La philosophie de l'éducation
Olivier Reboul
Paris, Ed. PUF, coll. Que sais-je ?, neuvième édition, 2001.
Une autre fiche de lecture, d'un autre étudiant
Dans cet ouvrage de synthèse Olivier Reboul se propose de questionner les grands concepts qui participent aux champs théoriques et pratiques de l'éducation dans son acception la plus générale tels ceux d'institution, de pédagogie ou d'autorité. Il propose d'y appliquer cinq méthodes de questionnement qui sont chacune rattachée à une discipline différente qui a elle-même ses propres moyens d'investigation : l'histoire de la philosophie, la réflexion sur les sciences de l'éducation, l'analyse logique, l'argumentation a contrario ou encore la dialectique.
La mise en commun des résultats obtenus permettra alors de dégager des propositions quant aux moyens et aux fins de l'éducation en tant que savoir-être et cela par la remise en question systématique d'idées reçues sur chacun des concepts étudiés.
Cependant la question essentielle et centrale à laquelle l'auteur tentera de proposer des éléments de réponse est : qu'est-ce que l'éducation ?
En effet l'éducation recouvre de nombreuses actions éducatives : celles spontanées et naturelles mais également celles intentionnelles menées par des institutions spécialisées dont le but essentiel est d'apprendre à l'enfant ou à l'adolescent à devenir "homme".
Seulement, toute action a ses limites qu'il serait dangereux de dépasser et l'auteur fait mention de la nature psychologique de l'enfant et de son caractère propre qui sont autant d'entraves à la possibilité d'un projet éducatif unique. Même si la nécessité d'être éduqué est universelle on ne peut pas ignorer la singularité de chacun des êtres à éduquer.
Quant aux fins de cette entreprise éducative deux doctrines s'opposent. D'une part les culturalistes ou les empiristes qui prônent une éducation calquée sur les valeurs attendues par la société malgré le risque de nier totalement la personnalité de chacun ; d'autre part, les naturalistes qui sont partisans d'une éducation à l'écoute de la nature propre de chacun et cela en dépit des risques de marginalisation et de rejet que subirait l'enfant privé de vie sociale.
A la suite de la confrontation de ces deux thèses l'auteur propose plutôt d'envisager l'éducation comme un ensemble des processus et des procédés qui permettent à tout enfant d'accéder progressivement à la culture. .
L'auteur s'attache ensuite à définir en quoi la famille, l'école et l'université sont des institutions éducatives. Il nous propose à partir de nombreux exemples de comprendre une institution éducative telles une réalité sociale, relativement autonome et stable ou régulière mais contraignante selon des règles et qui se spécifierait par sa fonction sociale. . L'auteur, à l'instar d'Emile Durkheim , affirme que c'est effectivement par sa fonction que l'institution joue un rôle effectif dans la société et par la confiance présumée en la capacité de ses membres qu'une vie sociale est possible.
1 - La famille moderne a pris des formes nouvelles et multiples mais reste une des trois institutions principales par lesquelles transitent l'éducation et a, selon Reboul, pour fonction essentielle de former les sentiments en transformant les pulsions les plus primitives. Elle serait la seule capable d'y parvenir grâce à une permanente affection de la part des parents pour leurs enfants qui se découvrent dans ce cadre irremplaçables.
2 - L'école en tant qu'institution a pour finalité la transmission de savoirs à long terme qui, pour qu'ils soient utiles, doivent, selon l'auteur, être organisés de manière logique, adaptés aux différents niveaux, argumentés donc susceptibles d'être critiqués et surtout désintéressés. Seulement l'école ne peut être la seule à instruire et elle doit être au centre d'un réseau éducatif complet et diversifié pour parvenir à ses fins.
3 - L'université n'a cessé de croître mais elle doit, selon Olivier Reboul, assumer les mêmes fonctions qu'auparavant : l'enseignement, la recherche fondamentale donc désintéressée et ainsi participer à la réflexion indispensable à la juste application du savoir. Cependant l'université a aussi une fonction sociale puisqu'elle est notamment chargée depuis la loi de 1968 de la formation des adultes. Le passage pour celui qui est éduqué d'une institution à une autre provoque la plupart du temps des ruptures et des questionnements et la pédagogie a pour mission d'y remédier. (" Comprendre, telle est la raison pour laquelle il existe des universités " (p.48) ).
