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Né à Castres (Tarn), issu de la moyenne bourgeoisie, il fut un brillant élève, et échappa rapidement à la condition paysanne et provinciale, tout en restant très attaché à sa région d'origine. Entré à l'École normale supérieure en 1878, à vingt ans, il fit la connaissance du bibliothécaire et philosophe Lucien Herr avant de retourner enseigner à Albi, non loin de sa ville natale. Attiré très jeune par la politique, il éprouva une grande admiration pour Léon Gambetta et Jules Ferry. En 1885, il entra à l'Assemblée nationale comme député centre-gauche du Tarn, aux côtés des républicains opportunistes. Battu aux élections de 1889, il se consacra pendant trois ans à la rédaction de sa thèse, intitulée De la réalité du monde sensible: les origines du socialisme allemand chez Luther, Kant, Fichte et Hegel (1891) et à l'enseignement à la faculté des lettres de Toulouse. À partir de 1893, il épousa pleinement la carrière politique en devenant député de la ville minière de Carmaux, siège qu'il conserva jusqu'à sa mort, sauf entre 1898 et 1902. Il adhéra alors au parti ouvrier français et lutta pour l'unité du mouvement socialiste. En 1898, il prit position pour la reconnaissance de l'innocence de Dreyfus (Preuves, 1898) et s'opposa à de nombreuses reprises à Jules Guesde, partisan d'un marxisme dogmatique. C'est ainsi qu'il soutint la participation du socialiste A.Millerand au gouvernement Waldeck-Rousseau (1899) ainsi que le cabinet radical-socialiste de Combes, de 1902 à 1905. En 1904, il fonda le journal l'Humanité. L'année suivante, il fut l'un des principaux artisans de la fusion des deux partis socialistes français qui donnèrent naissance à la SFIO (Section française de l'Internationale ouvrière). Orateur hors pair, doté d'un charisme certain, Jaurès finit par l'emporter sur les guedistes, plaidant pour une unité dans la République car, disait-il, «sans la République le socialisme est impuissant et sans le socialisme la République est vide». En tant que parlementaire, Jaurès participa aux grandes batailles socialistes: lois pour l'enseignement, lois ouvrières. À partir de 1906, il s'efforça de faire progresser, par-delà l'unité socialiste, l'unité ouvrière avec la CGT et fut à l'origine du rapprochement entre les partis et les syndicats. Mais les contraintes imposées par le régime parlementaire et l'influence grandissante du capitalisme et de ses nouveaux partisans (notamment Georges Clemenceau et Aristide Briand) l'amenèrent à penser que seule une Internationale ouvrière bien organisée serait capable de résister à la mainmise du capital sur l'économie mondiale et aux dangers que cette compétition faisait courir à la paix. («Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l'orage», écrivait-il quelques années avant le déclenchement du premier conflit mondial.) C'est la raison pour laquelle, en 1907, au congrès de Stuttgart puis à nouveau à Copenhague en 1910, il tenta d'obtenir le vote de motions précisant les moyens à employer pour empêcher la guerre (appel à la grève générale ouvrière) mais dut renoncer à son projet devant l'hostilité des sociaux-démocrates allemands. Violemment opposé à la politique coloniale et au camp nationaliste qui poussait à la guerre, il s'attira de très vives inimitiés et fut assassiné le 31juillet 1914, alors qu'il s'apprêtait à mener une nouvelle campagne pour la paix. Sa mort, à la veille de la Première Guerre mondiale intervint en plein échec: la démocratie politique, loin de s'épanouir en démocratie sociale, s'était altérée en France, la colonisation avait révélé le mépris de la République pour les droits de l'Homme dans les colonies, les forces de paix avaient été réduites au silence (union sacrée). Mais, grâce à Jaurès, le socialisme avait vécu unifié quelques années, l'action ouvrière s'était développée et la République lui rendra finalement hommage, en 1924, avec le transfert de ses cendres au Panthéon. Intellectuel et politique, théoricien et homme d'action, ce «génie symphonique», comme l'a qualifié son héritier Léon Blum, fut à l'origine des courants réformiste social-démocrate et communiste du socialisme français. Synthèse de contradictions apparentes, sa pensée influença considérablement la gauche française au XXesiècle. Si Jaurès adopta le matérialisme historique et la théorie de la lutte des classes de Karl Marx, son socialisme fut avant tout libéral et démocratique, le conduisant à suivre une stratégie réformiste et parlementaire. Sans écarter totalement la possibilité pour le prolétariat de recourir à la force insurrectionnelle, il crut en une évolution révolutionnaire d'une démocratie républicaine vers une démocratie socialiste, par le renforcement de la classe ouvrière. Pacifiste et internationaliste, il n'était pas partisan de la dictature du prolétariat, lui préférant une transition plus douce vers un socialisme humaniste dont il fut la première grande figure emblématique, avant d'être relayé dans les années 1930 par Léon Blum puis, beaucoup plus tard, par François Mitterrand. Jusque dans ses ambiguïtés et ses doutes (l'Armée nouvelle, son livre-testament publié en 1911 témoignait d'un vrai patriotisme), l'image de Jaurès reste aujourd'hui associée à la cause de la classe ouvrière et à un certain idéalisme politique, exigence philosophique autant que morale. Penseur du socialisme et historien de la révolution, Jaurès a écrit de très nombreux ouvrages, parmi lesquels on peut citer : Action socialiste (1899), Études socialistes (1901), Histoire socialiste de la Révolution française, 1789-1900 (1908).
"Jaurès, Jean", Encyclopédie Microsoft(R) Encarta(R) 99. (c) 1993-1998 Microsoft
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