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PROLOGUE
: Les passeurs de culture
Certes, il est des archipels de tristesse et de discours convenus (ah
! l'échec scolaire), certes il est des enfers pavés de bonnes
intentions. Mais il existe aussi des oasis d'une fraîcheur insoupçonnée,
irriguées par des enseignants compétents et passionnés,
où les jeunes pousses surprennent par leur vitalité. Ces
jardiniers de l'esprit sèment pour l'avenir. En effet, alors que
la société doit relever des défis inaccoutumés
et atteindre de nouveaux objectifs, l'enseignement demeure largement
traditionnel en France. Ses limites sont pourtant bien connues : l'orientation
des élèves est dominée par la tension sélective
du système, le prix à payer pour la réussite
de quelques-uns est trop élevé au regard du poids des échecs
de beaucoup. - La France connaît aujourd'hui un déficit
de matière grise. Les emplois qui n'exigent aucune qualification
se raréfient. La prolongation de la formation est devenue, pour
les Français, la clé de l'avenir collectif et individuel.
Ils se sont mis de nouveau à charger l'enseignement d'espoirs multiples.
- Développer la capacité des jeunes à s'adapter
ainsi que leur mobilité intellectuelle est plus utile que de les
préparer à des spécialisations par trop pointues.
Faire acquérir des connaissances, mais aussi des outils et des
méthodes pour pouvoir répondre à l'évolution
imprévisible des technologies, telle est aujourd'hui la double
demande adressée à l'école par la plupart des capitaines
d'industrie et des spécialistes de l'emploi. - A leur façon,
des scientifiques ont mis le doigt sur le problème en soulignant
que l'enseignement actuel atrophiait la créativité. Il faut
bien reconnaître que le développement de l'esprit de recherche
ou de la créativité est très insuffisant dans nos
lycées et collèges. " Les élèves n'y
apprennent pas à chercher, à exercer leur curiosité
mais à résoudre des problèmes, ce qui n'est pas la
même chose " note le professeur Laurent Schwarz.
- L'école se trouve face à des objectifs inhabituels : en
quantité, puisqu'elle est appelée à former plus
de jeunes; en qualité, car elle doit transmettre des savoirs
et une culture avec plus de vigueur que par le passé. -
L'école française reste en effet davantage au service de
certains enfants que d'autres. En route vers la réussite, elle
laisse un bon nombre d'éclopés sur les bas côtés.
" Bons " et " mauvais élèves " se répartissent
assez exactement en fonction de leurs origines sociales : les enfants
de cadres représentent un bachelier C sur deux et seulement un
bachelier G sur sept. Les enfants d'ouvriers forment 8 % seulement des
bacheliers C. - L'insuffisance actuelle du "rendement scolaire"
se traduit par les quelques 100 000 garçons et filles qui
quittent chaque année le système éducatif sans même
avoir obtenu le CAP. Exclus de la culture, ils sont aussi voués
à l'exclusion sociale. - Les élèves n'ont
pas forcément le désir d'exercer chaque matin leur métier
d'élève, fait d'un mélange de dur labeur et de petites
combines ; d'un dosage délicat entre l'acceptation de la discipline
et l'affirmation d'un zeste de personnalité. Le bon élève,
en somme, c'est celui qui accepte de jouer son rôle, de fournir
un travail qui garantit, dans l'immédiat, l'approbation des adultes
et, à plus long terme peut-être, la réussite scolaire.
Ne perdons jamais de vue que, pour les élèves, le plus important
et le plus intéressant à l'école consiste à
" rencontrer des copains ".
