CONTROVERSES EN EDUCATION
Antoine de PERETTI
Bas
de page
L’école en tant qu’institution et plus particulièrement au niveau
secondaire, est devenue la cible de critiques sévères. Depuis un certain temps,
l’éducation traverse une crise : ses finances vont mal, on ne lui fait
plus confiance et on doute de sa raison d'être.
Angus Mande déclarait en 1969 que l’égalitarisme rejette instinctivement
tout système qui permet à certains enfants de se démarquer par rapport aux autres.
(Science sans conscience n’est que ruine de l’âme. Rabelais).
Montaigne conseillait d’enseigner de façon précoce la philosophie
tolérante et de choisir, en fait de conducteur ou d’enseignant, une tête
bien faite plutôt que bien pleine, tant la frénésie d’érudition risquait
de faire oublier l’individu au profit des savoirs au point de n’en laisser
retenir qu’un général et informe visage. L’avertissement vaut encore
pour aujourd’hui !
Chaque innovation ou réforme (d’orthographe ! de programmes scolaires !
de formation des enseignants !) ou même chaque
entreprise neuve, sont l’objet instantané de dénonciations et de fureurs
au nom des Anciens. Ainsi Brémond a pu dire : Fénelon fait de ses élèves
tout ce qu’il veut.
Mais Il faut voir comment, en recourant à des procédures encourageantes et différenciées,
portant attention à l’élève qui n’est plus un « rien », l'élève
devient un partenaire pris au sérieux.
L’éducation nouvelle veut faire confiance à la nature, à la société et
à l’enfant, et donc à la liberté. G. Snyders
Rapport de Condorcet : Nous
avons pensé que notre premier soin devait être de rendre d’un côté l’instruction
aussi égale que possible, aussi universelle, de l’autre aussi complète que
les circonstances pouvaient le permettre ; il fallait donner à tous également
l’instruction qu’il est possible d’étendre sur tous : mais
ne refuser à aucune portion des citoyens l’instruction plus élevée qu’il
est impossible de faire partager à la masse entière des individus.
LE STUPIDE XIX e SIECLE
Après l’Empire, la Restauration de 1815 a bien été surprise par la Révolution
de juillet 1830, celle-ci ouvrant la voie à une ère philliparde et bourgeoise
mais interrompue par la Révolution de 1848 et la courte seconde République. Cette
république fut suspendue par l’avènement du second Empire, renversé aux temps
dits par les revers et soubresauts de 1870 (guerre franco-allemande d’une
part, Commune et répression de M. Thiers de l’autre) faisant le lit
de la Troisième République. Avec l’intermède des Cent jours, sept changements
de régime ( et même huit, en comptant le Consulat) en un siècle. Virtuosité française !
- Seule école, parce que
destinée à forger l’unité idéologique de la nation, l’école primaire
de Jules Ferry n’était pourtant pas l’école
de tous. Une autre école existait qui demeure payante quand celle-ci devient gratuite
et qui accueille surtout les enfants des classes supérieures de la société :
l’enseignement secondaire avec son école élémentaire. J. Ferry hérite de
cette situation mais il ne la modifie pas. -
Le devoir de l’Etat, en matière d’enseignement est absolu, il le doit
à tous… Mais quand on arrive à l’enseignement secondaire, il n’y
a plus la même nécessité et la prétention ne serait plus admissible si l’on
disait : tout le monde a droit à l’enseignement secondaire. Non, ceux-là
seuls y ont droit qui sont capables de le recevoir et qui, en le recevant peuvent
rendre service à la société (J. Ferry). -
La revanche du mouvement laïque se marquerait par les lois
de J. Ferry, et surtout par celle de la séparation des Eglises et de l’Etat
en 1905. Mais le conflit se perpétuerait au XXe siècle, animant encore notre vie
publique.
