que comme un signe ostentatoire. " Si les magistrats, ici, sont peut-être un petit peu moins radicaux que dans la précédente affaire du 6 avril 1995, la position reste similaire.
A travers ces exemples qui témoignent du manque d'unité dans l'interprétation juridique de faits relatifs au port du foulard au regard des principes dégagés par le Conseil d'Etat dans son avis, il semble bien que la "doctrine" jurisprudentielle souffre de lacunes importantes lorsqu'il s'agit de la confronter à des situations concrètes. Mais c'est également la rencontre de cette doctrine avec l'échelon scolaire local qui va s'avérer déterminante.
2) L'Education nationale et les prémices contestataires
Un sentiment d'incompréhension va naître entre la jurisprudence et les responsables locaux de l'Education nationale, c'est à dire les chefs d'établissement, soutenus par une partie du personnel enseignant. C'est à ce niveau que va réellement se creuser un "fossé doctrinal" entre le corps éducatif et la juridiction administrative. Ceci nous permet déjà d'affirmer que c'est une poussée de la "base" qui conduira au renouvellement de la doctrine de l'Education nationale, réellement autonome puisque émancipée de la définition jurisprudentielle. Mais avant d'aller plus loin, étudions cette réaction de la communauté éducative.
a) Les responsables d'établissement et la jurisprudence du Conseil d'Etat
L'avis du Conseil d'Etat a conféré aux responsables d'établissement un pouvoir important dans l'évaluation de la conformité ou non à la laïcité du port de signes religieux. Il est ainsi développé qu'il " appartient aux autorités détentrices du pouvoir disciplinaire dapprécier [...] si le port par un élève, à lintérieur dun établissement scolaire public [...] dun signe dappartenance religieuse qui méconnaîtrait lune des conditions [...] du présent avis ou la réglementation intérieure de létablissement, constitue une faute de nature à justifier la mise en oeuvre de la procédure disciplinaire et lapplication, après respect des garanties instituées par cette procédure et des droits de la défense, de lune des sanctions prévues par les textes applicables, au nombre desquels peut figurer lexclusion de létablissement. "
On constate donc que la marge de manoeuvre laissée à chaque établissement est très large et d'aucuns ont pu redouter que les solutions seraient très différentes d'un établissement à l'autre selon la personnalité du principal ou du proviseur ou selon la sensibilité majoritaire au sein du Conseil d'administration. Certes, il est prévu que le règlement intérieur soit établi sur la base d'un règlement type élaboré dans chaque département par l'inspecteur d'Académie; cependant, les risques ne sont pas pour autant écartés de ce fait puisque d'une part peuvent se déclencher des affrontements dans les Conseils d'administration lors de l'élaboration des règlements et d'autre part les limitations prévues laissent tout de même aux responsables d'établissement une grande liberté dans l'élaboration des règles intérieures qui vont fixer les conditions d'application du principe de laïcité face au port de signes religieux. L'enjeu, ici, réside dans le principe d'égalité devant le service public qui risquerait de subir des entorses. Face à cette responsabilité, les chefs d'établissement vont parfois accuser le Conseil d'Etat de les mettre dans une position pour le moins délicate en leur laissant le soin de trancher au cas par cas, en fonction des considérations locales; sans doute auraient-ils préférés des principes plus stricts et précis, donc plus facilement applicables.
Par ailleurs, les chefs d'établissement vont parfois considérer ce "transfert de responsabilité" comme une "carte blanche". Cest ainsi que des exclusions de jeunes filles portant le voile vont être annulées par la juridiction administrative du fait dune transcription erronée des principes contenus dans lavis du Conseil dEtat. Une vague dincompréhension va ainsi se répandre chez les directeurs détablissement dont certains vont considérer quon leur tient un double langage en leur confiant dun côté une marge de manoeuvre assez large quant à lappréciation du principe de laïcité et leur retirant dun autre côté cette liberté à travers des sanctions judiciaires quils estiment blessantes et injustes du fait de leur connaissance du terrain et de la franchise dont ils croyaient pouvoir disposer. La méfiance à légard des tribunaux qui va ainsi sinstaurer transparaît, par exemple, dans les propos dYves BOTTIN, inspecteur dAcadémie : " Reste à souhaiter que les tribunaux ne déclarent pas illégales les rares décisions dexclusion prises dans des cas où toute forme de dialogue a été épuisée. "
Une autre affaire va provoquer un véritable tollé dans le monde de léducation à propos du repos le samedi pour les juifs. En effet, deux arrêts rendus le 14 avril par le Conseil dEtat vont être sujet à contestation.
Dans le premier arrêt Consistoire central des israélites de France et autre, les requérants estiment que le décret du 18 février 1991 relatif aux droits et obligations des élèves dans les établissements publics locaux d'enseignement du second degré est contraire dans son article 8 à la liberté religieuse en ce qu'il définit l'obligation d'assiduité sans prévoir la possibilité de bénéficier des autorisations d'absence nécessaires à l'exercice d'un culte et, notamment, au respect du commandement du repos le samedi. Les trois associations estantes agissent au nom d'un intérêt collectif, celui des israélites pratiquants et des adventistes du septième jour. Tout en rejetant la requête, comme le lui avait demandé Yann AGUILA, commissaire du gouvernement, la Haute Juridiction a refusé de suivre les conclusions de ce dernier, qui tendait à ériger en principe le refus des autorisations d'absence pour le Shabbat. M. AGUILA avait notamment justifié sa position par la crainte d'ouvrir la voie à des demandes d'autres religions et par le refus d'une " école à la carte où chacun, selon ses convictions, choisirait ses disciplines et ses horaires de présence. " Le Conseil dEtat récuse cette argumentation tout comme celle des requérants mais estime que lobligation dassiduité nempêche pas les élèves dobtenir des autorisations individuelles dabsence, à condition que celles-ci ne perturbent pas leur scolarité et ne troublent pas la vie de létablissement.
Dans le second arrêt, M. KOEN, le père de Yonathan Koen, un élève dont le dossier dinscription en classe préparatoire avait été refusé parce quil sabsentait systématiquement le samedi, demande lannulation de cette décision prise par le proviseur du lycée Masséna de Nice. Pour rejeter la demande, les magistrats vont poser les limites aux autorisations : " les contraintes inhérentes au travail des élèves en classe de mathématiques supérieurs, font obstacle à ce quune scolarité normale saccompagne dune dérogation systématique à lobligation de présence le samedi, dès lors que lemploi du temps comporte un nombre important de cours et contrôles de connaissances organisés le samedi matin. "
Il ressort de tout cela que les magistrats, en refusant de mettre leur veto aux autorisations dabsence, ont légalisés la démarche des proviseurs qui ferment les yeux sur des absences sabbatiques ou les autorisent. Cependant, cette décision suscite des interrogations. Reste, par exemple, à préciser les notions dabsences compatibles " avec laccomplissement des tâches inhérentes [aux] études et avec le respect de lordre public dans létablissement. " Ces arrêts ne disent pas si des absences systématiques le samedi sont acceptables dans des classes de collèges et lycées. Ils renvoient, en réalité, encore à lappréciation des chefs détablissement, nourrissant le malaise et lincertitude qui les gagnent. Nguyen VAN TUONG conclue ainsi : " les chefs détablissement doivent, en application de leurs règlements intérieurs, déterminer dans les cas concrets les limites à ne pas dépasser en matière dabsence sabbatique. Cette appréciation des limites requiert de la part des chefs détablissement beaucoup de bon sens et de doigté, surtout dans quelques uns de ces établissements où cohabitent plusieurs confessions différentes. "
Mais plus encore, une véritable faille dans le raisonnement du Conseil dEtat semble se faire jour. Certes ces décisions sur le Shabbat apparaissent inspirées par une analyse balancée, identique à celle qui a prévalu dans le contentieux du foulard islamique; mais pourtant, le Conseil dEtat naffirmait-il pas : " la liberté ainsi reconnue aux élèves comporte pour eux le droit dexprimer et de manifester leurs croyances religieuses à lintérieur des établissements scolaires, dans le respect du pluralisme et de la liberté dautrui, et sans quil soit porté atteinte aux activités denseignement, au contenu des programmes et lobligation dassiduité. " De même, larticle 10 de la loi du juillet 1989 dispose: " les obligations des élèves consistent dans laccomplissement des tâches inhérentes à leurs études; elles incluent lassiduité et le respect des règles de fonctionnement et de la vie collective des établissements. " Cette obligation dassiduité nest-elle pas une des limites fondamentales de la liberté de manifestation religieuse ? Nest-elle pas un corollaire de la laïcité ? Dès lors, concrètement, comment faire accepter aux jeunes musulmanes linterdiction du port du foulard islamique pour motifs dassiduité (absence en Education physique ou en biologie par exemple) lorsque parallèlement des dérogations à leurs présences peuvent être accordées à des juifs pratiquants pour des raisons également religieuses. Ceci inspire à un professeur du lycée Léon Blum de Créteil la réaction suivante : " Lorsque vous refusez aux musulmanes quelles portent le foulard, laisser les juifs manquer le samedi est dur à avaler. "
On comprend donc que les rapports entre les responsables détablissement et la juridiction administrative puissent parfois être tendus. Ces rapports contribueront en tout cas pour une part sensible à la réaction générale de lEducation nationale en faveur dune doctrine laïque indépendante.
