LE BONHEUR D’APPRENDRE ET COMMENT ON L’ASSASSINE
F. de Closet

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AVANT DIRE

Apprendre, c’est une fonction sociale. Tout pays développe, fonde sa puissance sur le niveau intellectuel de la population et fait de l’école le creuset de la nation. Mais, Apprendre, c’est aussi une épreuve. Les générations sont lancées les unes après les autres dans une gigantesque compétition qui mise davantage à sélectionner les meilleurs qu’à instruire les moins bons. Notes, bulletins, classements, résultats ponctuent nos années d’études et deviennent la météorologie de notre jeunesse.
Le schéma pédagogique organise méthodiquement la transmission des savoirs entre des enseignants et enseignés. Toute autre forme d’apprentissage est ignorée. Quant à l’enfant, il ne sera jamais jugé sur ce qu’il sait, mais sur ce qu’il doit savoir.
Apprendre, c’est un enjeu, celui de toute une vie. Les premiers de la classe deviennent des gens importants, riches et considérés ; les derniers forment la triste cohorte des pauvres, des chômeurs, des exclus. Cette loi n’est pas toujours vérifiée mais elle est connue de tous dès l’école primaire. Est-il naturel que 15 ou 20 ans d’études ne produisent que des consommateurs téléphages victimes consentantes de tous les racolages ? Est-il normal d’apprendre tant de choses dans l’enfance et d’en perdre le goût à l’âge adulte ?  
Réflexion sur notre système éducatif et sur le sort qu’il réserve à nos enfants. Vise-t-il à les former ou à les sélectionner ? A leur donner un emploi ou une culture ? Peut-il encore concilier ces objectifs de plus en plus contradictoires ? (école accablée par des missions incomparables, chargée de responsabilités insupportables). Aujourd’hui, les murs de l’école se sont effondrés, les salles de classe sont envahies par toutes les tensions, toutes les angoisses, toute la violence d’une cité malheureuse et convulsive. Mais une société malade ne se guérit pas en changeant l’école de tous ses maux.  

CHAPITRE 1 : APPRENDRE, A QUOI BON ?
Force est de constater qu’aucun pays ne pousse aussi loin la célébration de son patrimoine littéraire, ne donne une telle importance à la connaissance des œuvres passées et, en dépit des récentes réformes, ne réalise un tel investissement pédagogique pour entretenir cette flamme au fil des générations. Il existe sur ce point une spécificité sinon une exception française. Les lecteurs qui lisent plus d’un livre par mois représentent un bon tiers de la population.. A l’opposé les non lecteurs, définitivement allergiques à la galaxie Gutenberg, en forment un quart. Entre les deux s’étire la masse des « occasionnels » qui vit au rythme du livre trimestriel. On découvre qu’en 15 ans le pourcentage de lecteurs a augmenté chez les adultes et diminué chez les jeunes. Un déclin que l’on impute à la télévision, sans penser que dans la même période, la scolarité n’a cessé de s’allonger et qu ‘un effet aurait pu compenser l’autre. Mais non, la jeune génération étudie plus longtemps et lit moins souvent. Que reste-t-il de cette longue initiation, de ces heures innombrables pendant lesquelles des professeurs de lettres se sont efforcés de faire partager leur passion, que reste-t-il à l’heure du bilan ?  
L’inculture scientifique

La majorité des Français préfère reporter son attention sur le fatras des pseudo-sciences qui, de l’astrologie ou spiritisme, ne se sont jamais mieux portées qu ‘en cette veille du 3ème millénaire . Voilà des sujets qui font exploser l’audimat à la télé comme dans les salons.Ce n’est pas l’impossibilité ni même la difficulté de comprendre qui bride l’appêtit des Français, c’est tout simplement le manque d’intérêt.  
Le goût tardif de la musique

Comment admettre que des millions de Français abandonnent tout intérêt pour ces disciplines après qu’elles leur ont été enseignés tandis que des personnes qui n’ont pas bénéficié de cette initiation première éprouvent le plaisir de la découverte quand l’occasion  leur en est offerte ? Tel est le miracle de l’école. Un bon professeuresseur peut captiver les classes rétives et rendre vivants les enseignements les plus abscons. Ainsi le corps enseignant, par sa qualité d’ensemble, masque-t-il les imperfections du système. Les professeurs s’efforcent de donner à ceux qui y croient encore des recettes pour décrocher un diplôme. C’est ce que les familles demandent, ce qu’elles exigent, et cela ne laisse guère de place à l’invention pédagogique. Les parents attendent de l’institution scolaire qu’elle apporte une formation, certifiée par des diplômes, qui donne les meilleures chances sur le marché du travail. Le rêve d’une école qui répand le savoir pour lui-même, indépendamment de son utilisation économique, n’a plus cours. La préférence accordée à l’enseignement utile, celui qui permet de réussir des examens puis de trouver du travail, est d’autant plus forte qu’elle vient d’abord des familles. Quant à la démocratie française, elle a besoin de citoyens cultivés et pas seulement instruits, car on n’entre pas dans la civilisation avec la technique, mais avec la culture. C’est l’initiation qui suppose l’effort et l’apprentissage avant d’offrir la satisfaction et le plaisir. Or les classes du collège mêlent les futurs scientifiques, les futurs économistes   et les futurs littéraires. Aux uns, il faut donner les meilleures bases pour continuer ; aux autres, les meilleures bases pour arrêter. Plus que jamais, les jeunes Français doivent acquérir les bases d’une culture vivante et pas seulement d’un savoir professeuressionnel.
Finalement

