EMILE reviens vite ...ils sont devenus fous.
Philippe MEIRIEU - Michel DELEVAY

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Introduction : Eloge de la polémique

I : En un combat obscur : des attaques contre les sciences de l’éducation à la remise en question de la démocratisation du système éducatif.


* La pédagogie critiquée "sur sa gauche "
* Le choc des Instituts Universitaires de Formation des Maîtres

ALLEGATION N°1 : Tout le monde est naturellement habilité à statuer sur les problèmes éducatifs, il n’y a nul besoin, en cette matière de spécialiste d’aucune sorte.

* La légitimité de la recherche éducative

- Eclairer les choix
- les incarner
- instrumenter les choix
- contribuer à l’évaluation des effets

Problème : l’éducation peut être un enjeu de pouvoir .

Les débats actuels font bien souvent penser à l’histoire du Cercle de craie caucasien : Bertold BRECHT raconte dans cette pièce, l’histoire d’un enfant abandonné par une princesse, élevé par une servante. Cette dernière réussit à sauver la vie de l’enfant et à faire son éducation jusqu’au jour où la mère biologique réclame son fils. Un procès a lieu et le juge trace un cercle au sol à la craie et place l’enfant au centre. Il demande ensuite à chacune des deux mères de prendre un bras et de tirer : celle qui l’attirera de son côté hors du cercle aura l’enfant . Evidemment la mère adoptive lâche l’enfant à trois reprises de peur de le mutiler. Le juge lui attribue l’enfant, voyant dans ce refus une preuve irréfutable de son affection pour lui.

Nos enfants et nos élèves ne sont ils pas, bien souvent, au centre du cercle, entourés d’adultes qui veulent se les approprier pour servir leurs intérêts, satisfaire leur narcissisme ou valider leurs théories.

N’aurons nous pas fait un immense pas en avant dans ce pays quand nous serons capables de poser ensemble les problèmes éducatifs que ce soit les problèmes de finalité, les problèmes de faisabilité d’accompagnement ou les problèmes d’évaluation avec sérieux et sérénité ? Car le danger du " consensus mou " n’est pas là, il est plus tôt dans l’esquive permanente des vrais problèmes, l’oscillation stratégique entre la dictature des experts et la démagogie des politiques, la désignation médiatique et rituelle des boucs émissaires qui opère magnifiquement des réconciliations de surface quand les vraies questions sont systématiquement escamotées.

 

ALLEGATION N°2 : Les Sciences de l’éducation ne sont pas une véritable discipline universitaire, elle sont en réalité un lieu de refuge des exclus, des autres disciplines où se tiennent des bavardages idéologiques sans fondement ni statut épistémologique.

* Les sciences de l’éducation : entre science et idéologies
* Vers un statut épistémologique des Sciences de l’éducation

Les sciences de l’éducation affirment qu’elles cherchent toujours à articuler 3 pôles :

- un pôle axiologique qui renvoie à la définition des fins et mobilise la réflexion philosophie et politique,
- un pôle scientifique qui renvoie aux connaissances élaborées par les sciences humaines (psychologie, sociologie, liguistique, économie) mais aussi par les sciences expérimentales (comme la biologie),
- un pôle praxéologique qui renvoie à l’instrumentation possible et au registre de l’action régulée.

 

ALLEGATION N°3 : les militants pédagogiques sont de dangereux personnages, ils décrètent l’autonomie des personnes tout en imposant leurs choix idéologiques par leur pouvoir charismatique.

Le pédagogue était l’esclave qui dans l’antiquité amenait l’enfant à l’école. Cependant, DURKHEIM souligne son pouvoir éducatif puisque c’est lui qui choisissait les répétiteurs et les disciplines. Il suivait l’évolution de l’enfant et changeait de mentor selon celle-ci ou selon son estimation s’il jugeait que les méthodes pratiquées n’étaient pas dignes de son pupille. Donc, ainsi définie, la pédagogie était une réflexion de type axiologique.

On peut donc définir aujourd’hui la pédagogie comme la "réflexion sur l’éducation des personnes en tant que cette éducation s’effectue à travers des apprentissages déterminés". En ce sens, la réflexion pédagogique ne totalise pas la réflexion éducative car il existe des éducateurs, des institutions, des situations éducatives où la médiation des apprentissages n’est pas vraiment prise en compte ou n’est pas prioritaire mais en ce sens, la réflexion pédagogique fait partie intégrante des préoccupations légitimes des sciences de l’éducation.

* Le paradoxe de l’injonction de liberté

Comment prêcher l’indépendance sans s’ériger du même coup en prophète et récupérer ainsi formidablement potentialisée, l’autorité que l’on prétend avoir abandonnée ?

La seule issue serait alors dans une sorte d’abstention éducative totale, une disparition qui ne se soit pas une manière d’exalter sa propre présence, une disparition discrète derrière les savoirs à enseigner. C’est la position d’ Hannah ARENDT : " le rôle de l’école est d’apprendre aux enfants ce qu’est le monde et non pas de leur inculquer l’art de vivre ".

 

ALLEGATION N°4 : la pédagogie sous estime la dimension culturelle et la fonction politique de l’école.

