Chapitre 1 : Une Ecole en crise, dans une société en crise. Lécole apparaît comme une institution en crise dans une société en crise. Pourquoi ? Il semble que les réalités et les valeurs sur lesquelles fonctionnent ces deux institutions sopposent.
Tandis que le temps scolaire gratifie le long terme, la durée, la société
valorise le temps de linstant, limmédiat. La technologie envahit
la société alors que lécole sen tient à lécart.
Les familles ont le sentiment que le système scolaire ne se préoccupe pas assez de la formation professionnelle alors quen réalité celui-ci sefforce et même sépuise à suivre le rythme dévolution des emplois au risque de faire perdre le sens des apprentissages à lécole. En fait, on peut parler de crise structurelle pour lécole qui a des origines internes et externes. 2 - Pour sortir de la crise Si lécole et la société ont chacune des conceptions et des valeurs propres, il est cependant nécessaire quelles se rejoignent autour de deux interrogations essentielles, si elles veulent durer en tant quinstitutions stabilisées : le savoir et le pouvoir . Dabord, lécole doit se préoccuper davantage du rapport des élèves aux savoirs, tant il peut différer dun individu à lautre. Ensuite, elle se doit aussi de réfléchir sur le rapport à la loi . Il nexiste pas de société durable avec des liens sociaux faibles. Cest un des fondements clés de toute société. Ces deux éléments entretiennent des rapports étroits entre eux car une des difficultés à accepter dapprendre est de manquer de repères vis à vis de la loi. Il convient, alors, de se demander comment lécole peut devenir un lieu démergence de la loi et pas uniquement le lieu dapplication des règlements et, ceci, dans le but daméliorer le rapport au savoir des élèves. Elle sera alors véritablement un lieu déducation et pas seulement dinstruction. En effet, la fonction de lécole est bien de tenir intimement mêlé le couple éduquer et instruire. On ne peut plus se satisfaire de points de vue qui ne viseraient que lune de ces dimensions au détriment de lautre : " la finalité de lécole est denseigner pour éduquer ". Et ce défi des finalités ne relève pas de déclarations de principe mais de pratiques capables de les actualiser en maintenant en tension le couple instruction-éducation. Les méthodes denseignement sont donc à repenser ainsi que les programmes scolaires ( lécole enseigne des savoirs démontés sans donner les clés qui permettent de les remonter selon des logiques autres que disciplinaires ) : sobliger à linterdisciplinarité autour de questions complexes est un défi que le système scolaire doit relever sil ne veut pas enseigner des savoirs qui apparaîtront de plus en plus désuets. Par conséquent, la formation des enseignants doit aussi être repensée : elle doit installer un enseignement au service de lapprentissage essentiellement en envisageant simultanément des groupes hétérogènes qui deviendraient homogènes pour un temps. Doù limportance de la notion déquipe éducative et déquipe enseignante : ce sont des priorités à faire exister. Autre point : celui de lorientation. Ici aussi, il y a un défi à relever : il faut se demander comment permettre à un élève de sorienter et non pas dêtre orienté. Cela est difficile car sorienter, " cest arrêter un choix à partir de ce quon pense être et de ce que lon se propose dêtre " ; or, ni lun ni lautre ne sont certains. En outre cest choisir de manière parfois définitive en nétant jamais certain de son choix. Conclusion : Il faut réclamer une école capable de montrer aux enfants quils peuvent vivre les uns avec les autres malgré et grâce à toutes les différences qui ne peuvent que les enrichir. Une école qui lie instruction et éducation est une école qui permet à la cohésion sociale de retrouver son fondement.
Chapitre 2 : Le rapport au savoir Aujourdhui, lécole doit concilier enseignement de masse et enseignement de qualité. Enseigner devient un métier nouveau qui ne se réduit plus seulement à lexposé de contenus pour des enfants destinés socialement à des études longues. Il faut désormais accueillir et faire réussir des enfants que rien ne prédisposait à devenir des élèves aussi longtemps scolarisés. Le métier denseignant doit donc se transformer et saisir la nature du rapport des élèves au savoir : en effet, un premier préalable pour apprendre est quil doit y avoir un rapport dadhésion et non de rejet.
