INTRODUCTION
C'est dans les années 1950 que la France se dote du collège
unique. Parce que l'on ne parvient pas à trancher les querelles entre
enseignants du primaire et du secondaire, le collège unique n'a pas de
véritable vocation pour lui-même. Ainsi est-il condamné à préserver le
modèle d'une excellence scolaire réservée alors à l'élite et dans le même
temps à s'ouvrir à tous les élèves. Le collège en France est donc le lieu
de toutes les passions mais aussi de tous les débats impossibles, bien
trop dangereux politiquement. Les parents attendent de l'école diplômes
et insertion professionnelle ; les enseignants ont quant à eux d'autres
priorités : développement de l'esprit critique, acquisition du goût
d'apprendre, formation du citoyen
Alors que le collège s'est lentement
imposé dans les structures, la résolution des tensions qui lui sont inhérentes
a été laissée aux bons soins des individus qui ont petit à petit intériorisé
les contradictions du système comme autant d'épreuves psychologiques.
Tensions qui se sont en outre exacerbées progressivement , au fur et à
mesure que le collège unique s'accomplissait, jusqu'à scolariser effectivement
toute une classe d'âge.
- Problème de l'adaptation aux nouveaux publics.
- A quels objectifs donner la priorité : à la poursuite
de l'excellence ou à l'accueil de tous ?
- Force est de constater que l'on fait semblant de rassembler
dans le même collège l'ancien lycée de l'élite et l'école de toute une
classe d'âge, en fermant les yeux sur les conséquences multiples et diffuses
de cette incapacité à se prononcer.
LES TENSIONS DU COLLEGE
1// LES EPREUVES DU METIER
Le malaise enseignant est dû en partie à la distance entre
l'image idéale que les professeurs se font de leur vocation et de leur
fonction, et la réalité de leur pratique, bien souvent décevante, les
élèves et la société étant ce qu'ils sont. ® L'école est en dessous de
ce qu'elle attend d'elle-même.
A/ Les élèves ont changé
Depuis une trentaine d'années, le collège a dû faire face
à l'arrivée de tous les élèves en 6ème. Au cours des 10 dernières années,
les diverses possibilités permettant d'orienter les élèves vers des filières
particulières se sont peu à peu fermées. Le collège doit garder dans ses
murs la quasi-totalité des élèves.
Pour les professeurs, la présence d'élèves faibles semble
être le principal obstacle à l'accomplissement normal du métier, et ce
quel que soit le recrutement des établissements scolaires. Les professeurs
sont intarissables sur ces collégiens qui ne savent pas lire convenablement,
qui ne connaissent pas les rudiments du calcul, qui ne sont pas véritablement
socialisés aux conduites et au travail scolaires
Les épreuves d'évaluation
de la fin du CM2 indiquent que 20% des élèves ne maîtrisent pas complètement
la lecture, ils sont plus nombreux encore à ne pas posséder les bases
attendues en maths. ® Tous les élèves ne sont pas faits pour le collège
tel qu'il est ; problème de l'hétérogénéité des élèves.
A la faiblesse d'une partie des élèves, il faut ajouter le
déclin de leur motivation. Les collégiens ne semblent guère intéressés
par leurs études. On peut plus ou moins signaler 3 profils : ü Les
apathiques qui sont mauvais mais qui ne gênent pas. ü Les déviants qui
sont mauvais mais qui se manifestent, donc gênent. ü Les autres qui ne
travaillent que pour la note.
Pourquoi ?
Parce que
le collège est la période de l'adolescence, d'une nouvelle construction
sociale.
Parce que
le collège est le même pour tous. Tout le monde y entre, ce qui signifie
que les collégiens ne sont plus ni des « héritiers » ni même
des « boursiers ». Pour cette nouvelle génération, les motivations
au travail ont perdu leurs évidences. Même si l'utilité des études (diplôme)
est reconnue aujourd'hui, elle demeure souvent théorique et trop abstraite
(préférence pour le présent).
La logique
de l'aval des programmes scolaires peut faire baisser leurs motivations.
On apprend en 5ème ce qui sera utile pour la 4ème, en 4ème ce qui sera
utile pour la 3ème et ce jusqu'au BAC. Ainsi l'intérêt de l'expérience
présente devient-il virtuel.
B/ Les conversions du métier
La plupart des professeurs ont choisi leur métier en raison
de leur goût et de leur passion pour une discipline. Mais la prise en
charge d'une classe exige vite une véritable conversion. Tout nouvel enseignant
peut aisément mesurer la distance qui existe entre sa vocation intellectuelle
et les dispositions des élèves. La pratique du métier va alors se transformer
en conciliant goût pour la discipline et intérêt pour la pédagogie. Avec
des publics hétérogènes, cette épreuve est extrêmement difficile car le
professeur ne peut plus se contenter de faire la classe comme on la lui
a faite. Il doit d'abord construire les conditions pédagogiques et relationnelles
qui lui permettront d'enseigner. Cette conversion constitue une épreuve
également parce que l'autorité scolaire n'est plus naturelle, qu'elle
doit être justifiée et fondée sur un travail de tous les instants :
- S'engager personnellement pour convaincre les élèves de le suivre.
- Inventer des méthodes et des manières pour faire cours.
- Instaurer une certaine paix sociale.
- Payer de sa personne (métier perçu comme de plus en plus
difficile).
C/ Les paradoxes de l'égalité et de la sélection
Conçu comme le prolongement de l'école élémentaire et l'antichambre
du lycée, le collège doit à la fois promouvoir les meilleurs en maintenant
un niveau d'exigences élevé, sans pour autant exclure les moins bons des
élèves. Les discours peuvent toujours souligner la compatibilité de ces
deux objectifs, ils ne résistent pas devant les inégalités scolaires et
sociales entre élèves. Le collège unique a été long à se mettre en place
(Haby, 1975) car l'orientation en fin de 5ème était un fait banal pour
finalement s'éteindre à la fin des années 1980. Aujourd'hui, toute une
classe d'âge va et demeure au collège, ainsi la question de l'hétérogénéité
des élèves ne peut-elle plus être éludée, non seulement comme un problème
pédagogique, mais surtout comme un dilemme éthique. Tous les débats organisés
dans les collèges à l'occasion d'une consultation se sont déroulés de
la même manière :
1er temps : les professeurs en appellent à la constitution
de classes de niveau.
Il est plus
facile de faire cours.
Les bons
élèves ne sont pas freinés, les mauvais ne sont pas découragés.
La formation
de bonnes classes permet de fixer les bons élèves.
2ème temps : les professeurs, souvent les mêmes, instruisent
la critique des filières et des classes homogènes.
Il n'est
pas évident que cela soit plus facile.
Les classes
de bons élèves ne sont pas forcément agréables, trop compétitives et trop
conformistes.
Cela conduit
à la formation de classes trop faibles parfaitement ingérables.