  * Unifier ou individualiser ?

ROBESPIERRE est plus clair que Condorcet :  " Ainsi depuis cinq ans jusqu’à douze ans tout ce qui doit composer la république sera jeté dans un moule républicain. Là traités tous également, nourris également, vétus également, enseignés également, l’égalité sera pour les jeunes élèves non une spécieuse théorie mais une pratique continuellement effective ". (ici projet des suppressions des différences, de l’idéal Républicain auquel va s’opposer une " revendication du droit à la différence" ) .

Il s’agit de réaliser l’unité nationale en s’opposant à tous les particularismes, qu’ils soient linguistiques, culturels, religieux, familiaux ou corporatistes. D’entrée de jeu, l’école de la république est porteuse d’une double mission impossible : unifier et différencier, éradiquer les différences et permettre l'expression de chacun.

Catherine KINTZLER résume dans cette expression : " Pour s’intégrer à l’humanité, il faut s’arracher un moment à la société ".

* Unifier et individualiser (p62)

Que veut on dire en effet quand on affirme qu’il faut transmettre aux enfants les grands acquis de "la culture universelle" ? Veut on indiquer par là qu’il existe des auteurs et des connaissances qui ont été définis une bonne fois pour toutes comme ayant valeur universelle et que c’est cela qu’il faut imposer aux élèves quoi qu’il en coûte ? Ou bien veut on dire que c’est au pédagogue, par son action pédagogique, par son action didactique à tenter de faire partager la valeur de certaines oeuvres, l’émotion, la joie, la lucidité qu’elles procurent et à établir par là leur valeur universelle ?

Ainsi peuvent s’articuler les deux vocations premières de l’école républicaine : d’une part unifier et permettre l’accès de tous à un horizon d’universalité, d’autre part différencier en reconnaissant à chacun son identité. C’est pourquoi nous ne pouvons que souscrire à la formule d’Olivier REBOUL et plaider comme lui pour : " une éducation de la rencontre, par et pour la rencontre ".

 

ALLEGATION N°5 : la pédagogie est source d’illusion : en laissant supposer que tout échec est dépassable, elle nie le principe de réalité.

Anonyme : " le vrai révolutionnaire incorpore le passé, c’est à dire l’univers parental et le dépasse. Le contestataire lui se coupe de toute racine et ne peut que créer des œuvres inauthentiques. Le nouveau n’est véritablement nouveau que lorsqu’il contient l’ancien et le dépasse " .

 

ALLEGATION N°6 : la pédagogie a contribué à la massification de l’enseignement, celle ci a abouti au triomphe de la médiocrité dans le système éducatif.

* Faut il privatiser le système éducatif pour déjouer les effets pervers de la massification ?

L’analyse de Philippe NEMO très largement diffusée par les médias, s’articule sur un paradoxe : la création de l’école de Jules FERRY s’est effectuée pour libérer l’instruction de l’influence obscurantiste de l’église et de permettre aux citoyens d’accéder à une pensée critique ; aujourd’hui, l’école est passée sous la tutelle complète de l’état qui diffuse lui même une idéologie obscurantiste, impose à tous les jeunes français un corps de programmes monolithiques et valorise les techniques de manipulation au détriment des vrais savoirs. Il convient donc, pour être fidèle à l’esprit des lumières, de libérer l’éducation de la tutelle de l’état.

* Faut il constituer des filières afin de promouvoir la qualité et d’éviter la sélection par l’échec ?

Pour Philippe RAYNAUD et Paul THIBAUD, la richesse du système scolaire français tient à ce qu’il était parvenu, au début du 20ème siècle à trouver un équilibre relatif entre ses deux vocations historiques, l’enseignement de masse, assuré par l’école primaire et garantissant l’unité nationale, et l’enseignement secondaire prolongeant la tradition humaniste et permettant la formation de l’élite. Or ce dualisme primaire/secondaire a été remis en question, expliquent ces deux auteurs essentiellement depuis la réforme Haby et la création du collège unique. Nous nous sommes donc engagés dans un processus d’homogénéisation du système : puisque tous les enfants accèdent en 6ème, le secondaire a du progressivement se primariser et a abandonné sa spécificité et ses exigences. L’alliance des pédagogues constituée selon RAYNAUD par les théoriciens de la psychologie de l’enfant ; les spécialistes des sciences de l’éducation et la hiérarchie de l’enseignement primaire a réussi à prendre le pouvoir, à imposer un enseignement primaire prolongé ou règne une pédagogie démagogue et infantilisante à la place de l’enseignement secondaire authentique qui se fondait sur la logique immanente de la culture scolaire.

Le point sur lequel l’analyse de ces auteurs nous paraît la plus pertinente concerne les procédures d’orientation dans cette " école égalitaire " : ils soulignent en effet que dans la mesure où l’on ne sélectionne plus l’entrée des filières comme on le faisait jadis, l’enseignement et particulièrement le collège qui en est le pilier central, doivent sélectionner par l’échec.

* La démocratisation est elle synonyme d’enseignement au rabais ?

