L'ECOLE QUI DECOLLE
Catherine BEDARIDA

 

 

PROLOGUE : Les passeurs de culture

Certes, il est des archipels de tristesse et de discours convenus (ah ! l'échec scolaire), certes il est des enfers pavés de bonnes intentions. Mais il existe aussi des oasis d'une fraîcheur insoupçonnée, irriguées par des enseignants compétents et passionnés, où les jeunes pousses surprennent par leur vitalité. Ces jardiniers de l'esprit sèment pour l'avenir. En effet, alors que la société doit relever des défis inaccoutumés et atteindre de nouveaux objectifs, l'enseignement demeure largement traditionnel en France. Ses limites sont pourtant bien connues : l'orientation des élèves est dominée par la tension sélective du système, le prix à payer pour la réussite de quelques-uns est trop élevé au regard du poids des échecs de beaucoup.   - La France connaît aujourd'hui un déficit de matière grise. Les emplois qui n'exigent aucune qualification  se raréfient. La prolongation de la formation est devenue, pour les Français, la clé de l'avenir collectif et individuel. Ils se sont mis de nouveau à charger l'enseignement d'espoirs multiples.   - Développer la capacité des jeunes à s'adapter ainsi que leur mobilité intellectuelle est plus utile que de les préparer à des spécialisations par trop pointues. Faire acquérir des connaissances, mais aussi des outils et des méthodes pour pouvoir répondre à l'évolution imprévisible des technologies, telle est aujourd'hui la double demande adressée à l'école par la plupart des capitaines d'industrie et des spécialistes de l'emploi.   - A leur façon, des scientifiques  ont mis le doigt sur le problème en soulignant que l'enseignement actuel atrophiait la créativité. Il faut bien reconnaître que le développement de l'esprit de recherche ou de la créativité est très insuffisant dans nos lycées et collèges. " Les élèves n'y apprennent pas à chercher, à exercer leur curiosité mais à résoudre des problèmes, ce qui n'est pas la même chose " note le professeur Laurent Schwarz.   - L'école se trouve face à des objectifs inhabituels : en quantité, puisqu'elle est appelée à former plus de jeunes; en qualité, car elle doit transmettre des savoirs et une culture avec plus de vigueur que par le passé.   - L'école française reste en effet davantage au service de certains enfants que d'autres. En route vers la réussite, elle laisse un bon nombre d'éclopés sur les bas côtés. " Bons " et " mauvais élèves " se répartissent assez exactement en fonction de leurs origines sociales : les enfants de cadres représentent un bachelier C sur deux et seulement un bachelier G sur sept. Les enfants d'ouvriers forment 8 % seulement des bacheliers C.   - L'insuffisance actuelle du "rendement scolaire" se traduit par les quelques 100 000 garçons  et filles qui quittent chaque année le système éducatif sans même avoir obtenu le CAP. Exclus de la culture, ils sont aussi voués à l'exclusion sociale.   - Les élèves n'ont pas forcément le désir d'exercer chaque matin leur métier d'élève, fait d'un mélange de dur labeur et de petites combines ; d'un dosage délicat entre l'acceptation de la discipline et l'affirmation d'un zeste de personnalité. Le bon élève, en somme, c'est celui qui accepte de jouer son rôle, de fournir un travail qui garantit, dans l'immédiat, l'approbation des adultes et, à plus long terme peut-être, la réussite scolaire. Ne perdons jamais de vue que, pour les élèves, le plus important et le plus intéressant à l'école consiste à " rencontrer des copains ".  