Il est impossible de choisir une solution sans sacrifier
une part des finalités du collège, d'où de « savants mélanges »
dans la gestion des classes dans la plupart des collèges d'aujourd'hui.
D/ Que doit-on enseigner ?
L'histoire du collège est celle d'un arbitrage entre l'école
primaire et le lycée. Cet arbitrage s'est progressivement construit en
faveur du lycée. Ce qui consacre le triomphe des professeurs (secondaire)
sur les instituteurs (primaire). Dès lors, les programmes du collège ont
été pensés comme préparant ceux du lycée d'enseignement général. De fait,
le collège est conçu pour les élèves qui iront au lycée d'enseignement
général et bien des professeurs dénoncent le caractère élitiste et trop
ambitieux de programmes qui ne s'adressent en réalité qu'à une partie
des élèves. Þ Orientation des élèves par l'échec. Les enseignements techniques
et professionnels sont d'emblée, non définis par ce qu'ils sont mais par
ce qu'ils ne sont pas, c'est à dire par leur distance à ce que l'on valorise
dans l'enseignement général. L'idée d'orientation positive apparaît pipée
dès le départ.
Se pose alors la question des savoirs communs. Puisqu'il est
le collège de tous, le collège unique devrait offrir à chacun les éléments
d'une culture commune. Mais :
Crainte
d'une culture au rabais.
Les meilleurs
élèves seront-ils formés correctement ?
Existence
d'un risque de déchéance professionnelle, pourquoi passer des concours
aussi ardus ?
Comment
définir cette culture commune ?
2// L'ECOLE ENVAHIE
A/ La crise
L'école est envahie par les problèmes sociaux dans les quartiers
difficiles, à savoir chômage et précarité.
B/ Un problème de légitimité
Les transformations des liens de l'école et de la société
ne procèdent pas seulement de la crise, ils s'inscrivent dans des mutations
plus profondes.
ü Le monopole de la culture que détenait l'école s'est bien
effrité avec le développement des médias de masse. Þ création d'une tension
entre culture scolaire et culture civile. Les valeurs et intérêts de la
culture scolaire doivent sans cesse être démontrés quand les élèves sont
plongés dans le flux continu des médias. ü Il existe une tension entre
la vie juvénile et les contraintes scolaires. Grande autonomie de la culture
juvénile aujourd'hui. ü Problème de la légitimité de l'autorité de l'école.
Dans autorité, il faut y voir discipline, contenus, méthodes. L'autorité
naturelle (basée sur le père) s'est défaite petit à petit. Mai 1968 en
est le symbole. Enfants et adolescents sont devenus des sujets de droit.
Comment dès lors fonder l'autorité ? ü L'utilité des études et l'efficacité
des maîtres. La notion de service public se transforme, sa légitimité
se fonde plus aujourd'hui sur ses capacités à atteindre un objectif que
sur ses valeurs propres. ü Le charisme des enseignants : intéressant,
compréhensif, capable de motiver.
« Le fait que l'autorité soit de moins en moins transcendante
et de plus en plus immanente, coproduite par les acteurs, n'affaiblit
pas fondamentalement l'autorité, mais elle en fait un problème quotidien
parce que l'autorité scolaire ne se coule plus spontanément dans les murs. »
C/ L'école aussi crée des inégalités Le paradoxe de l'école
démocratique :
Ouverte à
tous, elle s'efforce d'égaliser les conditions d'accès aux études.
En accroissant
son emprise, elle détermine directement les carrières des élèves au cours
d'une scolarité longue ; elle sanctionne et hiérarchise les élèves
puisque toute une classe d'âge est invitée à prendre part à la même compétition
scolaire.
® Ouverture qui la rend plus juste mais qui la conduit à sélectionner
elle-même les élèves, créant ainsi des inégalités. ® Exigence de justice
scolaire se fait alors plus pressante, les conséquences d'un conseil de
classe ne sont pas que scolaires mais aussi sociales. ® Quasi-création
d'un marché scolaire au sein de l'école publique. Inégalités sociales
et inégalités entre quartiers creusent les écarts entre établissements
scolaires. Vient une autre variable : le choix des familles à même
de sélectionner entre les établissements scolaires qui renforce de plus
belle ces inégalités. Un mouvement de ghettoïsation se met en place :
les collèges élitistes d'un côté et les collèges ingérables de l'autre.
Les établissements scolaires développent alors des stratégies pour répondre
à cette concurrence latente : mise en place de classes vitrines,
dimension élitiste de certaines formations.
La mise en place des ZEP peut apparaître comme une réponse
à ces contradictions.
D/ Les violences
La violence est un symptôme aigu de la dégradation des relations
de l'école avec son environnement et de la vie scolaire elle-même. Il
est nécessaire de distinguer les significations multiples de la violence
des élèves : ü Violences sociales qui rentrent dans l'école :
conduites délinquantes des jeunes du quartier
ü Violence résultant
de la distance entre école et quartier, c'est à dire la distance culturelle
entre élèves et adultes. Longtemps, l'école a su répondre à la violence
par la discipline, mais aussi par une certaine tolérance, par l'acceptation
d'une certaine violence juvénile. C'était celle des chahuts, des bagarres
plus ou moins maîtrisées par les surveillants et il est clair que les
centres d'apprentissage, les lycées professionnels et quelques lycées
d'enseignement général n'étaient pas toujours des havres de paix. Le contrôle
de ce type de violence banale supposait une certaine connivence culturelle
entre les adultes et les élèves, une capacité immédiate de lire et d'interpréter
les conduites des jeunes. Or cette connivence est devenue difficile à
établir tant, dans certains quartiers, la distance est grande entre les
jeunes et les enseignants. Là où un enseignant professionnel ancien ouvrier
voyait des élèves chahuteurs un peu rudes, un jeune professeur de lettres
sorti de l'université et de l'IUFM a de grandes chances de percevoir une
violence sauvage. Ainsi le contrôle de la violence n'exige pas seulement
une fermeture de l'établissement et un rappel de la loi, il implique tout
autant une ouverture aux jeunes et au quartier, il implique que les difficultés
sociales et personnelles des jeunes soient connues et reconnues. Les établissements
sont donc conduits à balancer sans cesse entre un désir de fermeture et
de fermeté, et une volonté d'ouverture et de compréhension car les élèves
violents sont simultanément des coupables devant être punis et des victimes
devant être aidées. ü Violences anti-scolaires qui visent les enseignants
ou l'école (écoles saccagées par exemple). Il s'agit de réactions à ce
qu'ils vivent comme une violence scolaire. Cette violence est structurelle
car découle directement de la logique de l'école démocratique de masse.
Celle-ci fixe un certain niveau d'exigences pour tous les élèves. Quand
les performances ne sont pas au rendez-vous, les élèves sont conduits
à se percevoir comme les auteurs de leurs échecs. Soit ils intériorisent
cette image d'eux-mêmes en attendant patiemment la fin de leur scolarité,
soit ils refusent d'intérioriser cette image négative et se retournent
contre l'école et ses enseignants.
