L'HYPOCRISIE SCOLAIRE,

F. DUBET et M. DURU-BELLAT

 

 

INTRODUCTION

C'est dans les années 1950 que la France se dote du collège unique. Parce que l'on ne parvient pas à trancher les querelles entre enseignants du primaire et du secondaire, le collège unique n'a pas de véritable vocation pour lui-même. Ainsi est-il condamné à préserver le modèle d'une excellence scolaire réservée alors à l'élite et dans le même temps à s'ouvrir à tous les élèves. Le collège en France est donc le lieu de toutes les passions mais aussi de tous les débats impossibles, bien trop dangereux politiquement. Les parents attendent de l'école diplômes et insertion professionnelle ; les enseignants ont quant à eux d'autres priorités : développement de l'esprit critique, acquisition du goût d'apprendre, formation du citoyen… Alors que le collège s'est lentement imposé dans les structures, la résolution des tensions qui lui sont inhérentes a été laissée aux bons soins des individus qui ont petit à petit intériorisé les contradictions du système comme autant d'épreuves psychologiques. Tensions qui se sont en outre exacerbées progressivement , au fur et à mesure que le collège unique s'accomplissait, jusqu'à scolariser effectivement toute une classe d'âge.

- Problème de l'adaptation aux nouveaux publics.

- A quels objectifs donner la priorité : à la poursuite de l'excellence ou à l'accueil de tous ?

- Force est de constater que l'on fait semblant de rassembler dans le même collège l'ancien lycée de l'élite et l'école de toute une classe d'âge, en fermant les yeux sur les conséquences multiples et diffuses de cette incapacité à se prononcer.

LES TENSIONS DU COLLEGE

1// LES EPREUVES DU METIER

Le malaise enseignant est dû en partie à la distance entre l'image idéale que les professeurs se font de leur vocation et de leur fonction, et la réalité de leur pratique, bien souvent décevante, les élèves et la société étant ce qu'ils sont. ® L'école est en dessous de ce qu'elle attend d'elle-même.

A/ Les élèves ont changé

Depuis une trentaine d'années, le collège a dû faire face à l'arrivée de tous les élèves en 6ème. Au cours des 10 dernières années, les diverses possibilités permettant d'orienter les élèves vers des filières particulières se sont peu à peu fermées. Le collège doit garder dans ses murs la quasi-totalité des élèves.

Pour les professeurs, la présence d'élèves faibles semble être le principal obstacle à l'accomplissement normal du métier, et ce quel que soit le recrutement des établissements scolaires. Les professeurs sont intarissables sur ces collégiens qui ne savent pas lire convenablement, qui ne connaissent pas les rudiments du calcul, qui ne sont pas véritablement socialisés aux conduites et au travail scolaires… Les épreuves d'évaluation de la fin du CM2 indiquent que 20% des élèves ne maîtrisent pas complètement la lecture, ils sont plus nombreux encore à ne pas posséder les bases attendues en maths. ® Tous les élèves ne sont pas faits pour le collège tel qu'il est ; problème de l'hétérogénéité des élèves.

A la faiblesse d'une partie des élèves, il faut ajouter le déclin de leur motivation. Les collégiens ne semblent guère intéressés par leurs études. On peut plus ou moins signaler 3 profils : ü Les apathiques qui sont mauvais mais qui ne gênent pas. ü Les déviants qui sont mauvais mais qui se manifestent, donc gênent. ü Les autres qui ne travaillent que pour la note.

Pourquoi ?
-  Parce que le collège est la période de l'adolescence, d'une nouvelle construction sociale.
-  Parce que le collège est le même pour tous. Tout le monde y entre, ce qui signifie que les collégiens ne sont plus ni des « héritiers » ni même des « boursiers ». Pour cette nouvelle génération, les motivations au travail ont perdu leurs évidences. Même si l'utilité des études (diplôme) est reconnue aujourd'hui, elle demeure souvent théorique et trop abstraite (préférence pour le présent).
-  La logique de l'aval des programmes scolaires peut faire baisser leurs motivations. On apprend en 5ème ce qui sera utile pour la 4ème, en 4ème ce qui sera utile pour la 3ème et ce jusqu'au BAC. Ainsi l'intérêt de l'expérience présente devient-il virtuel.

B/ Les conversions du métier

La plupart des professeurs ont choisi leur métier en raison de leur goût et de leur passion pour une discipline. Mais la prise en charge d'une classe exige vite une véritable conversion. Tout nouvel enseignant peut aisément mesurer la distance qui existe entre sa vocation intellectuelle et les dispositions des élèves. La pratique du métier va alors se transformer en conciliant goût pour la discipline et intérêt pour la pédagogie. Avec des publics hétérogènes, cette épreuve est extrêmement difficile car le professeur ne peut plus se contenter de faire la classe comme on la lui a faite. Il doit d'abord construire les conditions pédagogiques et relationnelles qui lui permettront d'enseigner. Cette conversion constitue une épreuve également parce que l'autorité scolaire n'est plus naturelle, qu'elle doit être justifiée et fondée sur un travail de tous les instants :
- S'engager personnellement pour convaincre les élèves de le suivre.
- Inventer des méthodes et des manières pour faire cours.
- Instaurer une certaine paix sociale.

- Payer de sa personne (métier perçu comme de plus en plus difficile).

C/ Les paradoxes de l'égalité et de la sélection

Conçu comme le prolongement de l'école élémentaire et l'antichambre du lycée, le collège doit à la fois promouvoir les meilleurs en maintenant un niveau d'exigences élevé, sans pour autant exclure les moins bons des élèves. Les discours peuvent toujours souligner la compatibilité de ces deux objectifs, ils ne résistent pas devant les inégalités scolaires et sociales entre élèves. Le collège unique a été long à se mettre en place (Haby, 1975) car l'orientation en fin de 5ème était un fait banal pour finalement s'éteindre à la fin des années 1980. Aujourd'hui, toute une classe d'âge va et demeure au collège, ainsi la question de l'hétérogénéité des élèves ne peut-elle plus être éludée, non seulement comme un problème pédagogique, mais surtout comme un dilemme éthique. Tous les débats organisés dans les collèges à l'occasion d'une consultation se sont déroulés de la même manière :

1er temps : les professeurs en appellent à la constitution de classes de niveau.
-   Il est plus facile de faire cours.
-   Les bons élèves ne sont pas freinés, les mauvais ne sont pas découragés.
-   La formation de bonnes classes permet de fixer les bons élèves.

2ème temps : les professeurs, souvent les mêmes, instruisent la critique des filières et des classes homogènes.
-   Il n'est pas évident que cela soit plus facile.
-   Les classes de bons élèves ne sont pas forcément agréables, trop compétitives et trop conformistes.
-   Cela conduit à la formation de classes trop faibles parfaitement ingérables.