- Lorsque les élèves racontent leur passé scolaire, note Dubet, " ils associent leurs résultats, leurs goûts et leurs dégoûts aux divers profs qu'ils ont rencontrés, qui les ont aidés ou enfoncés ".   - Pierre angulaire de la réussite dans les études, le travail scolaire illustre de façon exemplaire le malentendu.   - Le bien-fondé du travail personnel ne leur saute pas aux yeux ; le devoir donné évoque la lubie de tel maître, semble inutile en dehors de l'univers scolaire, ou en contradiction avec ce qu'a affirmé un autre enseignant. Ce n'est pas parce qu'un professeur fait une leçon intéressante qu'on va se mettre au travail. Il doit s'arranger pour nous traiter en êtres humains, faire attention à ce qu'il dit , ne pas nous considérer comme des gosses.   - Toutes les écoles sont égales, mais certaines le sont plus que d'autres, semblent dire ces études : un établissement peut à son niveau jouer un rôle non négligeable, en réduisant les exclusions ou, à l'inverse en accroissant la sélection. Il faut bien se rendre à l'évidence : avec des populations d'élèves parfaitement analogues, les scolarités se déroulent parfois très différemment d'un établissement à l'autre. L'école aussi produit l'échec et la réussite.  
- Le collège bleu (le plus engagé dans la rénovation pédagogique) obtient les meilleurs résultats pour ses élèves : c'est lui qui conduit le plus d'enfants de sixième jusqu'à la seconde, lui qui atténue le plus nettement l'effet des inégalités sociales en améliorant la réussite des enfants de milieux populaires. Un tel écart du simple au double illustre l'importance du travail des enseignants et de l'administration. "A recrutement social, implantation socio-géographique, ou encore proportion d'étrangers largement comparables, ces collèges font à leur public des sorts scolaires si différents qu'il faut bien en imputer la cause à l'inégale mobilisation ", concluent les auteurs.  
- " Notre but doit être de faire de chacun de nos élèves non un savant intégral, mais une raison complète ", proclamait Durkheim.  Ainsi un chien savant n'est pas un chien qui sait beaucoup de choses, mais qui a été dressé à donner, par quelques exercices choisis d'avance, l'illusion du savoir. Ce poison étouffe l'initiative et la curiosité du maître comme de l'élève, il encourage la fraude, au détriment du goût des connaissances et de l'esprit de recherche.  
- Les travaux des sociologues P. Bourdieu et JC. Passeron : La neutralité revendiquée par l'école est une fiction. Le classicisme républicain  privilégie de fait les enfants des souches sociales les plus favorisées.  
- Malgré la centralisation du système éducatif français, il y a toujours eu des enseignants pour ne pas se contenter d'attendre que la réforme idéale -celle qui ferait pièce à toutes ces critiques- descende du ministère. Ils tentent, seuls ou à plusieurs, de remédier aux maux du système.  
- Les pédagogies nouvelles se réclament, depuis le début du siècle, d'une meilleure efficacité dans la transmission des savoirs et d'une modernité plus conforme aux besoins de la société. Elles s'efforcent de concilier ce qui demeure à leurs yeux inconciliable dans l'enseignement traditionnel : la préparation des examens et l'épanouissement des élèves ; la pédagogie individualisée et la dynamique permise par le groupe ; la stimulation des meilleurs et l'intégration des exclus.  L'innovation a deux fonctions contradictoires : la régulation et la contestation. Elle consiste à chercher des moyens nouveaux, considérés comme plus efficaces, pour accomplir des tâches qui, elles, restent les mêmes, selon des objectifs eux aussi inchangés - Le cours est efficace à condition qu'il soit compris, repris et assimilé. Aux professeurs de diriger et de soutenir ce processus, car ils ne peuvent étudier à la place des lycéens.    
- " C'est bien que le prof ne soit pas là, on va pouvoir travailler... " S'il avait été là, c'est le professeur qui aurait travaillé, commente Ph. Meirieu, " car c'est bien ainsi malheureusement, que l'école fonctionne encore souvent : les élèves viennent assister aux cours, puis ils rentrent chez eux pour faire leur travail ! " En renvoyant des tâches aussi cruciales hors de l'école, le système renvoie de fait aux inégalités. L'enfant qui dispose d'un bureau, qui a accès à un atlas, qui peut solliciter des parents ayant lu les livres en question, discuter de méthodes avec son entourage, n'est pas " à égalité " avec celui qui travaille dans une pièce où la télévision est allumée en permanence, sans interlocuteur en cas de difficultés.  