3// L'ECOLE ET LA REPUBLIQUE
A/ La nostalgie
Le sentiment d'affronter une crise scolaire est très vif car
la plupart des Français, en particulier les enseignants, partagent la
nostalgie d'une école républicaine d'autant plus parfaite et paisible
que les souvenirs s'en éloignent. L'école républicaine apparaît comme
un mélange de mémoire historique et de mythe romantique, un socle de références
à partir duquel la situation actuelle est vécue comme une longue dégradation.
La création de l'école laïque, gratuite et obligatoire, n'avait pas seulement
pour objectif d'apprendre à lire, à écrire et à compter à l'ensemble des
petits Français, elle visait à instaurer un nouveau type de légitimité
politique et de citoyenneté en arrachant les enfants à l'influence de
l'église. Il fallait que l'esprit des Lumières, du Progrès, et de la Nation
se substitue à celui de l'église dont l'influence était renvoyée à la
sphère privée. Ce fut là le sens de la distinction entre instruction et
éducation : à l'école, l'instruction ; à la famille et à l'église,
l'éducation. Mais il va de soi que ce partage ne signifiait pas que l'école
se bornait à instruire, car les apprentissages scolaires étaient portés
par une perspective morale affirmée. Les connaissances rationnelles, scientifiques
et universelles constituaient un projet moral fondé sur le dialogue des
raisons, la découverte des beautés de la science et l'apprentissage d'une
grande culture nationale perçue comme universelle et identifiée à la civilisation.
C'est à l'école élémentaire qu'a été confiée cette tâche, réalisée grâce
à un corps d'instituteurs issus de la paysannerie et des classes moyennes,
devant tous leur promotion sociale à l'école. Ils incarnaient une véritable
philosophie et avaient dans leur fonction quelque chose de « sacré »,
assurant leur légitimité au-delà de leurs talents personnels.
L'image du professeur de lycée est plus ambiguë parce que
les lycées sont associés au modèle de la grande culture des humanités
à laquelle la culture scientifique est venue dès le début du 20ème siècle
faire concurrence. Les professeurs étaient des savants s'adressant à l'élite
sociale et scolaire plus que des militants de la République. Eux aussi
étaient identifiés à une figure de l'universel et de la culture. Leur
légitimité était entière comme en atteste la place de l'enseignement de
la philosophie qui couronnait les études, réalisant la synthèse de l'esprit
scientifique, de la morale et de l'esprit critique.
La nostalgie de l'école républicaine est donc forte car :
Légitimité
du projet politique et culturel.
Monde paisible
dans lequel offre et demande d'éducation paraissaient accordées.
Cependant, cette régulation reposait sur un mécanisme de sélection
sociale rigoureux : l'école élémentaire pour le peuple et le lycée
pour la bourgeoisie. Il ne s'agissait pas de l'école de l'égalité des
chances mêlant tous les publics dans la même compétition scolaire, mais
de la juxtaposition d'écoles aux publics relativement homogènes. En aucun
cas on aurait eu l'idée de compter seulement sur l'école pour démocratiser
la société. Dans ce système, l'école pouvait être perçue comme juste parce
qu'elle offrait une chance aux meilleurs, alors que les causes essentielles
de l'injustice et des inégalités étaient d'abord situées dans la société
qui contrôlait l'accès à tel ou tel type d'école. La paix de l'école républicaine
tenait aussi à la distance entre l'école et la société, comme l'absence
de mixité des établissements scolaires l'a longtemps signifié. Cette école
s'adressait avant tout à des élèves, pas à des enfants ou des adolescents.
B/ La défense républicaine
L'école républicaine a été bousculée par son ambition et son
succès même. Ouvrir à tous le secondaire était clairement un projet politique :
il fallait élargir l'élitisme républicain, sélectionner l'élite, toute
l'élite d'abord, puis tous les élèves sur la base du mérite. De plus,
le système dual apparaissait comme un gaspillage de talents dans le contexte
de l'après-guerre où l'on craignait de manquer de diplômés dans une période
de croissance et de modernisation. Cependant, en se transformant en école
démocratique de masse avec le collège unique, les régulations pédagogiques
routinières de l'école républicaine se sont effondrées, au collège tout
d'abord, puis au lycée à partir des années 1980, face à l'afflux de publics
nouveaux qu'il revient à l'école de sélectionner. L'ajustement miraculeux
des offres et des demandes scolaires a été mis à mal au collège et au
lycée par ces nouveaux venus. Ces élèves comptent sur l'école pour s'insérer,
tant les diplômes sont devenus nécessaires, sinon suffisants, pour obtenir
un emploi. Les murs de l'école tendent alors à se lézarder, sous la pression
des familles et des demandes de « rentabilité » des formations.
Dans une société qui produit de plus en plus de diplômés et où le nombre
des professeurs a été multiplié par plus de 10 depuis les années 1960,
le caractère rare et prestigieux de l'éducation secondaire s'est affaibli.
Il est d'autant plus affaibli que la culture nationale française ne peut
plus être tenue pour l'expression de l'universel, la culture française
est sans doute une grande culture, mais parmi d'autres toutes aussi grandes.
Qu'on le regrette ou non, l'anglais est une langue universellement utile,
la science est internationale, la musique que les élèves écoutent et les
films qu'ils regardent viennent plus souvent des USA que de Paris. Aujourd'hui,
l'adversaire traditionnel de l'école républicaine est moins l'obscurantisme
clérical que la diversité des cultures, le marché multiforme et l'obligation
de résultats évoquant par trop le monde de l'entreprise. Même s'il est
admis que les enfants de l'immigration doivent s'assimiler dans la culture
française, on reconnaît que leur culture est une culture, ce qui n'était
pas le cas voici quelques dizaines d' années. L'école doit tenir compte
de son environnement et de ses élèves. Bien des professeurs retournent
alors la nostalgie républicaine en défense conservatrice, en défense des
clercs, comme en d'autres temps le latin a été défendu contre l'envahissement
des langues vulgaires, vulgaires parce que parlées et comprises par tous.
Contre cette chute, contre une école devenue séculière, il faut défendre
la grandeur républicaine menacée par une adaptation au monde et aux élèves.
C/ Une école pour chacun
Le conservatisme républicain défend l'unité d'un modèle éducatif
contre la diversité de la société et de ses demandes, jusqu'au point de
fermer l'école au monde. Le courant libéral, qui n'a que peu d'échos en
France, soutient la thèse que la marché doit réguler le bien qu'est l'éducation,
permettant à chaque type de public de trouver son école.
