La relation école-familles : "
Peut mieux faire "
Judith Migeot-Alvarado
Judith Migeot-Alvarado dresse un bilan intéressant de l'état des relation entre l'école et les familles. La justesse du rappel historique ainsi que le constat et les témoignages des différents acteurs permettent de tirer quelques conclusions quant aux relations actuelles. Sans chercher de coupables ni de responsables à des relations qui ne sont pas placées sous le signe de l'idylle, l'auteur nous offre surtout des extraits de témoignages de parents, d'enseignants, de collégiens. On peut regretter que les témoignages d'élèves ne soient que ceux de " bons " élèves qui s'ils ont un regard critique vis à vis de leur environnement n'en reste pas moins influencés par l'image qu'ils peuvent avoir au sein de l'institution. De plus tous les élèves cités ont leur deux parents (qu'ils soient séparés ou non) qui travaillent ce qui n'est pas obligatoirement représentatif de la population collégienne. Toutefois comme le fait fort justement remarquer l'auteur, " la lucidité de leur jugement est à prendre en compte "(p.94). A l'exception de cette petite remarque le livre de Judith Migeot-Alvarado ouvre des portes, notamment en ce qui concerne les attentes de chacun des acteurs en matière de communication entre l'institution scolaire et les familles, ces " usagers indirects ". Le caractère déjà synthétique de cet ouvrage et la profusion de témoignages et de citations permettent surtout de dégager quelques pensées et citations sur des thèmes d'importance.
La relation école-familles a évolué. D'une école " sanctuaire ", on est passé à une école " ouverte " tentant de faire des parents des partenaires. D'une famille patrimoniale et moralisatrice qui décidait du " destin " des enfants, on glisse vers une famille diplomate et relationnelle. Dans le lien école-familles, ce sont les enseignants et les parents qui nouent ou dénouent la relation par enfant interposé. Ce lien est difficile. On parle de malentendu, de malaise qui se serait installé et qui rend complexe la relation entre les deux instances d'éducations et de socialisation. Ces tensions varient en fonction des époques, des niveaux d'études des enfants, de l'appartenance sociale des familles, des pays.
1 - Quelle mission pour l'école ? Rappel historique
Instruction ou éducation : une vieille histoire
C'est aux grecs que les sociétés latines doivent la différence entre instruction
et éducation. Chez les grecs, l'éducation et l'instruction étaient assumées
par une personne différente : le pédagogue et le maître. Cette distinction instruction
et éducation était déjà une construction sociale, elle traduisait et traduit
encore les oppositions d'une société, ou plus précisément d'une classe sociale
à un moment donné de son histoire.
Ecole-familles en France : une histoire mouvementée
Condorcet maintient ce clivage instruction/éducation. Pour lui, il s'agit dorénavant
d'écarter la religion du domaine public et de la renvoyer aux familles (au privé).
Ce clivage sera atténué par les idéologues de la IIIéme République. L'école
de la IIIéme République remplit aussi une mission éducative. Cette école fut
d'abord et avant tout une institution chargée de faire des écoliers des citoyens
s'identifiant à la nation. Pour la construction de la nation, l'Etat va prendre
en main l'éducation " des enfants du peuple ". Les familles sont exclues, pour
Jules Ferry, car " seul l'Etat a le droit d'éduquer ". En effet, l'Etat représente
la culture universelle, la raison, la science, la langue nationale, l'égalité
des chances tandis que la famille représente la culture locale, la superstition,
la religion, le patois, l'hérédité des privilèges. Afin que les familles adhèrent
à l'idée d'une mission éducative de l'Etat , l'Etat va devoir s'appuyer sur
les principes républicains (liberté, égalité et fraternité) qui vont se traduire
dans l'institution scolaire républicain : laïcité, obligation et gratuité. Ce
sont les trois piliers idéologiques sur lesquels va s'édifier la nouvelle politique
éducative.
Cette politique éducative ne sera pas égalitaire :
- la laïcité est celle de l'enseignement primaire public ;
- l'obligation se réfère à l'instruction primaire et s'arrête à 13 ans ;
- la gratuité attribuée seulement aux écoles primaires publiques.