CHAPITRE 1 : LA DOUCEUR DE LIRE

  - Si bien peu de bagarres physiques éclatent, si les traditionnelles divisions entre joueurs de ballons et amateurs de jeux d'élastique ne dégénèrent pas malgré l'étroitesse des cours de récréation, c'est que les règles de la vie en collectivité font l'objet d'une attention particulière. Les enfants ont leurs délégués dès la petite section de maternelle. C'est là un signe de Saint Merri, car, au contraire du collège et du lycée, la présence de délégués d'élèves n'est pas prévue dans le primaire par les textes ministériels. Dès la maternelle, les enseignants tentent de responsabiliser les élèves, à l'intérieur même de leur travail.  
- Depuis le cours préparatoire, chaque classe fréquente ainsi la bibliothèque pour un club de lecture hebdomadaire. " Quand les enfants ont été suivis par des instituteurs qui les poussaient à lire tout au long des cinq années de primaire, ils deviennent d'excellents lecteurs ". Le club de lecture a surtout pour vocation de guider les enfants vers le plaisir de lire et l'amour de la fiction. Considérés comme plus efficaces, pour accomplir des tâches qui, elles restent les mêmes, selon des objectifs eux aussi inchangés. Mais elle remet aussi en cause le système, c'est son aspect contestataire.  
- Les objectifs poursuivis par les novateurs visent l'épanouissement personnel, veulent permettre à chacun d'aller le plus loin possible dans ses possibilités. Même le cours le plus brillant ne fait pas automatiquement transiter le savoir jusqu'à l'élève et il ne suffit pas que le maître parle pour que le disciple apprenne.  
- " Le centre des études, ce qui fait leur force et leur succès, c'est le travail des élèves, et le meilleur professeur n'est pas celui qui travaille le plus mais celui qui fait le mieux travailler, de la façon la plus intelligente et la plus féconde ". A. Prost  
- A la fin de l'école primaire, seulement la moitié des élèves français semblent capables d'une lecture fine et approfondie d'un texte, celle-là même qui est exigée au collège cf. Rapport Migeon (la réussite à l'école, quelques propositions).  
- Pour que la moitié des élèves ne sachent pas assez bien lire à l'entrée en collège, il faut sans doute que les méthodes d'apprentissage ne soient guère satisfaisantes. Mais le B.A. BA perdure du fait d'un manque de formation pédagogique chez les instituteurs : une petite moitié des maîtres en charge du cours préparatoire n'ont pas fréquenté l'école normale ni même suivi de stage consacré à la lecture. En fait, l'essentiel n'est pas que l'enfant déchiffre, mais qu'il cherche d'abord à comprendre ce que cela veut dire.  
- L'attention parentale pour beaucoup de familles aisées se porte au niveau du primaire, sur les activités extra-scolaires. Les mercredis deviennent parfois un véritable parcours du combattant de l'enfance harmonieuse.  