A été étudié par 2 grands auteurs : B.Charlot comme sociologue de léducation et J.Beillerot en empruntant aux concepts de la psychanalyse. Selon Freud, " apprendre, cest investir du désir dans un objet de savoir ". Il ny a pas dapprentissage scolaire sans désir dapprendre. Lécole a pour finalité de transmettre des savoirs , mais
dautres institutions partagent avec elle cette charge ( musées,
bibliothèques, radio, T.V
); le mot savoir a une connotation
plus large que celui du savoir scolaire. Le rapport au savoir est difficilement caractérisable, il possède des dimensions individuelles et groupales. Nous allons cependant éclairer ce concept à laide de trois approches qui sont complémentaires. La psychologie peut nous aider à comprendre le rapport au savoir dun élève : le savoir doit avoir un sens pour que lélève se lapproprie. La psychanalyse parle de rapport au savoir comme dune relation dobjet : les objets de savoir enseignés à lécole doivent être investis de désir pour être appropriés. Accepter de savoir, cest accepter de désirer savoir. La sociologie est aussi utile pour éclairer la question du rapport au savoir : le rapport au savoir de lélève tire ses origines du rapport au savoir quil a vécu antérieurement, dans sa famille notamment. Or, toutes les familles ne vivent pas avec le savoir un rapport identique : il en est qui le fuient pour conserver leur identité ; il en est qui se laccaparent pour mieux se particulariser ; et il y en a qui cherchent seulement à lapprivoiser quand il leur est utile, quil est fonctionnel Lépistémologie scolaire, enfin, permet également daborder cette question : Il sagit dune réflexion sur les savoirs enseignés à lécole. I - Rapport au savoir et psychologie. Le savoir est au départ une réalité extérieure à lélève et on évoque davantage des mécanismes cognitifs quaffectifs pour expliquer la réussite ou léchec dun élève. Mais on vit aussi avec le savoir une relation affective. Des auteurs considèrent en effet laffectivité comme le moteur de la cognition. Lélève va éprouver des pulsions devant le savoir, pulsions qui peuvent avoir différents buts : par exemple, lenvie de lire peut être motivée par le but de sévader du quotidien, de briller en montrant ses connaissances, de sidentifier à des personnages dans le but de mieux se connaître etc. Ainsi, parler dans sa dimension psychologique, du rapport au savoir, cest comprendre ce qui dans le savoir scolaire en général, ou dans tel savoir en particulier répond au désir de lélève. Mais lenseignant nest pas un analyste, ne doit pas avoir le projet de jouer à lapprenti psychologue. Pourtant, la classe peut être loccasion daider lélève à prendre de la distance à légard des savoirs enseignés et de se rendre attentif au rapport quil vit à légard des savoirs scolaires. Comment ? En facilitant des temps doraux et des temps décrit qui permettent aux élèves de se délier des savoirs scolaires et du savoir scolaire en général : par des activités dexpression et de communication, lélève peut se mettre à distance dun savoir et apprécier le rapport quil vit avec celui-ci.
II - Rapport au savoir et sociologie. Les élèves vivent un certain rapport au savoir dans leur milieu familial avant dêtre en contact avec le savoir scolaire et cela influe directement sur leur propre rapport au savoir : dabord, les familles développent différentes attentes vis à vis de lécole; ensuite, par rapport au savoir en général, dispensé par dautres instances que lécole, certaines vont se positionner en consommateur, en producteur, en inventeur de savoir à son propre niveau de pratique; enfin, le rapport au savoir dans la famille nest pas sans relations avec le rapport au savoir du groupe social auquel sidentifie la famille. Lenfant va avoir tendance à sidentifier à son groupe
dappartenance, mais sans pour autant être déterminé par son origine
familiale (il lui est toujours possible déchapper aux désirs et
destins que sa famille lui attribue ). Il faut comprendre quil est très difficile à un élève de milieu " défavorisé " davoir des ambitions scolaires supérieures à ce que furent les trajectoires scolaires parentales. Pour espérer un avenir différent, nécessitant une réussite scolaire, il faut que cet enfant soit convaincu quil ne reniera pas la culture familiale. Cest à la condition dêtre réassuré sur son image, dêtre serein quant à son identité quon peut désirer changer. Il existe aussi des différences dans le suivi familial de la scolarité :
D.Glasman montre quil y a une école hors lEcole (sous la forme
de cours particulier, de soutien par des associations
). Selon cet
auteur, ce phénomène est sans doute en train dopérer une nouvelle
discrimination entre les classes sociales. Conclusion : le rapport au savoir de lélève se construit donc dans son milieu familial, à travers le système dattentes et le jeu des attitudes que ce dernier entretient avec linstitution scolaire.