L'école de la IIIéme République devait donc assurer l'unité nationale sans modifier
les hiérarchies sociales ni sexuelles.
Jusqu'en 1941, il existe deux ordres d'enseignement parfaitement
cloisonnés. C'est à cette date que l'école primaire supérieur se transforme
en collège moderne : c'est le premier pas vers une démocratisation de l'accès
aux études secondaires.
Après la guerre, le niveau de recrutement augmente, la poussée démographique
fait que les familles veulent que leurs enfants aillent à l'école : c'est la
clé de la promotion.
Avant la fin des années 50, l'obligation de scolarité sera prolongée jusqu'à
16 ans.
La massification a modifié les rapports entre école et familles. Une relation
de " proximité " s'installe entre les familles et les institutrices. En revanche
au collège, les parents sont tenus à l'écart.
Après avoir assisté pendant trois décennies, à la lutte des parents pour conquérir
l'école, maintenant, la situation s'inverse : les établissements demandent l'aide
des parents sur le plan éducatif et de plus en plus sur le plan du travail scolaire
à la maison.
2 - Ecole-famillles : problèmes actuels
L'inégalité des familles vis-à-vis des devoirs à la maison
Les devoirs à la maison sont fortement critiqués par le corps médical depuis
les années 50. Mais en plus de cette surcharge de fatigue les devoirs scolaires
du soir renforcent les inégalités sociales. En effet, les parents issus de milieu
populaire rencontrent des difficultés pour aider leurs enfants dès le primaire.
L'hétérogénéité du public scolaire
La massification de l'enseignement secondaire, l'arrivée d'un nouveau type d'élève
va introduire un nouveau phénomène : l'hétérogénéité du public scolaire. Ce
phénomène va poser problème dans la relation école/familles : les différences
de culture vont engendrer une inadaptation de ce public à cette forme scolaire
et à ces contenus jugés comme universels.
Les voies de l'excellence scolaire restent toujours accessibles aux classes
favorisées. Cependant la politique éducative en France prétend offrir les mêmes
chances d'accès pour tous. Pour expliquer les différences, on est passé de l'idéologie
" des dons et des aptitudes ", à l'idéologie " méritocratique ", puis à l'idéologie
" inégalités de capital culturel ", puis " mobilisation parentale ". Ces idéologies
vont permettre aux acteurs scolaire de protéger leurs pratiques en renvoyant
à l'extérieur de l'école l'explication de ses échecs (manque d'éducation, de
culture scolaire).
De l'élève à l'enfant-élève
Parents et enseignants se sentent souvent menacés, voire attaqués dans leur
propre domaine. Les limites d'éducation des parents et des enseignants ne sont
pas vraiment posés. Si l'école peut mieux faire, il serait naïf de penser qu'elle
peut tout faire.
L'orientation des élèves
L'orientation est souvent posée comme un des problèmes cruciaux de l'école.
La loi de 1989 précise qu'au collège, l'élève élabore son projet personnel à
l'aide de la communauté éducative et qu'au lycée, il réalise son projet. Le
problème d'orientation se pose exclusivement à l'égard des élèves en difficulté.
Mais plutôt qu'un projet de formation, l'apprentissage les attire mais l'offre
locale ne correspond pas à leur demande. L'individu est posé comme responsable
de son destin social, il lui appartient par ses ambitions, et son engagement
dans une conduite active, finalisée, d'optimiser ses opportunités. La réussite
devient fonction de " l'énergie motivationnelle " et celle-ci de la capacité
du sujet à élaborer un projet.
La participation des parents à l'école dans les textes officiels
En observant l'évolution des circulaires, on constate que l'Etat donne une importance
croissante à la présence des parents à l'école. Beaucoup de textes ministériels
concernent le rôle et les devoirs des parents d'élèves, de l'école et des professeurs
envers les familles et les associations des parents d'élèves. Les parents sont
associés à l'administration scolaire à différents niveaux : national, des départements,
de l'académie, de l'enseignement secondaire, au niveau secondaire et au niveau
primaire.