le corps enseignant s’efforce désespérément de transmettre le savoir dont il est dépositaire à une population scolaire qui lui demande tout autre chose : la réussite, du moins, le « non échec » scolaire.  

CHAPITRE 2 : LA PASSION DE LIRE

« Quelle connerie d’enseigner la littérature à des jeunes qui ne lisent pas ! » Mais comment se fait-il qu’un même art (l’écriture), un même objet (le livre), une même activité (la lecture) soient source d’ennui chez l’un et de plaisir chez l’autre ? Un élève ne tombe pas amoureux d’une définition et pas davantage d’une expérience ou d’un exercice. Ces deux approches risquent d’abord de provoquer l’ennui dès lors qu’elles ignorent la première étape, celle qui permet d’obtenir l’adhésion de l’enfant. Il n’est pas de bonne pédagogie qui ne commence par éveiller le désir d’apprendre.Ce sont les œuvres seules qui peuvent offrir ce point de départ ou, plus exactement, ce point d’entrée dans le monde de l’écrit. Encore faut-il les choisir en fonction de la sensibilité juvénile plus que de l’intérêt littéraire. Un travail fondé plus sur la méthode, la logique, la réflexion que sur l’acquis culture mettrait davantage de démocratie dans la compétition scolaire. Le résultat est que les jeunes sont noyés dans un flot de connaissances qu’ils n’arrivent pas à maîtriser. Ils sont tellement désarmés qu’ils attendent davantage de leurs professeurs des recettes à appliquer pour arriver à des résultats immédiats, notamment passer le bac que des « instruments »pour apprendre à réfléchir. Tout le système de l’enseignement des lettres, du contrôle du savoir littéraire a tué la culture littéraire qui n’est plus un passeport alibi pour passer le bac et réussir de grandes écoles ou des entretiens de culture générale, la culture littéraire véhiculée  par le lycée est tout au plus un bagage qu’on jette par dessus bord dès le bac de 1ère passé (fabriquer ces faux érudits de 20 ans qui annoncent les vrais incultes de 50). L’élève ne veut plus que réussir son tour de piste, il se focalise sur les méthodes, qui deviennent des procédés, des recettes. Le texte est réduit à un simple prétexte, il perd sa fonction qui est de transmettre un sens, une émotion, une histoire.
Les nouveaux élèves

En ce début de siècle, l’enseignement secondaire était, pour l’essentiel, réservé aux enfants de la bourgeoisie. Le professeur de lettres s’adressait à des élèves qui étaient imprégnés de culture littéraire.
Les classes, de nos jours, sont pleines d’adolescents qui n’ont reçu aucune initiation familiale et qui redoutent le spectre de l’échec scolaire. Hier encore réservé à une minorité, l’enseignement secondaire est devenu l’école pour tous. Pour le professeur de lettres, ce sont les fondations qu’il faut poser sur un sol désertique peu préparé à les accueillir. Les élèves sont sollicités par mille distractions et plaisirs immédiats, qui ne demandent aucun effort, aucune initiation.  A Prost : Notre enseignement souffre d’une incorrigible prétention, à l’image de ces institutrices du siècle dernier qui s’obstinaient à apprendre à lire à des enfants qui ne savaient pas encore parler.(…) l’évolution des contenus a aggravé la distance culturelle qui sépare l’enseignement de son public.  Aucune  pédagogie miraculeuse ne pourra donner une culture littéraire à tous les jeunes qui vivent dans un monde non littéraire. On risquerait moins de se tromper si l’on partait de l’enfant, si l’on recherchait, délibérément, obstinément, les meilleures façons de l’intéresser plutôt que de partir se schémas épistémologiques. Le meilleur enseignement sera toujours celui qui est retenu non pas le temps d’un examen, mais pour une vie entière.  
Le français d’abord

Et si l’on fixait comme premier objectif à l’enseignement secondaire de donner à tous les enfants de France, outre la maîtrise de la langue française, le goût de la lecture acquis par une véritable pratique et quelques références historiques pour classer le patrimoine ? Or les programmes actuels doivent en priorité préparer les élèves à l’évaluation terminale, ce que l’on réussit plus sûrement avec des exercices méthodiques, austères, répétitifs qui font accepter l’effort dans l’espoir d’un succès.
Les bons élèves
 
