PARTIE -I-

Le nouvel Arrivant ou le 'Bizut'

Sous-titre : Soumettre pour perpétuer

 

 

Chaque début d'année scolaire ou universitaire, des milliers de jeunes connaissent le phénomène du bizutage. Mais le milieu scolaire n'est pas le seul à être ainsi touché, on peut notamment observer les mêmes comportements à l'armée ou encore dans le cadre du travail.

Des différentes observations qui ont put être faites, on peut raisonnablement dire que ce phénomène est fortement lié à l'arrivée d'un 'nouveau', à un très fort processus de groupe mais aussi à de multiples problèmes concernant l'identité sociale.

D'après le Larousse, le bizutage est le fait de "soumettre un nouveau à des brimades à titre d'initiation avant de l'admettre au sein d'une société déterminée ".

Une autre définition, de l'Education Nationale (B.O. n°33, 25 septembre 1997), insiste plus sur le volet de la violence : " série de brimades ou d'actes humiliants ou dégradants que les étudiants débutants un cycle se résignent à effectuer ou à subir sous la menace de représailles ou de marginalisation "

Nous touchons ainsi le cœur même du bizutage au travers de ces deux définitions ; en effet les deux évoquent clairement la soumission de l'individu, effectuée le plus souvent avec menaces, ce qui est un premier volet du bizutage. Mais nous pouvons noter aussi l'apparition des termes initiation et admission.

Au niveau de la soumission il est étonnant de s'apercevoir que très peu de gens refusent de se prêter au bizutage, à ses rites de passages sévères, alors que ceux-ci sont le plus souvent synonymes de souffrance. Nous étudierons donc, dans un premier point, les mécanismes de soumission mis en jeu, et, dans un deuxième point, les raisons pour lesquelles l'environnement social tient à soumettre le nouveau à tout prix.

 

La soumission

Les expériences les plus importantes sur l'obéissance à l'autorité ont été réalisées par S. Milgram dans les années 1974 : il a ainsi démontré que l'individu pouvait se démettre totalement de sa responsabilité, au motif qu'une autorité le lui avait demandé, et, ainsi, arriver jusqu'au point critique de commettre quasiment un crime (virtuel heureusement).

Cependant si dans le cas du bizutage, la soumission est effectivement obtenue du fait de l'autorité dont se prévalent les auteurs du bizutage, elle l'est surtout, par l'infériorisation de l'individu, par les sévices, intimidations, et autres violences. C'est donc en réalité par le rabaissement de l'autre, par son infériorisation continue, sa dévalorisation publique, ainsi que par la privation de ses points de repères que les auteurs du bizutage obtiennent obéissance et soumission.

 

Les nouveaux venus sont tenus pour inférieurs par des techniques très bien rodées : mépris, jeux attentatoires à la dignité personnelle, dénigrement du physique voire viol de celui-ci, phrases assassines, environnement totalement tourné contre les nouveaux…Tout est fait pour qu'à la fin du bizutage les nouveaux soient persuadés d'être inférieurs. Lemaine et ses collaborateurs ont conduit de nombreuses recherches, et rendu de nombreux travaux, sur le constat d'infériorité et ses incidences sur l'individu ainsi que son identité sociale en découlant (Jamous et Lemaine, 1962 ; Lemaine 1968, 1974, 1979, 1984 ; Lemaine et Kastersztein, 1972). Livrés à des jeux compétitifs, les sujets infériorisés sont forcés d'adopter des comportements susceptibles de préserver une image de soi positive. Plusieurs réactions sont ainsi possibles : abandon de la situation, rattrapage et dépassement des concurrents, ne plus se comparer à autrui mais à soi-même, introduction d'autres critères d'évaluation pour se rendre incomparable à autrui.