III - Rapport au savoir et épistémologie. Idée principale : le rapport des élèves aux savoirs scolaires réside dans la compréhension des enjeux disciplinaires qui leur sont enseignés.Or ce nest pas le cas de la majorité des élèves. Devant la multiplicité des matières enseignées et le peu de liens quelles ont entre elles ( ou en tout cas qui napparaissent pas ), il est difficile pour les élèves de prendre du recul vis à vis des disciplines et den apprécier les caractères. Conclusion générale. Devant cette multifactorialité de rapports au savoir, comment lenseignant
peut-il agir ?
Chapitre 3 : Le rapport à la loi. La discipline apparaît souvent comme la condition nécessaire et suffisante pour être un bon élève. Contrairement à une opinion commune selon laquelle les pédagogues sont insouciants dobéissance et dautorité, les différents courants déducation nouvelle ont fait de cette question une figure emblématique de leurs projets. Ils ont envisagé la discipline non pas en terme de soumission mais dadhésion. Elle na pas à être imposée, mais consentie par les élèves elle simpose naturellement. Ainsi J.Dewey en Amérique, Freinet en France et bien dautres dans toute lEurope envisagent la discipline comme le gage de la réussite de leurs propos éducatifs, mais une discipline visant à la conquête de lautonomie : pour eux, il ne peut y avoir dinstruction sans conjointement se rendre attentif à léducation. Aujourdhui, on ne parle plus guère dindiscipline mais de violence à lécole et pour aborder la question du rapport à la loi, on est obligé daborder la violence, considérant que la manière de faire taire celle-ci, cest de donner à lélève la responsabilité de ses propres actes. I - La violence à lécole, la violence de lécole. La violence serait entrée à lécole, on parle quasi-quotidiennement dincidents plus ou moins graves et nombreux sont ceux qui réclament le retour à " lEcole-sanctuaire ". Certes les signes de violence se développent, mais il convient de les rapporter à la population scolarisée ( on découvre alors un pourcentage relativement faible ). Ceci étant, il y a sans doute lieu dévoquer lexistence dun climat de violence qui est très angoissant pour tous les acteurs de lécole. Que recouvre le phénomène ? Il faut dabord reconnaître que la violence est une réalité scolaire qui a toujours existé et selon lenquête réalisée par léquipe du professeur E.Debarbieux, 45% des élèves la pensent peu présente dans leur établissement, se présentant essentiellement sous forme de bagarres et dinjures; quant aux enseignants, ils dénoncent principalement les violences verbales dans la relation pédagogique. Les explications dordre sociologique de cette violence sont multifactorielles : selon le sociologue C.Bachman, il y aurait trois causes principales. Leffondrement du pacte du progrès social : le sentiment de mobilité sociale (ascensionnelle) disparaît; à linverse, on peut avoir le sentiment dune stagnation, voire dune dégradation des avantages acquis entre parents et enfants. Le rapport au travail devient autre : lécole nest plus crédible comme espace de promotion sociale. Les élèves ont le sentiment que le rapport investissement scolaire bénéfice social ultérieur est faible. La permissivité sest infiltrée dans la société; absence de loi à laquelle se référer. Comment faire pour lutter contre la violence à lécole ? A lécole tout peut se discuter, se négocier, sauf la violence.
Il est impossible de laccepter parce que justement, cest le
refus de la violence qui, seul, permet de tout discuter. Seul le
reniement de la violence est le garant dune vie démocratique.
Lécole ne doit pas être simplement un lieu où on applique un règlement, mais aussi un lieu où on le construit à partir de contraintes incontournables et du désir de chacun. En faisant découvrir linterdit et le possible, les élèves découvriront non pas le règne de larbitraire mais le fonctionnement démocratique.