- Lorsque les élèves racontent leur passé scolaire,
note Dubet, " ils associent
leurs résultats, leurs goûts et leurs dégoûts
aux divers profs qu'ils ont rencontrés, qui les ont aidés
ou enfoncés ". - Pierre angulaire de la réussite
dans les études, le travail scolaire illustre de façon exemplaire
le malentendu. - Le bien-fondé du travail personnel ne leur
saute pas aux yeux ; le devoir donné évoque la lubie de
tel maître, semble inutile en dehors de l'univers scolaire, ou en
contradiction avec ce qu'a affirmé un autre enseignant. Ce n'est
pas parce qu'un professeur fait une leçon intéressante qu'on
va se mettre au travail. Il doit s'arranger pour nous traiter en êtres
humains, faire attention à ce qu'il dit , ne pas nous considérer
comme des gosses. - Toutes les écoles sont égales,
mais certaines le sont plus que d'autres, semblent dire ces études
: un établissement peut à son niveau jouer un rôle
non négligeable, en réduisant les exclusions ou, à
l'inverse en accroissant la sélection. Il faut bien se rendre à
l'évidence : avec des populations d'élèves parfaitement
analogues, les scolarités se déroulent parfois très
différemment d'un établissement à l'autre. L'école
aussi produit l'échec et la réussite.
- Le collège bleu (le plus engagé dans la rénovation
pédagogique) obtient les meilleurs résultats pour ses élèves
: c'est lui qui conduit le plus d'enfants de sixième jusqu'à
la seconde, lui qui atténue le plus nettement l'effet des inégalités
sociales en améliorant la réussite des enfants de milieux
populaires. Un tel écart du simple au double illustre l'importance
du travail des enseignants et de l'administration. "A recrutement
social, implantation socio-géographique, ou encore proportion d'étrangers
largement comparables, ces collèges font à leur public des
sorts scolaires si différents qu'il faut bien en imputer la cause
à l'inégale mobilisation ", concluent les auteurs.
- " Notre but doit être de faire de chacun de nos élèves
non un savant intégral, mais une raison complète ",
proclamait Durkheim. Ainsi un chien savant n'est pas un chien qui
sait beaucoup de choses, mais qui a été dressé à
donner, par quelques exercices choisis d'avance, l'illusion du savoir.
Ce poison étouffe l'initiative et la curiosité du maître
comme de l'élève, il encourage la fraude, au détriment
du goût des connaissances et de l'esprit de recherche.
- Les travaux des sociologues P. Bourdieu et JC. Passeron : La
neutralité revendiquée par l'école est une fiction.
Le classicisme républicain privilégie de fait les
enfants des souches sociales les plus favorisées.
- Malgré la centralisation du système éducatif français,
il y a toujours eu des enseignants pour ne pas se contenter d'attendre
que la réforme idéale -celle qui ferait pièce à
toutes ces critiques- descende du ministère. Ils tentent, seuls
ou à plusieurs, de remédier aux maux du système.
- Les pédagogies nouvelles se réclament, depuis le début
du siècle, d'une meilleure efficacité dans la transmission
des savoirs et d'une modernité plus conforme aux besoins de la
société. Elles s'efforcent de concilier ce qui demeure à
leurs yeux inconciliable dans l'enseignement traditionnel : la préparation
des examens et l'épanouissement des élèves ; la pédagogie
individualisée et la dynamique permise par le groupe ; la stimulation
des meilleurs et l'intégration des exclus. L'innovation a
deux fonctions contradictoires : la régulation et la contestation.
Elle consiste à chercher des moyens nouveaux, considérés
comme plus efficaces, pour accomplir des tâches qui, elles, restent
les mêmes, selon des objectifs eux aussi inchangés - Le cours
est efficace à condition qu'il soit compris, repris et assimilé.
Aux professeurs de diriger et de soutenir ce processus, car ils ne peuvent
étudier à la place des lycéens.
- " C'est bien que le prof ne soit pas là, on va pouvoir travailler...
" S'il avait été là, c'est le professeur qui
aurait travaillé, commente Ph. Meirieu,
" car c'est bien ainsi malheureusement, que l'école fonctionne
encore souvent : les élèves viennent assister aux cours,
puis ils rentrent chez eux pour faire leur travail ! " En renvoyant
des tâches aussi cruciales hors de l'école, le système
renvoie de fait aux inégalités. L'enfant qui dispose d'un
bureau, qui a accès à un atlas, qui peut solliciter des
parents ayant lu les livres en question, discuter de méthodes avec
son entourage, n'est pas " à égalité "
avec celui qui travaille dans une pièce où la télévision
est allumée en permanence, sans interlocuteur en cas de difficultés.
