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Sur le chemin de lécole, les petits villageois gardaient une certaine
part dinitiative, ils faisaient des rencontres, inventaient des
niches et des jeux. Maintenant, le ramassage scolaire les prive de tout
contact avec la nature et la vie des adultes. Le trajet se réduit dune
navette de porte à porte. Plus de détours, de rencontres en chemin. Lenfant-paquet
na plus le loisir dobserver, de muser.
- Des instituteurs, lors dun colloque récent sur les échecs scolaires,
ont constaté quils réussissaient mieux à capter lattention
de leurs élèves en milieu rural quen milieu urbain. Ils ont remarqué
que cest encore dans les villages où il ny a pas de ramassage
scolaire organisé que le degré de concentration en classe est le meilleur.
Le trajet à pied vers lécole permet aux enfants de voir le monde
qui existe : cest un monde de froid, de chaud, de vent, de
neige, de pluie : il y a le sol quon sent, il est très dur,
ou boueux, ou sec, sans compter les oiseaux, les bruits de la nature,
les ruisseaux, les animaux, etc. En campagne, les enfants, quand
ils arrivent en classe, sont fatigués physiquement, mais ils restent disponibles
intellectuellement et veulent progresser socialement, et pour ce faire,
travailleront plus.
- Cest dailleurs la même chose pour les enfants qui «font»
leur année scolaire pendant le mois de classe de neige. Les professeurs
obtiennent dexcellents résultats en général. Les élèves font une
expérience de leurs corps à lextérieur, ils ont un espace où ils
se sentent responsables deux-mêmes, et de ce fait, quand ils rentrent
en classe, leur esprit est très attentif par ce que tout leur besoin de
motricité a été employé.
Rentré à la maison, lélève
externe est collé devant le poste de télévision. Au moins, pendant quil
est hypnotisé par limage, il ne dérange pas. Le petit écran est
une fenêtre ouverte sur lailleurs, sur le monde extérieur à lespace
clos où on le tient claquemuré. Cette bouche qui vomit une bouillie dimages
et dinformations peut impunément choquer lenfant à qui on
na plus le temps dexpliquer les choses. Il est soumis à un
bombardement quantitatif, il ne sélectionne pas et les parents nont
pas le temps de le faire avec lui.
Nous voulons donc que nos enfants aient la sécurité. Soit. Mais la sécurité
pour quoi faire ?
Si le prix de la sécurité, cest de navoir
plus dimagination, plus de créativité, je crois que la sécurité est
un besoin primordial, mais il nen faut pas trop. Trop de sécurité
étête le désir et le risque qui est nécessaire pour se sentir à chaque instant
« vivant », « mis en question ».
A notre époque, au lieu dinitier lenfant à la sécurité par une
parole claire sur la manipulation de tous les objets, on le met à l'abri
en le parquant.
En fait, lenfant, bien plus jeune quon ne croit, est tout aussi
capable queux
Mais à condition quils le mettent en confiance,
lui enseignent la technologie de leur savoir-faire, et fassent comprendre
et intégrer la réalité des choses auxquelles eux-mêmes, en vérité, sont
confrontés, enseignant le pourquoi des risques et des dangers. Ladulte
qui aura expliqué auparavant que le danger serait le même pour lui que pour
lenfant sil sy prenait de la même façon dont lenfant
sy est pris ne lhumilie pas et ne le culpabilise pas.
Cest cela, éduquer un enfant : cest linformer par
anticipation de ce que son expérience va lui prouver. Et de cette façon,
il sait quil ne doit pas faire tel geste, non pas quon le lui
ait défendu, mais parce que cest imprudent, par la nature des choses,
par les lois universelles, et aussi par son manque dexpérience.
On punit, on gronde,
on frappe parfois au moment où la conversation serait dune valeur
inégalable. La prochaine fois quil se mettra dans cette situation,
il aura de nouveau la même difficulté à éviter lincident, puisque
le risque na pas été intellectualisé par lui et quil nest
pas considéré comme étant capable dassurer sa sécurité.
Lenfant doit découvrir lui-même quil sera moins exposé
sil sassocie à plusieurs camarades ; sil se fait
des amis. Lintérêt vital de lêtre humain est de développer lentraide,
la relation sociale.
Si quand lenfant a risqué quelque chose, on en parle avec lui sans
le gronder, il est immunisé pour la prochaine fois. Si on engage un
enfant dans un tournage, une séance de photos, une série de tests, il est
probable que le trouble sera sensiblement compensé par une explication circonstanciée :
le prévenir quon va lobserver pendant quil travaille,
joue et mange, mais aussi lui dire à qui, à quoi sert cette expérience.
Dans un monde de surplus,
de pléthore de biens matériels mal répartis, le seul bien unique, cest
justement lamour entre les êtres.
