Partie 1
- Violence et sens de lécole
La violence en milieu scolaire : évolutions récentes
Un phénomène en extension
Dans les 3 dimensions de la violence, délits, incivilités et sentiment
de violence,la situation sest durcie :
dune part, par le développement de violences dirigées
vers les enseignants, dans la salle de classe (agressions verbales
ou physiques rarement le fait déléments extérieurs (obsolescence
du modèle de lécole assiégée de lextérieure) où la relation
pédagogique est mise en cause, jusquà la possibilité même denseigner,
dautre part les actes de délinquances ont changé de nature,
souvent en groupes, plus violents, plus durs à vivre pour les victimes.
Il faut aussi ajouter que la situation est plus préoccupante dans
les collèges, moins proches des habitants que les écoles primaires.
Une sociologie de la violence scolaire : massification et post
modernité
Une dérégulation de la situation pédagogique, liée à
lapparition de nouveaux publics, dabord issus des classes
moyennes, attendant beaucoup de la réussite scolaire pour leur mobilité
sociale, puis ceux des classes sociales moins favorisées, qui ont
ainsi acquis la conscience de linégalité fondamentale du marché
scolaire. Du chahut traditionnel au chahut « anomique »
(se dit dune société où les normes se désintègrent) La
démocratisation du recrutement scolaire ne correspond donc pas nécessairement
à une véritable démocratisation de lécole. Le chahut anomique
nest donc que le signe dune évolution continue de lécole
républicaine vers la perte de sens. Pour les auteurs marxisants, lécole
est lieu dune lutte semblable à celle du monde du travail, entre
2 classes antagonistes. Chahut et conduites dévitement sont
hissés au rang de vertus prolétariennes. La violence serait alors
résistance aux normes dominantes, édictées par la bourgeoisie. Selon
Crubellier (1979), lécole a contribué a casser la richesse culturelle
des milieux juvéniles, dans lesquels affrontements initiatiques et
oppositions de groupes étaient la base socialisante des sociétés anciennes.
La violence populaire était une manière de se socialiser. Elle est
vue ici comme une réaction à la violence de lécole reproductrice
de la division sociale (idéologie romantique)
Selon Bourdieu, la violence juvénile nest quun masque
posé sur les rapports de domination
Une violence fantasmée ? Ce nouvel objet dinquiétude nest il pas un avatar dangereux
de lexploitation du sentiment dinsécurité qui devient
un des thèmes essentiel du discours politique et médiatique marqué
par la montée du FN ? La violence du passé atteignait en France
une intensité beaucoup plus élevé que dans lécole de notre siècle[2].
Doù la tentation de considérer la violence scolaire comme objet
illégitime de recherche dans les années 80.
Un souci pour les victimes : à trop relativiser limportance
quantitative de la violence, on court le risque denfermer les
victimes dans leur culpabilité et leur silence. Si tous les chercheurs
saccordent sur les violences en termes de code pénal, le débat
est plus vif sur les violences quotidiennes, les incivilités (terme
américain, cf. broken windows), facteurs explicatifs essentiel du
climat des établissements.
Types de violence. Les intrusions sont en majorité les fait délèves
de létablissement et elles sont rares ! autre violence,
avec la notion de School bullying (Olweus, 1993), de brimades répétées
à lécole dont la gravité dépend de leur répétition. Ces violences
répétées sont de 3 types selon Dubet. Elles peuvent être proprement
scolaire, liées à la massification et aux nouveaux publics :
une école qui se massifie est une école qui met à jour les inégalités,
violence réponse donc à lincivisme inégalitaire du marché scolaire
et urbain. Seconde dimension de la violence scolaire, lentrée
de conduites délinquantes dans les écoles, mais rarement le fait dinconnus
(rôle du quartier, de la bande). Troisième type de violence, les violences
antiscolaires, une réponse au mépris. Les conduites antiscolaires
manifestent la résistance à limage négative que peut renvoyer
lécole à certains élèves. Le mépris social est ressenti très
fortement au niveau de lorientation qui brise les rêves des
élèves. Cette désorientation est un des éléments du sentiment dinsécurité
ressenti par les élèves qui est vif dans une classe qui subit de plein
fouet tous les effets de la déstabilisation liée au chômage structurel
et à la précarité. Le ressentiment contre les élites intellectuelles
représentées par les professeurs est un ressentiment contre des promesses
mal tenues. Le développement des attitudes antiscolaires est une construction
réactive de lidentité, une tentative didentification culturelle
dans la crise de sens liée à la massification, au chômage. Lincivilité
scolaire est la preuve de la désorganisation du monde scolaire ;
la massification et la prolongation des études dans un contexte de
chômage des jeunes sont des causes de cette crise de sens. Lincivilité
serait alors une réaction face à lincapacité de lécole
de tenir ses promesses dinsertion. Mais foin de romantisme révolutionnaire,
la violence sexerce sur des proches, les plus démunis, parfois
les alliés. Leffondrement de lidéologie du progrès est
effondrement du socle identitaire sur lequel lécole masquait
naguère des pratiques de reproduction sociale sans doute plus forte
quactuellement.
