Naissance
La ruptureControverses
Les
luttes
Epoque contemporaine Les
foulards
Une thèse sur la laicité
terme désignant une conception politique, selon laquelle l'organisation
de la société repose sur la séparation de l'Église et de l'État, en particulier
dans le domaine de l'enseignement.
Dans cette optique, l'État reconnaît toutes les religions sans en adopter
aucune. L'affirmation de la laïcité, qui est généralement le signe d'une sécularisation
de la société, ne postule pas la disparition du principe spirituel, mais fait
de celui-ci une pratique individuelle, relevant exclusivement de la
sphère privée.
Affirmée pour la première fois, en matière politique, avec la Révolution française,
la laïcité apparaît comme l'un des fondements du pacte républicain, même si
son application a donné lieu à d'importantes controverses. Souvent présenté
comme constitutif d'une «exception française!», le principe de la laïcité
s'oppose naturellement aux modèles politiques à religion d'État, mais également
à une tradition anglo-saxonne qui reconnaît dans le cadre de l'État l'existence
d'un principe religieux, tout en laissant chaque citoyen adopter la croyance
qu'il souhaite.
Naissance de la
laïcité : La laïcité est une notion moderne, qui
rompt avec le modèle régissant les sociétés de l'Antiquité comme les sociétés
dites traditionnelles, où religion et vie sociale ne faisaient qu'un. De même,
le mode d'organisation hiérarchisé qui domine les sociétés occidentales à
partir du Moyen Âge ne fait que reproduire la primauté du spirituel sur le
temporel, telle que la conçoit, par exemple, saint Augustin dans la Cité de
Dieu. Le souverain, investi par le sacre, tient son autorité de Dieu. Avec
l'apparition de la Réforme est affirmé le principe de l'identité religieuse
entre le souverain et ses sujets, selon l'adage cujus regio, ejus religio
(«Telle la religion du prince, telle celle du pays!»), adopté lors de la paix
d'Augsbourg, en 1555. Cette primauté du spirituel sur le temporel se traduit
dans tous les actes de la vie sociale (à commencer par ceux qui ont trait
à la naissance, au mariage et à la mort)!; elle a, de plus, une incidence
très directe sur le statut social des fidèles qui ne pratiquent pas la religion
principale du pays, comme le montre l'exemple des protestants ou des juifs
dans la société française, jusqu'à la Révolution.
La rupture de la
Révolution française : Au XVIIIesiècle, la perspective
se modifie, en relation avec l'esprit des Lumières: au nom de l'universalité
de la nature humaine et du caractère relatif des croyances, des auteurs comme
Voltaire se font les défenseurs de la tolérance, tandis que Rousseau
tente de définir les linéaments d'une religion civile, fondée sur les enseignements
de la morale sociale. Ce mouvement d'idées est lié à l'essor de la remise
en cause de la monarchie de droit divin, qui associe absolutisme et religion,
ainsi que de la critique du rôle de l'Église dans le maintien de l'ordre politique
et social de l'Ancien Régime. En s'attaquant à la société d'ordres, aux privilèges
de la noblesse et du clergé, le tiers état tente de substituer au principe
religieux qui justifie l'existence de la monarchie, le principe de souveraineté
nationale qui suppose que le roi tire sa légitimité non plus de sa mission
divine, mais du contrat passé avec la nation. La Révolution française est
le fruit de cette évolution et, dès 1789, la Déclaration des droits de
l'Homme affirme dans son article10, qui dispose que «nul ne doit être
inquiété pour ses opinions, même religieuses!», le principe de la liberté
de conscience, faisant ainsi du pluralisme l'un des fondements de la société.