Rappelant que les conditions dans lesquelles l’école de Jules FERRY a été construite, Antoine PROST rappelle que " pour les républicain positivistes comme Jules FERRY, l’école primaire gratuite, obligatoire et laïque était d’abord l’école du peuple. Au singulier mais dans un double sens : pour eux en effet, il n’y avait d’école autre ni à côté, ni par la suite. L’enseignement primaire ne constitue donc pas un premier niveau d’enseignement par lequel tous les enfants passeraient. C’est un enseignement autonome qui débouche sur la vie active ".

Aujourd’hui on constate que si nos élèves de 3ème savent lire, ils ne savent guère déchiffrer le monde qui les entoure. Sans doute, beaucoup apprendront ils à le faire dans leurs études ultérieures, mais est il admissible qu’à l’issue de ce qui constitue le dernier maillon obligatoire de l’école, alors que certains n’auront peut être jamais de contact avec elle, on se satisfasse d’un tel résultat et que l’on tolère des exclus ?

Nous croyons, pour notre part à l’impérieuse nécessité d ’ " un collège pour tous ". Nous croyons que si de toute évidence, la démocratisation de l’enseignement n’est pas allée de pair avec sa massification, cette démocratisation reste un horizon essentiel qui ne s’accommode d’aucune formule d’exclusion ou de relégation. Nous le croyons pour des raisons qui sont à la fois heuristiques, pédagogiques, sociales et éthiques.

 

ALLEGATION N°7 : La démocratisation du système éducatif a jusqu’à présent été un échec complet. Toutes les tentatives volontaristes d’une organisation démocratisante du système scolaire ont échoué. Il ne semble pas y avoir d’issue dans cette direction .

* De vrais efforts pour une véritable démocratisation

Déjà la réforme HABY avait proposé de mettre en place des heures de soutien pour compenser les déficits de certains élèves et permettre le fonctionnement des classes de références hétérogènes.

Ne faut il pas alors pour sortir de l’oscillation, se dégager de ce qui fonde aussi bien les deux systèmes : l’idée que l’enseignement est consubstantiel de la notion même de classe ? N’est il pas temps d’inventer une formule qui soit pour le XXIème siècle aussi originale que la classe le fut au XVIIIème siècle quand elle fut crée ? Car il ne faudrait pas confondre les moyens et les fins ; les structures scolaires sont des moyens qui doivent être au service d’une fin : la formation des jeunes. Quand on découvre que les structures existantes deviennent un obstacle à la poursuite de la fin que l’on s’est donnée, le bon sens commande d’en changer.

* Le groupe de besoin : un opérateur institutionnel décisif.

 

II) vers une question centrale : de l’exaltation de l’enfant roi à la gestion de l’anticipation en éducation.

 

Comme le signale Elisabeth ALTSCHULL dans un texte qui dénonce le "pédagogisme à l’américaine", "nous vivions dans un système où ce n’était jamais l’élève qui n’avait pas compris le professeur, mais où le professeur n’avait pas compris l’enfant".

 

OBJECTION N°1 : l’enfant n’est pas un être achevé, on ne peut lui donner les mêmes droits que ceux donnés à un adulte entré dans la maturité.

On attribue l’idée même des droits de l’enfant à trois fondateurs :

ROUSSEAU (" Comment aimer un enfant ", " Le droit de l'enfant au respect"...), Janusz KORCZAK, Françoise DOLTO.

1924 : 1ère déclaration des droits de l’enfant,
20/11/1959 : Convention des droits de l’enfant est approuvée par les 78 membres de l’ONU,
20/11/1989 : Version définitive votée à l’unanimité par les 160 membres de l’ONU

article 13 : " l’enfant a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations décidées de toutes espèces, sans considération de frontière sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique ou par tous les moyens de choix de l’enfant ; L’exercice de ce droit ne peut faire l’objet que des seules restrictions qui sont prévues par la loi et qui sont nécessaires :
a) au respect des droits et de la réputation d’autrui
b) à la sauvegarde de l’unité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publique. "

Le texte de la convention a suscité chez certains intellectuels des protestations. Ainsi, Alain FINKIELKRAUT affirme que " cette convention est soit ridicule, soit scandaleuse et à son avis, les deux à la fois ". En effet, l’explique t il, outre le fait que cette convention ne changera rien aux situations concrètes des enfants dans le monde, elle ignore la spécificité de l’éducation ; elle ignore qu’il est un temps pour apprendre les choses avant de les mettre en pratique, un temps dans lequel l’enfant doit être protégé de ses responsabilités sociale et politiques trop lourdes pour lui , un temps dans lequel il doit se construire avant d’accéder à la véritable maturité, le moment où il pourra enfin agir en citoyen. En affirmant le droit de l’enfant à l’expression, à la liberté d’association, au libre choix de sa religion on confond les buts avec les moyens. On écrase l’enfant sous des charges trop lourdes pour lui et on ne lui permet pas de se former vraiment pour pouvoir les porter plus tard. Car, expliquent les adversaires de la convention des droits de l’enfant, " l’éducation n’est pas la vie, elle est la préparation à la vie. L’enfance n’est pas l’âge mûr mais la préparation à la maturité, à ce passage dans l’ordre des responsabilités qui donne sens à la notion même d’éducation."