Le « bon » élève adhère au système, il vient pour apprendre, il sait que ce ne sera pas facile mais l’a admis. Rien de tel avec le « mauvais élève », qui n’aime pas l’école, qui ne cesse d’osciller entre ennui, échec et détestation.  La poésie  est un genre qui se meurt. Les jeunes n’en lisent plus et, plus grave, n’y sont plus sensibles. Ils voient dans le poème un objet bizarre, hermétique, dont ils ne perçoivent ni le sens ni la beauté. C’est un art d’un autre temps. Ne vaudrait-il pas mieux se délecter de textes les plus faciles, les plus accessibles et remettre à beaucoup plus tard l’exploration des règles cachées qui président à cette forme littéraire ? Cela  n’empêchera pas la fille d’agrégé de faire Normale Sup, mais cela permettra au fils de l’électricien d’aimer la poésie qu’ignore son père. C’est tout le pari.  

CHAPITRE 3 : Les mathématiques SONT MODERNES

 Dès les années 50, les mathématiciens les plus prestigieux pensent qu’il n’est plus possible d’apprendre aux petits français les mathématiques de papa. L’idée s’impose que les mathématiques sont la clé de l’avenir . A force de constater la facilité des uns et l’impossibilité des autres, le bon sens populaire a fini par admettre qu’il existe une « bosse des mathématiques », un don inné que les uns possèdent et les autres pas. Mais les enfants ont l’esprit logique, tout le monde le sait. Ils demandent toujours pourquoi. Encore faut-il qu’on leur donne à comprendre et pas seulement à apprendre.  En renouvelant à la fois la logique du savoir et celle de l’apprentissage, la réforme devrait conjurer la malédiction de l’échec et ouvrir à tous l’univers enchanté de la mathématique. A partir de 1972, la réforme se met en place dans les pires conditions . Les gens qui ont conçu cette réforme n’avaient jamais dû enseigner devant une classe.  Notre enseignement préfère l’abstrait au concret, et l’éducation intéresse plus les universitaires que les ingénieurs. Nos enfants continueront donc à ne rien comprendre aux objets qu’ils manipulent tout en jouant les singes savants avec les dernières théories à la mode.  Quand le bambin nomme « Maman » la dame qui est toujours à côté de lui, ce mot est lourd de sens. Il l’a vécu avant de le dire. L’expérience a précédé la découverte du mot, lui a donné sa nécessité. Tout l ‘acquisition de la langue maternelle, l’apprentissage le plus naturel qui soit, se fait de la sorte. La perception révèle les choses, puis l’homme les désigne. Pourquoi faut-il que l’enseignement procède toujours un sens inverse ? Le non concept d’abord, la réalité ensuite.  Pour un pêché réparé, l’éducation nationale se dépêche d’en commettre un autre en élevant sans cesse le niveau des programmes de mathématiques qui, rapidement, ne furent plus destinés à former mais à sélectionner les élèves. Plus que jamais, la jeunesse française vécut dans l’obsession et la hantise des mathématiques. C’est ainsi que pendant un quart de siècle le note de mathématiques a décidé de l’avenir scolaire et donc de l’avenir tout court de millions d’enfants.  

CHAPITRE 4 : L’HISTOIRE SANS HISTOIRES

Notre Education Nationale connaît les mêmes bévues avec une troisième matière : l’histoire.
L’enseignement de l’histoire consistait à raconter, dans l’ordre chronologique, ce qui s’était passé aux différentes périodes. Dans cette matière comme dans les autres, l’école vivait tranquille entre routine et tradition. Cet enseignement avait le double mérite de passionner les enfants et de leur fournir d’indispensables repères chronologiques (sans commettre d’anachronismes pendables). Chaque chose en son temps, cela ne fait pas encore une culture historique, mais c’est bien utile pour la suite. On désire alors dépasser l’histoire traditionnelle jugée trop étriquée et ouvrir les esprits enfantins à d’autres civilisations, aux grandes évolutions socio-économiques, et surtout à tout ce qui fait le délice des historiens : les études transhistoriques, l’histoire thématique. Bref, on se veut beaucoup plus ambitieux sur un territoire devenu exigu et plus abstrait avec des élèves plus faibles.  La contradiction sera résolue par le sacrifice de l’histoire événementielle et de la chronologie. Au lieu de répartir les informations le long d’une chronologie, on les entasse dans des thèmes fourre-tout. On ne raconte plus, on cite, on « fait allusion à » et l’on dégage les idées. Puis on passe au thème suivant. En isolant des périodes parfois séparées de plusieurs siècles, on perd toute possibilité de faire comprendre à l’enfant les notions historiques fondamentales : la durée, l’évolution. Les savants, se font toujours  les avocats de leur science, qu’ils prétendent distibuer à pleine louche en postulant que de si généreuses rations ne pourront qu’être professeuritables. C’est à la pédagogie de trouver un compromis entre la matière enseignée et les capacités de l’élève. Mais cette exigence est peu sensible au spécialiste pris au piège de l’évidence savante. Transmettre des acquis récents de la science à ceux qui ne possèdent ni les connaissances de base ni le pouvoir d’abstraction suffisant, c’est construire la maison en commençant par le toit sans avoir creusé les fondations ni bâti les murs.