Très rapidement, la reconnaissance pleine et entière de la qualité de citoyen
pour les juifs, obtenue à l'initiative de l'abbé Grégoire, vient confirmer
que la citoyenneté prime l'appartenance confessionnelle. Prolongeant cette
affirmation de la liberté en matière religieuse dans le sens d'une laïcisation,
l'État assure désormais les actes de l'état civil et se préoccupe de mettre
en place les fondements d'un enseignement public. Cependant, contrairement
au modèle institutionnalisé quelques années auparavant par la Constitution
des États-Unis, la Révolution française tente d'instaurer, parallèlement à
l'ensemble des religions positives, théoriquement tolérées, une religion civile,
le culte de l'Être suprême, qui, associée avec la période la plus radicale
de la Terreur, n'a pas survécu à la chute de Robespierre.
Un siècle de controverses
: Les acquis de la période révolutionnaire ne sont pas
remis en question sous le Consulat, années pendant lesquelles Napoléon
Bonaparte s'emploie à définir le cadre institutionnel de la laïcité: la signature
du Concordat de 1801, reconnaissant le catholicisme comme «religion de la
majorité des Français», n'exclut pas la reconnaissance des autres cultes (protestant
et israélite) et leur organisation en structures capables de représenter ces
communautés auprès des pouvoirs publics. La laïcisation de l'état civil, de
même que le droit au divorce, sont confirmés. L'organisation du système
éducatif échappe au contrôle de l'Église, sauf pour l'enseignement primaire,
où seules quatre congrégations sont autorisées à tenir des écoles. De
fait, renouant avec une tradition gallicaniste, l'Empire vise à placer l'Église
sous l'autorité de l'État en transformant le clergé en un corps de fonctionnaires.
Cependant, l'ordre ainsi créé reste instable: le régime de la Restauration,
fondée sur la Charte de 1814, qui confirme le principe de la liberté religieuse,
rétablit pourtant l'interdiction du divorce (1815) et promulgue, sous la pression
des ultras, la loi sur le sacrilège, crime qui peut être puni de la peine
capitale (1825). Dans le domaine de l'enseignement, la neutralité subit de
multiples dérogations et, si la monarchie de Juillet comme la IIeRépublique
réaffirment la neutralité religieuse de l'État (à cette réserve près que la
monarchie de Juillet mentionne le catholicisme comme la religion «!professée
par la majorité des Français!»), elles acceptent pourtant une dérogation au
monopole étatique pour l'enseignement primaire (loi
Guizot, 1833) puis secondaire (loi Falloux,
1850), en favorisant la création d'écoles congréganistes et en instaurant
une surveillance des autres écoles par des curés ou des pasteurs.
Les luttes de la
fin du siècle: L'équilibre ainsi institué redevient
un sujet de controverses dès les débuts de la IIIeRépublique, marqués par
un affrontement sur la nature même du régime entre monarchistes et républicains!;
ces derniers, partagés entre républicains opportunistes et radicaux, se retrouvent,
sur le plan philosophique, dans une certaine forme de rationalisme teinté
de positivisme, parfois couplé avec une appartenance à la franc-maçonnerie.
Anticléricaux, ils estiment que la laïcité est indissociable des valeurs de
la République à construire, dans la mesure où la majorité de l'Église se rallie
au camp monarchiste au nom de l'alliance traditionnelle du Trône et de l'Autel
sous l'Ancien Régime. Les lois
Jules Ferry (celle du 28mars 1882, rendant l'enseignement primaire obligatoire
et laïc, et celle du 30octobre 1886 laïcisant le personnel enseignant) ont
pour ambition d'enraciner la République, en faisant de l'école, lieu d'enseignement
d'une morale laïque, fondée sur les valeurs de 1789, le creuset de la nation.