On a ainsi confondu trop souvent le désir de savoir qui lui sans doute, peut être considéré comme constitutif de l’Homme cherchant à percer le mystère de ses origines avec le désir d’apprendre, qui suppose que l’on suspende un temps l’impatience du désir de savoir pour prendre précisément le temps d’apprendre Et l’éducation scolaire jusqu’à l’entrée dans la maturité serait précisément ce " temps pour apprendre ".

* Des droits formels aux droits réels.

Que ce soit Hannah ARENDT ou Alain FINKIELKRAUT, on est frappé par la difficulté qu’ils ont à définir précisément les conditions du passage dans la maturité.

Se précise le rôle de la pédagogie : c’est à elle de transformer des droits formels en droits réels, de permettre le passage d’activités spontanées très largement déterminées par les affects et les influences sociales à des activités réfléchies où peut jouer progressivement l’insistance critique d’une raison en construction.

Ainsi, faut il permettre à l’élève de " se mettre en jeu " et d’analyser avec les outils intellectuels qu’il a pu s’approprier, son rapport au pouvoir, son rapport aux autres. Et l’on se trouve ici en réalité aussi loin d’une dynamique de groupe qui entretiendrait un narcissisme collectif et ferait des processus groupaux les seuls objets dignes de connaissances, que du cours de citoyenneté où l’on enseignerait magistralement le respect d’autrui et les règles de fonctionnement d’une collectivité démocratique.

 

OBJECTION N°2 : l’enfant n’a pas que des droits, il a aussi des devoirs, une pédagogie qui le considère comme ayant toujours des excuses ne contribue pas à son éducation.

A en croire Elisabeth BADINTER les éducateurs d’aujourd’hui se caractériseraient par leur " haine de la loi ". Ayant mal assimilé MARX, FOUCAULT et LEVI-STRAUSS n’ayant guère compris FREUD, ils voient dans la loi une forme d’oppression des individus, un dispositif de normalisation empêchant la libre expression et l’épanouissement de chacun ; C’est pourquoi ils ne supportent pas l’idée de punir et renoncent progressivement à toute sanction. Dans ces conditions, explique Elisabeth BADINTER, les enfants n’ont donc plus de devoirs, ils n’ont que des droits, ils ne commettent plus de fautes, tout juste quelques erreurs dues à un conditionnement éducatif défaillant. Au total, cela ressemble bien à une démission de l’adulte qui s’articule à deux phénomènes : d’une part la vision de l’enfance et d’eux même qu’ont les éducateurs car " faute d’une distance suffisante entre l’enfance et l’âge adulte, punir nos enfants c’est se punir soi même ainsi notre répugnance à faire mal est peut être plus égoïste qu’altruiste ". Et, d’autre part, si nous ne voulons pas punir c’est que nous ignorons le véritable statut de la loi qui " met en lumière ce que nous avons de commun, c’est à dire nos ressemblances au détriment de nos différences ", nous garantit contre le droit du plus fort et reste la condition sine qua non de la survie de toute société humaine.

Dans ces conditions, l’éducation libérale en laissant jouer les pulsions et les intérêts individuels ferait le lit de la violence, entraînerait la dissolution des liens sociaux et mettrait en danger l’intégrité de l’état. Très concrètement, elle rendrait impossible l’acte même d’enseigner, les professeurs ne disposant plus des moyens pour faire respecter les règles nécessaires à la transmission des savoirs. L’école, jadis à l’abri de la violence sociale y serait livrée aujourd’hui compromettant ainsi sa mission propre. Plus grave encore, cette éducation " sans loi " interdirait toute véritable formation des personnes qui requiert, elle, une prise de conscience des contraintes imposées par la vie collective ainsi que la renonciation à toute puissance individuelle.

* L’éducation n’est pas l’imposition de la loi mais l’institution de la loi.

La loi, à l’école c’est l’instance structurante de la personnalité, ce qui se construit quand le sujet éprouve et régule ses affects, quand il découvre qu’il peut vivre ailleurs et autrement que dans la fusion affective, quand il cesse de jouer à " je t’aime moi non plus " pour poser en extériorité par rapport à lui et par rapport à l’autre, des règles qui leur permettront à tous deux d’exister. Conçue ainsi, la loi par définition , ne peut être imposée : on peut imposer des règles, imposer leur application par la sévérité des sanctions encourues, imposer le silence et même parfois la mort, mais on ne peut imposer la loi. La loi, on ne peut que la construire, péniblement en assumant tous les renoncements narcissiques qu’elle impose, dans un travail d’interaction régulée avec le groupe auquel on appartient et en fonction des objectifs que l’on se donne.

L’institution de la loi requiert un retour réflexif, un questionnement sur ses actes, une capacité d’anticiper les conséquences de ses choix, de se souvenir de situations analogues, d’imaginer des situations nouvelles, de formaliser des institutions, d’organiser des démonstrations toutes ces choses qui sont bien des " objets de formation scolaires " dans toutes les disciplines.

 

OBJECTION N°3 : En prenant les élèves pour ce que l’on voudrait qu’ils soient, on les empêche de le devenir.

* De la nécessité de l’anticipation à ses dangers.