CHAPITRE 2 : LES FORTS EN THEME DES HLM

  - La création des ZEP répond à une logique simple : en donnant plus à ceux qui ont moins, le ministère pense parvenir à réduire les inégalités. Mais les éducateurs devraient chercher à mieux connaître le milieu de vie des enfants, à scruter la sociologie du quartier car, sans une action en profondeur auprès des familles, l'école se contente de reproduire et de conforter un système éducatif profondément inégalitaire.  
- Si toutes ces activités étaient un peu trop agréables pour être compatibles avec des études ? Espoir de voir ses enfants s'élever socialement grâce aux études, envie de voir l'école jouer pleinement son rôle : si la plupart des parents caressent ces aspirations, tous ne sont pas aussi impliqués.  
- Les habitants connaissent l'exclusion sociale, de nombreux  pères sont au chômage et il n'est pas rare que les fils aînés soient en prison. Ils se retrouvent dans des logements et dans un quartier qu'ils n'ont pas choisis. Et ces parents ont d'autres urgences que la scolarité de leurs enfants.  
- Pour les familles les plus impliquées, comme pour celles qui sont le plus en situation de rejet, une formation originale au " métier " de parent d'élèves est offerte par le collège. Prendre la parole devant des enseignants, voilà qui n'est pas facile pour des adultes peu instruits, qui gardent souvent un souvenir cuisant de leur propre scolarité. Toute cette aide des parents aux enfants ne demande pas de savoirs particuliers mais simplement un peu de disponibilité et d'écoute.  
- Ce sont en général les mêmes jeunes qui sont très tôt en échec scolaire et qui plus tard ne trouvent pas de travail et flirtent avec la délinquance. " Nous sommes convaincus, pour l'avoir expérimenté, que l'échec scolaire n'est pas fatal : l'aide personnalisée aux enfants, la concentration et la collaboration étroite entre les partenaires de l'école, permettent une diminution de l'échec et même enclenchent des processus de réussite ".  
- Ce sont des lycéens ou étudiants issus du quartier qu'ils embauchent comme animateurs, afin de constituer une preuve vivante que la réussite scolaire est possible.  
- La majorité des élèves de sixième sont maintenant capables de maîtriser un texte quelle que soit la forme sous laquelle il se présente. Avec de l'attention, la plupart d'entre eux peuvent saisir des informations, des consignes diverses de travail. Ils sont ainsi devenus de meilleurs lecteurs. Les enfants arrivant en sixième savent certes déchiffrer un texte, mais ils éprouvent les plus grandes difficultés à en saisir le sens ou à utiliser les informations qu'il contient. De plus, la lecture est bien loin de représenter pour eux une source de plaisir.   - L'adolescence devient un passage plus difficile dans cette période de chômage, de mutation, où les adultes eux-mêmes perdent leurs repères.   - Il convient, selon elle, de prendre les élèves au niveau où ils se trouvent, de procéder à un inventaire de leurs connaissances et de leurs difficultés , puis de les amener au niveau requis en collège à l'aide de pédagogies appropriées.  
- Remodelage des classes en fonction de l'orientation : les futurs élèvent se seconde sont regroupés, de même pour ceux de lycée professionnel ou pour les redoublants. Il s'agit de préparer les jeunes à leur futur établissement, de manière que la coupure entre le collège et le lycée soit moins brutale. En effet, s'ils perdent du temps à s'adapter à leur nouveau cadre de travail, les élèves courent le risque de redoubler leur année de seconde.   - Peut-on construire longtemps et efficacement en comptant presque uniquement sur la bonne volonté des uns et des autres ?   - " Lutter contre l'exclusion scolaire " est certes l'un des objectifs majeurs gravés dans le marbre de la loi d'orientation. L'inspecteur général André Hussenet propose en effet, dans son rapport consacré aux ZEP, d'implanter de façon volontariste " des structures pédagogiques innovantes " et des " filières promotionnelles " dans ces quartiers difficiles.    

 

CHAPITRE 3 : PLASTICS LYCEES  OYONNAX

  - L'atelier de plasturgie est redéployé suivant les principes de l'industrie, avec des pôles de production entièrement automatisés depuis la matière première jusqu'au produit fini. Les élèves travaillent sur du matériel performant. Prêté par l'industrie ou acheté par le lycée, les équipements sont identiques à ceux des usines. Faire évoluer les formations proposées aux élèves au gré des demandes de l'industrie, c'est ce que s'efforce de réussir le lycée Arbez Carme. " Dès qu'une filière est obsolète, nous la fermons pour en ouvrir une plus performante ". Lorsque la mise en place d'un projet se fait ainsi de manière progressive et collective, elle aide les enseignants à trouver leur identité. La seule chance du service public consiste à fournir aux entreprises ce qu'elles demandent. A ses yeux, seule l'Éducation nationale peut offrir aux jeunes une formation industrielle doublée d'une solide formation générale.  