Aujourd'hui, l'école veut promouvoir l'école égalitaire pour
les élèves. La politique de discrimination positive des ZEP ne visant
qu'à permettre la réalisation de l'égalité. Dubet émet l'idée de cesser
de parler d'inégalités entre élèves mais plutôt de différences. S'ils
sont différents dans leurs compétences (intellectuels et abstraits/manuels
et concrets), on peut alors admettre d'offrir des formations adaptées
à leur nature. Le raisonnement n'est en rien choquant dans une société
qui privilégie l'épanouissement et l'authenticité des individus. Cependant,
un problème perdure : l'adaptation de l'offre scolaire aux différences
sociales serait, dans les faits, une manière d'entériner les inégalités
sociales dans une école à plusieurs vitesses (les différences sont toujours
des inégalités dans un monde social compétitif qui a de grandes chances
de le demeurer).
D/ Le statut quo et les moyens
La demande de moyens reste un leitmotiv des enseignants quelles
que soient leurs situations particulières. Cette revendication renvoie
principalement au sentiment d'être écrasé par une charge de plus en plus
lourde, non seulement parce qu'elle exigerait plus de temps, mais aussi
parce qu'elle appelle davantage d'engagement personnel (idée de l'allègement
des classes et du dédoublement des effectifs). Cependant, rien ne prouve
que des classes allégées permettent de meilleures résultats, que la multiplication
des heures de cours soit plus efficace, que les redoublements soient efficients.
E/ Ecole et société
S'il était attendu de l'école républicaine qu'elle donne une
culture commune à tous les enfants et une grande culture à l'élite, qu'elle
ouvre quelques voies de mobilité sociale aux plus méritants et qu'elle
répande une image claire et pratique de la vie sociale ; l'école
démocratique de masse est investie de bien d'autres missions qui n'effacent
pas pour autant les anciennes. L'école est l'agent d'une intégration sociale
et morale. ü Reconnaissance de plusieurs univers moraux et droit de construire
une éthique personnelle. ü Développer les capacités critiques de chacun.
ü Incarner la société et l'Etat. ü Répondre aux demandes des parents en
assurant l'égalité des chances.
Parce que l'école est investie de toutes ces attentes, leur
excès même entraîne un sentiment d'abandon. « L'école républicaine
est devenue une école démocratique de masse sans que personne paraisse
jamais l'avoir décidé un jour. »
QUE FAIT LE COLLEGE ?
4// L'INVENTION DU COLLEGE ET L'EVOLUTION DES NIVEAUX
A/ L'évolution des scolarités au collège
Entre 1900 et 2000 :
ü L'âge moyen de fin d'études est passé de 11 ans à 19.5 ans.
ü 1% d'une classe d'âge possédait le BAC pour 60% aujourd'hui.
L'unification (ses prémices) du secondaire commence avec la
réforme Berthouin en 1959. Il faudra cependant attendre 25 ans pour admettre
que l'orientation ne se fasse plus après la 5ème mais après la 3ème. Les
filières professionnelles (CAP, CPPN) rendues accessibles en fin de 5ème
font que l'enseignement technique devient une voie de secours pour les
élèves en difficultés ; alors qu'au début des années 1960, la préparation
d'un CAP était plutôt une promotion pour les meilleurs élèves du primaire.
® Le collège se dessine comme le 1er cycle du lycée d'enseignement général.
L'invention de l'orientation s'explique par le souci de rendre
plus juste et plus rationnelle, fondée sur les aptitudes et non sur la
naissance, la ventilation des élèves entre les différentes voies, et ce,
en respectant le plus possible les souhaits des familles, mais aussi en
optimisant les places offertes dans l'enseignement technologique. L'orientation
cristallise la tension entre le respect des demandes de formation censées
refléter la variété des goûts et des aptitudes, et la volonté d'orienter
les flux scolaires en fonction des besoins économiques du pays. Avec Haby
en 1975, l'ouverture du collège est totale puisque l'on repousse l'orientation
à la fin de la 3ème : l'école se positionne de manière offensive
sur le terrain de la démocratisation. Le palier d'orientation de la fin
de 5ème ne disparaît que bien progressivement. Cependant, le remplacement
des CAP (préparés en 3 ans après la 5ème) par les 4ème et 3ème préparatoires,
elles-mêmes remplacées en 1985 par les 4ème et 3ème technologiques à l'issue
desquelles les élèves peuvent accéder à un BEP, fait que l'orientation
en fin de 5ème demeure possible. Il faut attendre 1991/92 pour voir la
suppression des filières (au profit des 4ème AS et 3ème I). L'ensemble
des politiques menées depuis le début des années 1980 est sous-tendu par
l'objectif des 80% au BAC. Il est dès lors nécessaire de conduire l'ensemble
d'une classe d'âge au BAC. La dernière réforme en 1994 parachève cette
évolution avec le cycle central (5ème/4ème).
B/ Les trajectoires des élèves au collège : plus longues,
plus risquées
La sélection n'a pas disparu avec le collège unique, elle
se fait plus tard. Le taux de passage de 5ème en 4ème diminue dans la
période qui suit la réforme Haby. De 1975 à 1985, ü Le taux de redoublement
passe de 6.5% à 16.6% en 5ème. ü Le taux de redoublement passe de 7.3%
à 13.7% en 3ème.
A partir des années 1985, la politique volontariste de prolongation
des scolarités est affichée au collège (80% au BAC). De plus, il faut
désormais compter avec les droits des familles. Ainsi les taux de passage
en 4ème augmentent, passant de 65% en 1985 à 77% en 1995. En 1989, 93%
des élèves achèvent leur 1er cycle contre 71% en 1980 (inclusion des 4ème
et 3ème techno dans les comptes).
En 1998, le taux d'accès au BAC général pour une génération
est toujours de 33% tout comme en 1990.
- De 1985 à 1995, on note :
L'allongement
des scolarités avec en particulier un développement des sorties au niveau
BAC et au-delà.
Le déplacement
du centre de gravité des formations vers l'enseignement professionnel
(en 1997/98, 56% des bacheliers ont un BAC général contre 72% en 1980).
La mise
en place d'une véritable filière technologique et professionnelle qui
explique l'explosion scolaire de ces dernières années.
C/ Des élèves différents grâce à une sélection transformée
La mise en place du collège, ce n'est pas seulement plus d'élèves,
mais un nombre important d'élèves qui, dans l'ancien système, n'étaient
pas là. Avant la généralisation de l'entrée en classe de 6ème, les jeunes
de milieu populaire étaient rares dans cette classe : en 1936-37,
les enfants d'ouvriers représentaient 2.7% des effectifs contre 12.3%
vingt ans après pour se situer aujourd'hui autour de 30%. La composition
sociale des classes de 6ème reflète maintenant la structure de la population
active. Le public scolaire a-t-il évolué de la même manière dans les classes
ultérieures ? Non bien sûr puisqu'il faut compter avec les inégalités
sociales de réussite et le jeu des orientations :
Dans les
années 70, le poids des enfants d'ouvriers va diminuer dans la classe
de 4ème générale (2 fois plus important dans les classes de CPPN et de
CPA).