 Nous nous trouvons donc apparemment dans une impasse : l’anticipation paraît tout à la fois éminemment nécessaire et profondément néfaste , elle serait un moyen essentiel pour la constitution de la liberté et de la raison des sujets, et en même temps, un danger grave pour leur évolution, une façon même de leur interdire toute évolution.

* Pour sortir de l’impasse, un détour nécessaire : apprentissage et développement.

En d’autres termes, un sujet se développe quand on lui fournit opportunément les moyens de dépasser le stade de développement qu’il a atteint, quand on lui propose un dispositif d’aide pour accéder à une fonction supérieure et quand on organise la disparition progressive de ce dispositif pour qu’il puisse penser et agir seul.

 

OBJECTION N°4 : On ne produit pas mécaniquement la liberté et la pédagogie en réalité est impuissante faire accéder l’élève à celle ci .

Le problème pourtant n’est pas nouveau. PLATON déjà dans " le Ménon " avait pointé cette extrême difficulté de la pensée relationnelle à penser l’apprendre, à comprendre ce passage a proprement parler impensable, de l’ignorance au savoir, du non être à l’être. Et ARISTOTE, dans " L’éthique à Nicomaque " réfléchissant sur l’apprentissage de la vertu, s’était demandé comment on peut devenir cithariste si on ne l’est pas déjà : car comment apprendre à jouer de la cithare si ce n’est en jouant de la cithare ? Et si l’on joue de la cithare, c’est que l’on sait déjà jouer de la cithare. Or, explique Vlademir JANKELE VITCH, commentant ce texte " le problème se résout tout simplement par le fait : on devient cithariste en jouant de la cithare, comme c’est en forgeant que l’on devient forgeron. Dans la décision aventureuse de se jeter à l’eau, l’apprenti rompt le cercle et miraculeusement irrationnellement commence à nager ".

 

* Anticipation instrumentale et anticipation éthique

 Il nous faut prendre Daniel HAMELINE, dont l’apport est décidément essentiel dans la pensée pédagogique de cette fin de siècle, faisant après coup, le bilan d’une expérience de non directivité. Il suggère que la non directivité a échoué en tant que système mais reste essentielle en tant qu’attitude et il définit ainsi les trois caractères de cette attitude. " Elle consiste à antécéder sans anticiper , c’est être là pour accueillir ce qui va se présenter sans le prévenir au point qu’il n’y ait plus rien à faire. Valoriser sans juger, c’est suspendre le fonctionnement spontané des stéréotypes et des catégories pour permettre à l’interlocuteur d’être entendu pour ce qu’il dit et non d’abord pour ce qu’il représente. Réguler sans régulariser, c’est éviter d’engluer l’interlocution dans les pièges de la dépendance affective sans pour autant interdire aux affects de s’exprimer".

Si l’on voulait, sans prétendre dépasser la formulation de Daniel HAMELINE, exprimer d’une autre manière ce qui caractérise une attitude pédagogique capable de communiquer à l’élève le courage d’être libre, d’apprendre et selon la formule de KANT définissant ainsi les lumières, " d’oser faire preuve de sa raison " nous pourrions dire qu’elle comporte un volet négatif et un volet positif : négativement d’abord, pour que l’élève s’engage, prenne des risques, il ne faut pas verrouiller la situation didactique, positivement ensuite il faut que notre présence y soit une sorte d’appel, que quelque chose passe dans notre regard par quoi nous reconnaissons la liberté de l’autre.

 

OBJECTION N°5 : La pédagogie, par sa volonté de toujours mieux connaître les élèves s’interdit en fait de faire appel à leur liberté.

C’est un thème fondamental de l’éducation nouvelle qui n’a cessé d’exploiter la fameuse formule épinglée par Hannah ARENDT " pour enseigner la lecture ou les maths à John, il faut connaître John tout autant que la lecture ou les maths ".

* Le risque de la compréhension bienveillante
* La chance de l’ignorance

Nous ne croyons pas que l’école puisse panser toutes les blessures de la société. Mais nous sommes sûrs, pour l’avoir éprouvé nous même que dans les conditions les plus difficiles on peut quand même trouver un peu de joie à enseigner, pour autant que l’on prenne les élèves tels qu’ils sont sans renoncer à les faire progresser, dés lors que l’on tente d’allier l’efficacité de l’instrumentation didactique et le choix éthique de l’éducation.

 

3ème partie : Pour avancer dans l’action : de l’interrogation sur " l’aide méthodologique " à l’élucidation des conditions d’efficacité des apprentissages scolaires.

 

Dés lors que simultanément un nouveau public et de nouvelles exigences apparaissent dans l’école, se pose inévitablement le problème de la méthode.

Ainsi, le souci de la formation méthodologique apparaît bien d’abord comme l’expression d’une volonté de lutter contre l’échec scolaire.