CHAPITRE 4 : LA REPUBLIQUE D'HEROUVILLE

  - Le métier s'exerce ici selon des codes particuliers, formalisés notamment par un contrat individuel qui précise les droits, les devoirs et les objectifs personnels de chaque élève. Pour prévenir l'échec, affirment les enseignants, il faut respecter les élèves (ailleurs, les élèves sont écrasés par le système). Le travail en équipe fait toute la différence. Sur le plan personnel, il permet de sortir du terrible sentiment de solitude dont la profession se plaint si amèrement.  
- L'existence d'un tuteur permet aux parents de régler des problèmes simples au jour le jour, comme de confier des informations personnelles sur leur enfant.   - Malgré l'avalanche de réformes qui a déferlé sur l'école depuis des décennies, le découpage du temps scolaire, lui n'a jamais bougé. En France, de la maternelle au lycée, du mois de septembre à celui de juin,  le temps scolaire est immobile, fragmentant la vie des générations à l'aide de son alternance d'heures identiques et de récréation. Ce sont des considérations gestionnaires, plus que pédagogiques, qui président à l'aménagement du temps dans la plupart des établissements.   - Les leçons " tombent comme la pluie que l'enfant écoute les bras croisés " disait déjà Alain (la fatigue peut disparaître lorsque l'intérêt est sollicité). On sait en effet que les enseignants craignent  en général les intrusions à l'intérieur de leur classe, même s'ils souffrent simultanément de solitude.    

 

CHAPITRE 5 : MARSEILLE, LE THEOREME DE LA REUSSITE  
- Pour les jeunes scientifiques, le passage du cadre de travail rigide que constitue le lycée à celui plus libre de la fac est propice aux dérapages. La majorité des bacheliers ne connaissent pas une première année de fac très productive.
Mais, justement, après une année de bachotage, ils ont envie de profiter de la jeunesse. Tout concourt à ce que ces jeunes étudiants disposent au fil de la 1ère année universitaire d'une liberté toute neuve.
- Dans le contexte difficile des premiers cycles scientifiques, celui de l'Université de Provence indique que les résultats des étudiants peuvent être améliorés. Ce point n'est pas négligeable à l'heure de la pénurie de techniciens et de scientifiques.  

  CHAPITRE 6 : L'HARMONIE ET LE MIRACLE  
- Alors que les valeurs traditionnelles ont volé en éclats en laissant le champ libre au fameux " malaise ", une nouvelle idée professionnelle s'élaborerait à tâtons, centrée autour de la compétence et de l'efficacité, utilisées à des fins d'équité sociale.   - Que deux ou trois acteurs changent, qu'un nouveau chef d'établissement fasse son entrée ou que certains s'épuisent et c'est tout un projet qui se disloque. L'efficacité du chef d'établissement semble plutôt  se mesurer à son aptitude à susciter la mobilisation des enseignants, tout en préservant la cohésion interne.  
- Certaines décisions ministérielles ont pour effet de faire sauter des verrous, les PAE, les ZEP, la rénovation des 1er cycles universitaires ont apporté un cadre officiel et un espace de liberté aux équipes prêtes à se mobiliser.  
- Ils sont au contact direct des élèves, ils subissent de plein fouet les difficultés de l'enseignement. Instituteurs ou professeurs, les maîtres jouent forcément un rôle majeur dans les évolutions d'un établissement. Ce sont d'abord eux qui lancent les innovations , souvent stimulés par les collègues plus engagés qui forment le noyau actif de l'établissement.
Ils s'engagent pour des motifs variés, par crainte de voir la routine s'installer dans leur vie, par conviction éthique ou politique, par volonté de progresser sur le plan professionnel et de regarder au-delà du seul horizon de la salle de classe.   - Bien des établissements traditionnels connaissent aussi une ambiance amicale que les pauses cafés, les fêtes et les apéritifs sont autant d'occasion de réchauffer. Mais très souvent, la règle tacite exclut les conversations sur le métier pendant ces moments de détente. Le problème c'est qu'aucun autre temps ne permet de tels échanges.  
- Une fois que les portes s'ouvrent, que des problèmes sont posés et parfois résolus ensemble, le travail et les relations entre collègues évoluent. Pour stimuler ce climat de confiance professionnelle, l'organisation d'une formation commune à l'ensemble des enseignants de l'établissement, et se déroulant sur place est une étape décisive. Plus le collège est mobilisé, moins il vit l'environnement comme hostile.  
- La perspective de devoir mener 80 %  des jeunes au niveau du bac fait peser une obligation de résultats chiffrés sur l'école. Mais, en améliorant les performances de leur établissement, les enseignants mobilisés affirment qu'ils contribuent à revaloriser la profession.  
- Plusieurs éléments ont récemment convergé pour donner davantage corps à la notion d'établissement : la décentralisation a ramené les enjeux éducatifs à un niveau local, l'assouplissement de la carte scolaire dans certains départements a renforcé la concurrence entre collèges ou entre lycées, l'obligation de rédiger un projet d'établissement contribue à faire émerger cette nouvelle entité.  
- L'objectif officiel du collège -amener tous les enfants entrés en classe de sixième jusqu'à la troisième- préfigure celui des 80 % au niveau du bac. Déjà, le collège ne rejette presque plus d'élèves vers les lycées professionnels à la fin de la cinquième. Quelque 97,5 % des jeunes de la classe d âge entrent en quatrième de collège.
De 1984 à 1988, les collèges ont été incités par le ministère à s'engager dans la rénovation. Malgré les quelques avantages matériels qui en découlaient, une grosse minorité est restée en dehors du mouvement.   - Mobilisés ou non, les établissements et leurs enseignants sont traités sur le même pied : les moyens et les revenus sont identiques. Aucune gratification, financière ou non, aucune reconnaissance matérielle ou morale n'est venue les sanctionner.  