Partie 2 -
crispations identitaires
Retour sur lincivilité : concept de criminologie américaine
attirant lattention sur limportance que revêtent dans
la construction de la délinquance les petites atteintes à la sécurité.
Mais il ne faut pas confondre toute remise en cause de lordre
avec une sorte de prédélinquance. La « haine » nest
souvent dun amour déçu pour une école qui ne peut tenir les
promesses égalitaires dinsertion : lincivilité
nest pas lincivisme. La violence scolaire apparaît bien
plus répondre au repli forcé sur le quartier de personnes socialement
stigmatisées
Nous et eux : le risque dethnicité Danger
du développement dattitudes racistes au sujet de la violence
à l école (cf. noyautage FN conseil de parents, CA détablissements,
etc.
) Sentiment dêtre méprisé et de chute sociale pour
une fraction des enseignants Les enfants de limmigration et
les enfants étrangers réussissent mieux à niveau socio-économique
identique, du fait dune surmobilisation familiale et individuelle
qui permet des réussites. Le phénomène du racket semble lié à la construction
ethnique ; les rackettés désignent leurs agresseurs par une identité
ethnique :français, gitans, arabes, noirs, etc.
Vers le tout répressif ? Laxisme/sévérité des enseignants ?
La doctrine officielle est donc depuis longtemps à lévitement
des punitions infamantes, des châtiments corporels et des peines décourageantes
(pensums, devoirs collectifs) Lenfant est devenu une valeur
fondamentale (cf. Dolto, La cause des enfants). Le mode scolaire de
socialisation est un idéal de la parole ordonnée, dans un jeu découte
et de questions-réponses autour du discours magistral, dont progressivement
se dégagent des élèves en route vers lautonomie. La punition
signe toujours un échec dans la norme idéalisée de lenseignant
qui est découte et de respect. Si éduquer est donner une loi
à la liberté, encore faut-il que cette loi soit légale ! Danger
lorsque la punition apparaît comme la manifestation de larbitraire
plus que comme celle de la justice !!! (problème de leffet
professeur) : vieux schème frustration-agression. Urgence dune
réaffirmation nationale du droit pénal scolaire : il ne peut
y avoir darrangement avec le droit, sinon il ny a plus
de droit. Cest bien souvent plus dans un système local interactif
que dans une quelconque « prédisposition » culturelle ou
sociale à la transgression que gît la « déviance » scolaire,
qui entraînera lexposition à la punition. Linjustice est
souvent ressentie dans lattribution de punitions non à des individus
mais à des collectifs (classes désignées), lappartenance de
groupe ne peut que sen trouver renforcé.
Des noyaux durs ? Les plus punis sont :
des garçons,
souvent plus âgés avec un retard scolaire, avec une absence de connaissance
du règlement intérieur, détestant la classe, très au courant des faits
délictueux de létablissement, les élèves punis sont les plus
victimes et les plus agresseurs, plus exposés aux conduites à risques
(drogue), plus souvent victimes de violence physique et verbale, de
vol, ils sont aussi les plus durement punis (récidives) Une réflexion
sur la punition en éducation est donc nécessaire.
Repli sur soi et vie déquipe. Les petits désordres
au quotidien, lordre commun ne peuvent être traités seulement
par un personnel spécifique. La montée de cette petite délinquance
entraînent un souci de lordre et un repli sur soi qui ne fait
quabandonner plus encore lespace public. La loi dans un
établissement ne peut fonctionner sans une présence centrale forte
représentée par le chef détablissement !!!