Il est impossible de choisir une solution sans sacrifier une part des finalités du collège, d'où de « savants mélanges » dans la gestion des classes dans la plupart des collèges d'aujourd'hui.

D/ Que doit-on enseigner ?

L'histoire du collège est celle d'un arbitrage entre l'école primaire et le lycée. Cet arbitrage s'est progressivement construit en faveur du lycée. Ce qui consacre le triomphe des professeurs (secondaire) sur les instituteurs (primaire). Dès lors, les programmes du collège ont été pensés comme préparant ceux du lycée d'enseignement général. De fait, le collège est conçu pour les élèves qui iront au lycée d'enseignement général et bien des professeurs dénoncent le caractère élitiste et trop ambitieux de programmes qui ne s'adressent en réalité qu'à une partie des élèves. Þ Orientation des élèves par l'échec. Les enseignements techniques et professionnels sont d'emblée, non définis par ce qu'ils sont mais par ce qu'ils ne sont pas, c'est à dire par leur distance à ce que l'on valorise dans l'enseignement général. L'idée d'orientation positive apparaît pipée dès le départ.

Se pose alors la question des savoirs communs. Puisqu'il est le collège de tous, le collège unique devrait offrir à chacun les éléments d'une culture commune. Mais :
-   Crainte d'une culture au rabais.
-   Les meilleurs élèves seront-ils formés correctement ?
-   Existence d'un risque de déchéance professionnelle, pourquoi passer des concours aussi ardus ?
-   Comment définir cette culture commune ?

2// L'ECOLE ENVAHIE

A/ La crise

L'école est envahie par les problèmes sociaux dans les quartiers difficiles, à savoir chômage et précarité.

B/ Un problème de légitimité

Les transformations des liens de l'école et de la société ne procèdent pas seulement de la crise, ils s'inscrivent dans des mutations plus profondes.

ü Le monopole de la culture que détenait l'école s'est bien effrité avec le développement des médias de masse. Þ création d'une tension entre culture scolaire et culture civile. Les valeurs et intérêts de la culture scolaire doivent sans cesse être démontrés quand les élèves sont plongés dans le flux continu des médias. ü Il existe une tension entre la vie juvénile et les contraintes scolaires. Grande autonomie de la culture juvénile aujourd'hui. ü Problème de la légitimité de l'autorité de l'école. Dans autorité, il faut y voir discipline, contenus, méthodes. L'autorité naturelle (basée sur le père) s'est défaite petit à petit. Mai 1968 en est le symbole. Enfants et adolescents sont devenus des sujets de droit. Comment dès lors fonder l'autorité ? ü L'utilité des études et l'efficacité des maîtres. La notion de service public se transforme, sa légitimité se fonde plus aujourd'hui sur ses capacités à atteindre un objectif que sur ses valeurs propres. ü Le charisme des enseignants : intéressant, compréhensif, capable de motiver.

« Le fait que l'autorité soit de moins en moins transcendante et de plus en plus immanente, coproduite par les acteurs, n'affaiblit pas fondamentalement l'autorité, mais elle en fait un problème quotidien parce que l'autorité scolaire ne se coule plus spontanément dans les mœurs. »

C/ L'école aussi crée des inégalités Le paradoxe de l'école démocratique :

-  Ouverte à tous, elle s'efforce d'égaliser les conditions d'accès aux études.
-  En accroissant son emprise, elle détermine directement les carrières des élèves au cours d'une scolarité longue ; elle sanctionne et hiérarchise les élèves puisque toute une classe d'âge est invitée à prendre part à la même compétition scolaire.

® Ouverture qui la rend plus juste mais qui la conduit à sélectionner elle-même les élèves, créant ainsi des inégalités. ® Exigence de justice scolaire se fait alors plus pressante, les conséquences d'un conseil de classe ne sont pas que scolaires mais aussi sociales. ® Quasi-création d'un marché scolaire au sein de l'école publique. Inégalités sociales et inégalités entre quartiers creusent les écarts entre établissements scolaires. Vient une autre variable : le choix des familles à même de sélectionner entre les établissements scolaires qui renforce de plus belle ces inégalités. Un mouvement de ghettoïsation se met en place : les collèges élitistes d'un côté et les collèges ingérables de l'autre. Les établissements scolaires développent alors des stratégies pour répondre à cette concurrence latente : mise en place de classes vitrines, dimension élitiste de certaines formations.

La mise en place des ZEP peut apparaître comme une réponse à ces contradictions.

D/ Les violences

La violence est un symptôme aigu de la dégradation des relations de l'école avec son environnement et de la vie scolaire elle-même. Il est nécessaire de distinguer les significations multiples de la violence des élèves : ü Violences sociales qui rentrent dans l'école : conduites délinquantes des jeunes du quartier… ü Violence résultant de la distance entre école et quartier, c'est à dire la distance culturelle entre élèves et adultes. Longtemps, l'école a su répondre à la violence par la discipline, mais aussi par une certaine tolérance, par l'acceptation d'une certaine violence juvénile. C'était celle des chahuts, des bagarres plus ou moins maîtrisées par les surveillants et il est clair que les centres d'apprentissage, les lycées professionnels et quelques lycées d'enseignement général n'étaient pas toujours des havres de paix. Le contrôle de ce type de violence banale supposait une certaine connivence culturelle entre les adultes et les élèves, une capacité immédiate de lire et d'interpréter les conduites des jeunes. Or cette connivence est devenue difficile à établir tant, dans certains quartiers, la distance est grande entre les jeunes et les enseignants. Là où un enseignant professionnel ancien ouvrier voyait des élèves chahuteurs un peu rudes, un jeune professeur de lettres sorti de l'université et de l'IUFM a de grandes chances de percevoir une violence sauvage. Ainsi le contrôle de la violence n'exige pas seulement une fermeture de l'établissement et un rappel de la loi, il implique tout autant une ouverture aux jeunes et au quartier, il implique que les difficultés sociales et personnelles des jeunes soient connues et reconnues. Les établissements sont donc conduits à balancer sans cesse entre un désir de fermeture et de fermeté, et une volonté d'ouverture et de compréhension car les élèves violents sont simultanément des coupables devant être punis et des victimes devant être aidées. ü Violences anti-scolaires qui visent les enseignants ou l'école (écoles saccagées par exemple). Il s'agit de réactions à ce qu'ils vivent comme une violence scolaire. Cette violence est structurelle car découle directement de la logique de l'école démocratique de masse. Celle-ci fixe un certain niveau d'exigences pour tous les élèves. Quand les performances ne sont pas au rendez-vous, les élèves sont conduits à se percevoir comme les auteurs de leurs échecs. Soit ils intériorisent cette image d'eux-mêmes en attendant patiemment la fin de leur scolarité, soit ils refusent d'intérioriser cette image négative et se retournent contre l'école et ses enseignants.