La réflexion pédagogique commence à prendre en compte de manière systématique, les publics qui étaient jusque là exclus assez tôt de l’institution scolaire : or ces publics posent, de manière brutale la question des finalités de l’éducation : pourquoi les garder à l’école puisque les apprentissages traditionnels ont échoué avec eux ? Que doit on se donner pour objectifs quand les disciplines scolaires s’avèrent décidément hors de leur portée ? Les questions de méthode viennent ici opportunément se substituer aux questions didactiques habituelles. Par ailleurs, il faut observer que le travail entrepris dans les années 80 dans l’enseignement technique et professionnel pour élaborer des référentiels d’enseignement va très largement contribuer à populariser la notion de capacité. Enfin, la rénovation des collèges lancée en 1982 par Alain SAVARY et qui se poursuit jusqu’en 1986, va pour sa part très largement utiliser cette notion, les formateurs et chefs d’établissement y voyant un moyen de mobiliser efficacement les enseignants tout en sécurisant les parents auxquels on peut présenter les nouveaux objectifs de l’institutions scolaire comme conformes aux attentes d’une société en mutation.

On voit se développer dans les établissements scolaires de nombreuses actions d’aide méthodologique en direction des élèves en difficulté : exemple : études dirigées : " apprendre à travailler ".

 

 QUESTION N°1 : Peut on former l’intelligence d’un sujet avec des outils méthodologiques généraux et sans contenu de savoir précis, comme le prétendent les " méthodologues " ?

Ainsi dire que " l’élève doit être placé au centre du système éducatif " a sans doute été nécessaire pour lutter contre un certain formalisme qui faisait de l’architecture des programmes le seul principe organisateur de tout scolarité, mais une telle formule peut laisser penser que l’on subordonne tout apprentissage à la demande explicite de l’élève et au niveau du développement qu’il a atteint par ses propres moyens

De plus, il régnait, dans l’opinion intellectuelle, une sorte de fatalisme lié, en partie tout au moins à une certaine interprétation de l'œuvre de FREUD et qui fut bien résumé, quelques décenies plus tard par le titre d'un best seller : " Tout se joue avant 6 ans". En fait, jusqu’au développement du courant de pensée qui se réclame explicitement de " l’éducabilité cognitive ", on ne pensait pas pouvoir intervenir de manière décisive sur le développement de l’intelligence de l’adolescent et a fortiori de l’adulte.

* Le développement des méthodes d’éducabilité cognitive (années 70 env.)
* Des éléments incontestablement positifs sur le plan des finalités et des incertitudes sur le plan des résultats.

Le développement des méthodes d’éducabilité cognitive s’est effectué, essentiellement sur des publics très faiblement scolarisés et à redonner une identité professionnelle à des formateurs généralistes ou psychologues.

Les méthodes d’éducabilité cognitive suggèrent une conception des rapports de l’homme et de la culture qui est sans doute, essentielle : pour elles, la culture n’est pas une fin en soi, elle est un moyen offert à l’individu pour affronter des situations nouvelles, s’enrichir à sa propre initiative et se dépasser en mettant en œuvre des " capacités " qui n’ont pas pour seul et unique but de permettre de réussir l’examen final de la formation.

A quelles condition un apprentissage " méthodologique " peut il être utilisé dans des situations précises ? Comment former à cette utilisation ?

 

QUESTION N°2 : la formation impose t - elle impérativement de travailler sur des contenus disciplinaires précis comme le prétendent les " didactitiens " ?

Gérard VERGNAUD , didactitien des maths donne cette définition : " la didactique est l’étude des processus d’apprentissage par rapport à un enseignement spécifique à des contenus de savoirs donnés "

* Le développement des didactiques et le primat des apprentissages localisés.

Pour VIGOTSKY, qui peut être considéré comme un des véritables fondateurs d’une théorie des didactiques, " la tâche de l’enseignant n’est pas de développer la réflexion, la mémoire, le jugement ou l’attention, mais de nombreux comportements intellectuels particuliers portant sur des matières diverses . Il ne s’agit pas de renforcer notre capacité générale d’attention mais de développer différents comportements permettant de concentrer l’attention sur des matières diverses".

* Des acquis certains mais une difficulté centrale qui subsiste

A quelles conditions un savoir acquis localement peut il être ré- utilisé de façon pertinente dans un autre cadre, avec d’autres matériaux, d’autres contenus ?

 

QUESTION N°3 : Comment la pratique pédagogique peut elle dépasser le débat entre " méthodologues " et " didactitiens " ?

* Une redéfinition de la notion " d’objectif pédagogique"

Un objectif didactique ne devient un objectif pédagogique c’est à dire un objectif qui contribue à construire l’autonomie du sujet apprenant que dans la mesure où cet objet est appréhendé en référence aux problèmes scolaires et extra-scolaires, qu’il permet de résoudre quand un sujet dispose à la fois d’un outil et des conditions de son bon usage, quand il sait précisément ce qu’il peut en faire et est capable de l’utiliser dans des situations absolument nouvelles pour lui. Nous disons qu’un objectif est à la fois pédagogique et opérationnel quand il est formulé en termes de corrélation d’un outil et d’une série de situations auxquelles cet outil est adapté.

* Une remise en perspective de la notion de " démarche pédagogique "

Triple mission de l’enseignement : Contextualisation, décontextualisation, recontextualisation . Ainsi, explique PIAGET : " Réussir c’est comprendre en action une situation donnée, à un degré suffisant pour atteindre les buts proposés et comprendre c’est réussir à dominer en pensée les mêmes situations jusqu’à pouvoir résoudre les problèmes qu’elles posent quant au pourquoi et au comment des liaisons constatées et par ailleurs utilisées dans l’action ".