3 - Ecole-familles : regards croisés
L'absence d'intérêt et de participation semble tenir à plusieurs facteurs manifestes . La méfiance à l'égard des structures de concertation résultant d'un manque d'information sur leur fonctionnement, de la faible marge d'action qui leur est accordée tant par les textes officiels que par l'attitude des chefs d'établissement et des enseignants. Une plus ample information semble indispensable surtout au niveau local. Cependant, à supposer que ces structures retrouvent quelque crédit, deux choses sont à éviter : conserver le même type d'information qui est accessibles uniquement aux parents des milieux favorisés, on tendra à accroître les inégalités sociales devant l'école ; la diffusion des informations sur les résultats des enfants, ou de certaines informations relatives à la gestion quotidienne de la vie scolaire risque d'accroître la concurrence qui est déjà aiguë dans certains quartiers et risque de développer la stigmatisation des établissements populaires. Ainsi un travail de sensibilisation est sans doute à faire auprès de l'administration et des enseignants pour tenter de réhabiliter la présence des parents dans les établissement afin de favoriser la réussite scolaire des enfants. Il serait souhaitable d'inclure ou de développer ce travail de sensibilisation dans la formation continue et la formation initiale. La participation des parents améliorerait probablement le fonctionnement des établissements mais il ne faudrait pas tomber dans les effets pervers c'est-à-dire une grande visibilité des parents en difficulté.
4 - Du côté des élèves : l'image du collège
La vision que les " bons " élèves (enquête réalisée auprès de " bons " élèves uniquement) ont du collège n'est pas très éloignée de la vision qu'en ont les " mauvais " élèves car les mêmes termes reviennent " prison ", " caserne "...Mais la différence est que les " bons " élèves expliquent en détail ce qu'ils éprouvent à l'égard du collège et qu'ils développent des stratégies afin de minimiser les contraintes : " travailler à fond ". Ces bons élèves se retournent souvent vers leurs parents ou vers quelqu'un d'autre pour trouver chez eux le " bon pédagogue " qui leur manque au collège. Les mauvais élèves se contentent de stigmatiser le collège comme " l'enfer ". La vision très négative qu'ils ont du collège ne les empêchent pas d'apprécier les bons professeurs et les bons cours.
5 - Du côté des professeurs : l'image de leur mission
Pour favoriser une collaboration active entre l'école et les familles, les deux parties doivent avoir des contacts étroits, fréquents et confiants. Il existe un manque de connaissances mutuel qui induit l'émergence de nombreux a priori et d'images déformées de part et d'autre. Il devient alors tentant de se rejeter mutuellement les responsabilités. Les enseignants se plaignent de la " démission parentale " qu'ils interprètent comme un refus de collaboration. Or on peut observer ce même phénomène en ce qui concerne le rôle des enseignants et de leur mission.
travail scolaire et implication des enseignants et des parents
Comment parents, enfants et éducateurs peuvent-ils oeuvrer ensemble sans que
chacun empiète sur l'autre et sans que les enfants se sentent tiraillés entre
les deux ? Les parents des classes moyennes ont acquis leur position sociale
grâce à leur capital scolaire, ce qui les incitent à s'investir davantage dans
la scolarité des enfants car ils désirent assurer pour leurs enfants la reproduction
de ce capital par l'école et la garantie d'une position sociale respectable.
D'autres travaux montrent :
- la relation complexe existante entre la position sociale des parents, leur
style éducatif et la réussite scolaire des enfants ;
- l'existence de " réussites paradoxales " : certains élèves par leurs caractéristiques
sociales et culturelles sont prédisposés à l'échec scolaire et en réalité, ils
peuvent connaître des réussites très honorables. Ces réussites semblent résulter
du rapport au savoir des élèves et de leur mobilisation à l'école et sur l'école.