3// L'ECOLE ET LA REPUBLIQUE

A/ La nostalgie

Le sentiment d'affronter une crise scolaire est très vif car la plupart des Français, en particulier les enseignants, partagent la nostalgie d'une école républicaine d'autant plus parfaite et paisible que les souvenirs s'en éloignent. L'école républicaine apparaît comme un mélange de mémoire historique et de mythe romantique, un socle de références à partir duquel la situation actuelle est vécue comme une longue dégradation. La création de l'école laïque, gratuite et obligatoire, n'avait pas seulement pour objectif d'apprendre à lire, à écrire et à compter à l'ensemble des petits Français, elle visait à instaurer un nouveau type de légitimité politique et de citoyenneté en arrachant les enfants à l'influence de l'église. Il fallait que l'esprit des Lumières, du Progrès, et de la Nation se substitue à celui de l'église dont l'influence était renvoyée à la sphère privée. Ce fut là le sens de la distinction entre instruction et éducation : à l'école, l'instruction ; à la famille et à l'église, l'éducation. Mais il va de soi que ce partage ne signifiait pas que l'école se bornait à instruire, car les apprentissages scolaires étaient portés par une perspective morale affirmée. Les connaissances rationnelles, scientifiques et universelles constituaient un projet moral fondé sur le dialogue des raisons, la découverte des beautés de la science et l'apprentissage d'une grande culture nationale perçue comme universelle et identifiée à la civilisation. C'est à l'école élémentaire qu'a été confiée cette tâche, réalisée grâce à un corps d'instituteurs issus de la paysannerie et des classes moyennes, devant tous leur promotion sociale à l'école. Ils incarnaient une véritable philosophie et avaient dans leur fonction quelque chose de « sacré », assurant leur légitimité au-delà de leurs talents personnels.

L'image du professeur de lycée est plus ambiguë parce que les lycées sont associés au modèle de la grande culture des humanités à laquelle la culture scientifique est venue dès le début du 20ème siècle faire concurrence. Les professeurs étaient des savants s'adressant à l'élite sociale et scolaire plus que des militants de la République. Eux aussi étaient identifiés à une figure de l'universel et de la culture. Leur légitimité était entière comme en atteste la place de l'enseignement de la philosophie qui couronnait les études, réalisant la synthèse de l'esprit scientifique, de la morale et de l'esprit critique.

La nostalgie de l'école républicaine est donc forte car :
-  Légitimité du projet politique et culturel.
-  Monde paisible dans lequel offre et demande d'éducation paraissaient accordées.

Cependant, cette régulation reposait sur un mécanisme de sélection sociale rigoureux : l'école élémentaire pour le peuple et le lycée pour la bourgeoisie. Il ne s'agissait pas de l'école de l'égalité des chances mêlant tous les publics dans la même compétition scolaire, mais de la juxtaposition d'écoles aux publics relativement homogènes. En aucun cas on aurait eu l'idée de compter seulement sur l'école pour démocratiser la société. Dans ce système, l'école pouvait être perçue comme juste parce qu'elle offrait une chance aux meilleurs, alors que les causes essentielles de l'injustice et des inégalités étaient d'abord situées dans la société qui contrôlait l'accès à tel ou tel type d'école. La paix de l'école républicaine tenait aussi à la distance entre l'école et la société, comme l'absence de mixité des établissements scolaires l'a longtemps signifié. Cette école s'adressait avant tout à des élèves, pas à des enfants ou des adolescents.

B/ La défense républicaine

L'école républicaine a été bousculée par son ambition et son succès même. Ouvrir à tous le secondaire était clairement un projet politique : il fallait élargir l'élitisme républicain, sélectionner l'élite, toute l'élite d'abord, puis tous les élèves sur la base du mérite. De plus, le système dual apparaissait comme un gaspillage de talents dans le contexte de l'après-guerre où l'on craignait de manquer de diplômés dans une période de croissance et de modernisation. Cependant, en se transformant en école démocratique de masse avec le collège unique, les régulations pédagogiques routinières de l'école républicaine se sont effondrées, au collège tout d'abord, puis au lycée à partir des années 1980, face à l'afflux de publics nouveaux qu'il revient à l'école de sélectionner. L'ajustement miraculeux des offres et des demandes scolaires a été mis à mal au collège et au lycée par ces nouveaux venus. Ces élèves comptent sur l'école pour s'insérer, tant les diplômes sont devenus nécessaires, sinon suffisants, pour obtenir un emploi. Les murs de l'école tendent alors à se lézarder, sous la pression des familles et des demandes de « rentabilité » des formations. Dans une société qui produit de plus en plus de diplômés et où le nombre des professeurs a été multiplié par plus de 10 depuis les années 1960, le caractère rare et prestigieux de l'éducation secondaire s'est affaibli. Il est d'autant plus affaibli que la culture nationale française ne peut plus être tenue pour l'expression de l'universel, la culture française est sans doute une grande culture, mais parmi d'autres toutes aussi grandes. Qu'on le regrette ou non, l'anglais est une langue universellement utile, la science est internationale, la musique que les élèves écoutent et les films qu'ils regardent viennent plus souvent des USA que de Paris. Aujourd'hui, l'adversaire traditionnel de l'école républicaine est moins l'obscurantisme clérical que la diversité des cultures, le marché multiforme et l'obligation de résultats évoquant par trop le monde de l'entreprise. Même s'il est admis que les enfants de l'immigration doivent s'assimiler dans la culture française, on reconnaît que leur culture est une culture, ce qui n'était pas le cas voici quelques dizaines d' années. L'école doit tenir compte de son environnement et de ses élèves. Bien des professeurs retournent alors la nostalgie républicaine en défense conservatrice, en défense des clercs, comme en d'autres temps le latin a été défendu contre l'envahissement des langues vulgaires, vulgaires parce que parlées et comprises par tous. Contre cette chute, contre une école devenue séculière, il faut défendre la grandeur républicaine menacée par une adaptation au monde et aux élèves.

C/ Une école pour chacun

Le conservatisme républicain défend l'unité d'un modèle éducatif contre la diversité de la société et de ses demandes, jusqu'au point de fermer l'école au monde. Le courant libéral, qui n'a que peu d'échos en France, soutient la thèse que la marché doit réguler le bien qu'est l'éducation, permettant à chaque type de public de trouver son école.