* Pour dépasser la contradiction du général et du local

Chaque fois, l’essentiel est pour nous que l’élève construise une compétence, c’est à dire dispose de la possibilité d’associer une famille de problèmes correctement identifiée avec un outil de traitement correctement maîtrisé.

QUESTION N°4 : Existe t il des connaissances à faire acquérir aux élèves en dehors des savoirs eux mêmes ?

* Prendre en compte les stratégies d’apprentissage des personnes.

Pour prendre en compte les stratégies individuelles d’apprentissage, les psychologues proposent d’utiliser la métacognition (due à FLAVELL, Américain)

-3 paramètres :
des connaissances relatives aux constantes dans la manière de travailler de la personne elle même
des connaissances relatives aux éléments déterminés par la nature de la tâche à accomplir
,des connaissances concernant la manière de se comporter en face d’un problème précis.

MEIRIEU propose deux couples de variables, le couple processus/produit et le couple sujet/objet et à trois dimensions de la métacognition : l’adaptation, la régulation et l’enrichissement des comportements d’apprentissage.

 

QUESTION N°5 : Divers enseignements peuvent ils avoir des finalités communes ?

* Vers une inter-disciplinarité des valeurs.

Pour notre part, nous croyons que les valeurs qui doivent être promues par une véritable " Ecole Démocratique " sont de trois ordres : il s’agit d’abord des valeurs qui donnent véritablement corps aux compétences disciplinaires elles mêmes ainsi qu’à la réflexion métacognitive. Nous sommes ici dans le registre des valeurs intellectuelles dont nous sommes convaincus qu’elles sont véritablement fondatrices d’une société démocratique où les rapports entre les hommes sont régis par la probité plutôt que dans des rapports de force. Mais il existe également des attitudes inter disciplinaires à dominante sociale qui permettent le développement harmonieux de la société civile elle même : c’est tout d’abord la capacité de surseoir à ses impulsions pour accepter le principe d’une discussion argumentée. C’est aussi la détermination à ne pas chercher à obtenir l’accord de l’autre par la pression ou le chantage, à entendre sa différence, sans pour autant l’approuver.

Toutes ces attitudes qui peuvent même si elles sont malmenées par l’histoire, nous laisser entrevoir ce qui pourrait être une société à visage humain.

La troisième est à dominante politique : Robert BALLION souligne que l’école se rapproche d’une sorte de marché éducatif où les jeunes passent quelques heures par jour parce qu’ils ne peuvent pas faire autrement, développent des stratégies de réussite individuelle sans investir d’aucune manière ce lieu ni espérer même être partie prenante un jour ou l’autre dans son organisation.

François DUBET note dans son étude sur les lycéens à quel point l’intégration de ceux ci dans leurs établissement est liée à l’existence d’espace et de lieux où une négociation est possible ou des échanges concernant les études elles mêmes peuvent avoir lieu. On peut donc constater que ces valeurs sont dans l’établissement, l’affaire de tous.

 

QUESTION N°6 : Ne devrait on pas réduire très sensiblement les prérogatives de l’école et renvoyer de nombreux apprentissages au tissu économique et social ?

A notre sens, l’école reste une institution essentielle en tant que précisément, elle échappe aux pressions de l’environnement et garantit un accès aux savoirs essentiels à tous les enfants.

1ère question : Que veut on vraiment ? Que les enseignants enseignent ou que les élèves apprennent ?
2ème question : Comment apprend on ?
3ème question : Que peut proposer l’école pour mettre en place chez les élèves une telle démarche ?
4ème question : Que cela signifie t il concrètement pour l’école ?

Le métier d’enseignant ne sera plus un distributeur de savoirs mais le responsable d’une démarche d’apprentissage. Il sollicitera des partenaires.

5ème question : Cette redéfinition des responsabilités de l’école entraîne t - elle une diminution de son importance dans nos sociétés ? Non, l’école devient responsable de processus et non de procédures.

CONCLUSION : Vers une nouvelle utopie scolaire

 

La crainte majeur qui est la notre aujourd’hui est celle d’un désinvestissement par les enseignants de leur métier, d’une sorte de présence absence dans l’école.

* Le tâtonnement des politiques

Pour enseigner aujourd’hui à des publics de plus en plus hétérogènes, de moins en moins préparés, de moins en moins motivés, il faut une préparation nouvelle intégrant les contenus disciplinaires et les conditions de leur transmission ? : - création des IUFM

* Les enseignants, ni victimes, ni coupables

* Des enseignants responsables avec une mission spécifique.

Il nous faut redire ici notre conviction fondatrice : les enseignants ont une place essentielle dans la réussite ou l’échec de l’école, ce qui ne signifie pas que leurs partenaires n’ont aucune responsabilité.