CHAPITRE
1 : LA DOUCEUR DE LIRE
- Si bien peu de bagarres physiques éclatent, si les traditionnelles
divisions entre joueurs de ballons et amateurs de jeux d'élastique
ne dégénèrent pas malgré l'étroitesse
des cours de récréation, c'est que les règles de
la vie en collectivité font l'objet d'une attention particulière.
Les enfants ont leurs délégués dès la petite
section de maternelle. C'est là un signe de Saint Merri, car, au
contraire du collège et du lycée, la présence de
délégués d'élèves n'est pas prévue
dans le primaire par les textes ministériels. Dès la maternelle,
les enseignants tentent de responsabiliser les élèves, à
l'intérieur même de leur travail.
- Depuis le cours préparatoire, chaque classe fréquente
ainsi la bibliothèque pour un club de lecture hebdomadaire. "
Quand les enfants ont été suivis par des instituteurs
qui les poussaient à lire tout au long des cinq années de
primaire, ils deviennent d'excellents lecteurs ". Le club de lecture
a surtout pour vocation de guider les enfants vers le plaisir de lire
et l'amour de la fiction. Considérés comme plus efficaces,
pour accomplir des tâches qui, elles restent les mêmes, selon
des objectifs eux aussi inchangés. Mais elle remet aussi en cause
le système, c'est son aspect contestataire.
- Les objectifs poursuivis par les novateurs visent l'épanouissement
personnel, veulent permettre à chacun d'aller le plus loin possible
dans ses possibilités. Même le cours le plus brillant ne
fait pas automatiquement transiter le savoir jusqu'à l'élève
et il ne suffit pas que le maître parle pour que le disciple apprenne.
- " Le centre des études, ce qui fait leur force et leur succès,
c'est le travail des élèves, et le meilleur professeur n'est
pas celui qui travaille le plus mais celui qui fait le mieux travailler,
de la façon la plus intelligente et la plus féconde ".
A. Prost
- A la fin de l'école primaire, seulement la moitié des
élèves français semblent capables d'une lecture fine
et approfondie d'un texte, celle-là même qui est exigée
au collège cf. Rapport Migeon (la réussite à
l'école, quelques propositions).
- Pour que la moitié des élèves ne sachent pas assez
bien lire à l'entrée en collège, il faut sans doute
que les méthodes d'apprentissage ne soient guère satisfaisantes.
Mais le B.A. BA perdure du fait d'un manque de formation pédagogique
chez les instituteurs : une petite moitié des maîtres en
charge du cours préparatoire n'ont pas fréquenté
l'école normale ni même suivi de stage consacré à
la lecture. En fait, l'essentiel n'est pas que l'enfant déchiffre,
mais qu'il cherche d'abord à comprendre ce que cela veut dire.
- L'attention parentale pour beaucoup de familles aisées se porte
au niveau du primaire, sur les activités extra-scolaires. Les mercredis
deviennent parfois un véritable parcours du combattant de l'enfance
harmonieuse.
CHAPITRE
2 : LES FORTS EN THEME DES HLM
- La création des ZEP répond à une
logique simple : en donnant plus à ceux qui ont moins, le ministère
pense parvenir à réduire les inégalités. Mais
les éducateurs devraient chercher à mieux connaître
le milieu de vie des enfants, à scruter la sociologie du quartier
car, sans une action en profondeur auprès des familles, l'école
se contente de reproduire et de conforter un système éducatif
profondément inégalitaire.
- Si toutes ces activités étaient un peu trop agréables
pour être compatibles avec des études ? Espoir de voir ses
enfants s'élever socialement grâce aux études, envie
de voir l'école jouer pleinement son rôle : si la plupart
des parents caressent ces aspirations, tous ne sont pas aussi impliqués.
- Les habitants connaissent l'exclusion sociale, de nombreux pères
sont au chômage et il n'est pas rare que les fils aînés
soient en prison. Ils se retrouvent dans des logements et dans un quartier
qu'ils n'ont pas choisis. Et ces parents ont d'autres urgences que la
scolarité de leurs enfants.