b) De la perplexité à la réaction
Il sagit ici de traduire un sentiment, préalable à la redéfinition de la laïcité par lEducation nationale. Comme nous lavons constaté, une jurisprudence novatrice est venue bouleverser la conception traditionnelle de laïcité. Pour autant que cette évolution eut paru aux rédacteurs de lavis ainsi quà leurs nombreux partisans, indispensable au regard dune poussée sociétale forte en faveur dune liberté religieuse accrue, lEducation nationale, au coeur de laction, ne peut sen satisfaire. Eriger des principes, garantir des libertés fondamentales sont en soi des avancées dans le sens dune plus grande protection des droits de chacun; cependant, pour le monde de lEducation, les solutions proposées nont pas réellement résolu le fond du problème, à savoir que le principe de laïcité ne paraît pas conforté, bien au contraire. Ayant à lesprit que le corps éducatif, dans son ensemble, considère la laïcité comme une valeur symbolique, ancrée dans la mémoire collective, laffaire du foulard, en fait, a suscité une interrogation centrale : comment concilier la sauvegarde de lintégrité de la laïcité tout en lui permettant de sadapter aux phénomènes nouveaux ? Or, quelques années après les incidents de 1989, certains personnels de lEducation nationale, constatent, peut être avec excès, que dune part la redéfinition de la laïcité na ni eu pour conséquence la réduction des affaires de foulard ni permis de faciliter localement la circonscription des conflits, dautre part, en privilégiant la liberté religieuse sans en délimiter clairement les bornes, cest le principe même de laïcité qui pourrait être remis en cause. Certains voient aussi pointer le risque du communautarisme qui remettrait en question lordre établi. Jacques MINOT affirme par exemple : " les sociétés pluriéthniques, pluriculturelles et pluriconfessionnelles sont menacées et portent en elles le germe de leur propre mort. "
Dès lors, après une période d'observation alliée de mouvements contestataires, l'Education nationale va prendre position. Cette prise de position ne se traduira pas sous la forme d'une déclaration solennelle ou de dispositions juridiques claires; au contraire, c'est à travers une démarche empirique, souvent sans unité et parfois mêlée de contradictions que va se constituer petit à petit une doctrine originale. C'est l'étude des faits qui nous permettra de faire ressortir ce processus remarquable d'une doctrine censée succéder à la neutralité et distincte de la position jurisprudentielle; c'est pourquoi nous l'appellerons la doctrine renouvelée.
DEUXIEME PARTIE
LA DOCTRINE RENOUVELEE
Le renouvellement de la doctrine laïque de lEducation nationale ne peut sappréhender quà travers une interprétation factuelle. Un certain nombre de prises de position vont, petit à petit, révéler la nature de ce renouvellement et contribuer à la précision de son contenu. Cette étude va constituer en une démonstration inédite des conséquences du foulard islamique sur le monde de lEducation. Nous avions déjà remarqué que cette affaire mettait en jeu des valeurs et des intérêts distincts auxquels il faut probablement attribuer les prolongements doctrinaux qui nous intéressent, mais aussi le ferment des débats qui, six ans après, sont intarissables. Ainsi, le renouvellement de la doctrine sera confronté à ce choc des idées, reproduits au sein même de lEducation nationale de part la diversité qui la caractérise. Cependant, il sera possible de dégager quelques lignes force à même de témoigner de lavènement de cette doctrine. Notre raisonnement sillustrera ainsi par le constat dun renouvellement chaotique puis par le témoignage de léclosion de cette doctrine.
CHAPITRE PREMIER : UN CHEMINEMENT CHAOTIQUE
Il sagit ici de montrer que léclosion de la doctrine nouvelle sest forgée de manière empirique mêlant volonté et contradictions. Deux angles danalyse vont nous permettre de développer cette argumentation, tout dabord en mettant en évidence lévolution des ministres de lEducation nationale entre 1989 et 1995 quant à leurs approches des problèmes, ensuite en soulignant les prises de position parfois contradictoires des membres représentatifs du personnel de lEducation nationale sur la laïcité.
A) De la circulaire "Jospin" à la circulaire "Bayrou"
Sur un même thème : le port de signes religieux dans les écoles publiques, les ministres qui vont se succéder à la tête de l'Education nationale vont adopter une conduite différente au regard des affaires du foulard. C'est à travers leurs circulaires qu'une évolution va pouvoir être dégagée. Il s'agit donc de décrire les mutations doctrinales qui ont pu s'opérer entre la circulaire Jospin du 12 décembre 1989 et la circulaire Bayrou du 20 septembre 1994. Pour ce faire, nous nous attacherons à dépeindre la modification du contexte entre 1989 et 1994 pour ensuite faire ressortir les discussions qui sont nées de cette évolution.
1) Un nouveau contexte
Depuis 1989, la position du ministère sur les incidents de type "hidjab" a évolué de part un contexte différent. Entre la nécessité de répondre "à chaud" à des problèmes ou avec quelques années de recul, la marge de manoeuvre s'agrandit. L'intérêt pour nous de cette description consiste dans le fait que cette évolution du contexte permettra à l'Education nationale de se dégager peu à peu de la doctrine jurisprudentielle. Deux périodes peuvent donc être distinguées : l'ère du ralliement et l'ère de l'émancipation.
a) L'ère du ralliement
Le climat de tension qui prévalait au moment de l'affaire du foulard a rendu difficile l'arrêt d'une réponse appropriée par le ministre de l'Education. La circulaire du 12 décembre 1989 intitulée " Laïcité, port de signes religieux par les élèves et caractère obligatoire des enseignements " reprendra en grande partie les développements du Conseil dEtat que le ministre avait sollicité, dans son avis. Il fut ainsi reproché à M. Jospin son attitude hésitante qui préconisait le dialogue comme unique solution et son recours au Conseil dEtat apparut pour certains comme une porte de sortie. Des commentaires furent ainsi très sévères, comme celui dEtienne PION qui écrit quà loccasion de " lincident du foulard [...] Lionel Jospin semberlificota dans des consignes confuses, se déroba sur le fond en se déchargeant sur le Conseil dEtat du soin de préciser la loi. " Il est vrai quà la lecture du texte, une première remarque simpose : la circulaire se contente de retranscrire, parfois dans les mêmes termes, lavis de la Haute Assemblée. Cest cette constatation qui a fait dire à certains que le véritable auteur de la circulaire était le Conseil dEtat. Charles BONTEMPS parle de " paraphrase de lavis ". Et comme d'habitude, le spectre du fameux "gouvernement des juges" est réapparu.
Par ailleurs, il convient de remarquer la nature éminemment politique de la circulaire. Il est en effet possible de révéler plusieurs indices qui prouvent que ce texte intervient au coeur de la polémique : il fait référence aux événements qui l'ont provoqué, ce qui n'est pas la procédure habituelle et qui démontre l'existence de pressions contingentes ayant présidé à sa rédaction. En outre, la dimension politique du problème à régler apparaît évidente au vue de l'ampleur des débats. Enfin, une part de calcul politique apparaît aussi lorsque le ministre, par ailleurs soupçonné d'avoir bradé la laïcité et laissé tomber les enseignants, rassure ces derniers et affirme plusieurs fois son attachement aux valeurs laïques.
L'examen comparatif entre la circulaire et l'avis tend à démontrer deux extensions de la part du ministre : tout d'abord, on observe une assimilation des signes religieux aux signes politiques, ensuite un développement d'instructions concernant les obligations des enseignants non seulement dans leur enseignement mais aussi dans leur comportement. Mais voyons plus précisément la contenu de cette circulaire :
Ce texte a pour objet avoué d'éclairer les membres de la communauté éducative sur des difficultés d'interprétation du droit. Il va donc reprendre l'état de la réglementation actuelle et applicable telle que présentée par le Conseil d'Etat. Il va de même répondre aux trois questions qui étaient déjà posées aux membres du Palais Royal, et auxquelles ils avaient répondu le 27 novembre 1989. Qu'apporte donc la circulaire ?
Elle apporte des codes de conduite précis en cas de conflit à propos du port des signes religieux. Le premier réside dans l'insistance à privilégier le dialogue aux conflits ouverts, d'utiliser les capacités de conviction et de disponibilité afin " qu'il soit renoncé au port de ces signes ". Ce point de la circulaire n'avait absolument pas été abordé par l'avis du Conseil. Ensuite, après avoir repris le principe élaboré le 27 novembre, le ministre en développe les éléments et revient sur la procédure en cas de conflit. Il privilégie la persuasion à la contrainte, mais envisage cependant longuement les procédures à suivre en cas d'échec du dialogue. Enfin, dans les titres II et III de la circulaire, deux thèmes sont respectivement et largement abordés : le caractère obligatoire des enseignements et les obligations de laïcité des enseignants. Pour le premier thème, le ministre insiste sur le caractère absolu de cette obligation et développe les procédures de sanction pour les contrevenants. Pour le second, le caractère absolu des obligations de laïcité des enseignants permet " le respect de la liberté de conscience des élèves " mais " n'interdit l'étude d'aucuns savoirs ".