La famille joue un rôle essentiel dans l’éveil de l’intelligence de l’enfant par l’ensemble des stimulations qu’elle lui propose dans sa vie quotidienne, de plus elle inscrit l’enfant dans une histoire et lui fournit une sécurité affective dont celui ci devra certes se dégager mais dont il a besoin pour se déployer. Les structures associatives ont un rôle décisif pour former l’enfant à s’engager dans des choix personnels, à en assumer les contraintes et à prendre les moyens de réussir les projets qu’il décide d’engager : les associations sportives culturelles ou humanitaires, les bibliothèques, les centres sociaux, les animations de toutes sortes doivent donc être développées et il est de la responsabilités des collectivités territoriales de veiller à leur développement et à leur ouverture au plus grand nombre.

Nous dirions volontiers que l’enfant a d’abord besoin d’une filiation, d’une histoire, d’une communauté affective où il soit reconnu et dans laquelle il puisse s’inscrire, la détresse de ceux et celles qui ne disposent pas de cette réalité, leur désespoir même ou leur fuite dans une violence aveugle en dit long sur cette impérieuse nécessité.

Mais l’enfant ne peut être seulement l’héritier cette tâche serait d’ailleurs trop lourde pour lui, le devoir d’allégance susciterait à chaque instant la peur de trahir et l’obéissance ferait vite rivalité mimétique : quand on approche de trop près le modèle comme l’explique bien René GIRARD, le conflit devient inévitable puisque le fils peut alors prendre la place du père. Il faut donc que l’enfant prenne à la fois du recul et du pouvoir vis à vis de sa famille et de ce qui s’y joue, et c’est là, nous semble t-il un des rôles essentiels de l’école. L’enjeu fondamental même de tout apprentissage : apprendre c’est comprendre d’où l’on vient et pouvoir décider soi même où l’on va, apprendre c’est percer le mystère de ses origines et devenir autre, parfois plus puissant ou plus lucide, toujours différent par rapport à ses parents, le savoir permet d’échapper aux contraintes de la filiation ou ce qui revient au même, de les assumer librement.

A total, ce qui nous paraît important de sauvegarder aujourd’hui c’est cette séparation des pouvoirs éducatifs qui est à notre sens aussi contributive d’une éducation à la liberté que la séparation des pouvoirs législatifs, exécutifs et judiciaires est fondatrice d’une société démocratique.

* Pour un véritable partenariat : pour lutter contre toutes les formes d'exclusion

* Un débat majeur : doit on accepter de traiter l’échec par l’exclusion ?

En effet, l’enjeu idéologique majeur de cette fin de 20ème siècle, ce sur quoi viennent échopper tous les systèmes de pensée et toutes les inventions institutionnelles, c’est bien le fait de savoir si l’on doit traiter l’échec, toutes les formes d’échec scolaire, social, affectif, culturel, économique .. par l’exclusion ou si l’on peut chercher d’autres modalités de traitement plus conformes avec le projet d’une société solidaire.

En face des partisans du traitement de l’échec par l’exclusion, il y a ceux qui en toutes circonstances cherchent d’abord à " intégrer ".

* Utopies de la classification ou utopie de la mobilité ?

La chose n’est pas si simple car les utopies les plus célèbres, que l’on songe à Thomas MORE ou à HUXLEY sont fondées précisément sur des classifications minutieuses entre les individus et les groupes.

Or, précisément, il nous semble que ces utopies sont aujourd’hui condamnées. Tous les systèmes fondés sur l’organisation rationnelle de groupes sociaux hiérarchisés, nous ont livré leur terrible secret : ce sont des utopies de mort dont les rouages se figent vite et qui pour mieux se reproduire à l’identique deviennent toujours des sociétés totalitaires.

Nous avons besoin aujourd’hui d’autres utopies, utopies de mobilité, de la différence, de l’intégration. Nous avons besoin d’utopies où les hommes puissent chaque jour reconstruire leur destin, où leur soient données à chaque instant des occasions d’apprendre, de s’enrichir et de se développer, où leur ils puissent sans violence subvenir les catégories où l’on pourrait les enfermer.

En bref, nous plaidons pour une authentique utopie éducative, une utopie de la rencontre et de la socialité plurielle, une utopie fondée sur la seule valeur qui puisse encore être reconnue comme universelle : celle d’une relation sans violence.

* Vers une nouvelle utopie scolaire

On comprendra ainsi pourquoi nous estimons que l’école ne peut décider d’exclure un certain nombre d’élèves de l’accès à cette culture. On comprendra aussi pourquoi nous nous battons contre toutes les formes d’exclusion scolaires : exclusion institutionnelle quand on enferme des jeunes dans des filières de relégation, exclusion pédagogique quand on enseigne des savoirs à des élèves sans leur donner du sens et leur permettre de les intégrer dans leur histoire, exclusion sociale quand on ne fait la classe qu’au petit nombre de ceux avec qui l’on entretient des rapports de complicité.

Pour nous, le véritable progrès c’est quand la culture n’est pas imposée à des hommes par leurs semblables au nom d’une norme civilisatrice mais quand elle les relie, leur permet de se reconnaître humains ensemble et d’échanger quand elle les rend plus intelligents à eux mêmes et aux autres et au monde.

Et nous sommes convaincus que ce progrès là les enseignants peuvent en être les artisans, sans revendiquer de reconnaissance exceptionnelle, mais sans honte non plus.

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