 

La dévalorisation publique entraîne une importante recherche de valorisation sociale en contre-balancement de la dévalorisation, et, de ce fait, des comportements affiliatifs. Ainsi, de la vulnérabilité à l'influence sera développée chez les 'bizuts'. Le 'bizut' sera par-là même plus faible psychologiquement et donc plus apte à faire ce que l'on attend de lui.

 

C'est une technique connue de l'avilissement d'une personne, le nouvel arrivant a perdu tous ses points de repères et arrive dans un monde qu'il ne connaît pas, ou seulement par rumeur. Il est alors totalement pris en charge par les auteurs du bizutage et ne connaît rien d'autre pendant une période déterminée. Durant cette période il sera transformé par l'usinage intellectuel inhérent au bizutage et cela permettra au groupe dans lequel il est arrivé de lui transmettre certaines conduites, connaissances, qu'il sera obligé de connaître pour 's'intégrer' ou groupe (ou plutôt pour que le groupe l'intègre).

La constatation de tous ces mécanismes de soumission invite à s'interroger sur la raison d'être de ceux-ci. Ce sera donc le sujet de notre deuxième point axé sur les objectifs et résultats du bizutage.

 

Les objectifs et résultats du bizutage

Les rituels, cérémonies et autres manifestations diverses, protégées délibérément par un aspect soi-disant 'ludique', ont pour but réel de reproduire les règles de fonctionnement de la 'microsociété', de faire intégrer par la force et le plus rapidement possible (souvent par faute de temps) les règles et surtout hiérarchies qui sont propres à celle-ci. Comme le dit Bernard Defrance : " le novice doit satisfaire à un certain nombre d'épreuves qui lui permettent d'être reconnu comme pair par les autres membres du groupe. "

Ces règles sont le plus souvent basées sur des rapports primaires de dominance et de hiérarchie. C'est la raison pour laquelle le nouveau est infériorisé et dénigré car il se doit de comprendre qu'il n'est rien d'autre que le plus bas niveau de l'échelle sociale de la 'société' dans laquelle il arrive. De par sa soumission, le nouveau montrera qu'il accepte ces règles et, ainsi, apportera allégeance au groupe. La sévérité des séances initiatiques, ainsi que leur brièveté, se comprend donc par la nécessité de faire en sorte que le groupe se perpétue dans le temps, soit reconduit et reproduit, et que ses règles de 'dominant-dominé' soient bien intégrées.

Le bizutage constitue donc un rite de passage, passage au travers duquel l'identité des nouveaux arrivants sera transformée pour leur permettre l'adéquation avec le groupe persécuteur et la cohésion de ce même groupe.

Si nous considérons les travaux de H. Tajfel sur l'idée que c'est à travers son appartenance à différents groupes que l'individu va se forger une identité sociale positive, alors nous pouvons dire que le bizutage a pour but de former une identité sociale par la contrainte.

Toutes les techniques du bizutage, du prétexte de la dérision jusqu'à l'atteinte à la dignité, ont pour but de priver l'individu des points de repères qui pourraient lui permettre de se forger une identité sociale différente de celle du groupe persécuteur et, ainsi, de remettre en cause les règles de fonctionnement de ce groupe.

Pour terminer cette partie, nous pouvons simplement dire que le bizutage, bien que témoignant dans les formes d'une certaine volonté d'intégration d'un individu à un groupe, chose dont se prévalent souvent les auteurs du bizutage, n'est en fait rien d'autre qu'un lavage de cerveau suivi d'un remplissage par le vide de règles futiles, discriminatoires et primaires.

Nous savons à présent que les nouveaux arrivants subissent le bizutage de manière parfois très forte et, ce, dès leur arrivée dans leur nouvel environnement. Or il est à noter que les 'anciens', ou ceux qui commettent ce genre de comédie, sont en général des personnes à peine plus âgées que les nouveaux et ne posant d'ordinaire aucun problèmes ; intéressons-nous donc maintenant à ces derniers, les auteurs du bizutage, ainsi qu'à leur comportement.

 

FIN DE LA PARTIE I