Aujourd'hui, l'école veut promouvoir l'école égalitaire pour les élèves. La politique de discrimination positive des ZEP ne visant qu'à permettre la réalisation de l'égalité. Dubet émet l'idée de cesser de parler d'inégalités entre élèves mais plutôt de différences. S'ils sont différents dans leurs compétences (intellectuels et abstraits/manuels et concrets), on peut alors admettre d'offrir des formations adaptées à leur nature. Le raisonnement n'est en rien choquant dans une société qui privilégie l'épanouissement et l'authenticité des individus. Cependant, un problème perdure : l'adaptation de l'offre scolaire aux différences sociales serait, dans les faits, une manière d'entériner les inégalités sociales dans une école à plusieurs vitesses (les différences sont toujours des inégalités dans un monde social compétitif qui a de grandes chances de le demeurer).

D/ Le statut quo et les moyens

La demande de moyens reste un leitmotiv des enseignants quelles que soient leurs situations particulières. Cette revendication renvoie principalement au sentiment d'être écrasé par une charge de plus en plus lourde, non seulement parce qu'elle exigerait plus de temps, mais aussi parce qu'elle appelle davantage d'engagement personnel (idée de l'allègement des classes et du dédoublement des effectifs). Cependant, rien ne prouve que des classes allégées permettent de meilleures résultats, que la multiplication des heures de cours soit plus efficace, que les redoublements soient efficients.

E/ Ecole et société

S'il était attendu de l'école républicaine qu'elle donne une culture commune à tous les enfants et une grande culture à l'élite, qu'elle ouvre quelques voies de mobilité sociale aux plus méritants et qu'elle répande une image claire et pratique de la vie sociale ; l'école démocratique de masse est investie de bien d'autres missions qui n'effacent pas pour autant les anciennes. L'école est l'agent d'une intégration sociale et morale. ü Reconnaissance de plusieurs univers moraux et droit de construire une éthique personnelle. ü Développer les capacités critiques de chacun. ü Incarner la société et l'Etat. ü Répondre aux demandes des parents en assurant l'égalité des chances.

Parce que l'école est investie de toutes ces attentes, leur excès même entraîne un sentiment d'abandon. « L'école républicaine est devenue une école démocratique de masse sans que personne paraisse jamais l'avoir décidé un jour. »

QUE FAIT LE COLLEGE ?

4// L'INVENTION DU COLLEGE ET L'EVOLUTION DES NIVEAUX

A/ L'évolution des scolarités au collège

Entre 1900 et 2000 :

ü L'âge moyen de fin d'études est passé de 11 ans à 19.5 ans. ü 1% d'une classe d'âge possédait le BAC pour 60% aujourd'hui.

L'unification (ses prémices) du secondaire commence avec la réforme Berthouin en 1959. Il faudra cependant attendre 25 ans pour admettre que l'orientation ne se fasse plus après la 5ème mais après la 3ème. Les filières professionnelles (CAP, CPPN) rendues accessibles en fin de 5ème font que l'enseignement technique devient une voie de secours pour les élèves en difficultés ; alors qu'au début des années 1960, la préparation d'un CAP était plutôt une promotion pour les meilleurs élèves du primaire. ® Le collège se dessine comme le 1er cycle du lycée d'enseignement général.

L'invention de l'orientation s'explique par le souci de rendre plus juste et plus rationnelle, fondée sur les aptitudes et non sur la naissance, la ventilation des élèves entre les différentes voies, et ce, en respectant le plus possible les souhaits des familles, mais aussi en optimisant les places offertes dans l'enseignement technologique. L'orientation cristallise la tension entre le respect des demandes de formation censées refléter la variété des goûts et des aptitudes, et la volonté d'orienter les flux scolaires en fonction des besoins économiques du pays. Avec Haby en 1975, l'ouverture du collège est totale puisque l'on repousse l'orientation à la fin de la 3ème : l'école se positionne de manière offensive sur le terrain de la démocratisation. Le palier d'orientation de la fin de 5ème ne disparaît que bien progressivement. Cependant, le remplacement des CAP (préparés en 3 ans après la 5ème) par les 4ème et 3ème préparatoires, elles-mêmes remplacées en 1985 par les 4ème et 3ème technologiques à l'issue desquelles les élèves peuvent accéder à un BEP, fait que l'orientation en fin de 5ème demeure possible. Il faut attendre 1991/92 pour voir la suppression des filières (au profit des 4ème AS et 3ème I). L'ensemble des politiques menées depuis le début des années 1980 est sous-tendu par l'objectif des 80% au BAC. Il est dès lors nécessaire de conduire l'ensemble d'une classe d'âge au BAC. La dernière réforme en 1994 parachève cette évolution avec le cycle central (5ème/4ème).

B/ Les trajectoires des élèves au collège : plus longues, plus risquées

La sélection n'a pas disparu avec le collège unique, elle se fait plus tard. Le taux de passage de 5ème en 4ème diminue dans la période qui suit la réforme Haby. De 1975 à 1985, ü Le taux de redoublement passe de 6.5% à 16.6% en 5ème. ü Le taux de redoublement passe de 7.3% à 13.7% en 3ème.

A partir des années 1985, la politique volontariste de prolongation des scolarités est affichée au collège (80% au BAC). De plus, il faut désormais compter avec les droits des familles. Ainsi les taux de passage en 4ème augmentent, passant de 65% en 1985 à 77% en 1995. En 1989, 93% des élèves achèvent leur 1er cycle contre 71% en 1980 (inclusion des 4ème et 3ème techno dans les comptes).

En 1998, le taux d'accès au BAC général pour une génération est toujours de 33% tout comme en 1990.

- De 1985 à 1995, on note :
-   L'allongement des scolarités avec en particulier un développement des sorties au niveau BAC et au-delà.
-   Le déplacement du centre de gravité des formations vers l'enseignement professionnel (en 1997/98, 56% des bacheliers ont un BAC général contre 72% en 1980).
-   La mise en place d'une véritable filière technologique et professionnelle qui explique l'explosion scolaire de ces dernières années.

C/ Des élèves différents grâce à une sélection transformée

La mise en place du collège, ce n'est pas seulement plus d'élèves, mais un nombre important d'élèves qui, dans l'ancien système, n'étaient pas là. Avant la généralisation de l'entrée en classe de 6ème, les jeunes de milieu populaire étaient rares dans cette classe : en 1936-37, les enfants d'ouvriers représentaient 2.7% des effectifs contre 12.3% vingt ans après pour se situer aujourd'hui autour de 30%. La composition sociale des classes de 6ème reflète maintenant la structure de la population active. Le public scolaire a-t-il évolué de la même manière dans les classes ultérieures ? Non bien sûr puisqu'il faut compter avec les inégalités sociales de réussite et le jeu des orientations :
-  Dans les années 70, le poids des enfants d'ouvriers va diminuer dans la classe de 4ème générale (2 fois plus important dans les classes de CPPN et de CPA).
-  En 1997-98, on compte moins d'enfants d'ouvriers en 4ème générale (28%) qu'en 6ème et beaucoup plus dans les 4ème AS (41%).