L'auteur semble penser que la pédagogie en tant qu'art d'enseigner et d'éduquer et un terrain d'étude empreint de conflits entre ses différentes approches idéologiques.
La pédagogie semble être en effet un art difficile puisqu'il faut accepter qu'elle soit plurielle afin d'éviter tout dogmatisme qui en négligeant le contenu ne travaillerait que la forme. L'auteur dégage ainsi trois courants, le courant classique attaché à ce qui doit être transmis, le courant novateur qui cherche à adapter aux enseignés ce qu'on leur enseigne et le courant fonctionnel qui tend à faire de la pédagogie une science exacte (Le courant classique où l'important est ce qu'il faut transmettre. Le courant novateur qui " demande d'adapter ce que l'on enseigne aux enseignés " (p.53). Le courant fonctionnel " qui tend à faire de la pédagogie une science exacte, ou du moins une technique efficace et garantie "(p. 53). )
Pour qu'un enseignement soit efficace il est nécessaire que l'élève désire apprendre ce qu'il doit apprendre. Pour cela John Dewey affirme que tout enseignement doit être une réponse aux questions aussi bien intellectuelles qu'affectives que se pose l'enseigné . Cependant, Olivier Reboul juge cette proposition utopique car elle risquerait d'aggraver les écarts entre les plus doués et les autres. Il plaide plutôt pour une pédagogie de la compétence, qui, au-delà de la découverte spontanée, au-delà de la transmission des savoirs, laisse l'éduqué en position de récepteur inactif. Reboul pense également que même si l'éducation comporte toujours un part de gestes mécaniques induits par des techniques pédagogiques, c'est sur cette base que se greffe, au fil du temps, la compétence. Alors le bon éducateur sera celui qui saura se servir des techniques pédagogiques et cherchera à les perfectionner tout en gardant présent à l'esprit que l'essentiel du travail restera dans le travail de l'éduqué sur lui-même, ce qui ne se fera pas sans effort et rupture. Mais un rapport d'autorité doit-il forcément s'installer pour y parvenir ?
L'obéissance n'est jamais réellement contrainte mais se fonde sur une légitimité plus ou moins rationnelle, telle celle d'un contrat passé entre l'éducateur et l'éduqué, celle de la compétence reconnue dans un domaine précis, celle de l'impartialité d'un arbitre, celle du modèle au prestige attesté, celle du meneur ou du personnage charismatique.
Pour l'auteur la contrainte n'est pas forcément un mal si elle n'est pas imposée par la force. En effet, il faut parfois contraindre l'enfant à faire ce qu'il ne veut pas faire pour l'inciter à apprendre ce qu'il n'apprendrait par lui-même et qu'il se félicitera d'avoir appris par la suite. L'autorité, c'est : " le pouvoir (…) qu'a quelqu'un de faire faire à d'autres ce qu'il veut sans avoir à recourir à la violence, pouvoir dû soit à sa position sociale, soit à sa compétence, soit à son ascendant. " (p.69) " La fin de l'éducation est d'apprendre à s'en passer " (de l'autorité). (p.77) " Le but de l'éducation (…) est de permettre à chacun d'apprendre par lui même en se passant de maître, d'aller de la contrainte à l'auto-contrainte, d'être majeur. " (p.77)
Ces questions pédagogiques ont une dimension politique et Reboul se pose alors la question de savoir ce que doit être un enseignement dans une société qui se veut démocratique. Ainsi, il définit comme répondant aux valeurs démocratiques un enseignement fondé sur l'autorité de contrat ; un enseignement fondamental mais adapté aux difficultés de chacun et qui dure assez longtemps pour que tous aient pu en bénéficier ; un enseignement objectif qui préserve de tout endoctrinement.
L'exercice de l'autorité fait appel à la rigueur en tant que valeur qui peut à la fois impliquer la cohérence logique d'un discours ou d'un comportement et la sévérité qui peut être douloureuse ; rigueur réglée par la discipline. L'auteur fait ici référence aux théories de l'éducation de Jean-Jacques Rousseau comme premier exemple de pédagogie anti-rigueur ; l'enfant ne devant pas être corrigé mais protégé contre les institutions dites éducatives, la famille, l'Eglise ou même l'école. Il prône pour autant une rigueur éducatrice qui réside simplement dans la nécessité des choses. Des auteurs comme Piaget ou Alain rajouteront à la rigueur des choses la rigueur des autres.