Résumons donc : la circulaire reprend les principes énoncés par l'avis du Conseil d'Etat, notamment que " le port de signes religieux par les élèves n'est pas par lui-même incompatible avec le principe de laïcité ". Les limites au principe sont les mêmes que celles du Conseil : caractère ostentatoire, prosélytisme, discrimination, non assistance aux cours... Les principes laïques y sont aussi rappelés et les procédures en cas de conflit y ont une place importante. Cependant, une ultime remarque s'impose : globalement, à la lecture des deux textes (avis et circulaire), le premier privilégie indiscutablement la liberté d'expression, la laïcité étant une limite; le second, lui, appuie un peu plus sur ce qui tend à réduire le port de ces signes.
Après cet exposé du contenu de la circulaire, marquant l'ère du ralliement à la doctrine jurisprudentielle, il convient d'aborder ce que nous appellerons l'ère de l'émancipation.
b) L'ère de l'émancipation
Cest l'arrivée de François Bayrou au poste de ministre de lEducation qui va concorder avec les prémices dune doctrine renouvelée. Pourtant, à lautomne 1993, six mois après son arrivée, celui-ci sexprima sur le port de signes religieux de manière assez peu novatrice. En effet, dans une circulaire datée du 23 octobre 1993, le ministre se borne à confirmer la circulaire Jospin de 1989.
Mais, lannée scolaire 1993-94 va marquer le réveil des "affaires" et la rentrée 1994 a paru propice à M. Bayrou pour mettre au point un texte ayant pour vocation de circonscrire définitivement ces problèmes. Il faut pourtant remarquer qu'entre 1989 et fin 1994, le nombre des recours est resté faible,
cela ne voulant pas dire que des incidents ne se sont pas produits; ce serait plutôt le signe que les chefs d'établissement, bien qu'efficaces, souffrent des efforts qu'ils doivent déployer pour résoudre localement les affaires et éviter qu'elles ne prennent de l'ampleur. Nous pouvons donc affirmer sans risque que l'intervention ministérielle, à travers une circulaire du 20 septembre 1994, serait la réponse à une pression interne du système éducatif : celle de chefs d'établissement demandant des instructions claires, qui ne leurs auraient pas été données antérieurement. Cet appel à la clarification des consignes a pu ainsi prendre la forme d'un refus par un lycée de modifier son règlement intérieur et de réclamer une loi "univoque" applicable sur tout le territoire de la République. Claude DURAND-PRINBORGNE dégage une autre vision de l'intervention ministérielle : " Cette attitude nouvelle, faite de rigueur, serait lexpression dune solidarité avec la politique du ministre de lIntérieur ou dun alignement sur celle-ci ou dune allégeance à celle-ci ou dun dépassement de celle-ci ".
En ce qui concerne le contenu même de la circulaire du 20 septembre 1994, il se présente comme ayant pour objectif, au delà de l'affirmation de vouloir donner des instructions claires, ce qui relève de la politique de gestion du système éducatif, de provoquer une saisine des Conseils d'administration des établissements pour modifier les règlements intérieurs en y insérant un article simplement formulé en proposition.
Si la circulaire s'inscrit dans la continuité au niveau des choix fondamentaux de la conception du rôle de l'école (priorité de l'accès au savoir, volonté redite de non-exclusion, recherche de la médiation, volonté de convaincre et non de contraindre, absence de conception répressive), ce sont ces innovations qui vont plus particulièrement nous arrêter. La première est la référence faite dès le début du texte aux manifestations spectaculaires d'appartenance communautaire opposées aux appartenances religieuses, qui repose l'idée d'unité de la Nation. La seconde innovation est l'affirmation qu'il est " des signes si ostentatoires que leurs significations est précisément de séparer certains élèves des règles de vie commune de l'école " et que " ces signes sont, en eux mêmes, des éléments de prosélytisme ". Il ny aurait donc plus à apprécier lusage du signe, lintention de pression, de propagande, de provocation, de prosélytisme, comme le posait lavis du Conseil dEtat. Claude DURAND-PRINBORGNE nous éclaire sur lapport de cette disposition : " la circulaire de décembre 1989 était permissive, elle posait dabord de principe de liberté pour formuler ensuite lexception au principe; ce qui aurait porté atteinte à la liberté des autres, ce qui aurait été violation de la neutralité, ce qui aurait méconnu les obligations scolaires. Elle posait alors les limites, les interdits. La circulaire de septembre 1994 pose, pour ce qui sera défini comme signe ostentatoire, linterdiction dabord; elle ouvre ensuite lespace de liberté en le restreignant aux "signes plus discrets". Contrairement à de premières expressions ici ou là, le pouvoir dappréciation des chefs détablissement ne disparaît pas : il est déplacé. Il ne porte plus sur la signification individuelle ou collective du port pour le qualifier éventuellement dacte de pression, de provocation, de propagande, de prosélytisme, il porte sur la distinction entre lostentatoire et le discret ". Dores et déjà, nous pouvons conclure que cette circulaire est une étape fondamentale dans léclosion dune doctrine laïque originale, du fait de la distance quelle prend tant au niveau du texte que de lesprit avec la circulaire Jospin qui recouvrait les termes de lavis.
Par ailleurs, la proposition de procéder à linsertion dans les règlements intérieurs dun article publié au Bulletin Officiel est une facilité qui ne peut quêtre appréciée des établissements. Elle a, en outre, lavantage déviter que, commise souvent de bonne foi, des maladresses rédactionnelles ne tombent sous la censure du juge. De surcroît, il faut noter que la circulaire est applicable aux classes et établissements privés sous contrat dassociation. La solution découle de lobligation légale faite par la loi Debré du 31 décembre 1959 aux établissements de ne pas écarter délèves en fonction de critères discriminatoires.
En conclusion, la date du 20 septembre 1994 est à marquer dune pierre blanche dans le long processus qui va conduire à renouveler la doctrine de lEducation nationale. Dailleurs, la circulaire fut bien accueillie au début dans le monde de lEducation. Cest ainsi que dans les milieux parentaux et syndicaux, des approbations ont été explicites avec les seules réserves de maintien du dialogue et de poursuite de lobjectif déviter lexclusion des élèves.
Mais, comme nous lannoncions en début de partie, le renouvellement de la doctrine va être chaotique et lévolution que constitue la circulaire Bayrou ne va pas échapper à la discussion, au sein même de lEducation nationale.
2) Une évolution discutée
Linterdiction des signes ostentatoires à lécole par François Bayrou, si elle sinscrit dans une perspective émancipatrice, va susciter des interrogations et parfois les mécontentements dentités physiques ou morales alors même que certaines dentre-elles lavaient réclamée. Ce paradoxe peut être mis en lumière à deux niveaux : en droit et en fait.
a) En droit
En droit, la principale interrogation porte sur la validité de la circulaire Bayrou. Marceau LONG, vice-président du Conseil dEtat en 1994, émet ainsi ses réserves sur la position développée par le ministre de lEducation nationale. Selon lui, " il est à craindre que des interdictions trop générales finissent par être aveugles. Le Conseil dEtat entend faire prévaloir la protection des libertés ". M. LONG souligne ici la distorsion quil existe entre deux manières daborder les problèmes posés par le port de signes religieux : la protection des libertés prônée par le Conseil dEtat, et la prohibition vers laquelle lEducation nationale semblerait pencher. Cette distorsion pourrait à terme, remettre en cause judiciairement les directives du ministre de lEducation. De surcroît, cette circulaire pour autant quelle interprète de façon restrictive les principes rappelés par le Conseil dEtat, ne doit pas créer de droit. M. LONG poursuit ainsi : " Une circulaire ne peut ni créer, ni retirer des droits,. Cest un acte par lequel un ministre explique à son administration le mode demploi dune loi ou dun décret mais en laissant une marge dappréciation. Plus de dix mille circulaires sont prises chaque année; si un tel texte pose une règle ferme, nous sommes obligés de lannuler car il est alors du domaine de la loi ou du décret, et dépasse la compétence dun simple ministre. Cest précisément là quexiste une ambiguïté. Si linterdiction des signes ostentatoires est une règle de droit, ce nest pas une circulaire qui pouvait lédicter. Si elle laisse aux chefs détablissement lappréciation de ce qui est ostentatoire, cest bien ce que peut faire une circulaire. " A ce titre, le vice-président de la Haute Assemblée anticipe quelque peu sur une éventuelle intervention du Conseil dEtat sur la validité de la circulaire par ces mots : " La circulaire a été habilement rédigée : en évoquant des signes ostentatoires sans définir cette notion, elle renvoie au problème de fond à savoir les circonstances dans lesquelles tel signe est porté et qui reste à régler. " En effet, dans un arrêt du Conseil dEtat du 10 juillet 1995, celui-ci a été amené, par la requête de lassociation Un Sysiphe, à se prononcer sur la validité de la circulaire de 1994. Par un considérant assez bref, il rejette les prétentions des requérants : " Considérant que par sa circulaire du 20 septembre 1994, le ministre de lEducation nationale sest borné, après avoir donné son interprétation du principe de laïcité, à demander aux chefs détablissement destinataires de ladite circulaire de proposer au Conseil dadministration de leur établissement une modification des règlements intérieurs conforme à cette interprétation; quune telle instruction ne contient par elle même, aucune disposition directement opposable aux administrés susceptible dêtre discutée par la voie du recours pour excès de pouvoir; que les conclusions de la requête sont dès lors irrecevables ".