En 1997-98,
on compte moins d'enfants d'ouvriers en 4ème générale (28%) qu'en 6ème
et beaucoup plus dans les 4ème AS (41%).
« Tout se passe comme si la sélection et la répartition
des élèves entre les différentes classes visaient à préserver la filière
générale de tout élargissement social ou, pour le moins, à amortir considérablement
les effets de l'ouverture au public. »
En 1997-98,
le poids des enfants d'ouvriers en 4ème générale (28%) est le même qu'en
1961-62.
On remarquera
également que le poids des enfants d'ouvriers en seconde, qui était de
19% en 1961-62, passé à 25% dans les années 1970, n'est que de 21.4% en
1997-98.
Aujourd'hui,
sur une classe d'âge d'enfants d'ouvriers, 38% vont en BEP, 28% en 1ère
technologique, et 16% en 1ère générale.
« Unechose est sûre, le collège a vu plus encore que
le lycée, se modifier son public dans le sens d'une plus grande ouverture
à des groupes autrefois exclus, même si l'existence d'itinéraires de relégation,
très inégalement fréquentés selon les milieux sociaux, a quelque peu contenu
cette évolution. »
D/ Le niveau baisse-t-il vraiment ?
Il est relativement facile d'évaluer le niveau des élèves
tant les épreuves normalisées de connaissances se sont répandues. Il reste
plus difficile d'apprécier l'évolution dans le temps de ce niveau de connaissances
parce que cela exige de s'appuyer sur des instruments constants. Les tests
de connaissances passés à l'armée par la quasi-totalité des jeunes hommes
montrent sans ambiguïté une élévation sensible du niveau moyen. Cette
hausse s'explique par la baisse des sorties de l'école sans aucun diplôme,
par davantage de sorties au niveau BAC et plus
L'écart entre les
plus forts et les plus faibles s'est sensiblement réduit parce que le
niveau des seconds a plus augmenté que le niveau des premiers. Cependant,
le niveau de connaissances des jeunes sortis de l'école sans aucun diplôme
a tendance à régresser.
Pour ce qui est de l'école primaire : Les performances
des élèves sont stables, en calcul comme en lecture. Ainsi le collège
n'accueille-t-il pas des écoliers différents de ceux du début du siècle
même s'il nous faut reconnaître que ce niveau moyen cache une variance
plus importante qu'hier. Ceci s' explique aisément par le fait que l'école
accueille désormais l'ensemble d'une classe d'âge en son sein. Elle doit
alors nécessairement scolariser des élèves plus faibles. En revanche sur
le court terme (depuis 1985), rien n'indique que l'hétérogénéité des élèves
ait augmenté.
Pour ce qui est du collège : 90% des élèves d'une classe
d'âge suivent la filière générale au collège. Les autres vont en 3ème
I ou éventuellement en 3ème techno. Entre 1985 et 1997-98, les performances
des élèves se sont plutôt améliorées en mathématiques, hist-géo, et SVT.
Elles sont stables en anglais mais en baisse en allemand et en français.
On peut donc émettre un constat positif car sur la même période, le pourcentage
d'une génération scolarisée jusqu'en 3ème a sensiblement augmenté. Le
collège a su garder plus d'élèves tout en préservant le niveau de connaissances
de tous.
E/ Les collégiens français et les autres, un niveau qui supporte
la comparaison
Depuis les années 1980, les comparaisons internationales se
sont développées sur la base d'exercices analogues proposés aux jeunes
d'une classe d'âge donnée.
Niveau moyen
en lecture des jeunes de 14 ans : parmi les meilleurs entre la Finlande
(devant nous) et les USA ou l'Allemagne (derrière nous).
Pourcentage
d'élèves estimés faibles : parmi les plus bas.
Niveau moyen
en mathématiques : parmi les meilleurs entre les Japonais et les
Allemands ou les Américains.
Sciences
expérimentales : niveau beaucoup moins flatteur
Il n'existe pas de relation nette entre le niveau des ressources
financières investies dans l'éducation dans les divers pays et les performances
de leurs élèves. Il n'y a pas non plus de relation claire entre la sélectivité
du système et le niveau de résultats des élèves.
F/ Un collège plus équitable ? Les avatars de la démocratisation
Si l'on se tient aux chances données aux jeunes Français d'acquérir
de l'éducation, on est tenté de conclure à une démocratisation puisque
la durée moyenne des études s'est considérablement allongée et que le
niveau de sortie s'est élevé en conséquence. Dans le même temps, une minorité
persistante de jeunes sort de l'école sans aucune qualification. Ils étaient
27% en 1973, 8% en 1996 ; chiffre qui stagne depuis maintenant plusieurs
années et qui semble avoir trouvé un plancher. Ceci n'est pas sans effets
sur la démocratisation puisque ces 8% d'élèves sont composés pour plus
des 2/3 d'enfants d'ouvriers ou d'inactifs. De plus, parmi les élèves
entrant en 6ème avec un niveau les situant dans le quart le plus faible,
la petite portion qui parviendra à redresser la barre en entrant finalement
en 2nde générale ou technologique appartient plus souvent à des familles
favorisées. Ce qui signifie que les enfants de milieu favorisé profitent
davantage de leur scolarité au collège.
Pour Dubet, une part importante des inégalités sociales ne
se justifie aucunement par des inégalités de performances, mais résulte
spécifiquement des demandes d'orientation. Les familles de milieu populaire,
qui se sentent moins capables de pronostiquer les chances de réussite
de leurs enfants, renoncent souvent d'elles-mêmes à demander les orientations
les mieux cotées. En respectant les choix des familles, on ferme les yeux
sur le fait que des inégalités sociales d'orientation s'ajoutent ainsi
aux inégalités de réussite.
G/ Diminution ou translation des inégalités
Les inégalités tendent à se déplacer au niveau de l'entrée
en 2nde. Comme en fin de 5ème dans les années 1980, s'y conjuguent des
inégalités sociales de réussite et des inégalités sociales de choix.
Dès la classe
de 4ème, les enfants de cadres ont su choisir les options qui maximisent
leurs chances d'être dans de bonnes classes, le latin notamment choisi
par 56% des enfants d'enseignants et 15% des enfants d'ouvriers non qualifiés.
A l'entrée
en 2nde, le choix d'une langue morte s'avère plus « chic » que
le choix d'une troisième langue.
Existence
d'une hiérarchie entre les filières du BAC (série scientifique et les
autres, puis séries générales et séries technologiques
)
Au niveau
de l'enseignement supérieur, où se profile une spécialisation, les inégalités
quantitatives sont encore plus nettes. Les enfants de cadres et d'enseignants
représentent 80% des effectifs des grandes écoles contre 30% des effectifs
des universités. Oui, il y a démocratisation de l'enseignement car quand
les 2/3 d'une génération obtiennent le BAC, la population des bacheliers
est nécessairement plus représentative que lorsqu'elle est composée de
10% d'une classe d'âge. Accéder à un tel niveau est un bien en soi indépendamment
du fait que d'autres puissent faire encore mieux.