« Tout se passe comme si la sélection et la répartition des élèves entre les différentes classes visaient à préserver la filière générale de tout élargissement social ou, pour le moins, à amortir considérablement les effets de l'ouverture au public. »

-  En 1997-98, le poids des enfants d'ouvriers en 4ème générale (28%) est le même qu'en 1961-62.
-  On remarquera également que le poids des enfants d'ouvriers en seconde, qui était de 19% en 1961-62, passé à 25% dans les années 1970, n'est que de 21.4% en 1997-98.
-  Aujourd'hui, sur une classe d'âge d'enfants d'ouvriers, 38% vont en BEP, 28% en 1ère technologique, et 16% en 1ère générale.

« Unechose est sûre, le collège a vu plus encore que le lycée, se modifier son public dans le sens d'une plus grande ouverture à des groupes autrefois exclus, même si l'existence d'itinéraires de relégation, très inégalement fréquentés selon les milieux sociaux, a quelque peu contenu cette évolution. »

D/ Le niveau baisse-t-il vraiment ?

Il est relativement facile d'évaluer le niveau des élèves tant les épreuves normalisées de connaissances se sont répandues. Il reste plus difficile d'apprécier l'évolution dans le temps de ce niveau de connaissances parce que cela exige de s'appuyer sur des instruments constants. Les tests de connaissances passés à l'armée par la quasi-totalité des jeunes hommes montrent sans ambiguïté une élévation sensible du niveau moyen. Cette hausse s'explique par la baisse des sorties de l'école sans aucun diplôme, par davantage de sorties au niveau BAC et plus… L'écart entre les plus forts et les plus faibles s'est sensiblement réduit parce que le niveau des seconds a plus augmenté que le niveau des premiers. Cependant, le niveau de connaissances des jeunes sortis de l'école sans aucun diplôme a tendance à régresser.

Pour ce qui est de l'école primaire : Les performances des élèves sont stables, en calcul comme en lecture. Ainsi le collège n'accueille-t-il pas des écoliers différents de ceux du début du siècle même s'il nous faut reconnaître que ce niveau moyen cache une variance plus importante qu'hier. Ceci s' explique aisément par le fait que l'école accueille désormais l'ensemble d'une classe d'âge en son sein. Elle doit alors nécessairement scolariser des élèves plus faibles. En revanche sur le court terme (depuis 1985), rien n'indique que l'hétérogénéité des élèves ait augmenté.

Pour ce qui est du collège : 90% des élèves d'une classe d'âge suivent la filière générale au collège. Les autres vont en 3ème I ou éventuellement en 3ème techno. Entre 1985 et 1997-98, les performances des élèves se sont plutôt améliorées en mathématiques, hist-géo, et SVT. Elles sont stables en anglais mais en baisse en allemand et en français. On peut donc émettre un constat positif car sur la même période, le pourcentage d'une génération scolarisée jusqu'en 3ème a sensiblement augmenté. Le collège a su garder plus d'élèves tout en préservant le niveau de connaissances de tous.

E/ Les collégiens français et les autres, un niveau qui supporte la comparaison

Depuis les années 1980, les comparaisons internationales se sont développées sur la base d'exercices analogues proposés aux jeunes d'une classe d'âge donnée.
-  Niveau moyen en lecture des jeunes de 14 ans : parmi les meilleurs entre la Finlande (devant nous) et les USA ou l'Allemagne (derrière nous).
-  Pourcentage d'élèves estimés faibles : parmi les plus bas.
-  Niveau moyen en mathématiques : parmi les meilleurs entre les Japonais et les Allemands ou les Américains.
-  Sciences expérimentales : niveau beaucoup moins flatteur…

Il n'existe pas de relation nette entre le niveau des ressources financières investies dans l'éducation dans les divers pays et les performances de leurs élèves. Il n'y a pas non plus de relation claire entre la sélectivité du système et le niveau de résultats des élèves.

F/ Un collège plus équitable ? Les avatars de la démocratisation…

Si l'on se tient aux chances données aux jeunes Français d'acquérir de l'éducation, on est tenté de conclure à une démocratisation puisque la durée moyenne des études s'est considérablement allongée et que le niveau de sortie s'est élevé en conséquence. Dans le même temps, une minorité persistante de jeunes sort de l'école sans aucune qualification. Ils étaient 27% en 1973, 8% en 1996 ; chiffre qui stagne depuis maintenant plusieurs années et qui semble avoir trouvé un plancher. Ceci n'est pas sans effets sur la démocratisation puisque ces 8% d'élèves sont composés pour plus des 2/3 d'enfants d'ouvriers ou d'inactifs. De plus, parmi les élèves entrant en 6ème avec un niveau les situant dans le quart le plus faible, la petite portion qui parviendra à redresser la barre en entrant finalement en 2nde générale ou technologique appartient plus souvent à des familles favorisées. Ce qui signifie que les enfants de milieu favorisé profitent davantage de leur scolarité au collège.

Pour Dubet, une part importante des inégalités sociales ne se justifie aucunement par des inégalités de performances, mais résulte spécifiquement des demandes d'orientation. Les familles de milieu populaire, qui se sentent moins capables de pronostiquer les chances de réussite de leurs enfants, renoncent souvent d'elles-mêmes à demander les orientations les mieux cotées. En respectant les choix des familles, on ferme les yeux sur le fait que des inégalités sociales d'orientation s'ajoutent ainsi aux inégalités de réussite.

G/ Diminution ou translation des inégalités

Les inégalités tendent à se déplacer au niveau de l'entrée en 2nde. Comme en fin de 5ème dans les années 1980, s'y conjuguent des inégalités sociales de réussite et des inégalités sociales de choix.
-  Dès la classe de 4ème, les enfants de cadres ont su choisir les options qui maximisent leurs chances d'être dans de bonnes classes, le latin notamment choisi par 56% des enfants d'enseignants et 15% des enfants d'ouvriers non qualifiés.
-  A l'entrée en 2nde, le choix d'une langue morte s'avère plus « chic » que le choix d'une troisième langue.
-  Existence d'une hiérarchie entre les filières du BAC (série scientifique et les autres, puis séries générales et séries technologiques…)
-  Au niveau de l'enseignement supérieur, où se profile une spécialisation, les inégalités quantitatives sont encore plus nettes. Les enfants de cadres et d'enseignants représentent 80% des effectifs des grandes écoles contre 30% des effectifs des universités. Oui, il y a démocratisation de l'enseignement car quand les 2/3 d'une génération obtiennent le BAC, la population des bacheliers est nécessairement plus représentative que lorsqu'elle est composée de 10% d'une classe d'âge. Accéder à un tel niveau est un bien en soi indépendamment du fait que d'autres puissent faire encore mieux.