Les problèmes de droit ayant été examinés, attachons-nous maintenant aux problèmes de fait.
b) En fait
En fait, la circulaire ne va pas atteindre au début son objectif, de part son caractère discriminatoire pour certains et les subtilités de son application. Pour Jean BAUBEROT, il ne fait aucun doute que, " sans être nommément désigné, seul le foulard est visé sous lexpression des signes ostentatoires ". Une polémique va donc naître au sujet dune discrimination à lencontre de la religion musulmane. Cest dailleurs sur cet argument que la Ligue des droits de lhomme va condamner cette circulaire. Dans un communiqué du 1er décembre 1994, elle estime que celle-ci " a désigné, de fait, au nom de lidéal laïque et national, une confession particulière comme source de tous les problèmes alors que dautres manifestations religieuses sont tolérées au sein des établissements scolaires, dès lors quelles ne ressortent pas de lIslam ". Cette question centrale de limpartialité de lEtat trouve ainsi maintes illustrations. Sur la question de savoir si la Kippa sapparenterait au foulard à travers son caractère éventuellement ostentatoire, le premier ministre de lépoque, Edouard Balladur, a tenu à rassurer les responsables des institutions juives en rejetant cette interprétation; de même, une semaine après la réception par les proviseurs de la circulaire du 20 septembre 1994, une lettre du ministre de lEducation nationale leur a été adressée dans laquelle était préconisé plus de tolérance vis à vis des élèves de confession israélite quant à lapplication des principes de laïcité. Tout ceci va créer un malaise qui, bien que révélateur a priori dune relative partialité, ne va pourtant pas constituer le coeur des critiques. Encore une fois, ce sont les acteurs locaux qui vont se manifester. En effet, les responsables des établissements ainsi que les enseignants qui avaient réclamé la rédaction dune circulaire posant des règles claires vont être déçus par celle de M. Bayrou. Cest toujours le flou des termes, et plus particulièrement autour du concept de " signes ostentatoires " qui est mis en cause. Le foulard est-il en lui même un signe ostentatoire ? La réponse nest pas dans la circulaire et les propos de certains responsables politiques ayant acquiescés à cette interrogation exposent les chefs détablissement à une éventuelle censure du juge administratif pour ceux qui occulteraient les principes libéraux dégagés par le Conseil dEtat. Il revient donc aux proviseurs et principaux dapprécier les circonstances des manifestations religieuses pour prendre les mesures disciplinaires adéquates; le travail de ceux-ci nest donc pas vraiment simplifié.
Malgré les objections que nous avons révélés, la circulaire Bayrou jouera un rôle fondamental dans lémergence dune doctrine laïque renouvelée de lEducation nationale. A côté de celle-ci, syndicats et enseignants contribueront également à cet objectif. Cependant des prises de position parfois contradictoires, participeront dun renouvellement chaotique de cette doctrine.
B) Des prises de position parfois contradictoires
Au sein de lEducation nationale, les réactions quant à lattitude à adopter en présence de port de signes religieux vont révéler une certaine diversité. Si la tendance générale se caractérise par la recherche dune alternative à la position jurisprudentielle, les contradictions ne manquent pas lorsquon dévoile les sentiments de chacun. Il en va ainsi des mouvements syndicaux et du personnel enseignant. Cependant, ceux-ci ont toujours été partie prenante de lenracinement et du contenu de la laïcité dans lécole; de fait, il paraît incontournable détudier plus avant ce rôle quils jouent dans léclosion dune doctrine revisitée.
1) Le rôle des syndicats
Le syndicalisme dans le monde de lEducation, a toujours eu, historiquement, une place importante dans les débats touchant les problèmes scolaires. Bien que participant du mouvement général de déclin du syndicalisme, les organisations du secteur scolaire conservent malgré tout un taux dadhésion bien plus élevé que la moyenne nationale, soit approximativement 30 % du personnel. Dans cette perspective, le poids des syndicats dans lélaboration dune doctrine de lEducation nationale nest pas contestable et mérite un recensement des forces en présence précédemment à un examen détaillé des idées exposées.
a) Les acteurs en présence
Il sagit ici de faire état des principaux syndicats ayant une action significative en matière de laïcité. A ce titre, il apparaît nécessaire dentamer ce recensement avec la Fédération de lEducation Nationale (FEN) qui sest illustrée depuis toujours pour son attachement aux valeurs laïques.
Après la scission de la CGT de 1947 et la création de la CGT-Force Ouvrière, la FEN choisit, en 1948, de passer à lautonomie pour préserver son unité; ceci ne l'empêchera pas de jouer un rôle important dans les événements et les évolutions qui vont marquer la société française. En 1991, pour son congrès de Clermont-Ferrand, la FEN ouvre une réflexion sur lavenir du syndicalisme. Ce congrès conclut à la nécessité dune évolution importante de la FEN. Il vote le principe dun congrès extraordinaire pour modifier les statuts fédéraux. Pour sopposer au déroulement des opérations prévues par le congrès, le SNES et le courant Unité et Action organisent autour deux les opposants. Ces comportements dissidents aboutissent au conflit ouvert. A lissue dun Conseil Fédéral national en mai 1992, confirmé par le congrès de Créteil en octobre 1992, les deux principaux syndicats dirigés par la tendance Unité et Action (SNES et SNEP) sont reconnus comme nétant plus affiliés à la FEN. De cette scission se créée la Fédération Syndicale Unitaire (FSU) qui regroupe plusieurs syndicats dont principalement le SNES (80.000 adhérents), le SNEP, le SNETAA, le SNUIPP et totalise 160.000 adhérents en 1995.
La FEN avec ses 140.000 adhérents, bien que disposant de lantériorité, sort symboliquement affaiblie de cette séparation. En effet, les élections professionnelles suivantes vont marquer larrivée en force de la FSU dans le paysage syndicaliste scolaire puisquelle va devenir majoritaire au sein des enseignants du second degré. Sur les personnels non enseignants, la FEN conserve malgré tout une majorité confortable, de même sur les principaux, proviseurs et membres du premier degré.
A côté de ces deux fédérations, le SGEN-CFDT a voix au chapitre avec ses 25.000 adhérents; enfin, le SNALC et la FAEN bénéficient dune influence moindre.
Dun point de vue politique, la FEN se rattache à la gauche mais se veut indépendante; la FSU, proche de la CGT, trouve ses sympathisants dans lextrême gauche; le SGEN-CFDT est plus diversifié et apparaît un peu plus indépendant tandis que le SNALC se rallierait politiquement plus à la droite. Ces considérations politiques mêlées à l'hétérogénéité des personnels représentés par ces syndicats sont une donnée importante quant à lexamen des idées en présence qui va suivre.
b) Les idées en présence
Afin danalyser lapport des différents syndicats en matière de laïcité dans la perspective dun renouvellement de la doctrine de lEducation nationale, nous étudierons successivement les positions respectives des organisations les plus représentatives.