La jeunesse dérange parce quelle porte à remettre en question
un certain nombre de valeurs reçues et le système. Mais en plus, cest
très épuisant dêtre à son écoute. Cest peut-être la clé du véritable
et seul changement, et que personne ne veut. Ce système, qui réduit léducation
à la transmission du savoir, est remis en question, devant la proportion
des échecs scolaires. Le phénomène « masse », augmentation de
la population scolaire, nexplique pas à lui seul, linadéquation
du système, le désintérêt des élèves : lécole en France dans
le monde actuel ne prépare pas à la vie dadulte.
Le sort qui est réservé aux enfants dépend de lattitude des adultes.
La cause des enfants ne sera pas sérieusement défendue tant que ne sera
pas diagnostiquer le refus inconscient qui entraîne toute société à ne
pas vouloir traiter lenfant comme une personne, dès sa naissance,
vis-à-vis de qui chacun se comporte comme il aimerait quautrui le
fasse à son égard.
Chaque fois quon veut
bien considérer sa créativité, on attend de lui quelque production artistique
ou scientifique, sil cesse dêtre traité en innocent futile,
il est le nain intelligent, le petit adulte, lenfant prodige. Sa
créativité nest reconnue que si elle profite au monde des adultes. Les
10 ou 12 premières années de la vie correspondent au plein épanouissement
de la spontanéité. Lenfant est capable dune invention très
diverse, dun jaillissement perpétuel dans sa vie quotidienne, dans
son langage.
A quoi sert lenfance si elle est autre chose quun passage délicat
et nécessaire, si elle nest pas seulement un temps dinitiation
et dapprentissage ? Pourquoi est-ce que cela paraît subversif
de dire que les parents nont aucun droit sur leurs enfants ?
A leur égard, ils nont que des devoirs, alors que leurs enfants nont
vis-à-vis deux que des droits, jusquà leur majorité.
Pourquoi est-ce que cela paraît subversif de dire que tout adulte doit accueillir
tout être humain dès sa naissance comme il aimerait lui-même être accueilli ?
Lenfant a lintelligence de la vérité, en tout cas de la sincérité
des échanges affectifs. Si un adulte agresse physiquement un enfant, cest
quil est sans parole à son égard ; il ne le considère pas comme
humain.
Lhomme à sa naissance est déjà lui-même, entièrement, mais sous une
forme où tout est en advenir. Les choses se réaliseront petit à petit, sexprimeront
plus tard, selon ses rencontres formatrices. Mais tout est là,
et il mérite dêtre respecté au même titre que sil avait 50 ans
dexpérience, dautant plus que les années peuvent dégrader et
abîmer les richesses dorigine.
Les adultes refoulent en eux lenfant, alors quils visent à ce
que lenfant se comporte comme ils le veulent. Ce sens éducatif est
faux. Il vise à faire se répéter une société pour adultes, cest-à-dire
amputée des forces inventives, créatives, audacieuses et poétiques de lenfance
et de la jeunesse, ferment de renouveau des sociétés.
Singulière espèce qui, à lâge adulte, ne veut pas évoluer, par crainte
de la mort et qui a peur instinctivement de la vie. Il y a tout un
cycle dépreuves à traverser avant de pouvoir véritablement épanouir,
libérer ce que chacun a dunique, de spécifique, cest-à-dire
de singulier à chacun de nous.
Si un enfant nest pas inscrit dans une crèche, presque avant de naître,
il ne pourra pas y avoir une place. Tout est fait pour ne pas le laisser
être. Les enfants entendent dire précocement : « Il ny aura
pas de place pour toi, cest trop tard ». Et en plus « Il
ny aura pas de travail pour tout le monde ». On cultive langoisse
qui devient la base de léducation. Elle est à lorigine de tant
de dérèglements adolescents.
Il nest pas bon que lenfant, sous prétexte de le laisser sépanouir
librement, ne rencontre jamais de résistance ; il faut quil rencontre
dautres actes de désir, celui des autres et correspondant à dautres
âges que le sien. Si on cédait tout à lenfant, on annulerait complètement
ses pouvoirs créatifs qui sont la recherche ardente de satisfaire un désir
jamais satisfaisable et qui, en ce quil est satisfait, se détourne
en cela du moins de lobjet et se satisfait dune autre façon.
Il est extrêmement fallacieux de considérer les humains en période denfance
comme un monde à part. Les enfermer ensemble dans un supposé cercle magique
est stérilisant. Le rôle de l'adulte est de susciter et daider lenfant
à sinsérer dans la société dont il est un élément vivant nécessaire,
durant le temps quil est encore dans sa famille. Pour soutenir son
développement, il faut le considérer dans son advenir et faire confiance
à ladulte quil vise à devenir.
Ballottés entre ces deux traitements qui sont tous les deux abusifs :
le regard attendri sur leur vert paradis : « profitez-en comme
nous en avons joui à vos âges » ; ou bien le doigt tendu, corrections
à lappui, vers un modèle à imiter. Dans les deux attitudes, le conformisme
est réducteur. Il occulte la vérité : lenfant qui vient au monde
devrait nous rappeler que lêtre humain est un être qui vient dailleurs
et que chacun naît pour apporter à son temps quelque chose de nouveau.
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