  CHAPITRE 5 : L’ECONOMIE CIVIQUE
L’enfant qui ne suit pas, qui accumule les mauvaises notes, se persuade qu’il est incapable, prend l’école ne grippe et bloque ses capacités d’apprentissage. Un enseignement trop ambitieux engendre ce redoutable sentiment d’échec. L’école a fermé son enseignement au moment où elle ouvrait ses portes, elle a  renforcé le caractère élitiste de son discours à mesure que s’accentuait le caractère populaire de son public. L’éducation civique était clairement un enseignement de culture. L’objectif officiel était de développer chez l’élève le sens de l’intérêt général, le respect de la loi, l’amour de la République. Pour cela,  l’élève doit être éclairé, être instruits des droits et devoirs que le citoyen exerce pleinement à sa majorité. Pour ces équipes qui font les manuels scolaires, tout va bien dès lors que le contenu du livre correspond aux instructions de l’Education  Nationale. Si l’enfant  ne suit pas, c’est un mauvais élève.
Les petits économistes :
Les collégiens de onze ans devaient au plus vite apprendre les premières notions qui leur seraient indispensables à Sup de Co. Les enfants n’aiment pas lire, tout le monde le sait. Il faut les instruire par l’image, c’est leur nouveau langage et c’est la grande mode de l’édition scolaire, qui peut ainsi vendre plus cher des albums plaisamment illustrés et chichement commentés. Apprendre, ce n’est plus comprendre, c’est mémoriser. Je ne connais pas de meilleure voie de garage pour stériliser cette richesse de l’esprit juvénile : la curiosité.

  CHAPITRE 6 : RACONTE-MOI LA PHYSIQUE
Je ne conçois pas d’éducation qui ne repose d’abord sur la discipline et le travail. L’école n’est ni un club de loisirs, ni un parc d’attractions, ni un syndicat d’initiative, ni, à l’opposé, un centre d’apprentissage, c’est d’abord et avant tout un temple de la pensée. Quand on a l’envie d’apprendre, on y arrive toujours. Si le collégien est captivé par l’histoire, il le sera également par les explications. Il voudra comprendre et fera l’effort nécessaire pour y parvenir.

  CHAPITRE 7 : LA LOI DISCIPLINAIRE
Merveilleux pays qui apprend à ses fils toutes les langues étrangères sans être capable de leur en faire parler une seule ! A force de céder aux disciplines et aux groupes de pression, la France finit par présenter les menus les plus copieux et les caves les plus fournies. Tous les gastronomes savent pourtant qu’un choix trop large se paie d’une qualité trop basse. Nos programmes sont, sur de nombreux points, en avance d’une année sur ceux des pays qui nous entourent, constate A. Prost. Le programme actuel des terminales est, pour une bonne partie enseignée à l’université dans les autres pays.
Les inspecteurs généraux, grands patrons des disciplines, vivant très loin des salles de classes, qui, par tradition, pencheraient vers le conservatisme, mais qui, soucieux de ne pas passer pour de vieilles barbes, sont facilement ébaudis  par les dernières théories à la mode.. Le collégien ne doit recevoir à ce stade qu’un savoir de culture générale et non pas une formation préuniversitaire qui n’aurait aucun sens pour tous ceux qui ne poursuivront pas dans cette matière. Or lorsque les programmes se rédigent en commission, les spécialistes travaillent entre eux, chacun détenant un savoir très supérieur à celui qui doit être transmis. Qu’un professeur de lettres  du secondaire et non du supérieur, réputé pour le sens pédagogique qu’il a manifesté dans ses classes et pas pour ses publications savantes, prenne en charge des programmes de sciences, voilà qui me semblerait fort bien. A force de consulter, d’enquêter, de lire et d’étudier, de voir tout ce qui a déjà été fait, de guetter les réactions des enfants, de prendre les avis du maître, ils finiront par en savoir assez pour préparer des programmes de sixième ou de cinquième avec l’aide des spécialistes.