* Le point de vue de la FEN
Dès 1951, avec le Comité National dAction Laïque (CNAL), la FEN mène la lutte pour la défense du service public dEducation et contre les lois Marie et Barangé qui accordent des subventions publiques aux écoles privées. En 1960, la FEN et le CNAL lancent une vaste campagne de pétition contre la loi Debré; en 1984, elle soutient activement le projet du gouvernement socialiste dun service public de lécole unifiée. Ces exemples montrent que la FEN sest toujours projetée en première ligne des combats pour une laïcité plutôt stricte. Ses statuts, modifiés par les congrès de Perpignan (4 décembre 1992) et de Tours (7 au 11 février 1994) inscrivent dailleurs la laïcité au primat de sa constitution; larticle 1 énonce ainsi : " La fédération de lEducation nationale est une fédération autonome, laïque, constituée par des syndicats autonomes. "
Laffaire du foulard islamique va être loccasion pour la FEN daffirmer clairement ses idéaux et contribuer ainsi au renouvellement de la doctrine de lEducation nationale. Profondément hostile au cléricalisme, la FEN revendique la nationalisation de lenseignement : " Les écoles catholiques préparent des individus à enfreindre les lois au nom de leur conscience. Nous devons demander leur fermeture. Toutes, elles ont un objectif commun, mettre en péril la démocratie. " C'est également à travers cette approche que sera perçue l'affaire du foulard : " Laffaire [...] est loccasion pour les hiérarchies confessionnelles de redéployer sous couvert de laïcité ouverte, leur stratégie cléricale de réinvestissement du champ des institutions et tout particulièrement de lécole publique . " Tout naturellement, le port de signes religieux dans les établissements scolaires est rejeté : " Cette neutralité active quest la laïcité de lécole crée le devoir de nafficher aucune conviction de manière arrogante et ostentatoire, parce quil faut organiser pour chaque élève laccès à toutes les connaissances, développer chez lui lesprit critique. " Il est bien évidemment entendu dans ces propos que la foulard est en lui-même ostentatoire et arrogant. C'est pourquoi la FEN, par l'intermédiaire de son secrétaire général Guy LE NEOUANNIC, va mener campagne contre l'avis du Conseil d'Etat qui sera qualifié de " texte on ne peut plus jésuite ". La liberté de manifester ses convictions religieuses à l'école est ainsi récusée au profit d'autres principes : " Lavis du Conseil dEtat sest appuyé principalement sur cette seule notion du droit qui garantit la liberté dexpression et donc de manifester ses croyances religieuses. Ce faisant, il a méconnu un autre principe tout aussi fondamental, celui de légalité et notamment celui de l'égalité entre les hommes et les femmes. " Dès lors, le foulard, symbole de ce sexisme, serait incompatible avec la notion de laïcité : " Comment résoudre le paradoxe dun avis qui prétend, dans lécole publique dont lune des missions est lémancipation, défendre le port du voile au nom de la liberté alors quil sagit par essence même dun symbole d'aliénation et dasservissement. " Mais, le principe dassiduité est également mis en avant : " Il apparaît plus clairement à tous les démocrates que les exigences sur les questions des contenus de léducation, sur lobligation absolue pour les élèves de suivre les cours, ne peuvent être négociables. "
Ainsi, dès 1989, la FEN va s'opposer au port du foulard dans les écoles publiques et donc s'inscrire en faux contre l'avis du Conseil d'Etat. De part ses convictions tranchées, cette fédération va contribuer à la remise en cause de la doctrine jurisprudentielle, en proposant une alternative moins consensuelle au port de signes religieux. Mais la scission de la FEN en 1992 va faire émerger un courant peut être un peu moins déterminé.
* Le point de vue de la FSU
D'ores et déjà, il faut souligner que la FSU est moins "fédéraliste" que la FEN dans le sens où cette dernière tente d'adopter une ligne homogène et unitaire, notamment en matière de laïcité, alors que la FSU est organisée en tendances et laisse plus de place à la discussion voire la dissension.
Pour la FSU, la FEN confond le combat laïque avec le combat anticlérical, ce qui engendre une conception trop réductrice : " Il ne faudrait pas oublier les catholiques qui sont favorables à lécole publique. " Ce refus de positions trop tranchées est visible également à propos de laffaire du foulard. Certes, il est mis en avant les lacunes de lavis du Conseil dEtat où la symbolique négative du foulard; cependant des divergences existent entre les différents syndicats composant la FSU. Par exemple, en ce qui concerne lattitude à avoir envers une jeune musulmane qui refuserait denlever son voile, le SNETAA et Autrement estiment que les règles de la laïcité doivent finalement simposer. Pour le SNES, le SNUIPP, Ecole émancipée et Unité et Action, " faire respecter la laïcité et promouvoir lintégration est un processus qui demande temps et patience. Elle se doit déviter tout rejet ou exclusion a priori; avec tous les risques dexacerbation du sentiment communautaire qui peuvent en résulter. " De même, il est tout à fait révélateur de constater quune rubrique du journal du SNES portant le nom " EXPRESSIONS ", fasse office régulièrement de tribune libre sur la laïcité et dans laquelle des adhérents du même syndicat livrent leurs opinions sur ce sujet, montrant ainsi labsence de positions arrêtées. Cest sans doute pour cette raison que la FSU tente desquiver ses divergences en envisageant la laïcité un peu plus sous langle du financement des écoles privées, comme en témoigne la manifestation du 16 janvier 1994 à Paris, dont elle a été une des inspiratrices. Cette manifestation a dailleurs eu comme prolongement la création du " carrefour laïque " réunissant lensemble des organisations syndicales, dans le but de promouvoir et de défendre la laïcité.
* Le point de vue du SGEN-CFDT
Tout dabord, la laïcité est contenue dans les statuts du SGEN : " La laïcité doit permettre doffrir à tous une formation critique; celle-ci sappuie sur une démarche scientifique impliquant la liberté totale de recherche et de pensée, dans le respect de chacun, sans considération de classe, de sexe, de nationalité, de conviction. Elle exclut tout dogmatisme, toute doctrine dEtat, de parti ou de confession. ". Pour le SGEN, " Le respect des différences ne peut aboutir à faire de lécole un terrain denjeux religieux, daffrontements partisans et de prosélytisme " Le " non " au hidjab est prononcé car il serait le symbole de la soumission de la femme, la preuve dune pression indirecte sur les jeunes filles musulmanes, le signe de ralliement des fondamentalistes et le révélateur dune pénétration de la sphère religieuse dans lécole publique. Le SGEN est donc résolument opposé au port du foulard de part la symbolique quil véhicule : " Céder sur ce sujet reviendrait à abandonner celles et ceux qui luttent contre lintégrisme. "
* Le cas de la FCPE
Avec ses 600.000 familles adhérentes et 208.000 délégués dans les conseils décole et détablissement, la FCPE tient une place privilégiée dans le concert des organisations laïques touchant le monde scolaire et bénéficie, autant que les syndicats, dune certaine autorité pour tous les problèmes déducation. Le but de la FCPE est de " propager et défendre lidéal laïc, promouvoir un service national public déducation, gratuit, respectueux de toutes les familles de pensées et soucieux dapporter à chacun des élèves lépanouissement de sa personnalité et les meilleures chances dinsertion sociale. " La laïcité apparaît donc comme une caractéristique principale des actions de la FCPE. Face à laffaire du foulard, la position adoptée va être celle de la tolérance afin déviter lexclusion à tout prix. Ainsi, le port de signes religieux ne doit pas être interdit sil ny a pas de perturbation. Selon le Président de la FCPE, " Pourquoi lécole devrait-elle être un sanctuaire dans lequel la laïcité serait plus ultra que dans la société en général ? " La FCPE adopte donc une position un peu plus libérale, sans doute en raison de ses activités parascolaires qui lui donnent une approche plus globale des problèmes.
De manière générale, cependant, les différents points de vue que nous venons de détailler mettent en évidence un rejet des principes posés par le Conseil dEtat. Mais nous pouvons également constater que dun syndicat à lautre, les opinions divergent, parfois au sein dune même fédération. Mais ces contradictions dans les prises de position sont encore plus manifestes dans le corps enseignant.
2) Lopinion du corps enseignant
Lopinion du corps enseignant est difficile à cerner en dehors des positions développées par les syndicats, en raison des convictions personnelles de chacun qui rentrent en première ligne sur un sujet comme la laïcité, ainsi que de la situation géographique de létablissement dans lequel on enseigne. Partant de ce constat, une étude de terrain paraissait la plus apte à dégager le point de vue général des professeurs de lycées et collèges pour la replacer ensuite dans un contexte global.
a) Aspects généraux et présentation du questionnaire
Lopinion du corps enseignant est primordiale quant aux affaires de port de signes religieux car les professeurs sont bien souvent les premiers témoins de ces manifestations et leurs attitudes conditionnent en grande partie la réussite ou non dun règlement par la dissuasion. En outre, ils bénéficient plus que les proviseurs, soumis à un lien hiérarchique plus direct, dune liberté dexpression qui leur permet de faire état de leurs sentiments sur ce sujet et éventuellement de faire pression pour orienter les décisions dans une direction quils auront considéré souhaitable. Dans la perspective dune éclosion dune doctrine de lEducation nationale renouvelée, le corps enseignant joue donc un rôle phare, mais dans la mesure où une convergence de vue au sein de ce corps puisse être mise en évidence. Cest le rôle du questionnaire réalisé à cet effet et dont la diffusion quantitative doit permettre dintroduire des conclusions. Il a été distribué en 80 exemplaires au lycée polyvalent Barthélémy de Laffemas à Valence. Il sagit dun lycée regroupant des filières générales et techniques et dont le bassin de recrutement recouvre autant les communes rurales de lEst de Valence que les quartiers dits sensibles du chef lieu. De plus, avec ses 2.600 élèves, cest un des plus gros établissements de la Drôme. Ces caractéristiques justifient le choix de ce lycée comme terrain de lenquête. Sur les 80 questionnaires remis, 60 ont été rendus, ce qui témoigne a priori dun intérêt pour le thème et qui ne rend que plus crédible les enseignements que nous pourront en tirer.