Les élèves qui découvrent le plaisir d'apprendre, qui donnent un sens proprement cognitif réussissent mieux à l'école quelque soit leur origine sociale et ethnique. Le collège, ce " maillon faible du système " est invité à pratiquer réellement " l'apprendre à apprendre ", à faire découvrir des connaissances, à les trier, à les hiérarchiser, à les critiquer. Mais pour cela il faut que l'école suscite le désir d'apprendre. Comme l'école est appelée de plus en plus à se légitimer devant les familles, elle peut le faire en montrant que le savoir a du sens, que cela peut aider à comprendre le monde. Ainsi, l'école pourrait devenir cet " espace de construction d'une direction que l'on assume grâce aux savoirs que l'on acquiert ". ( Develay, 1996)
De la sollicitation à l'exclusion : la position intenable des
parents
Les familles se sentent exclues des lieux de décision et se sentent convoquées,
ce qui explique leur manque d'adhésion à l'école. De nombreux parents de catégories
moyennes-supérieures se plaignent de l'importance croissante que prend l'école
dans la vie familiale. L'enfant est perçu de plus en plus comme élève, ce qui
explique les tensions à l'intérieur des familles et aussi entre familles et
école. D'autant plus que les collégiens entrent dans une période propice aux
conflits familiaux. Face aux problèmes des inégalités sociales dans le domaine
de la réussite scolaire, on peut continuer à chercher un bouc émissaire soit
du côté de l'école soit du côté des familles. La conjonction de l'amélioration
des deux côtés serait efficace.
CONCLUSION
Pour faire face aux difficultés, il reste à l'école l'articulation entre l'éducatif et le pédagogique. Cela permettra plus d'efficacité au niveau de l'acte pédagogique mais aussi d'assurer l'équité au sein même de l'établissement. C'est dans ces conditions que le collège peut être un facteur d'égalité des chances. Quant à l'amélioration des relations familles-école, le milieu familial et le milieu scolaire doivent rester distincts. Collaboration, partenariat, relation entre familles et école ne signifie pas confusion et encore moins fusion des rôles. Pour favoriser l'autonomie et l'évolution psychique et sociale du jeune, la famille doit s'effacer peu à peu tout en restant bienveillante et attentive.
Le rôle de l'école : " Ce que l'école peut faire c'est d'ouvrir les enfants au monde, à l'universel, à travers le développement de l'esprit critique […] Dans ce monde en changement, ce qui doit être le nord, la ligne directrice de l'éducation, c'est de devoir renforcer l'autonomie des enfants et la capacité d'initiative de notre jeunesse. " (p.101)
Le rôle du conseiller principal d'éducation… : " Le conseiller d'éducation l'est (l'interlocuteur privilégié) pour tout ce qui concerne la vie des élèves dans l'établissement. " (p.33) … et ses limites : " Mon intervention a des limites et en général elles sont d'ordre professionnel, je ne suis ni psychologue, ni infirmière, ni professeur, ni conseiller d'orientation. Dans ces conditions je délègue. " (p.106)
Le clivage enfant-élève : " A l'école primaire, lorsqu'on va voir la maîtresse on a le sentiments de discuter autour de l'enfant, tandis qu'au collège on ne parle que de l'élève, alors que souvent les enfants traversent une période difficile, l'adolescence. " (p.41)
Les rapports délégués élèves - corps enseignant : " Ces délégués sont […] souvent d'accord pour dire que seuls les conseillers d'éducation respectent véritablement leur fonction. " (p.49) " C'est comme ça qu'ils (les enseignants et le principal) nous veulent, comme de simples spectateurs. " (p.49)
Les comportements enseignants : " Les enseignants se plaignent […] de ce qu'ils appellent la démission parentale qu'ils interprètent souvent comme un refus de collaboration. Or, […] on constate que la même attitude est observable chez ces mêmes enseignants au moment de participer à une réflexion sur leur mission et leur rôle dans l'école. " (p.96)
Les comportements parentaux à l'éducation : " C'est mes parents qui m'ont obligée à prendre l'allemand. " (p.82) " Mes parents m'ont obligée à prendre l'allemand parce qu'ils disent que c'est mieux pour l'école. " (p.82)
Le bachotage : " Mal séculaire qui sévit plus que jamais. […] On travaille sans doute davantage dans l'enseignement français que dans d'autres, mais on travaille pour les notes, pour l'orientation, pour les examens ". (p.25) A. Prost (1992)