- Pour les familles les plus impliquées, comme pour celles qui
sont le plus en situation de rejet, une formation originale au "
métier " de parent d'élèves est offerte par
le collège. Prendre la parole devant des enseignants, voilà
qui n'est pas facile pour des adultes peu instruits, qui gardent souvent
un souvenir cuisant de leur propre scolarité. Toute cette aide
des parents aux enfants ne demande pas de savoirs particuliers mais simplement
un peu de disponibilité et d'écoute.
- Ce sont en général les mêmes jeunes qui sont très
tôt en échec scolaire et qui plus tard ne trouvent pas de
travail et flirtent avec la délinquance. " Nous sommes convaincus,
pour l'avoir expérimenté, que l'échec scolaire n'est
pas fatal : l'aide personnalisée aux enfants, la concentration
et la collaboration étroite entre les partenaires de l'école,
permettent une diminution de l'échec et même enclenchent
des processus de réussite ".
- Ce sont des lycéens ou étudiants issus du quartier qu'ils
embauchent comme animateurs, afin de constituer une preuve vivante que
la réussite scolaire est possible.
- La majorité des élèves de sixième sont maintenant
capables de maîtriser un texte quelle que soit la forme sous laquelle
il se présente. Avec de l'attention, la plupart d'entre eux peuvent
saisir des informations, des consignes diverses de travail. Ils sont ainsi
devenus de meilleurs lecteurs. Les enfants arrivant en sixième
savent certes déchiffrer un texte, mais ils éprouvent les
plus grandes difficultés à en saisir le sens ou à
utiliser les informations qu'il contient. De plus, la lecture est bien
loin de représenter pour eux une source de plaisir. - L'adolescence
devient un passage plus difficile dans cette période de chômage,
de mutation, où les adultes eux-mêmes perdent leurs repères.
- Il convient, selon elle, de prendre les élèves
au niveau où ils se trouvent, de procéder à un inventaire
de leurs connaissances et de leurs difficultés , puis de les amener
au niveau requis en collège à l'aide de pédagogies
appropriées.
- Remodelage des classes en fonction de l'orientation : les futurs élèvent
se seconde sont regroupés, de même pour ceux de lycée
professionnel ou pour les redoublants. Il s'agit de préparer les
jeunes à leur futur établissement, de manière que
la coupure entre le collège et le lycée soit moins brutale.
En effet, s'ils perdent du temps à s'adapter à leur nouveau
cadre de travail, les élèves courent le risque de redoubler
leur année de seconde. - Peut-on construire longtemps et
efficacement en comptant presque uniquement sur la bonne volonté
des uns et des autres ? - " Lutter contre l'exclusion scolaire
" est certes l'un des objectifs majeurs gravés dans le marbre
de la loi d'orientation. L'inspecteur général
André Hussenet propose en effet, dans son rapport consacré
aux ZEP, d'implanter de façon volontariste " des structures
pédagogiques innovantes " et des " filières promotionnelles
" dans ces quartiers difficiles.
CHAPITRE
3 : PLASTICS LYCEES OYONNAX
- L'atelier de plasturgie est redéployé suivant
les principes de l'industrie, avec des pôles de production entièrement
automatisés depuis la matière première jusqu'au produit
fini. Les élèves travaillent sur du matériel performant.
Prêté par l'industrie ou acheté par le lycée,
les équipements sont identiques à ceux des usines. Faire
évoluer les formations proposées aux élèves
au gré des demandes de l'industrie, c'est ce que s'efforce de réussir
le lycée Arbez Carme. " Dès qu'une filière est
obsolète, nous la fermons pour en ouvrir une plus performante ".
Lorsque la mise en place d'un projet se fait ainsi de manière progressive
et collective, elle aide les enseignants à trouver leur identité.
La seule chance du service public consiste à fournir aux entreprises
ce qu'elles demandent. A ses yeux, seule l'Éducation nationale
peut offrir aux jeunes une formation industrielle doublée d'une
solide formation générale.
CHAPITRE
4 : LA REPUBLIQUE D'HEROUVILLE
- Le métier s'exerce ici selon des codes particuliers,
formalisés notamment par un contrat individuel qui précise
les droits, les devoirs et les objectifs personnels de chaque élève.