Non, il n'y a pas démocratisation car les inégalités se déplacent plus qu'elles ne s'estompent. Dans les années 70, les enfants de cadres avaient 15 fois plus de chances d'obtenir le BAC « mathématiques » que les enfants d'ouvriers. Aujourd'hui, ils n'en ont plus que 8. L'éducation n'est pas un bien homogène, avant de parler de démocratisation, il faudrait être sûr que l'on accède vraiment au même bien « éducatif », le niveau des connaissances demeurant très inégal selon les filières.

H/ L'école face à la panne de l'ascenseur social

L'école a pu accomplir un rôle d'ascenseur social pendant la période bien particulière des « trente glorieuses » qui conjuguait croissance économique, multiplication des emplois qualifiés et allongement des scolarisations. Cette période est révolue aujourd'hui, ce qui veut dire que l'on ne peut plus compter uniquement sur son diplôme pour améliorer sa position sociale. Cependant, il ne faudrait pas considérer ce phénomène comme une faillite du système éducatif, la valeur relative des diplômes délivrés ne dépendant que du jeu des acteurs sociaux.

5// DU COLLEGE AUX COLLEGES

Les inégalités scolaires ne sont-elles que le reflet d'inégalités sociales ?

A/ La découverte du local et la naissance de l'établissement

Non, l'offre scolaire n'est pas homogène. Même au temps le plus fort de la tradition jacobine, il pouvait exister des différences entre établissements (exemple de l'adaptation des offres de formation aux demandes spécifiques dans les EPS du début du siècle). Aujourd'hui, on connaît l'existence de l'effet-établissement. Il faut attendre la fin des années 1980 pour démontrer que les écarts entre établissements ne sont pas seulement le fait de différences entre les publics scolaires. Cette représentation de l'Etat-éducateur (centralisateur) va commencer à s'effriter dans les années 1970, c'est à dire quand l'école ne pourra plus faire fi du contexte économique. Nous vivons ainsi aujourd'hui dans cette nouvelle ère de l'Etat-modernisateur. L'éducation est conçue comme un investissement et l'on s'interroge de plus en plus sur l'efficacité des politiques éducatives. L'exigence d'efficacité se fait plus pressante : on parle de modernisation et d'évaluation des services publics, on prône un contrôle plus fort des usagers. Dans le domaine scolaire, cette évolution ne se réduit pas à un simple transfert de responsabilité du centre vers la périphérie, elle se double d'une évolution idéologique tout aussi importante. Avec l'Etat fort, l'institution scolaire cherche à réaliser un idéal d'égalité des chances par la standardisation, par une offre la plus homogène possible. Paradoxalement, parce qu'elle s'unifie et s'ouvre à tous, l'école doit affronter des publics plus variés et doit donc faire l'épreuve de la diversité. Comme l'unité de l'offre peine à accroire sensiblement l'égalité, la différenciation apparaît comme la seule alternative possible pour démocratiser réellement le système scolaire. Ce n'est plus l'égalité qui est mise en avant, mais l'équité, avec notamment l'affirmation du principe de discrimination positive conduisant à la création des ZEP en 1981. Cependant, les cadres nationaux restent encore très importants et le mouvement de décentralisation apparaît bien modeste. Toutefois, une évolution importante est à noter : le système scolaire tend davantage à se structurer en fonction de la demande et non plus en fonction de l'offre.

B/ Le collège fait des « différences »

Avec ou sans réel projet, une chose est sûre, il existe des « effets établissement ». Malgré les difficultés de comparaison entre établissements, on sait qu' à contexte identique, certains collèges font plus progresser leurs élèves que d'autres. « La position d'un élève obtenant dans son collège un score moyen peut varier, selon l'établissement fréquenté du 33ème au 67ème rang par rapport à l'ensemble de la population. » Ces disparités d'acquis s'avèrent cependant modestes en comparaison avec nos voisins comme l'Allemagne ou la Belgique. Comment font les établissements efficaces ? Il s'agit souvent de la convergence d'un certain nombre de caractéristiques constituant un climat d'établissement qui détermine leur efficacité. ü Un climat polarisé sur la réussite des élèves, obsédé par l'excellence scolaire. ü Le fait de traiter les élèves avec considération et justice. ü Cohérence entre les objectifs et les pratiques pédagogiques. Il demeure qu'en moyenne il est plus facile d'être efficace avec des élèves sans problème.

C/ Les deux faces de l'autonomie

L'autonomie des établissements fait l'objet de sentiments ambivalents. Elle laisse la possibilité de prendre des orientations différentes en matière de pédagogie mais ne va-ton pas mettre en péril le cadre égalitaire de l'éducation ?

Les réticences vis à vis de l'autonomie expriment surtout cette préférence pour un pouvoir puissant mais distant, c'est à dire une angoisse devant la montée d'un fonctionnement managérial plus exigeant car il ne s'agit plus de suivre des directives mais de s'efforcer de mieux satisfaire des « clients ».

D/ Une offre éducative inégale

Le thème de l'hétérogénéité des collèges est en passe de devenir aussi prégnant que celui de l'hétérogénéité des élèves, la première étant plus encore que la seconde, désignée comme une perversion du système.

Il existe aujourd'hui un contraste entre des établissements où règne la ségrégation sociale et des établissements d'élite, protégés. Malgré une politique de redistribution (ZEP, zones sensibles…), d'autres routines viennent contrecarrer le système :

-   Les grands lycées bénéficient de dotations généreuses quand ils ont des filières d'excellence comme les classes préparatoires.

-   Les collèges sensibles sont en moyenne de plus grande taille (on progresse mieux dans les petites structures) avec des professeurs plus jeunes (les enseignants expérimentés sont en moyenne plus efficaces).

-  Alors que les classes de niveau sont officiellement prohibées depuis la réforme Haby, seulement un quart des établissements constitueraient des classes hétérogènes. Les collèges de banlieue pratiquant souvent cette politique afin d'éviter la fuite des meilleurs élèves. Lorsque des élèves faibles se retrouvent entre eux, leur classe constitue alors un milieu d'apprentissage très défavorable.

E/ Les enjeux du choix de l'école

En 1993, seulement 1 élève sur 10 était scolarisé dans un collège public différent de celui de son secteur de domiciliation (en Région parisienne, certains collèges voient fuir quelques 20% de leurs élèves). Si l'on tient compte de l'enseignement privé, un tiers des familles choisissent un autre établissement que celui que leur affecte la carte scolaire.