Pour terminer Olivier Reboul propose de définir ce concept en acceptant la rigueur comme une valeur qui apprendra à chaque enfant de manière adaptée à grandir sans violence.
La dernière question que se pose Reboul est celle de la place des valeurs dans l'éducation. En effet les sciences de l'éducation ne sont-elles pas condamnées à déborder de leurs champs d'exercice en apposant des jugements de valeur ? Refuser l'évaluation semble pourtant être une dérobade face aux fonctions sociales et pédagogiques qui sont celles d'un éducateur. Selon l'auteur il faudra qu'il trouve à quel niveau de rigueur son évaluation doit se situer.
De même à la question Qu'est-ce qui vaut la peine d'être enseigné ? L'auteur propose cette double réponse : ce qui unit, et ce qui libère. Tout cela demande des efforts de part et d'autre notamment dans le déchiffrage des symboles, signes qui renvoient à des valeurs universelles, sous peine de ne pas comprendre sa propre communauté. L'auteur conclura d'ailleurs sa réflexion en reconnaissant à l'éducation la mission principale, au-delà de celle de la transmission des savoirs de permettre à l'enfant de devenir un homme libre.
En guise de conclusion : L'éducation a pour but la maturité intellectuelle et l'autonomie de l'individu. " Elle est réussie que si elle est inachevée, si elle donne au sujet les moyens et le désir de la poursuivre, d'en faire une auto-éducation. Car on arrive peut-être un jour à être ingénieur, ou médecin, ou bon citoyen. On n'en finit jamais de devenir un homme. " (p.121)
Quelques citations
" L'importance du concept de nature humaine est de montrer qu'en éducation tout n'est pas possible, que l'éducateur rencontre une résistance qu'il ne peut ni méconnaître ni forcer sans ruiner l'éducation. " | " Eduquer, ce n'est pas fabriquer des adultes selon un modèle, c'est libérer en chaque homme ce qui l'empêche d'être soi, lui permettre de s'accomplir selon son "génie singulier". " | " `De nos jours on parlera d'une "croissance" naturelle de l'enfant, dont les éducateurs ne sont que les auxiliaires, qui feront de leur mieux pour la facilité, mais sans être jamais certains du résultat, sans jamais pouvoir dire si la croissance se produira, ni quand, ni comment. " |
" Une école est un lieu d'où l'on doit sortir, une institution dont le but véritable n'est pas seulement d'apprendre telle ou telle vérité, mais d'apprendre à penser. " (p.7) " On n'apprend pas la philosophie, on n'apprend qu'à philosopher. " KANT (p.7) | " (Les sciences de l'éducation) ne peuvent être dites sciences qu'à deux conditions ; d'abord qu'elles expliquent, ou du moins interprètent les faits éducatifs, ensuite qu'elles vérifient, ou du moins argumentent leurs hypothèses explicatives. " (p.8) | " (…) si nous (…) renonçons à communiquer les valeurs, d'autres s'en chargent, les camarades, les médias, la langue courante. En renonçant à initier ceux qu'on éduque à la culture et aux valeurs qu'elle comporte, on ne les laisse pas libres de choisir, on les livre à la sous-culture, aux préjugés, aux emballages passagers, à la morale du clan. Il semble que de nos jours le grand danger d'endoctrinement ne vient pas de la religion ou de la politique, mais de l'indifférence, ou d'une certaine démission des éducateurs eux-mêmes. " |
" La pédagogie est cet art raisonné qui donne à ceux qu'on éduque les moyens et l'envie d'apprendre ce qu'ils ne savent pas. " | " L'éducation est l'ensemble des processus et des procédés qui permettent à tout enfant humain d'accéder progressivement à la culture, l'accès à la culture étant ce qui distingue l'homme de l'animal. " (p.25) | " Kant a fort bien posé le problème : " On doit prouver à l'enfant qu'on exerce sur lui une contrainte qui le conduit à l'usage de sa propre liberté " (p.88) " |