Pour prévenir l'échec, affirment les enseignants, il faut
respecter les élèves (ailleurs, les élèves
sont écrasés par le système). Le travail en équipe
fait toute la différence. Sur le plan personnel, il permet de sortir
du terrible sentiment de solitude dont la profession se plaint si amèrement.
- L'existence d'un tuteur permet aux parents de régler des problèmes
simples au jour le jour, comme de confier des informations personnelles
sur leur enfant. - Malgré l'avalanche de réformes
qui a déferlé sur l'école depuis des décennies,
le découpage du temps scolaire, lui n'a jamais bougé. En
France, de la maternelle au lycée, du mois de septembre à
celui de juin, le temps scolaire est immobile, fragmentant la vie
des générations à l'aide de son alternance d'heures
identiques et de récréation. Ce sont des considérations
gestionnaires, plus que pédagogiques, qui président à
l'aménagement du temps dans la plupart des établissements.
- Les leçons " tombent comme la pluie que l'enfant
écoute les bras croisés " disait déjà
Alain (la fatigue peut disparaître lorsque l'intérêt
est sollicité). On sait en effet que les enseignants craignent
en général les intrusions à l'intérieur de
leur classe, même s'ils souffrent simultanément de solitude.
CHAPITRE
5 : MARSEILLE, LE THEOREME DE LA REUSSITE
- Pour les jeunes scientifiques, le passage du cadre de travail rigide
que constitue le lycée à celui plus libre de la fac est
propice aux dérapages. La majorité des bacheliers ne connaissent
pas une première année de fac très productive.
Mais, justement, après une année de bachotage, ils ont envie
de profiter de la jeunesse. Tout concourt à ce que ces jeunes étudiants
disposent au fil de la 1ère année universitaire d'une liberté
toute neuve.
- Dans le contexte difficile des premiers cycles scientifiques, celui
de l'Université de Provence indique que les résultats des
étudiants peuvent être améliorés. Ce point
n'est pas négligeable à l'heure de la pénurie de
techniciens et de scientifiques.
CHAPITRE
6 : L'HARMONIE ET LE MIRACLE
- Alors que les valeurs traditionnelles ont volé en éclats
en laissant le champ libre au fameux " malaise ", une nouvelle
idée professionnelle s'élaborerait à tâtons,
centrée autour de la compétence et de l'efficacité,
utilisées à des fins d'équité sociale.
- Que deux ou trois acteurs changent, qu'un nouveau chef d'établissement
fasse son entrée ou que certains s'épuisent et c'est tout
un projet qui se disloque. L'efficacité du chef d'établissement
semble plutôt se mesurer à son aptitude à susciter
la mobilisation des enseignants, tout en préservant la cohésion
interne.
- Certaines décisions ministérielles ont pour effet de faire
sauter des verrous, les PAE, les ZEP, la rénovation des 1er cycles
universitaires ont apporté un cadre officiel et un espace de liberté
aux équipes prêtes à se mobiliser.
- Ils sont au contact direct des élèves, ils subissent de
plein fouet les difficultés de l'enseignement. Instituteurs ou
professeurs, les maîtres jouent forcément un rôle majeur
dans les évolutions d'un établissement. Ce sont d'abord
eux qui lancent les innovations , souvent stimulés par les collègues
plus engagés qui forment le noyau actif de l'établissement.
Ils s'engagent pour des motifs variés, par crainte de voir la routine
s'installer dans leur vie, par conviction éthique ou politique,
par volonté de progresser sur le plan professionnel et de regarder
au-delà du seul horizon de la salle de classe. - Bien des
établissements traditionnels connaissent aussi une ambiance amicale
que les pauses cafés, les fêtes et les apéritifs sont
autant d'occasion de réchauffer. Mais très souvent, la règle
tacite exclut les conversations sur le métier pendant ces moments
de détente. Le problème c'est qu'aucun autre temps ne permet
de tels échanges.
- Une fois que les portes s'ouvrent, que des problèmes sont posés
et parfois résolus ensemble, le travail et les relations entre
collègues évoluent. Pour stimuler ce climat de confiance
professionnelle, l'organisation d'une formation commune à l'ensemble
des enseignants de l'établissement, et se déroulant sur
place est une étape décisive. Plus le collège est
mobilisé, moins il vit l'environnement comme hostile.