Quant au contenu, il sagit dun ensemble de 18 questions tendant à embrasser les différents aspects et enjeux que revêtent les problèmes touchant la laïcité actuelle. Mais, cest à travers lanalyse des réponses que la pertinence des questions pourra être éventuellement soulevée quant à la mise en évidence dune véritable opinion du corps enseignant.
b) Lanalyse des réponses
La première question posée porte sur la définition que les personnes sondées donne à la laïcité. Pour certains, cest " un principe philosophique de vie en société ", pour dautres, cest " lindépendance totale vis à vis de toute religion ". Ce serait également " une tolérance réciproque " ou " lécole ouverte à tous sans discrimination religieuse ou autre " ou encore " le refus de tout parti pris religieux ". Les citations pourraient être multipliées; elles témoignent en tout cas de la difficulté de définir la laïcité. Elles témoignent aussi dune vision " scolaire " de la notion puisquil nest jamais fait référence à la laïcité de lEtat.
Après cette entrée en matière générale, le questionnaire rentre dans le vif des problèmes en posant la question centrale nous intéressant : " Le foulard islamique est-il contraire au principe de laïcité ? ". 60 % des enseignants acquiescent tandis que 20 % sont sans opinion; donc seulement 20 % estiment que le voile nest pas contraire au principe. Ceux qui trouvent incompatible foulard et laïcité justifient leur position ainsi : " Cest une tenue vestimentaire trop voyante qui marque une différence avec les autres élèves ", " cela implique un statut inégalitaire de la femme ", " cest afficher une religion musulmane de caractère extrémiste ", " le foulard représente une atteinte à la liberté ", " les rites religieux non rien à faire avec lenseignement de la raison ", " au titre de lanonymat, tous les élèves doivent être égaux devant lenseignant ".
La question suivante interroge les professeurs sur lattitude quils observeraient si une jeune fille portait le foulard en classe. 30 % adopteraient une position de rejet et 50 % opteraient pour la dissuasion; 80 % des enseignants interrogés auraient donc une attitude tendant à faire ôter le foulard à la jeune fille alors que 20 % seulement le tolérerait. A ce titre, un professeur nous fait part de son expérience puisquil a vécu une telle situation qui a abouti au retrait du foulard par la jeune fille au troisième trimestre. Deux autres professeurs se sont trouvés dans le même cas, mais il sagissait de classes de BTS et la tolérance a primé.
Le premier enseignement que nous pouvons tirer de ce questionnaire, cest une attitude majoritaire de rejet du foulard bien que les raisons de ce rejet soit diverses; il semble ainsi que le jugement soit affaire personnelle; dailleurs 85 % des professeurs ne connaissent pas la position du règlement intérieur du lycée. Cela dit, le bannissement des manifestations religieuses dépasse le simple fait du foulard puisque 60 % des personnes considèrent que la pénétration de toute manifestation cultuelle dans lenceinte des établissements est intolérable.
Les enseignants sont ensuite sollicités pour donner leur avis sur la position du Conseil dEtat. 70 % dentre eux considèrent ainsi que le principe de liberté dexpression religieuse à lécole ne les satisfait pas et que cela peut être la porte ouverte à tous les abus. Ainsi, 60 % des professeurs estiment que les limites posées par le Conseil dEtat à la liberté dexpression ne sont pas suffisantes. Et si le même pourcentage tient pour " flou " le terme ostentatoire, 75 % jugent que le voile islamique est en lui même ostentatoire; pour un individu, " il est voyant, il différencie nettement les filles, il témoigne dune certaine condition féminine, à mes yeux il est ostentatoire. " Le point de vue général des enseignants interrogés semble donc contraire aux principes dégagés par le Conseil dEtat, et à ce titre 75 % indiquent quau delà des limites posées par la Haute Juridiction, dautres réserves à lautorisation du port du foulard existent tels que légalité des sexes ou lobjectif dintégration des musulmans. Cette dichotomie des référents trouve également son illustration dans le fait que 50 % des professeurs pensent quen appliquant une règle générale, les tribunaux ne prennent pas suffisamment en compte la réalité du terrain. En ce qui concerne la possibilité daccorder des autorisations dabsence pour le shabbat, la communauté enseignante ne semble pas être plus complaisante quavec les foulards puisque 70 % y sont opposés. Cependant, 30 % ni voient pas dinconvénients comme ce professeur : " car le port du foulard islamique nest pas quun symbole religieux, il est aussi un symbole légal, social, dopposition aux lois républicaines puisquil est signe de soumission à Dieu et à son livre ". Il ny aurait donc pas de traitement de défaveur à légard du foulard, ce qui explique que 60 % pensent que la religion musulmane ne subit pas de discrimination particulière; mais lavis reste cependant partagé. 95 % des sondés sont contre la facilitation de louverture détablissements privés musulmans; faut-il y voir un rejet de lIslam ou lattachement aux valeurs intégratrices de lécole ?
Quant à la question finale qui tend à montrer un décalage entre deux conceptions de la laïcité, 65 % pensent que lEducation nationale campe sur une position moins libérale de la laïcité que le Conseil dEtat. Un professeur illustre ainsi ce point de vue : " Je pense que lEducation nationale a raison de camper sur ses positions si cela permet de faire prendre conscience aux familles musulmanes que lintégration des jeunes filles passe par une acceptation sans condition du règlement des écoles, notamment sur lassiduité ".
Ce petit questionnaire, dont la prétention est seulement de mettre en évidence le point de vue général des professeurs, est cependant riche en enseignements qui pourront ensuite être exploités. Tous les éléments recueillis jusquà présent concourent tous dune même évolution : le renouvellement de la doctrine de lEducation nationale en regard de la position du Conseil dEtat. Et même si les acteurs de ce renouvellement se distinguent parfois par leurs contradictions, léclosion dune doctrine corporatiste originale nous apparaît.
CHAPITRE SECOND :
VERS LECLOSION DUNE DOCTRINE CORPORATISTE ORIGINALE
Après avoir détaillé le contexte puis le fondement dune réaction de lEducation nationale, il nous est apparu quelques signes révélateurs dune construction théorique singulière en matière de laïcité. Quil sagisse des prises de position ministérielles, des sentiments des hommes de terrain ou des organisations représentatives, tout amène à penser que léclosion dune doctrine corporatiste originale, latente jusquà présent, puisse être mise à jour, à la lumière dune interprétation factuelle des éléments découverts. Afin dappréhender la réalité de ce processus dont nous avons disséqué la genèse, il convient den extraire les caractéristiques principales avant de puiser les témoignages de cet avènement au moyen dune interprétation sélective.
A) Les caractéristiques de cette doctrine
Le renouvellement de la doctrine est remarquable en plusieurs points. Afin de mieux les mettre en évidence, il sagit de saisir dans ce renouvellement les éléments novateurs. Nous nous attacherons donc dans un premier temps aux modifications de la nature de la doctrine pour ensuite en dégager les lignes directrices.
1) Un changement de nature
Si le renouvellement de la doctrine nous semble de plus en plus évident, il faut noter que si le contenu évolue, son caractère aussi. La doctrine de lEducation nationale, jusquà laffaire des foulards, recouvrait la notion de neutralité. En ce sens, elle reposait sur tout un dispositif de textes juridiques qui en fondait lexistence. Aujourdhui, il nest plus question de cela puisquau contraire, lEducation nationale tente de prendre ses distances avec les principes de la jurisprudence administrative, et notamment sa plus Haute Assemblée. De ce fait, cest toute la construction juridique du Conseil dEtat qui est remise en cause. Aux valeurs juridiques, lEducation nationale oppose des valeurs culturelles, sociales, historiques. Cest à ce niveau que la problématique dune éventuelle redéfinition de la laïcité trouve tout son sens. En effet, à la lumière du renouvellement de la doctrine, cest une redéfinition qui nous est proposée. Plus que jamais, la question du contenu de la laïcité est au coeur du débat. A ce titre, lEducation nationale avance une acception de la laïcité vue sous un angle corporatiste. Cette vision scolaire du concept contribue ainsi à le détacher des principes de droit, de manière à ce quil puisse répondre aux problèmes plus spécifiques posés au monde de lEducation. Nous retrouvons ici la conception instrumentaliste de la laïcité chargée de circonscrire les attaques de la religion envers lécole publique. Laffaire du foulard invalidant la capacité de la neutralité à défendre lintégrité du principe de laïcité, il sagissait donc pour lEducation nationale de trouver un substitut, et partant, dinstituer une doctrine originale. Ce substitut se devait de rassembler la " corporation éducative " autour de valeurs fédératrices, à même de constituer une alternative crédible à la neutralité. A partir de ce moment, la laïcité séloigne a priori de ses fondements premiers pour, en fait, ne jamais les oublier. Les nouvelles valeurs mises en avant sont donc par exemple, et en réaction directe avec le foulard, légalité des sexes, ou lobjectif de socialisation par lécole que nous analyserons en détail un peu plus loin. Ce nest donc pas réellement le retour à une conception " traditionnelle " de la laïcité comme certains ont pu laffirmer. Ce caractère engagé voire virulent des tenants de la notion peut en effet rappeler lesprit qui régnait notamment au moment de la rédaction des lois scolaires et jusquà 1905; en ce sens nous serions en présence dun regain laïciste. Cette appréciation est difficilement contestable au regard des éléments que nous avons mis en évidence. Mais ce laïcisme contemporain se distingue par son contenu qui arbore dautres référents et ainsi bouscule ou plus modérément fait évoluer le concept de laïcité.