  CHAPITRE 8 : LE COMPLOT PEDAGOGIQUE
Bons ou mauvais, les programmes ne sont jamais qu’une intention, disons une partition ; ils trouvent leur réalité dans l’interprétation qu’en fait le corps enseignant. Les anciens maîtres ont des titres qui attestent un niveau élevé d’érudition qui leur octroient la faculté d’enseigner. Ils n’ont pas à proprement parler « appris ce métier », ils n’ont pas étudié la psychologie des élèves, les méthodes d’apprentissage et encore moins la façon  de s’adresser à une classe, de susciter la curiosité, de maintenir l’intérêt, de maîtriser son expression physique et vocale, d’éviter les tics et expressions répétitives, d’affronter les situations diverses et soudaines qui peuvent survenir Pour Milrer,  la volonté d’imposer la pédagogie  devient un complot contre le savoir. Leur idéal, c’est une carrière dont le parcours est déterminé par un niveau  de connaissances initial dûment sanctionné par un concours. Pas question d’avoir à se justifier sur une pseudo qualité de leurs cours. Un agrégé est professeuresseur, un point c’est tout. Cette conception est à  peu près compatible avec un enseignement de classe terminale dans des lycées d’élite, mais que vaut-elle dans une cinquième de collège populaire ? Une classe de jeunes enfants, voire d’adolescents, n’est-elle  pas un auditoire différent d’un public adulte ? Ne faut-il pas montrer comment on prend des notes, comment on rédige, comment on organise son travail, ne faut-il pas suivre la progression des uns et des autres, savoir donner  à propos les encouragements et les sanctions ? Il est bon d’apprendre aux enfants à chercher l’information dans une documentation au lieu  de la recevoir toute digérée dans le cours. Mais à qui fera-t-on croire  que la confrontation d’un enfant de 12 ans à des textes réglementaires, est plus formatrice qu’une bonne explication donnée par le maître, que l’on est dès le plus jeune âge d’écrire des notes de synthèse sur une série de pièces disparates ? La crispation sur le rituel scolaire des années 50 n’est plus tenable, car elle implique une coopération de l’école et de la famille qui n’existe plus : aujourd’hui la première doit suppléer, voire remplacer la seconde. En outre, l’émancipation des jeunes et l’influence de la télévision sont des faits irréversibles. L’enfant, qu’il soit fils de famille ou fils de Rmiste, est immergé dans ce monde bruyant, séducteur, racoleur et obsédant, dans ce bouillonnement de sensations et d’informations, dans ce zapping généralisé qui montre tout sans jamais se donner le temps d’approfesseurondir. Ne nous attardons pas  à cultiver la nostalgie des époques révolues, c’est cette génération  qu’il faut instruire et pas une autre. Le lycée a perdu la complicité familiale mais a découvert la  concurrence médiatique. La discipline scolaire doit trouver sa place dans une éducation permissive. Peut-on imaginer que l’école serait seule à ne pas changer dans un monde en plein bouleversement ? L’archipel pédagogique est devenu une puissance considérable, et les malins ont compris qu’il est moins pénible d’enseigner à enseigner que d’enseigner. Beaucoup d’IUFM  ont été colonisés par les pédagogues à la nouvelle mode et n’enseignent qu’une didactique théorique et jargonnante ; d’autres, en revanche, s’efforcent d’apporter un véritable savoir-faire professeuressionnel. Finira-t-on par armer les futurs enseignants afin qu’ils puissent surmonter les épreuves qui les attendent ? C’est un enjeu décisif pour l’avenir de l’école ! Cette aide dont les enseignants particulièrement les jeunes, ont besoin ne leur sera pas apportée par des chercheurs en laboratoire. En ce domaine, c’est l’expérience qui conduit à la connaissance. Elle ne s’acquiert qu’après avoir affronté les classes les plus diverses, avoir douté, s’être trompé, avoir essuyé des échecs et remporté des succès, avoir multiplié les initiatives pour faire peu à peu le tri entre « ce qui marche » et « ce qui ne marche pas « . C’est ainsi qu’au fil des ans certains  enseignants  qui ont out à la fois la passion de leur métier et le sens de la pédagogie accumulent un capital qui surpasse toutes les études théoriques. Mais aujourd’hui ce capital dépérit faute d’être considéré. Le reconnaître, ce serait admettre qu’il existe de « bons » professeurs et de « moins bons », ce serait briser le tabou. Le jour où les meilleurs professeurs deviendront  les tuteurs des novices, où l’on entrera dans la carrière, c’est-à-dire dans les premières classes, conforté par un aîné qui ne prodigue pas de grands discours mais,  très concrètement , donne de discrets conseils, corrige des premières maladresses, alors un grand  pas aura été fait. Tous les professeurs  s’étonnent de la différence entre les élèves qu’ils ont été et les élèves  qu’ils doivent instruire.. Les nouveaux lycéens sont mal dans leur peau, méfiants, inquiets, indifférents. Ils se veulent utilitaristes, mais ils n’ont pas le mode d’emploi, ils ne  connaissent pas tous les rouages du système, ils sont mal conseillés par des familles aussi perdues qu’eux. Alors, ils font au plus juste. Ils veulent des méthodes plus que de la culture. Ils préfèrent le contrôle continu qui atténue les risques. Le recrutement dans l’Education Nationale se fait sur diplôme, c’est-à-dire sans tenir le moindre compte des motivations ou des aptitudes personnelles. Ces fameuses « qualités humaines » qui intéressent tant les entreprises sont superbement ignorées par l ‘administration. Dans une entreprise normalement gérée, les postes difficiles iraient  à des professionnels expérimentés tandis que les classes sans histoire seraient confiées aux novices. Ces nouveaux collégiens et nouveaux lycéens sont-ils en état de recevoir un enseignement secondaire classique ? La réponse ne se trouve pas seulement  dans les programmes, mais d’abord à l’école et dans la société. Lorsque les enfants ont pu décrocher un emploi et