- La perspective de devoir mener 80 % des jeunes au niveau du bac
fait peser une obligation de résultats chiffrés sur l'école.
Mais, en améliorant les performances de leur établissement,
les enseignants mobilisés affirment qu'ils contribuent à
revaloriser la profession.
- Plusieurs éléments ont récemment convergé
pour donner davantage corps à la notion d'établissement
: la décentralisation a ramené les enjeux éducatifs
à un niveau local, l'assouplissement de la carte scolaire
dans certains départements a renforcé la concurrence entre
collèges ou entre lycées, l'obligation de rédiger
un projet d'établissement contribue à faire émerger
cette nouvelle entité.
- L'objectif officiel du collège -amener tous les enfants entrés
en classe de sixième jusqu'à la troisième- préfigure
celui des 80 % au niveau du bac. Déjà, le collège
ne rejette presque plus d'élèves vers les lycées
professionnels à la fin de la cinquième. Quelque 97,5 %
des jeunes de la classe d âge entrent en quatrième de collège.
De 1984 à 1988, les collèges ont été incités
par le ministère à s'engager dans la rénovation.
Malgré les quelques avantages matériels qui en découlaient,
une grosse minorité est restée en dehors du mouvement.
- Mobilisés ou non, les établissements et leurs enseignants
sont traités sur le même pied : les moyens et les revenus
sont identiques. Aucune gratification, financière ou non, aucune
reconnaissance matérielle ou morale n'est venue les sanctionner.
EPILOGUE
: A QUI PROFITE L'INNOVATION ?
- Pour réussir un enseignement de masse, sans subir de baisse
de niveau, écrit A. Prost, il faut réaliser un formidable
progrès pédagogique. Si l'apprentissage classique laisse
des élèves en panne sur tel point précis (la division
à deux chiffres par exemple), les groupes de besoins tentent d'éviter
les deux écueils en se tenant proches de chaque élève,
sans pourtant créer d'inégalités. - Le "collège
unique", qui regroupe depuis 1975
tous les jeunes dans une même structure, a ainsi été
contraint d'évoluer et d'emprunter quelques méthodes aux
innovateurs pour faire face à la diversité des classes.
" Différencier " les manières d'enseigner est
un leitmotiv des pédagogies nouvelles depuis des décennies.
En ce sens elles fournissent peut-être de meilleures armes que l'enseignement
classique pour réussir à faire travailler les classes telles
qu'elles sont aujourd'hui. - Le système scolaire traditionnel
reste (à quelques exceptions près) impuissant à
établir une inégalité des droits entre les enfants
des différentes couches sociales. Les innovations pédagogiques
seraient-elles en mesure de soulever le poids de ces inégalités
? - L'influence de l'appartenance sociale des élèves
continue néanmoins de peser lourdement. Le lycée, seul bastion
permettant l'accès au Bac lors de l'expérimentation,
reste une citadelle presque imprenable pour les enfants défavorisés.
Le paradoxe de cette innovation, c'est que les chances des couches moyennes
et supérieures progressant, l'écart entre ces groupes et
les couches inférieures s'est accru. - Les innovations pédagogiques
n'ont pas un effet " démocratisant " à tout coup
et nous avons même vu un cas où, profitant d'abord aux enfants
privilégiés, elles contribuaient à agrandir les écarts
entre élèves. - Mais l'enseignement traditionnel
a fait la preuve de son incapacité à réduire
les inégalités sociales. Quand l'innovation est conçue
dans l'idée de lutter contre le fatalisme social et d'aller vers
une égalité des droits entre les élèves, elle
parvient à marquer des points. - L'école ne peut,
à elle seule, supprimer les castes qui divisent puissamment la
société française. Elle peut cependant jouer pleinement
son rôle en cherchant à atténuer les déterminismes.
Faudrait-il se résigner à ce que presque tous les enfants
de cadres sup. obtiennent le bac, mais que les trois quarts des enfants
d'ouvriers soient en situation inverse ?
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