Qu'il s'agisse du public ou du privé, les préoccupations des parents concernent la qualité de la formation scolaire et celle de l'environnement éducatif et social proposées par le collège. Le souci de socialisation et de la sécurité de l'enfant compte autant, sinon plus, que celui de la réussite scolaire.

Il n'en reste pas moins que ces stratégies familiales contribuent à accentuer les disparités entre collèges. Depuis une vingtaine d'années, les populations scolaires sont de plus en plus clivées, la ségrégation scolaire venant conforter la ségrégation sociale et souvent ethnique…

6//LE TRAVAIL AU COLLEGE

A/ Les inflexions de la culture scolaire

Les programmes scolaires et leur traduction en horaires dessinent les contours de la formation commune. Ils sont comme les piliers de l'école républicaine, et toute modification de leur contenu apparaît comme une affaire d'importance nationale. L'absence de choix politique affirmé n'a pourtant pas empêché de profonds changements dans l'esprit et la lettre des programmes et des horaires des élèves du collège depuis les années 1950. A cette époque, l'ouverture du 2ndaire ne suscite guère d'interrogation pédagogique : la culture du lycée n'est-elle pas ce que la société a de mieux à proposer ? C'est ignorer ce que la définition de la culture scolaire doit au fait qu'elle est conçue pour une certaine élite. Destinée traditionnellement à un public qui n'aura pas besoin de bagage scolaire bien précis pour accéder aux meilleures places de la société, cette culture peut rester résolument gratuite et abstraite. Elle doit avant tout faire la distinction entre l'élite et le peuple et diverses de ses composantes, comme la culture classique et notamment le latin, ont clairement cette fonction. En même temps cette culture scolaire n'est pas dépourvue de visée émancipatrice : elle doit permettre à tous les élèves, quel que soit leur milieu social, de se libérer de leurs attaches particularistes et d'accéder à un savoir universel par la-même libérateur. Elle est tout à la fois une culture intellectuelle et morale, et une philosophie sociale.

Dès les années 1960, cette culture rencontre des élèves venus d'horizons plus variés, qui ne sont pas tous des héritiers, attendant de l'école des connaissances utiles et qui aient un sens dans leur vie de tous les jours. Par ailleurs, le développement des sciences et des techniques met en pleine lumière la distance entre le monde quelque peu figé des humanités scolaires et le monde mouvant de la connaissance et des emplois.

« Le temps n'est plus où les diplômes étaient aussi précieux qu'ils étaient rares ; aujourd'hui, ils sont d'autant plus précieux qu'ils sont abondants, et leur utilité émerge d'une concurrence beaucoup plus dure. On ne peut plus éluder la dimension instrumentale de la culture scolaire. »

Petit à petit :
- Le temps alloué aux disciplines scientifiques va augmenter.
- Le temps alloué aux disciplines littéraires va diminuer.
- Le temps alloué à l'histoire-géographie-éducation civique reste stable.
- Le temps alloué aux disciplines artistiques et sportives va augmenter.
- Le temps scolaire global est stable d'un point de vue hebdomadaire mais a beaucoup diminué sur l'année (366 demi-journées en 1950 à 316 demi-journées en 1985).
- Depuis 1995, l'horaire hebdomadaire maximal est de 23 ou 24heures, avec un déplacement du temps scolaire ainsi gagné dans des activités de soutien ou de consolidation, ou des études dirigées.

B/ Les redéfinitions du métier d'enseignant

63% des professeurs de ZEP pensent qu' « être éducateur fait partie des fonctions normales du métier ».

Les contextes de travail difficiles contraignent les enseignants à de multiples adaptations. Ils modulent leurs objectifs en fonction du niveau des élèves, ce qui les conduit parfois à réduire leurs exigences. Ils ne peuvent plus privilégier, dans les évaluations les seules connaissances scolaires, il leur faut donc valoriser davantage les attitudes, telles que la bonne volonté, ou encore accorder moins de place à l'écrit et plus de place à l'oral. Cet ajustement des exigences en matière de résultats ne signifie pas l'abandon de tout « acharnement pédagogique ».

UNE POLITIQUE POUR LE COLLEGE

7// CHOISIR LE COLLEGE

« C'est le principe même du collège pour tous qu'il faut affirmer de manière résolue, en étant conscient de tout ce que cela entraîne quant aux finalités, aux contenus et aux modalités de cette formation commune. »

A/ Un collège pour tous

Le choix d'une école moyenne de 4 ans, greffée sur une formation primaire de 5 ans, soit 9 années de formation commune s'impose pour plusieurs raisons.

-  Il s'agit d'une nécessité face aux exigences actuelles et futures de l'environnement économique et social où évolueront les jeunes.
-  9 années ne sont pas de trop pour doter toute une classe d'âge de références communes lui permettant de se sentir chez elle dans la société, de comprendre comment cette dernière s'est construite, d'être capable de penser son évolution.

« Le choix du collège est donc à la fois une nécessité économique, une exigence civique et un parti pris éthique. »

B/ Suspendre la sélection

Il faut accepter que la fonction de sélection soit repoussée en aval du collège, afin d'aménager un espace où le seul impératif soit la formation des jeunes. Certains pays européens, les pays scandinaves notamment, ont fait ce choix et il n'y a aucune évaluation ni aucune orientation avant la fin de l'école moyenne. Le niveau scolaire n'y est pas pour autant plus faible et les pays qui ont joué le plus avant cette carte ont plutôt des élèves faibles moins faibles qu'ailleurs, et une élite toute aussi bonne. Accepter le collège pour tous, c'est en finir avec une logique élitiste visant implicitement à sélectionner une petite poignée de gens conformes à un modèle bien défini. Or ce qui prévaut en France, c'est une conception de fait élitiste de la démocratisation : démocratiser, c'est donner à tous les mêmes chances d'entrer à Polytechnique. L'essentiel, c'est l'égalité de la quantité et de la qualité des ressources éducatives reçues par chacun. On doit d'une certaine manière revenir à la conception, très éloignée de l'acception actuelle, de la démocratisation du primaire, prévalant du temps de l'école républicaine : en donnant une instruction à tous, on visait plus l'intégration sociale et un certain respect mutuel que l'égalité des conditions.