s’installer dans la vie, existe-t-il un seul  parent pour regretter d’avoir privilégié la réussite scolaire au détriment de l’épanouissement  de la personnalité ? Un consensus inavoué pousse l’école à se concentrer sur sa mission « utile » au détriment de sa vocation culturelle. Dans tous les savoirs  de base,  les connaissances n’ont pas diminué. Et elles se sont, au contraire, accrues sur le long terme. L’élite scolaire d’aujourd’hui est plus nombreuse que celle d’autrefois, et elle est en moyenne, de meilleur niveau général. Les jeunes les moins formés d’aujourd’hui le sont pourtant davantage que les moins formés d’autrefois. On bute là sur des difficultés qui tiennent autant à la société dans son ensemble qu’à l’enseignement en particulier. L’école n’est pas la cause de tous nos dysfonctionnements , elle ne peut pas non plus en être le remède. Entre les défenseurs d’un enseignement élitiste, sauvegarde de notre culture, et les partisans d’un enseignement de masse, gage de justice, le débat ne peut être que passionné. Tout indique que les élèves de 6ème sont, en moyenne, moins bons aujourd’hui qu’il y a  30 ans, mais qu’ils sont infiniment plus nombreux, et que les élèves des grandes écoles sont probablement meilleurs. Autrefois, les deux mondes étaient non seulement distincts mais totalement séparés, et la jeunesse était répartie dans l’un ou dans l’autre par le sort d’un déterminisme social tout puissant. Ce n’était plus la famille qui se reproduisait au fil des générations, c’était la société. Le système tournait bien, mais il offensait les principes démocratiques. Ajoutons, pour être équitable par rapport à la situation actuelle, qu’en ces temps lointains le chômage n’existait pas et que le succès scolaire entraînait un succès professionnel équivalent. Les diplômes ne conduisaient pas à l’ANPE. En 59, scolarité obligatoire jusqu’à 16 ans, la France a besoin d’une main-d’œuvre plus instruite, elle doit donc accroître son effort de formation. La création du collège unique (Haby 1975) constitue l’aboutissement naturel d’une double  évolution, l’une démographique, l’autre démocratique. Chaque enfant est présumé apte à recevoir l’enseignement secondaire, et chaque professeur doit pouvoir le délivrer à un échantillon représentatif de la population française. Cette réforme fait du secondaire un enseignement de masse, alors qu’il a été conçu comme un enseignement élitiste. A travers le collège unique, l’Etat s’est déchargé sur l’Education Nationale d’un problème majeur celui de l’inégalité. L’école  doit pallier toutes les insuffisances de la société. Condamnée à jouer les doublures de la DASS, l’Education Nationale   n’est pas pour autant déchargée de sa mission première : dégager et former une élite. Les années 50 furent la grande époque de l’enseignement technique et professionnel. Pour un enfant d’ouvrier, entrer  dans un CET afin de devenir électricien représentait une promotion, une réussite scolaire. Il en allait de même pour les formations professeuressionnelles qui ouvraient un espoir de qualification supérieure par rapport à la formation sur le « tas ». En 1967, le concours d’entrée dans les CET est supprimé : ils seront destinés à recueillir ceux qui sont incapables de suivre dans la filière générale (filière technique au sens large, transformée en voie de relégation). c’est ainsi que s’installe la malédiction : la sélection par l’échec. Dans notre société entière centrée sur la réussite scolaire, le droit de réussir se transformait pour le plus grand nombre en droit d’échouer. Situation aggravée par le flux montant du chômage qui vient battre les murs de l’école. On ne travaille plus pour faire plaisir à ses parents, pour être en tête de sa classe, on lutte pour la survie. Officiellement, on n’élimine pas, on oriente. Etre orienté, c’est être éliminé , point final. C’est tout le primaire qui se déverse dans le secondaire, c’est-à-dire qui lui repasse les problèmes qu’il n’a pas résolus. Le premier de tous c’est l’hétérogénéité. Par quel tour de passe-passe pédagogique allait-on faire la même leçon à des élèves différents ? Cette hétérogénéité traduit un double décalage. Sur le plan culturel, la plupart des nouveaux collégiens sont professeurondément déroutés, car ils n’appartiennent pas à l’univers du secondaire, et sur le plan intellectuel, un certain nombre d’entre eux n’ont pas le niveau intellectuel requis pour un tel enseignement. Que faire ? Or l’accès à cette culture intellectuelle exige des conditions d’éducation préalable : sécurité affective, dialogue avec les enfants, habitudes d’autonomie dans les comportements, que les milieux défavorisés ont plus de difficultés à donner à leurs enfants. C’est pourquoi une éducation compensatrice,  un soutien, doivent d’abord être une éducation affective et sociale permettant, avec l’épanouissement des élèves, l’investissement affectif positif de l’école. Ce qui convient à la masse de la population, ce n’est pas cette culture prestigieuse qu’attendent familles et élèves, c’est un enseignement plus concret, plus proche des préoccupations quotidiennes des élèves, plus attentif à leurs débouchés professionnels. Une démocratisation qui reviendrait à placer les uns et les autres dans la même compétition sans toucher au contenu de l’enseignement ne pouvait être qu’un jeu de dupes. Tandis que les classes se démocratisaient, l’enseignement devenait plus abstrait, plus théorique, l’évolution des contenus enseignés a aggravé la distance culturelle qui sépare l’enseignement de son public. Pour attaquer la scolarité du collège, l’élève doit posséder des bases suffisantes en français et en mathématiques. Avec le passage généralisé en 6ème, cette condition n’est plus remplie. Mais n’est-ce pas aussi le rôle de l’école de s’adapter aux activités et aux attitudes des enfants qui ne bénéficient pas dans leur milieu des conditions éducatives naturelles aux familles favorisées.