Quant au changement de nature de la doctrine de lEducation nationale, il faut également souligner une mutation au niveau de la représentation. La doctrine antérieure à laffaire des voiles présentait la particularité dêtre défendue et confortée par de grandes organisations. Il sagit ici principalement des syndicats et surtout de la FEN. Nous avons déjà témoigné du poids dont bénéficiait cette fédération, notamment dans les années 60 à 80 et avant que nintervienne lépisode de la scission en 1993. Une organisation aussi puissante avait lavantage de créer une certaine unité, en particulier doctrinale. En matière de laïcité, elle permettait de garantir à la neutralité son assise en milieu scolaire. Aujourdhui, la doctrine renouvelée ne jouit pas dun porte-parole qui dispenserait son contenu et linstallerait plus à lavant sur la scène des idées. Au contraire, et cest la justification de notre démarche, cette doctrine prend corps dans le magma des convictions; elle constitue un point de rencontre, catalyseur de lopinion du corps éducatif. Nous avons en effet, pu remarquer par exemple au niveau des syndicats que les positions variaient sur la laïcité; il en est de même pour le corps enseignant qui plus encore paraît difficile à cerner en raison du marquage des individualités. Il nest donc pas question, ici, de doctrine fabriquée ou codifiée mais dune manière dinterpréter les positions et les faits afin den extraire une trame cohérente en proposant donc une relecture des données auxquelles nous sommes confrontés. Il paraît donc intéressant maintenant daller un peu plus en profondeur dans lexamen des lignes directrices que nous découvriront et qui nous révéleront la véracité de léclosion de la doctrine corporatiste originale.
2) Les lignes directrices
La doctrine renouvelée prend donc racine sur de nouveaux principes ou plutôt sur des principes reconnus depuis longtemps mais devenus centraux. Ceux-ci se sont construits en réaction avec la jurisprudence pour une raison simple : en interprétant la symbolique de telle ou telle manifestation du culte pour en tirer une solution juridique, un tribunal fait par la même occasion, acte dingérence dans les consciences individuelles. Or aucun tribunal ne peut porter atteinte à cette liberté de conscience. Cest ce que David KESSLER, maître des requêtes au Conseil dEtat nous dit à propos des rapports entre la condition de la femme et le foulard islamique : " En revanche, pour savoir si le port par une femme dun foulard est un signe dabaissement, il faut passer par une interprétation de la symbolique religieuse qui est attentatoire à la liberté de conscience. " Cest donc à ce niveau que le décalage existe ; la doctrine renouvelée se fonde sur une interprétation symbolique alors que la jurisprudence se refuse - en partie - à de telles qualifications. Doù lopposition entre deux laïcités. Dès lors, si le Conseil dEtat se refuse toujours à cette ingérence dans une religion pour une interprétation de celle-ci, il devra alors, si laffaire remonte jusquà lui, annuler le jugement du 18 mai 1995 du Tribunal Administratif de Clermont-Ferrand. Il est en effet nécessaire de simmiscer dans la religion musulmane et de faire acte dherméneutique pour pouvoir dire que le hidjab est en soi ostentatoire. Mais si un tel jugement nest pas sanctionné par le Conseil dEtat, alors cela traduira indubitablement sinon un revirement, du moins une inflexion dans sa jurisprudence. Mais, en létat actuel du droit, une telle évolution semble peu probable. Si cependant elle devait se réaliser, la doctrine nouvelle de lEducation nationale aura certainement dans ce cas une influence déterminante. Nous avons déjà remarqué que le principe dégalité constituait un point dachoppement entre droit jurisprudentiel et milieu scolaire; si on se place en effet sous langle interprétatif, le constat simpose que le foulard nest porté que par des femmes et de ce fait revêt un caractère discriminatoire. Cela veut-il dire pour autant quune inégalité de sexes en découle ? Tout dépend en effet du consentement ou non de la gent féminine à arborer le voile; ce qui ne peut être apprécié a priori. Il semble ainsi que dans certains pays fortement religieux où le respect de la tradition est patent, le port du foulard nest pas vraiment ressenti comme une discrimination mais sassimile à la coutume, comme par exemple pour le sari indien. Le problème, cest que se greffe par dessus les phénomènes intolérants et intégristes des pays musulmans et que lamalgame nous rend ainsi une vision parcellaire de la réalité. Le caractère inégalitaire que revêtirait le foulard serait donc affaire de pure interprétation, en relation avec nos référents sociaux, politiques et historiques. LEducation nationale opterait ainsi pour une démarche symbolique qui, sur ce strict plan, nest pas contestable. Dautant que le port du voile en France pose des interrogations différentes. Alors que dans certains pays, être vêtue dun hidjab appartient à la normalité, en France, on entre dans le domaine de lexception; doù les questions de propagande et de prosélytisme qui sont posées. En outre, il apparaîtrait que les jeunes filles musulmanes qui décideraient de se couvrir dun foulard subissent quelques fois la pression de leur entourage familial ou des représentants dun Islam intransigeant. Dans ce cas de figure, la notion de discrimination trouve réellement sa place en raison de la contrainte.
Il ressort de tout cela quune appréciation basée sur la symbolique a permis à lEducation nationale dériger en limite au port du foulard légalité des sexes; du moins à partir des éléments que nous avons avancés. La circulaire de M. Bayrou du 20 septembre 1994 naffirme-t-elle pas : " A la porte de lécole doivent sarrêter toutes les discriminations quelles soient de sexe, de culture ou de religion. "
A côté du principe dégalité, la doctrine de lEducation nationale fait également sienne la vocation intégrative de lécole pour lopposer au hidjab. Ainsi, lécole républicaine serait par excellence, pour M. Bayrou, toujours dans sa dernière circulaire, " le lien déducation et dintégration où tous les enfants et tous les jeunes se retrouvent, apprennent à vivre ensemble et à se respecter. " Une atteinte portée aux missions de cette école représente ainsi une mise en danger de la République qui, " depuis lorigine a transmis ses valeurs à lécole. " De même, dans une intervention dans la presse, le ministre de lEducation évoque ce thème : " ...notre choix de société impose la séparation entre la foi et la loi, le choix de la République est, en outre, de ne pas laisser la France se constituer en communautés séparées. " La communautarisation serait donc lautre écueil qui justifierait la prohibition de certaines manifestations religieuses. La socialisation par lécole est en effet une idée récurrente dans le monde scolaire et lobjectif unitaire passe bien entendu par lintégration des immigrés, notamment musulmans. Si cet impératif se ressent plus ou moins selon limplantation des établissements denseignement, il est des zones où cette mission passe au premier plan. Dans certaines banlieues au bord de lexplosion, avec de fortes concentrations identitaires et ethniques, lécole demeure alors le seul lien de socialisation. Dans celles-ci, lintégration passe forcement par le gommage des appartenances si lon veut conserver la neutralité des enceintes scolaires. Au final, la doctrine de lEducation nationale intègre cette approche pour délimiter les modalités de la laïcité. Là encore, il est difficile pour le juge de prendre en compte une telle donnée car elle résulte de circonstances factuelles et ne permet pas de se baser juridiquement sur le rapport au foulard.
Ce petit exposé nous a permis de constater que certains principes, intégrés à la notion de laïcité, permettent de donner un contenu à la doctrine de lEducation nationale. A ce niveau, un décalage de référentiels nous est apparu et que décrit pertinemment Olivier CALENDRE : " Dune certaine manière, le Conseil dEtat ne se base que sur le droit, alors que M. Bayrou veut affirmer et faire saffirmer une vision de lidéal républicain, peut être indépendamment du droit : unité, démocratie, non communautarisation, respect de la personne, acceptation de la démarche rationnelle... ".
Mais, après cet examen théorique de la doctrine, il convient à présent de rechercher dans les faits les témoignages tangibles de lavènement de celle-ci.
B) Les témoignages de cet avènement
Nous appréhendons maintenant un peu mieux le contenu que semble recouvrir la notion renouvelée de doctrine de lEducation nationale. Mais, après cette étude, il convient de relater les illustrations concrètes de cette doctrine qui témoignent de sa mise en pratique réelle. Nous allons donc nous attacher dans un premier temps à lexamen des faits qui corroborent notre thèse, puis dans un deuxième temps souligner les questions qui demeurent en suspens quant à lavènement décrit.