  EPILOGUE : A QUI PROFITE L'INNOVATION ?  
- Pour réussir un enseignement de masse, sans subir  de baisse de niveau, écrit A. Prost, il faut réaliser un formidable progrès pédagogique. Si l'apprentissage classique laisse des élèves en panne sur tel point précis (la division à deux chiffres par exemple), les groupes de besoins tentent d'éviter les deux écueils en se tenant proches de chaque élève, sans pourtant créer d'inégalités.   - Le "collège unique", qui regroupe depuis 1975 tous les jeunes dans une même structure, a ainsi été contraint d'évoluer et d'emprunter quelques méthodes aux innovateurs pour faire face à la diversité des classes. " Différencier " les manières d'enseigner est un leitmotiv des pédagogies nouvelles depuis des décennies. En ce sens elles fournissent peut-être de meilleures armes que l'enseignement classique pour réussir à faire travailler les classes telles qu'elles sont aujourd'hui.   - Le système scolaire traditionnel reste (à quelques exceptions près) impuissant à établir une inégalité des droits entre les enfants des différentes couches sociales. Les innovations pédagogiques seraient-elles en mesure de soulever le poids de ces inégalités ?   - L'influence de l'appartenance sociale des élèves continue néanmoins de peser lourdement. Le lycée, seul bastion permettant l'accès au Bac lors de l'expérimentation, reste une citadelle presque imprenable pour les enfants défavorisés. Le paradoxe de cette innovation, c'est que les chances des couches moyennes et supérieures progressant, l'écart entre ces groupes et les couches inférieures s'est accru.   - Les innovations pédagogiques n'ont pas un effet " démocratisant " à tout coup et nous avons même vu un cas où, profitant d'abord aux enfants privilégiés, elles contribuaient à agrandir les écarts entre élèves.   -  Mais l'enseignement traditionnel a fait la preuve de son incapacité   à réduire les inégalités sociales. Quand l'innovation est conçue dans l'idée de lutter contre le fatalisme social et d'aller vers une égalité des droits entre les élèves, elle parvient à marquer des points.   - L'école ne peut, à elle seule, supprimer les castes qui divisent puissamment la société française. Elle peut cependant jouer pleinement son rôle en cherchant à atténuer les déterminismes. Faudrait-il se résigner à ce que presque tous les enfants de cadres sup. obtiennent le bac, mais que les trois quarts des enfants d'ouvriers soient en situation inverse ?

 



Fiches
Retour fiches