  CHAPITRE 10 : LA STRATEGIE DE LA SURVIE
Confrontée à la situation impossible du collège unique, l’école réagit selon sa logique propre : notation, sélection, redoublement, élimination. Elle n’a pas à faire preuve d’une sévérité particulière, ses programmes sont suffisamment inadaptés pour que les nouveaux arrivants perdent pied. A ce jeu, le taux de doublement fait un bond impressionnant. Au début des années 80, il n’y a plus que  40 % des terminales à n’avoir jamais expérimenté le surplace. Les mauvais élèves ne sont pas plus nombreux à présent qu’autrefois. Simplement, naguère, on les stockait en douceur dans les sections de fin d’étude, et la société, miracle des années d’expansion, les absorbait ensuite. Désormais, ils entament leur cursus général , donc on les voit. Désormais, on évite l’orientation-élimination, on favorise  le passage dans la classe supérieure, voire dans la filière désirée. Au cours des années 85-95, les statistiques  du redoublement déclinent autant qu’elles avaient monté entre 75 et 85. Il est vrai que le redoublement, spécialité assez typiquement française, n’a jamais été une solution en soi et que son application systématique traduisait plus une nécessité d’élimination qu’une volonté de rattrapage . Mais sa réduction ne correspondait pas davantage à une stratégie pédagogique. La suppression des redoublements dans le secondaire entraîne que beaucoup de candidats passent le bac avec un niveau très inférieur à ce qu’on pourrait attendre : cependant, par nécessité politique, par raison démagogique, il importe qu’une bonne partie d’entre eux  soient déclarés admis. La diversité du bac, qui n’est plus une épreuve unique et, en dépit du label commun, correspond à des niveaux de connaissances très différents selon les sections. Pour les jeunes, la valeur absolue du diplôme, c’est-à-dire son contenu, est moins important  que sa valeur d’échange. Ils n’attendent pas un certain niveau de connaissance et de culture, ils attendent un titre qui facilite leur insertion sur le marché du travail. En fin de 3ème, les redoutés conseils de classe proposent une « orientation » à une moitié des élèves qui viennent de milieux défavorisés, mais à 13 % seulement de ceux qui ont une famille favorisée.  En terminale, ils ne seront plus qu’un tiers, et les rejetons de cadres 82 %. Cette immense cohorte des élèves en situation d’échec est plus que jamais marquée par un impitoyable déterminisme social. A l’opposé, l’enquête constate que les « bons » élèves bénéficient d’un soutien familial constant, qui ne se limite pas à une « surveillance » mais qui implique une véritable assistance. L’hétérogénéité  était bien plus sociale qu’individuelle, elle mêlait non seulement des collégiens différents, mais des milieux totalement dissemblables. A. Prost : « Contrairement aux intentions qui avaient présidé à sa création, le collège unique n’est pas l’instrument d’une démocratisation, mais un filtre efficace qui réserve, en fait, aux élèves originaires des milieux  sociaux favorisés une place privilégiée dans les filières les plus prestigieuses. Ainsi, tandis que le collège unique s’efforçait  tant bien que mal de donner une chance aux défavorisés, les favorisés eux, mettaient au point les stratégies qui leur permettraient de conserver leurs avantages. Ils voient immédiatement le danger que les classes hétérogènes faisaient courir  à leur progéniture. En théorie, tous les enseignants se valent, c’est le dogme. En pratique, chaque établissement connaît les meilleurs et, mine de rien, les regroupe dans ces classes d’élites. Dès le départ, il faut éviter l’enlisement dans les classes hétérogènes, c’est là que la stratégie des familles va se déployer dans toute son inventivité. Le jeu des options s’est imposé comme le plus sûr moyen d’obtenir l’école et la classe de son choix. Par un choix subtil des matières, une utilisation astucieuse des contraintes liées aux horaires, il fut possible de recréer sans le dire des classes de niveau, de niveau élevé bien sûr. Les familles bourgeoises se battent pour avoir les meilleurs établissements, les autres pour éviter les pires (classes moyennes ou populaires). Il y a 30 ou 40 ans, ces nouveaux lycéens n’auraient eu droit qu’à une scolarité courte qui, cessons de fantasmer sur le passé, ne laissait qu’un bagage bien mince. La seule façon de mettre les enfants à égalité de chances, c’est de les retirer à leur familles. La naissance pèsera toujours très lourdement dans la réussite scolaire. Et nulle pédagogie différenciée ne pourra corriger tout à fait l’avantage décisif qu’apporte le soutien familial. Dans le climat actuel, il n’existe guère que deux sortes de parents : une majorité qui se bat pour ses enfants et une petite minorité  qui ne s’en occupe pas. Tout examen, tout concours implique des reçus et des recalés, cela s’appelle la compétition. Encore faut-il que de vraies perspectives professionnelles, pas les mêmes évidemment, s’ouvrent devant ceux qui ont échoué. Lorsque le succès du vainqueur n’entraîne pas l’écrasement du vaincu, la compétition est morale et saine tout à la fois. Le vrai problème de l’école en France, ce n’est pas l’entrée mais la sortie (savoir qu’on se retrouvera dehors sans rien). Les savoirs ne sont que des instruments pour atteindre un autre but. Ils n’ont pas de valeur intrinsèque.. C’est dire qu’on ne fait rien par goût. L’Education Nationale n’est plus une machine à former les esprits, mais à sélectionner les producteurs depuis les ouvriers non qualifiés jusqu’aux dirigeants. Passé une certaine intensité, la pression compétitive tue la curiosité intellectuelle. On ne peut pas courir deux lièvres à la fois.