Non, il n'y a pas démocratisation car les inégalités se déplacent
plus qu'elles ne s'estompent. Dans les années 70, les enfants de cadres
avaient 15 fois plus de chances d'obtenir le BAC « mathématiques »
que les enfants d'ouvriers. Aujourd'hui, ils n'en ont plus que 8. L'éducation
n'est pas un bien homogène, avant de parler de démocratisation, il faudrait
être sûr que l'on accède vraiment au même bien « éducatif »,
le niveau des connaissances demeurant très inégal selon les filières.
H/ L'école face à la panne de l'ascenseur social
L'école a pu accomplir un rôle d'ascenseur social pendant
la période bien particulière des « trente glorieuses » qui conjuguait
croissance économique, multiplication des emplois qualifiés et allongement
des scolarisations. Cette période est révolue aujourd'hui, ce qui veut
dire que l'on ne peut plus compter uniquement sur son diplôme pour améliorer
sa position sociale. Cependant, il ne faudrait pas considérer ce phénomène
comme une faillite du système éducatif, la valeur relative des diplômes
délivrés ne dépendant que du jeu des acteurs sociaux.
5// DU COLLEGE AUX COLLEGES
Les inégalités scolaires ne sont-elles que le reflet d'inégalités
sociales ?
A/ La découverte du local et la naissance de l'établissement
Non, l'offre scolaire n'est pas homogène. Même au temps le
plus fort de la tradition jacobine, il pouvait exister des différences
entre établissements (exemple de l'adaptation des offres de formation
aux demandes spécifiques dans les EPS du début du siècle). Aujourd'hui,
on connaît l'existence de l'effet-établissement. Il faut attendre la fin
des années 1980 pour démontrer que les écarts entre établissements ne
sont pas seulement le fait de différences entre les publics scolaires.
Cette représentation de l'Etat-éducateur (centralisateur) va commencer
à s'effriter dans les années 1970, c'est à dire quand l'école ne pourra
plus faire fi du contexte économique. Nous vivons ainsi aujourd'hui dans
cette nouvelle ère de l'Etat-modernisateur. L'éducation est conçue comme
un investissement et l'on s'interroge de plus en plus sur l'efficacité
des politiques éducatives. L'exigence d'efficacité se fait plus pressante :
on parle de modernisation et d'évaluation des services publics, on prône
un contrôle plus fort des usagers. Dans le domaine scolaire, cette évolution
ne se réduit pas à un simple transfert de responsabilité du centre vers
la périphérie, elle se double d'une évolution idéologique tout aussi importante.
Avec l'Etat fort, l'institution scolaire cherche à réaliser un idéal d'égalité
des chances par la standardisation, par une offre la plus homogène possible.
Paradoxalement, parce qu'elle s'unifie et s'ouvre à tous, l'école doit
affronter des publics plus variés et doit donc faire l'épreuve de la diversité.
Comme l'unité de l'offre peine à accroire sensiblement l'égalité, la différenciation
apparaît comme la seule alternative possible pour démocratiser réellement
le système scolaire. Ce n'est plus l'égalité qui est mise en avant, mais
l'équité, avec notamment l'affirmation du principe de discrimination positive
conduisant à la création des ZEP en 1981. Cependant, les cadres nationaux
restent encore très importants et le mouvement de décentralisation apparaît
bien modeste. Toutefois, une évolution importante est à noter : le
système scolaire tend davantage à se structurer en fonction de la demande
et non plus en fonction de l'offre.
B/ Le collège fait des « différences »
Avec ou sans réel projet, une chose est sûre, il existe des
« effets établissement ». Malgré les difficultés de comparaison
entre établissements, on sait qu' à contexte identique, certains collèges
font plus progresser leurs élèves que d'autres. « La position d'un
élève obtenant dans son collège un score moyen peut varier, selon l'établissement
fréquenté du 33ème au 67ème rang par rapport à l'ensemble de la population. »
Ces disparités d'acquis s'avèrent cependant modestes en comparaison avec
nos voisins comme l'Allemagne ou la Belgique. Comment font les établissements
efficaces ? Il s'agit souvent de la convergence d'un certain nombre
de caractéristiques constituant un climat d'établissement qui détermine
leur efficacité. ü Un climat polarisé sur la réussite des élèves, obsédé
par l'excellence scolaire. ü Le fait de traiter les élèves avec considération
et justice. ü Cohérence entre les objectifs et les pratiques pédagogiques.
Il demeure qu'en moyenne il est plus facile d'être efficace avec des élèves
sans problème.
C/ Les deux faces de l'autonomie
L'autonomie des établissements fait l'objet de sentiments
ambivalents. Elle laisse la possibilité de prendre des orientations différentes
en matière de pédagogie mais ne va-ton pas mettre en péril le cadre égalitaire
de l'éducation ?
Les réticences vis à vis de l'autonomie expriment surtout
cette préférence pour un pouvoir puissant mais distant, c'est à dire une
angoisse devant la montée d'un fonctionnement managérial plus exigeant
car il ne s'agit plus de suivre des directives mais de s'efforcer de mieux
satisfaire des « clients ».
D/ Une offre éducative inégale
Le thème de l'hétérogénéité des collèges est en passe de devenir
aussi prégnant que celui de l'hétérogénéité des élèves, la première étant
plus encore que la seconde, désignée comme une perversion du système.
Il existe aujourd'hui un contraste entre des établissements
où règne la ségrégation sociale et des établissements d'élite, protégés.
Malgré une politique de redistribution (ZEP, zones sensibles
), d'autres
routines viennent contrecarrer le système :
Les grands
lycées bénéficient de dotations généreuses quand ils ont des filières
d'excellence comme les classes préparatoires.
Les collèges
sensibles sont en moyenne de plus grande taille (on progresse mieux dans
les petites structures) avec des professeurs plus jeunes (les enseignants
expérimentés sont en moyenne plus efficaces).
Alors que
les classes de niveau sont officiellement prohibées depuis la réforme
Haby, seulement un quart des établissements constitueraient des classes
hétérogènes. Les collèges de banlieue pratiquant souvent cette politique
afin d'éviter la fuite des meilleurs élèves. Lorsque des élèves faibles
se retrouvent entre eux, leur classe constitue alors un milieu d'apprentissage
très défavorable.
E/ Les enjeux du choix de l'école
En 1993, seulement 1 élève sur 10 était scolarisé dans un
collège public différent de celui de son secteur de domiciliation (en
Région parisienne, certains collèges voient fuir quelques 20% de leurs
élèves). Si l'on tient compte de l'enseignement privé, un tiers des familles
choisissent un autre établissement que celui que leur affecte la carte
scolaire.