Jusqu'aux années 1900, et particulièrement dans le contexte de l'affaire
Dreyfus, l'opposition entre les deux camps avive encore les polémiques autour
de la laïcité. L'instauration de la laïcité de l'enseignement s'accompagne
également d'une lutte menée par les républicains et les radicaux contre les
congrégations, qui jouent un rôle essentiel dans l'enseignement. La loi sur
les associations en 1901 les oblige, en effet, à demander une autorisation
auprès de l'administration pour exister légalement, tandis que la loi de 1904
exclut de l'enseignement tous les ordres religieux. Réalisée par le ministère
Combes, la séparation de l'Église et de l'État (1905), qui marque l'apogée
de cette crise, est aussi à l'origine d'un apaisement qui devait prendre peu
à peu un caractère définitif. La loi du 9décembre réaffirme le principe de
la liberté de conscience, tout en indiquant ne plus reconnaître aucun culte
et, par conséquent, ne plus en faire bénéficier aucun d'aide financière, sauf
en Alsace-Moselle, alors annexée par l'Allemagne, où le régime du Concordat
est maintenu.
La laïcité à l'époque contemporaine : À l'exception
de la période du gouvernement de Vichy, où le principe de la laïcité est,
dans la pratique, l'objet de nombreuses dérogations, le régime des lois de
1905 est implicitement consacré par la référence faite dans le préambule de
la Constitution de 1946, repris par celui de la Constitution de 1958,
aux «principes fondamentaux reconnus par les lois de la République!». Les
deux textes constitutionnels réaffirment, par ailleurs, le caractère laïc
de la République. Depuis, le débat n'a plus porté sur la laïcité, mais sur
le monopole scolaire de l'État. Jusqu'en 1951, si les pouvoirs publics reconnaissaient
l'enseignement privé, ils se refusaient à le financer, principe qui a été
modifié par les lois Baranger (1951) et Debré (1959): sous réserve de la conclusion
d'un contrat avec l'État, qui rémunérait les enseignants et exerçait un contrôle
pédagogique sur l'enseignement dispensé, les écoles privées recevaient une
subvention de fonctionnement. Ce principe, que le projet de loi Savary proposait
de supprimer en 1984, a été finalement conservé, après une importante mobilisation
qui montrait l'attachement d'une partie de la population à la liberté du choix
scolaire et témoigne que la question demeure encore un sujet de divisions
au sein de l'opinion. Ainsi, en 1994, le ministre de l'Éducation, François
Bayrou doit renoncer à une tentative de révision de la loi Falloux, après
une importante manifestation des défenseurs de la «laïque».
Le port de signes
religieux distinctifs: Si le principe de la laïcité
a été aménagé au profit de l'enseignement privé, il n'en a pas été pour autant
abandonné, et il n'est pas douteux qu'il fasse toujours partie des valeurs
fondamentales de la République. Cependant, depuis la fin des années quatre-vingt,
le débat s'est concentré sur la question du port d'insignes distinctifs dans
le cadre de l'école, à la suite de polémiques entourant le port du voile par
des élèves musulmanes. Consulté en 1989 par Lionel Jospin, alors ministre
de l'Éducation nationale, le Conseil d'État a rendu un avis, faisant valoir
que le port d'insignes religieux n'est pas a priori une entorse à la laïcité,
à condition que les personnes concernées s'interdisent tout prosélytisme et
remplissent normalement leurs obligations scolaires, sans troubler l'ordre
public. Cette position a été réaffirmée par François Bayrou, nommé ministre
de l'Éducation nationale en 1993, et elle a fondé la jurisprudence des tribunaux
administratifs chaque fois qu'ils ont été saisis du règlement d'un établissement
interdisant le port du voile ou d'une décision d'exclusion prononcée à l'encontre
d'une élève. À une laïcité de combat a donc succédé une conception moins rigide
de la notion qui définit la laïcité comme une neutralité, solution la mieux
à même, selon les pouvoirs publics, de conserver le pacte républicain sans
en exclure des populations d'origine étrangère, dont certaines voient dans
l'affirmation religieuse un moyen de pérenniser leur identité. S'éloignant
d'une solution à l'américaine, qui reconnaît les spécificités de toutes les
communautés, l'État a préféré adopter une position qui ne dissimule pas sa
visée intégratrice.
"Laïcité", Encyclopédie
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