 

CHAPITRE 11 : LE DIPLOME POUR TOUS… ET POUR RIEN
Les Français ont vu dans l’école un remède anti crise, et, confrontés à l’alternative réussite ou chômage, ils ont vite fait le pire de tous les choix : la poursuite d’études non professeuressionnelles à des fins professeuressionnelles. Les Français subissent la loi du diplôme sans être toujours conscients du rôle central , impérial  qu’il joue dans notre société. Dans notre pays, le parchemin ne donne pas seulement un brevet de compétence, il fixe un destin. En France on devient chef au nom de sa réussite scolaire. De bas en haut de l’échelle sociale, les places sont numérotées, et chaque numéro correspond à un titre scolaire ou universitaire. Des millions d’emplois sont pourvus au terme d’une épreuve théorique et anonyme qui assure une carrière à vie, une carrière déterminée par le cours prévisible de l’ancienneté. L’allongement des études, l’amélioration de l’instruction furent les vecteurs du progrès social, on ne saurait l’oublier : malheureusement , ils ont cessé de l’être , voilà ce qu’on ne peut ignorer et qui change complètement l’évaluation de notre « actif ». La machine économique, dans son expansion, exige donc une élévation des qualifications, une amélioration de l’instruction. Ce n’est pas un objectif socioculturel, c’est un impératif technico-économique. Notre pays délivrera au moins trois fois plus de diplômes de haut niveau qu’il n’offrira d’emplois correspondants. Entre un système éducatif qui conduira les deux tiers puis les trois quarts des jeunes à un niveau égal ou supérieur au bac et une économie qui ne crée qu’un quart de ses emplois dans l’encadrement, tous les éléments d’une superbe explosion sont réunis. On peut certes miser sur une baisse démographique dans 10 ou 15 ans, mais en attendant…L’enquête « Jeunes » de l’INSEE prévue qu’en 1995 c’est toujours « moins pire » d’être diplômé que de ne pas l’être. L’inflation des diplômes  - et par conséquent  leur dévaluation – est très variable selon les secteurs. Quand les secrétaires auront un doctorat, les balayeurs un baccalauréat , que restera –t-il   aux 20 % de non bacheliers ? Un fils de famille  aisée a toujours 20 fois plus de chances qu’un enfant de milieux populaires d’entrer dans ces écoles : ENA, X, HEC : l’élitisme du recrutement n’a pratiquement pas bougé depuis 40 ans. Un Président de la République, un Premier Ministre ont pour fonction de décider dans des domaines qu’ils ne  connaissent pas. Et, sans cesse, ils doivent apprécier, juger, trancher, alors qu’ils ne sont en rien des spécialistes de ces questions. Aucune  société moderne ne peut se priver d’un système scolaire qui laisse émerger chaque année, en petit nombre, les meilleurs éléments d’une classe d’âge. Un enseignement supérieur élitaire est aussi indispensable à la survie du pays qu’une défense nationale. Les conseillers du ministre, de tous les ministres savent fort bien qu’il faut arrêter cette inflation diplomaniaque  et réorienter les jeunes vers des formations plus courtes, plus modestes, mieux  adaptées aux futurs emplois. Les employeurs reconsidèrent leur attitude vis-à-vis des diplômes, les regarde avec une certaine méfiance et s’intéressent aux personnalités plus qu’aux qualifications.
Les élèves reçoivent des formations inadaptées aux exigences des utilisateurs directs : les employeurs.