1) Lexamen des faits
Les prises de positions ministérielles dont nous avons déjà fait écho sont un premier témoignage dune hostilité au port du foulard dans les établissements scolaires car cest bien la conséquence majeure que nous tirons de lavènement de cette doctrine. Si les voiles ne sont pas expressément désignés dans la circulaire du 20 septembre 1994, nous avons précédemment argué que cest à ceux-ci que pensait le ministre. Ses interventions dans la presse ne laissent planer aucune incertitude sur ce point. En l'occurrence, il ne sagit ni plus ni moins que dune incitation à linterdiction, bien que la formulation subtile de la circulaire permette desquiver le censure juridique. Les proviseurs dans leur ensemble avaient dailleurs répondu favorablement à la position du ministre même si en fait, les suites judiciaires leur opposaient une doctrine différente. Face à cela, les nombreuses exclusions prononcées par les chefs détablissement (et une partie seulement font lobjet dun recours) semble indiquer quils nont pas intégré les préceptes jurisprudentiels. On semble donc sen tenir à une acception stricte de la laïcité résolument hostile au voile islamique, au nom des principes dégagés plus haut. Un bras de fer sengage donc entre Education nationale et juridiction administrative dont lissue reste incertaine à ce jour. Il est en effet inconcevable que deux conceptions de la laïcité cohabitent ainsi sans quune des deux parties ne rallie lautre. Que vaut une règle juridique si, en pratique, elle ne trouve aucune application. Et ce nest pas le flou de cette règle qui peut la servir. LEducation nationale semble donc avoir les moyens de faire triompher sa doctrine face à celle du Conseil dEtat pour plusieurs raisons. Tout dabord, les tribunaux administratifs contrôlent les décisions des chefs détablissement certes, mais encore faut-il que celles-ci lui soient déférées. En fait, cest lEducation nationale seule qui règle les problèmes; et dans la grande majorité des cas, les affaires se résolvent par le dialogue. Or, quelles sont les issues de ce dialogue ? Très rarement lacceptation par la communauté éducative du port du foulard par les jeunes filles. Au contraire, lobjectif premier pour les personnels qui engagent la discussion avec les jeunes musulmanes, cest bien daboutir au seul résultat qui satisfasse les exigences de la conception corporatiste de la laïcité : lenlèvement du voile. Et lorsque 80 % des enseignants interrogés à loccasion du questionnaire pré-analysé, soutiennent quen présence dune élève voilée ils opteraient pour une attitude de rejet ou de dissuasion, on comprend bien que la liberté de manifestation religieuse nest pas à lordre du jour. Combien de musulmanes portent le hidjab dans les écoles françaises ? Voilà une liberté publique bien mal protégée. En effet, le recours juridictionnel ne joue que très imparfaitement son rôle de protection des particuliers du fait de la lenteur qui caractérise le règlement des affaires. Or, en cette matière, le temps est lennemi des élèves qui ne peuvent demeurer longtemps exclues du système éducatif (dans le cas de renvoi délèves des établissements) sans mettre en péril leur avenir personnel et professionnel. De fait, ôter le foulard reste pour beaucoup la seule issue. Par ailleurs, les limites posées par le Conseil dEtat au port de signes religieux semblent jouer en faveur de la finalité de la doctrine de lEducation nationale. Lordre public est en effet une conséquence pouvant justifier linterdiction du port du foulard, or lagitation que provoque en général de telles manifestations, sans que cela soit toujours imputable aux jeunes musulmanes elles-mêmes mais bien plutôt aux réactions virulentes des opposants au voile, permet a priori dinvoquer relativement facilement lordre public pour justifier une prohibition.
Cet examen des faits, qui nous a permis de faire prévaloir un certain nombre de conséquences de la diffusion dune doctrine de lEducation nationale recomposée, laisse tout de même en suspens quelques interrogations.
2) Les questions en suspens
Lincertitude réside naturellement dans lavenir de la laïcité face à la doctrine. De lopposition des conceptions, nest-ce pas la laïcité qui risque den souffrir ? Pour les membres de lEducation nationale dans leur ensemble, cest au contraire la position de fermeté vis à vis du port du voile qui a permis de préserver la notion. Pourtant, il faut savoir en assumer les conséquences.
En premier lieu, il convient de ninstaurer aucun régime de faveur à légard de certaines religions et créer ainsi un principe qui fonctionnerait de manière discriminatoire, ce qui rendrait peu crédible les appels à légalité sur laquelle on appuie son argumentation. Or de telles pratiques subsistent à ce jour, bien quil ne faille pas senfermer dans une réduction par trop manichéenne. Jacques Le GOFF, cependant nous alerte : " Faut-il donc linterdire ? En principe oui. Mais il faut alors accepter den tirer toutes les conséquences générales : interdire le port de la croix aux chrétiens, de la Kippa aux juifs. "
En deuxième lieu, pour Charles BONTEMS, " la laïcité à la française, cest à dire une laïcité exclusive de toute manifestation religieuse, présuppose la mise en place détablissements religieux en dehors de lappareil dEtat. De tels établissements existent au profit des catholiques, des protestants et des israélites, ils fonctionnent même, bien souvent, grâce à des subventions publiques. Or, il ny a rien de semblable pour les musulmans, à lexception du Cours privé Montesquieu (Val de Marne) et de lécole musulmane de Saint-Denis de la Réunion, et seule cette dernière bénéficie dune subvention dEtat. " Pourtant, nest-ce pas la contrepartie logique du " choix laïque " que de placer sur un pied dégalité les établissements musulmans avec les autres établissements confessionnels. Cest également le sens de la pensée de Dalil BOUBAKER : " Dans un souci dordre, il faudrait que les personnes qui ne peuvent pas intégrer lécole laïque puissent fréquenter des établissements spécialisés, où elles pourraient porter le foulard en étant à laise. Exactement comme il y a des écoles pour les catholiques, les protestants ou les juifs. [...] Nous avons de très nombreux projets décoles, mais pas les moyens financiers pour les construire. [...] Les musulmans sont des citoyens français qui paient leurs impôts et qui aspirent à vivre en France, mais pourquoi certains nauraient-ils pas leurs écoles ? " En substance, la réponse de M. Bayrou sappuie sur les conditions douverture de telles écoles et a eu loccasion à maintes reprises de rappeler quil ne lui semblait pas que la création décoles coraniques puisse satisfaire aux exigences de la laïcité, ce qui fait dire à Jean-Michel DUMAY que " cohabiterait dorénavant, avec lenseignement public laïque, un enseignement catholique et ...laïque. " Ce propos a ainsi nourri le sentiment de discrimination que pouvait ressentir la communauté musulmane. Pourtant, la seule exigence laïque réside dans louverture des établissements privés à tous les enfants sans distinction dorigine, dopinion ou de croyances dans le respect total de la liberté de conscience.
En troisième lieu, nous pouvons conclure notre étude sur une réflexion touchant à la position de lIslam dans notre société. " LIslam de France " est-il, au regard des conclusions que nous avons tirées, une perspective viable ? A cette question centrale, la réponse à apporter ne peut être que relative : oui, lIslam peut exister en République, à condition quil accepte la laïcité et les règles qui sont les nôtres. Cest le propos de François Bayrou devant lAssemblée Nationale le 12 octobre 1994 : " Devons-nous imaginer que lIslam doit trouver sa place dans la République comme le ministre dEtat, le ministre de lintérieur, la dit à la Mosquée de Lyon ? Evidemment, notre réponse est oui. Un Islam ouvert à la laïcité, un Islam qui accepte et respecte les lois qui sont les nôtres est un Islam qui a sa place en France. ".
CONCLUSION
Le long cheminement qui nous a permis de témoigner de l'éclosion d'une doctrine corporatiste originale, illustre l'ambivalence de la notion de laïcité. Tantôt principe d'intransigeance à l'égard de toute sujétion religieuse et tantôt précepte d'ouverture et de liberté, la laïcité se conjugue avec la contemporanéité au travers de la dimension sociale.
Du laïcisme du XIXème siècle à la neutralité du XXème siècle, le concept se situe au lieu d'achoppement des forces. Chargé d'établir l'équilibre, il demeure fragile dans son contenu tandis que le contenant se renforce.
Appliquée au domaine scolaire, la laïcité doit être vue sous un jour particulier car l'école, lieu collectif de socialisation, se trouve entre l'espace public et l'espace privé. Quel est le point d'équilibre entre une nécessaire cohésion par homogénéisation qui assure l'identité du "collectif-école", lieu d'expression public, et la reconnaissance des individualités et des singularités qui relèvent davantage de l'espace privé ? Dans quelle mesure la laïcité peut-elle régir cette bipolarisation ?
Le concept étant né de cette exigence, c'est, en fait d'équilibre, plutôt la domination d'un système de pensée sur un autre qu'elle a favorisé. Mais, les référentiels de valeurs évoluent, et tendent à reconsidérer constamment la place et le rôle de la laïcité. Dès lors, la préservation de la notion est un combat perpétuel, auquel s'engagent les intéressés au système, sans forcément prendre en compte cette mutabilité.
L'affaire du foulard islamique est remarquable dans le sens où elle a entraîné un chaos réorganisateur où chacun tente de défendre sa position. L'Education nationale, de part sa conception instrumentaliste de la laïcité a pu ainsi faire prévaloir sa doctrine en l'opposant à celle du Conseil d'Etat. Mais, l'issue de cette dichotomie étant incertaine, elle relance l'opportunité d'une alternative à la laïcité qui la viderait de sa substance. Mais, finalement, le fond, dans cette matière, ne peut s'envisager que de manière relative; la laïcité, plus que jamais, sera évolutive ou ne sera pas.
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