Qu'il s'agisse du public ou du privé, les préoccupations des
parents concernent la qualité de la formation scolaire et celle de l'environnement
éducatif et social proposées par le collège. Le souci de socialisation
et de la sécurité de l'enfant compte autant, sinon plus, que celui de
la réussite scolaire.
Il n'en reste pas moins que ces stratégies familiales contribuent
à accentuer les disparités entre collèges. Depuis une vingtaine d'années,
les populations scolaires sont de plus en plus clivées, la ségrégation
scolaire venant conforter la ségrégation sociale et souvent ethnique
6//LE TRAVAIL AU COLLEGE
A/ Les inflexions de la culture scolaire
Les programmes scolaires et leur traduction en horaires dessinent
les contours de la formation commune. Ils sont comme les piliers de l'école
républicaine, et toute modification de leur contenu apparaît comme une
affaire d'importance nationale. L'absence de choix politique affirmé n'a
pourtant pas empêché de profonds changements dans l'esprit et la lettre
des programmes et des horaires des élèves du collège depuis les années
1950. A cette époque, l'ouverture du 2ndaire ne suscite guère d'interrogation
pédagogique : la culture du lycée n'est-elle pas ce que la société
a de mieux à proposer ? C'est ignorer ce que la définition de la
culture scolaire doit au fait qu'elle est conçue pour une certaine élite.
Destinée traditionnellement à un public qui n'aura pas besoin de bagage
scolaire bien précis pour accéder aux meilleures places de la société,
cette culture peut rester résolument gratuite et abstraite. Elle doit
avant tout faire la distinction entre l'élite et le peuple et diverses
de ses composantes, comme la culture classique et notamment le latin,
ont clairement cette fonction. En même temps cette culture scolaire n'est
pas dépourvue de visée émancipatrice : elle doit permettre à tous
les élèves, quel que soit leur milieu social, de se libérer de leurs attaches
particularistes et d'accéder à un savoir universel par la-même libérateur.
Elle est tout à la fois une culture intellectuelle et morale, et une philosophie
sociale.
Dès les années 1960, cette culture rencontre des élèves venus
d'horizons plus variés, qui ne sont pas tous des héritiers, attendant
de l'école des connaissances utiles et qui aient un sens dans leur vie
de tous les jours. Par ailleurs, le développement des sciences et des
techniques met en pleine lumière la distance entre le monde quelque peu
figé des humanités scolaires et le monde mouvant de la connaissance et
des emplois.
« Le temps n'est plus où les diplômes étaient aussi précieux
qu'ils étaient rares ; aujourd'hui, ils sont d'autant plus précieux
qu'ils sont abondants, et leur utilité émerge d'une concurrence beaucoup
plus dure. On ne peut plus éluder la dimension instrumentale de la culture
scolaire. »
Petit à petit :
- Le temps alloué aux disciplines scientifiques va augmenter.
- Le temps alloué aux disciplines littéraires va diminuer.
- Le temps alloué à l'histoire-géographie-éducation civique reste
stable.
- Le temps alloué aux disciplines artistiques et sportives va augmenter.
- Le temps scolaire global est stable d'un point de vue hebdomadaire
mais a beaucoup diminué sur l'année (366 demi-journées en 1950 à 316 demi-journées
en 1985).
- Depuis 1995, l'horaire hebdomadaire maximal est de 23 ou 24heures,
avec un déplacement du temps scolaire ainsi gagné dans des activités de
soutien ou de consolidation, ou des études dirigées.
B/ Les redéfinitions du métier d'enseignant
63% des professeurs de ZEP pensent qu' « être éducateur
fait partie des fonctions normales du métier ».
Les contextes de travail difficiles contraignent les enseignants
à de multiples adaptations. Ils modulent leurs objectifs en fonction du
niveau des élèves, ce qui les conduit parfois à réduire leurs exigences.
Ils ne peuvent plus privilégier, dans les évaluations les seules connaissances
scolaires, il leur faut donc valoriser davantage les attitudes, telles
que la bonne volonté, ou encore accorder moins de place à l'écrit et plus
de place à l'oral. Cet ajustement des exigences en matière de résultats
ne signifie pas l'abandon de tout « acharnement pédagogique ».
UNE POLITIQUE POUR LE COLLEGE
7// CHOISIR LE COLLEGE
« C'est le principe même du collège pour tous qu'il faut
affirmer de manière résolue, en étant conscient de tout ce que cela entraîne
quant aux finalités, aux contenus et aux modalités de cette formation
commune. »
A/ Un collège pour tous
Le choix d'une école moyenne de 4 ans, greffée sur une formation
primaire de 5 ans, soit 9 années de formation commune s'impose pour plusieurs
raisons.
Il s'agit
d'une nécessité face aux exigences actuelles et futures de l'environnement
économique et social où évolueront les jeunes.
9 années
ne sont pas de trop pour doter toute une classe d'âge de références communes
lui permettant de se sentir chez elle dans la société, de comprendre comment
cette dernière s'est construite, d'être capable de penser son évolution.
« Le choix du collège est donc à la fois une nécessité
économique, une exigence civique et un parti pris éthique. »
B/ Suspendre la sélection
Il faut accepter que la fonction de sélection soit repoussée
en aval du collège, afin d'aménager un espace où le seul impératif soit
la formation des jeunes. Certains pays européens, les pays scandinaves
notamment, ont fait ce choix et il n'y a aucune évaluation ni aucune orientation
avant la fin de l'école moyenne. Le niveau scolaire n'y est pas pour autant
plus faible et les pays qui ont joué le plus avant cette carte ont plutôt
des élèves faibles moins faibles qu'ailleurs, et une élite toute aussi
bonne. Accepter le collège pour tous, c'est en finir avec une logique
élitiste visant implicitement à sélectionner une petite poignée de gens
conformes à un modèle bien défini. Or ce qui prévaut en France, c'est
une conception de fait élitiste de la démocratisation : démocratiser,
c'est donner à tous les mêmes chances d'entrer à Polytechnique. L'essentiel,
c'est l'égalité de la quantité et de la qualité des ressources éducatives
reçues par chacun. On doit d'une certaine manière revenir à la conception,
très éloignée de l'acception actuelle, de la démocratisation du primaire,
prévalant du temps de l'école républicaine : en donnant une instruction
à tous, on visait plus l'intégration sociale et un certain respect mutuel
que l'égalité des conditions.
C/ Eduquer aussi
Le collège, comme l'école primaire, est un espace nécessairement
éducatif, et tous les adultes qui y travaillent ont en charge cette responsabilité.
On ne peut accepter de distinguer la vie scolaire et l'espace des apprentissages,
pas plus que la division du travail qui va avec et qui revient souvent
à confier le travail éducatif le plus dur, le plus brutal parfois, aux
personnels les plus jeunes et les plus précaires. Trop de division du
travail tue la notion même d'éducation. Mais la dimension éducative du
collège ne saurait se réduire à l'apprentissage de cette citoyenneté élémentaire.