C/ Eduquer aussi

Le collège, comme l'école primaire, est un espace nécessairement éducatif, et tous les adultes qui y travaillent ont en charge cette responsabilité. On ne peut accepter de distinguer la vie scolaire et l'espace des apprentissages, pas plus que la division du travail qui va avec et qui revient souvent à confier le travail éducatif le plus dur, le plus brutal parfois, aux personnels les plus jeunes et les plus précaires. Trop de division du travail tue la notion même d'éducation. Mais la dimension éducative du collège ne saurait se réduire à l'apprentissage de cette citoyenneté élémentaire. Car l'école éduque par la manière dont elle fonctionne. Beaucoup d'élèves éprouvent au jour le jour l'écart qui sépare parfois les principes de la démocratie et de la citoyenneté, tels qu'on les enseigne et les modes de relation avec les professeurs, le fonctionnement de l'établissement ou les modalités de la sélection scolaire (exemple des élèves de SEGPA relégués dans les préfabriqués, des élèves de la 5ème H qui sont pour la plupart des garçons d'origine maghrébine, des jeunes professeurs qui ont en charge les classes difficiles…). Les jeunes, victimes de ces traitements méprisants, développent alors des comportements violents ou apathiques. Pour faire face à ces attitudes, l'école démocratique (puisqu'à la source de cette violence) ne peut s'appuyer que sur une discipline vécue comme juste, partagée par l'ensemble des adultes, qui ne soit perçue ni comme une vengeance, ni comme une façon de stigmatiser les enfants de pauvres en les transformant en classes dangereuses.

« Il ne faudrait pas que le collège chasse ceux qu'il ne parvient pas à instruire parce qu'il n'a pas d'éducation à leur offrir. »

D/ Garantir une culture commune

Définir un sa voir minimum, ce n'est pas prôner une intervention minimale de l'Etat, c'est au contraire l'inviter à prendre au sérieux ses responsabilités envers chaque enfant, le contraindre par une obligation de résultat. Le renoncement n'est pas dans la définition d'un SMIG culturel, mais bien dans la tranquillité avec laquelle on accepte que tant d'élèves soient complètement dépassés par les programmes actuels.

Sans doute l'idéal de la grande culture élève et cimente une société. En réalité, la culture est aussi une marque de distinction, elle est ce que les autres n'ont pas. La culture, la vraie, la grande, c'est ce que partage l'élite cultivée et la notion de culture scolaire commune pas plus que celle de culture de masse ne sont alors acceptées.

Si l'on se rallie à une conception laïque et démocratique de la culture et des savoirs, il n'est plus interdit de se demander qui doit définir les contenus de la culture commune. La réponse ne fait aucun doute, c'est à nous tous ! Ce contrôle d'une société sur ce que produit son école n'a rien de scandaleux dans un espace démocratique. Ce que l'on attend, ce sont des compétences et des savoirs relativement généraux qui, non seulement, survivront à l'usure des connaissances, mais permettront les évolutions ultérieures. La priorité démocratique, c'est de définir la culture commune non pas en fonction de ce que les professeurs peuvent offrir, mais en fonction de ce dont les jeunes ont besoin pour vivre pleinement leur vie.

En fonction de ce qui leur est accessible aussi. On ne peut se satisfaire de l'affichage de programmes ambitieux et honorables dont chacun s'accorde à reconnaître qu'ils restent inaccessibles à la plupart des élèves.

E/ Les tensions de la culture commune

Le SMIG culturel ne saurait se réduire à ce qui sera strictement utile dans la vie d'adulte des élèves, leur vie de travail et leur vie de loisir telles qu'on peut les imaginer aujourd'hui.

La culture commune a pour finalité essentielle de préparer les jeunes à entrer dans le monde tel qu'il est, à évoluer dans la société qui est la leur.

8// ADAPTER OU REFORMER ?

A/ L'école s'adapte

Ceux qui voient dans l'école un animal immobile, un nœud de blocages, ont souvent le nez sur le guidon car, dès que l'on prend un peu de distance, c'est le changement qui domine.

-  Même si le professeur reste au centre de la classe, son style pédagogique a été bouleversé.
-  Les programmes ont été profondément changés.
-  Les humanités ont perdu leur position prépondérante.
-  Les lectures des collégiens correspondent davantage à leurs goûts.
-  Les élèves peuvent faire entendre leurs voix.
-  Développement de l'interdisciplinarité et du travail en équipe.
-  Les « surgé » sont devenus des CPE.
-  Développement de la fonction et du rôle des délégués de classe.

B/ Un changement peu maîtrisé

Le changement n'est pas la résultante directe de projets affirmés, il découle des opportunités saisies par les politiques à tel ou tel moment et surtout du jeu des intérêts des usagers de l'école et de ceux qui y travaillent.

« L'école a le sentiment de devoir tout faire, ce qui peut donner l'impression de faire n'importe quoi, de céder aux modes, aux foucades, d'être exposée à une critique permanente puisqu'elle ne peut jamais faire tout ce qu'elle doit faire. L'école doit assurer l'égalité et l'excellence, elle doit préparer à l'emploi et offrir une culture générale, elle doit socialiser les élèves et reconnaître les individus. Il faut une bonne dose de naïveté pour croire que tous ces objectifs sont compatibles. »

CONCLUSION

Parce que la France a développé le collège unique sans véritablement le choisir, parce qu'elle a voulu concilier le collège pour tous et le lycée de l'élite, les contradictions ont été déplacées vers les acteurs sous la forme d'injonctions paradoxales de plus en plus aiguës au fur et à mesure que les voies de dérivation se fermaient. Le miracle, mais aussi l'honneur des personnels de collège, vient de ce qu'ils ont absorbé ces contradictions comme autant d'épreuves, qu'ils ont su changer de métier, qu'ils ont imaginé mille solutions, qu'ils n'ont pas renoncé.

Le temps du collège est celui de la scolarité obligatoire, c'est le temps de l'école commune plus soucieuse de rassembler une génération que de la diviser. C'est pour cette raison que le collège doit renoncer à la sélection et se fixer des objectifs communs en s'assurant qu'ils sont atteints par tous.

« En définissant les savoirs communs, une communauté de citoyens dit ce qu'elle attend d'elle-même. »

Quelques statistiques :

- En 6ème en 1980-81, 54% des élèves étaient à l'âge théorique (11 ans), ils sont 68% en 1997-98.

- En 3ème en 1980-81, 50% des élèves étaient à l'âge théorique (11 ans), ils sont 57% en 1997-98.

- Lors de l'évaluation des élèves de 6ème en mathématiques comme en français, les 10% d'élèves les meilleurs enregistrent des performances 3 fois supérieures à celles des plus faibles.

- 63% des élèves jugés en difficultés à l'entrée au collège sont des enfants d'ouvriers ou d'inactifs. Ils ont, de plus, souvent effectué une scolarité plus chaotique que les autres (redoublements).

- A la veille de la 2nde guerre mondiale,

-   50% d'une classe d'âge obtenait le certificat d'études

-   5% d'une classe d'âge obtenait le Baccalauréat

 



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