II - La règle et la loi. La règle est ce qui est imposé comme ligne directrice, ce qui doit être fait dans un cas déterminé : elle est donc de lordre de la morale et permet à un groupe de fonctionner dans des circonstances précises. Elle existe parce quelle prévient et quelle permet aussi dexpier : une sanction ne sera éducative que si elle est adaptée au cas particulier du fauteur (pas de sanction automatique au non-respect de la règle ) et quelle permet de penser une réparation capable de faire advenir quelque chose de nouveau. Létablissement scolaire ne présente pas limage dune structure démocratique : il nexiste pas de réelle séparation des pouvoirs ( cest le chef détablissement qui les cumule ). De même, cest le professeur qui rend sa propre justice et qui occupe à la fois la position de juge et de partie; nous nous trouvons ainsi dans un système de justice privée et cela peut avoir comme conséquence dengendrer de la violence. Or, le 20.XI.1989, lO.N.U a adopté une convention portant sur les droits de lenfant et les droits des élèves ne peuvent être moins que les droits de lenfant. Lauteur considère avec P.Meirieu que le rôle de la pédagogie et de léducation est de transformer ces droits formels en droits réels et quéduquer nest pas seulement de reconnaître ces droits mais de les construire avec ceux que lon éduque. Si les droits des enfants dans la société ont besoin dêtre concédés, les droits des élèves ont à être co-élaborés. Mais il ne faut pas oublier que les droits nont de sens que parce quil existe des devoirs : on ne doit pas se contenter de faire signer un règlement intérieur à des élèves mais darrêter avec eux ce quil est nécessaire de faire et de ne pas faire, en vertu des obligations morales quon sest fixées. Droits et devoirs relèvent de la même démarche : cest dans la co-élaboration commune que se construit la loi, visée fondatrice ultime de léducation. Par conséquent, lenseignant a lui aussi des droits et des devoirs qui peuvent être discutés. En fait, éduquer cest construire de la loi et cest à cette condition que la contrainte peut être imposée, la loi étant conçue comme un ensemble de règles impératives à respecter. Ainsi, les devoirs deviendront des contraintes examinées librement. Pour ce faire, il convient de mettre en place des instances de parole qui permettent de prendre de la distance vis-à-vis de ce qui est vécu, des lieux de régulation de conflits ( lauteur se prononce pour la pratique de la médiation et pour lélaboration dune charte de vie scolaire qui est importante au niveau du lien social ) . Conclusion : Lécole peut venir à bout de la violence et se montrer réellement démocratique, non en imposant, mais en construisant de la loi . Elle ne peut prendre du sens quà la condition dapparaître aux élèves comme un espace où lon construit de la vie, non pas comme un lieu où lon administre des règlements préexistants, non discutés, donc forcément morts symboliquement.
Chapitre 4 : Donner du sens à lécole. Pourquoi les élèves ont-ils du mal à trouver du sens à lécole ? Le savoir leur apparaît souvent déconnecté de son usage, coupé même de la pensée. En effet, lécole passe en revue des savoirs démontés que les élèves utilisent peu pour construire des cohérences : les savoirs ne sont pas vécus au futur et sont en outre déhistoricisés, nont que peu de liens avec le passé. Conséquence : le sens est rarement construit à travers les contenus enseignés. En outre, le succès scolaire nest plus le gage dune réussite sociale ; dès lors, comment sinvestir ? Lécole sans futur clair perd de sa justification. Pourtant, les enseignants doivent aider les élèves à retrouver du sens à lécole ; comment ? Trouver du sens, cest construire un ensemble de repères, se fixer un ensemble de valeurs qui permettent de mettre son monde en ordre : le sens est au cur de la construction de la personne. Donner du sens à son action, cest se donner un projet personnel et se construire une identité. Et apprendre, cest se donner du pouvoir par du savoir. Il existe différentes méthodes pédagogiques permettant aux enseignants de favoriser le rapport au savoir et à la loi de leurs élèves, mais nous ne laborderons pas ici.
Conclusion générale et provisoire Lécole connaît une crise structurelle et nécessite que les enseignants se donnent le défi dune nouvelle professionnalité pour que lécole devienne un lieu de sens (un lieu dinstruction et déducation ). Sa visée continue a être celle de laccès à la Raison, mais à une raison contradictoire. Lécole sanctuaire doit céder le pas à une école du débat, du conflit intellectuel, de léchange, faisant de la classe non plus le lieu où lon transmet, mais un espace occupé par une communauté de chercheurs qui seraient évalués rigoureusement et accompagnés plus individuellement. Le but poursuivi est l'acquisition de savoirs dans un climat de coresponsabilité et de solidarité critique. Vers une Ecole de la République où laïcité, liberté, tolérance seront considérées comme des réalités à construire et non comme allant de soi par décret. " Pour que la société napparaisse pas à ceux qui la perpétueront demain, les élèves daujourdhui, comme un lieu de non-sens, de contre-sens ou de faux-sens, mais comme un lieu de construction dune direction que lon assume grâce aux savoirs que lon acquiert ".
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