Car l'école éduque par la manière dont elle fonctionne. Beaucoup d'élèves
éprouvent au jour le jour l'écart qui sépare parfois les principes de
la démocratie et de la citoyenneté, tels qu'on les enseigne et les modes
de relation avec les professeurs, le fonctionnement de l'établissement
ou les modalités de la sélection scolaire (exemple des élèves de SEGPA
relégués dans les préfabriqués, des élèves de la 5ème H qui sont pour
la plupart des garçons d'origine maghrébine, des jeunes professeurs qui
ont en charge les classes difficiles
). Les jeunes, victimes de ces
traitements méprisants, développent alors des comportements violents ou
apathiques. Pour faire face à ces attitudes, l'école démocratique (puisqu'à
la source de cette violence) ne peut s'appuyer que sur une discipline
vécue comme juste, partagée par l'ensemble des adultes, qui ne soit perçue
ni comme une vengeance, ni comme une façon de stigmatiser les enfants
de pauvres en les transformant en classes dangereuses.
« Il ne faudrait pas que le collège chasse ceux qu'il
ne parvient pas à instruire parce qu'il n'a pas d'éducation à leur offrir. »
D/ Garantir une culture commune
Définir un sa voir minimum, ce n'est pas prôner une intervention
minimale de l'Etat, c'est au contraire l'inviter à prendre au sérieux
ses responsabilités envers chaque enfant, le contraindre par une obligation
de résultat. Le renoncement n'est pas dans la définition d'un SMIG culturel,
mais bien dans la tranquillité avec laquelle on accepte que tant d'élèves
soient complètement dépassés par les programmes actuels.
Sans doute l'idéal de la grande culture élève et cimente une
société. En réalité, la culture est aussi une marque de distinction, elle
est ce que les autres n'ont pas. La culture, la vraie, la grande, c'est
ce que partage l'élite cultivée et la notion de culture scolaire commune
pas plus que celle de culture de masse ne sont alors acceptées.
Si l'on se rallie à une conception laïque et démocratique
de la culture et des savoirs, il n'est plus interdit de se demander qui
doit définir les contenus de la culture commune. La réponse ne fait aucun
doute, c'est à nous tous ! Ce contrôle d'une société sur ce que produit
son école n'a rien de scandaleux dans un espace démocratique. Ce que l'on
attend, ce sont des compétences et des savoirs relativement généraux qui,
non seulement, survivront à l'usure des connaissances, mais permettront
les évolutions ultérieures. La priorité démocratique, c'est de définir
la culture commune non pas en fonction de ce que les professeurs peuvent
offrir, mais en fonction de ce dont les jeunes ont besoin pour vivre pleinement
leur vie.
En fonction de ce qui leur est accessible aussi. On ne peut
se satisfaire de l'affichage de programmes ambitieux et honorables dont
chacun s'accorde à reconnaître qu'ils restent inaccessibles à la plupart
des élèves.
E/ Les tensions de la culture commune
Le SMIG culturel ne saurait se réduire à ce qui sera strictement
utile dans la vie d'adulte des élèves, leur vie de travail et leur vie
de loisir telles qu'on peut les imaginer aujourd'hui.
La culture commune a pour finalité essentielle de préparer
les jeunes à entrer dans le monde tel qu'il est, à évoluer dans la société
qui est la leur.
8// ADAPTER OU REFORMER ?
A/ L'école s'adapte
Ceux qui voient dans l'école un animal immobile, un nud
de blocages, ont souvent le nez sur le guidon car, dès que l'on prend
un peu de distance, c'est le changement qui domine.
Même si le
professeur reste au centre de la classe, son style pédagogique a été bouleversé.
Les programmes
ont été profondément changés.
Les humanités
ont perdu leur position prépondérante.
Les lectures
des collégiens correspondent davantage à leurs goûts.
Les élèves
peuvent faire entendre leurs voix.
Développement
de l'interdisciplinarité et du travail en équipe.
Les « surgé »
sont devenus des CPE.
Développement
de la fonction et du rôle des délégués de classe.
B/ Un changement peu maîtrisé
Le changement n'est pas la résultante directe de projets affirmés,
il découle des opportunités saisies par les politiques à tel ou tel moment
et surtout du jeu des intérêts des usagers de l'école et de ceux qui y
travaillent.
« L'école a le sentiment de devoir tout faire, ce
qui peut donner l'impression de faire n'importe quoi, de céder aux modes,
aux foucades, d'être exposée à une critique permanente puisqu'elle ne
peut jamais faire tout ce qu'elle doit faire. L'école doit assurer l'égalité
et l'excellence, elle doit préparer à l'emploi et offrir une culture générale,
elle doit socialiser les élèves et reconnaître les individus. Il faut
une bonne dose de naïveté pour croire que tous ces objectifs sont compatibles. »
CONCLUSION
Parce que la France a développé le collège unique sans
véritablement le choisir, parce qu'elle a voulu concilier le collège pour
tous et le lycée de l'élite, les contradictions ont été déplacées vers
les acteurs sous la forme d'injonctions paradoxales de plus en plus aiguës
au fur et à mesure que les voies de dérivation se fermaient. Le miracle,
mais aussi l'honneur des personnels de collège, vient de ce qu'ils ont
absorbé ces contradictions comme autant d'épreuves, qu'ils ont su changer
de métier, qu'ils ont imaginé mille solutions, qu'ils n'ont pas renoncé.
Le temps du collège est celui de la scolarité obligatoire,
c'est le temps de l'école commune plus soucieuse de rassembler une génération
que de la diviser. C'est pour cette raison que le collège doit renoncer
à la sélection et se fixer des objectifs communs en s'assurant qu'ils
sont atteints par tous.
« En définissant les savoirs communs, une communauté
de citoyens dit ce qu'elle attend d'elle-même. »
Quelques statistiques :
- En 6ème en 1980-81, 54% des élèves étaient à l'âge théorique
(11 ans), ils sont 68% en 1997-98.
- En 3ème en 1980-81, 50% des élèves étaient à l'âge théorique
(11 ans), ils sont 57% en 1997-98.
- Lors de l'évaluation des élèves de 6ème en mathématiques
comme en français, les 10% d'élèves les meilleurs enregistrent des performances
3 fois supérieures à celles des plus faibles.
- 63% des élèves jugés en difficultés à l'entrée au collège
sont des enfants d'ouvriers ou d'inactifs. Ils ont, de plus, souvent effectué
une scolarité plus chaotique que les autres (redoublements).
- A la veille de la 2nde guerre mondiale,
50% d'une
classe d'âge obtenait le certificat d'études
5% d'une
classe d'âge obtenait le Baccalauréat
|