Partie
3 - Tentatives
Politiques publiques,
le choix du partenariat Politique de discrimination positive
se heurte parfois aux réalités politiques locales : en moyenne
les établissements sensibles ont des effectifs plus grands. La justice
scolaire ne peut aller sans une réflexion sur la redistribution des
richesses entre communes les plus riches et les plus pauvres mais
aussi entre les différents quartiers dune même commune. Plan
Bayrou en 1996 : attention portée aux victimes, formation IUFM
( !), politique visant la stabilité des équipes,, liens avec
les parents (pré-rentrée), lutte contre labsentéisme, limitation
taille des établissements, éducation au civisme, coopération
école-police-justice, pédagogie différenciée, dispositifs relais,
classes SAS, la sécurité doit être recherchée par la solidarité et
la responsabilité de tous. Plan Allègre : 9 sites regroupant
400 établissements : protection des victimes, emplois jeunes,
programme déducation à la citoyenneté (BO du 16 juillet
98), BO spécial concernant le code pénal applicable aux violences
scolaires
Pour un nouveau partenariat avec les parents ? devenus consommateurs
décole (Ballion), surtout les classes moyennes, les autres ne
se rendant pas dans les écoles soit par grande confiance, soit par
coupure sociale. Une pratique se répand, celle des médiateurs, mais
ils balancent souvent entre sentiment dappartenance à
son groupe dorigine, identification à la fonction et peur dêtre
rejeté par son groupe. Une concertation avec les habitants nest
pas une concertation avec des médiateurs nommés et payés par les institutions !
les habitants peuvent se mobiliser, le rôle des pouvoirs publics est
de les aider dans cette mobilisation.
Retour sur leffet établissement : Les situations
sociales des établissements expliquent les difficultés mais une part
des difficultés est imputable en interne aux équipes du fait dune
absence de cohésion. Ils est possible de créer volontairement et consciemment
une culture détablissement propice à endiguer la violence. Importance
du respect et de la reconnaissance des personnes.
Coopérer ? Améliorer lécoute et partager la parole :
la violence est de la parole non aboutie. Travail autour du règlement
intérieur, en faisant la loi, les jeunes peuvent mieux lintégrer.
Développer lautonomie et la responsabilité de lélève devient
le centre du discours officiel. Permis à points ! Lélaboration
commune du règlement intérieur permet de créer une culture détablissement ;
un réel souci déquité anime les élèves, la communauté scolaire
se doit de respecter ses promesses. Toutefois, le travail dur le règlement
ne doit pas être labstraction généralisante dune pompeuse
« éducation à la citoyenneté », sans doute séduisante mais
que les élèves finissent par rejeter comme étant le projet des seuls
adultes, ce rejet se traduisant plutôt par le désinvestissement et
la passivité que par des épisodes violents.. A légalité formelle
daccès à lenseignement secondaire a correspondu pour les
élèves la visibilité de linégalité réelle et lintrusion
dans le débat éducatif de la notion déchec scolaire.
Conclusion -
éloge de laction modeste
- Des inquiétudes : la montée des violences antiscolaires
et autodestructrices et les dérives identitaires. - Toutefois, lécole
nest pas un lieu dangereux pour ses élèves et son personnels,
le risque de victimation dure reste très limité. Mais il y a une
« tentation darrêter » pour les personnels des établissements
difficiles (Cf. turnover importants des collèges sensibles où seuls
quelques élèves possèdent la mémoire de létablissement favorisant
certaines logiques de caïdat)
Malgré les appels en la refondation intégriste dune école forteresse,
il faut résister aux sirènes de lhyper répression pour une affirmation
de la loi républicaine et démocratique. - Il faut à la fois un traitement
extérieur de la violence et surtout une prise en compte de la dimension
« établissement » mais qui se heurte au repli sur le pré
carré de la classe. - Il faut aussi renforcer la justice scolaire
(les collèges sensibles ont en moyenne 100 élèves de plus que les
autres !!), repenser larchitecture scolaire (Cf. Le Monde
de léducation de doctobre 1999) - Eviter le sentiment
dinjustice en menant une réflexion sur la loi. - Poursuivre
et intensifier les partenariats inter-institutionnels et de proximité
(« il faut tout un village pour élever un enfant », toute
une communauté dhabitants
community), simplifier
les procédures administratives pour mener à bien des projets innovants.
- Sappuyer davantage sur la dimension établissement, première
condition de prise en charge collective de la civilité, meilleur prévention
permettant la gestion de crise pour jouer sur le sentiment dappartenance
à la communauté éducative, antidote à la violence antiscolaire. -
Sinterroger aussi sur la pédagogie en classe car la violence
sy exprime déjà en son sein. - Vers un partage du capital culturel
par une redistribution des moyens et une refonte globale des programmes
scolaires. - Le rappel à l'ordre du prof et son autoritarisme ont
pour finalité de faire cesser la violence de l'élève. La violence
de l'élève a pour finalité de faire cesser l'autoritarisme du prof.
Finalement ce que fait chacun ravitaille chez l'autre le comportement
jugé intolérable. Ce contre quoi chacun se bagarre chacun contribue
à le renforcer chez l'autre... - Art.40 du code de procédure
pénal fait obligation à tout fonctionnaire de signaler les délits
dont il est témoin.
In LEnfance et la jeunesse dans la
société 1800-1950, Paris, Armand Colin
cf. Munchembled in La Violence au
village