METHODES EN VOLTES SUCCESSIVES
Les méthodes d’enseignement, dans le premier comme dans le second degré,
même en évoluant lentement, ont aussi fait l’objet de conflits virulents
et incessants entre traditionalistes et novateurs, comme entre partisans d’une
méthode unique ou tenants d’une liberté pédagogique. - Pour le
premier degré, la formation des maîtres a fait
l’objet de conflits violents entre laïcs et cléricaux, ceux-ci souhaitant
des Ecoles Normales créées en 1833 par
Guizot et vivement menacées dans les années 1850, malgré le soutien que leur
apportait Napoléon 3. L’histoire des conflits reste instructive : elle
semble renaître dès que des institutions nouvelles de formation sont créées (ex
IUFM).
ELITISME OU DEMOCRATIE
Une certaine sauvegarde des élites sociales était assurée par la domination
du latin, et à moindre titre du grec, au sein d’un enseignement secondaire
payant. On se préoccupa néanmoins d’étendre vers d’autres couches de
la population des formations plus approfondies que celle prodiguée dans l’école
primaire.
En 1833, Guizot croit bon de créer
en surcroît dans toutes les communes de plus de 6 000 habitants, des Ecoles primaires
supérieures en vue d’établir un enseignement intermédiaire entre le primaire
et le secondaire pour les fils de cultivateurs et d’artisans. La prééminence
du second degré fait obstacle à ce projet : par manque d’élèves motivés,
de maîtres qualifiés et de prestige social, le projet fait long feu : après
1841, les EPS sont annexées aux collèges : beaucoup vivotent puis disparaissent.
CHAPITRE 2 : L’ECOLE FRANCAISE
CONVIENT-ELLE A NOTRE TEMPS ?
Chacun a besoin, enseignant ou parent, de retrouver, idylliquement, son enfance
dans celle de ses enfants ou élèves, de revoir son école (et l’enseignement
qu’il y reçut), et les programmes impartis à sa progéniture ou ses classes :
il se ressent toujours compétent et informé, en matière pédagogique, automatiquement.
- L’image que les adultes
se font de l’école est essentiellement une rumeur dont d’après toutes
les enquêtes le contenu est très pauvre. On se contente, remarque R. Ballion de
deux ou trois caractéristiques (résultats aux examens, composition sociale, architecture,
situation urbaine…) pour juger de la qualité d’un collège ou d’un
lycée, pas nécessairement à tort d’ailleurs.
- Je constate qu’on se mobilise
aisément contre les innovations, rénovations, réformes, car, si on veut que tout
soit autre, il m’apparaît qu’on désire avec véhémence que rien ne change
et surtout ne soit varié quoique pourtant, différencié et distingué !
- Il est aussi banal pour les
mêmes gens de se rebiffer parce que l’école ne se moderniserait pas et ne
comprendrait pas les jeunes ou ne ferait aucun effort en leur faveur que de s’affecter
des modifications et allégements et différenciations projetés dans les processus
d’enseignement ou dans l’organisation et la vie des établissements.
- Car il me semble que dire
que les choses ne sont plus comme avant du tout, ou, à l’opposé, que rien
n’a bougé, part d’un même risque de duperie qui viendrait de comparer
ce qui n’est pas comparable ou d’omettre les variations qui ont affecté
les caractéristiques et modèles qu’on est porté à supposer invariants et
donc identiques.
- Car notre manie hexagonale et
jacobine nous pousse à vouloir nos jeunes identiques, dans l’espace et le
temps pour les considérer ou les rejeter (les nuls), comme nous voudrions contracter
aussi ou suspendre dans un présent pérennisé notre système scolaire et universitaire :
omettant de comprendre ou d’accepter qu’il a bougé et ne cesse, en dépit
de tous, de se transformer et différencier.
STAGNATION SUR UN DEMI SIECLE
Toutefois, la gratuité de l’enseignement secondaire finit par se faufiler
à partir de 1930, amorçant la démocratisation en puissance, corrélative des changements
économiques et sociaux.
Si, dans l’entre-deux-guerres puis surtout après la Libération, la natalité
avait repris en France, les mœurs à l’égard des enfants allaient être,
progressivement, puis de façon plus rapide, fortement modifiées, même si l’adaptation
des relations familiales et sociales aux formes de la vie moderne a mis du temps
à s’effectuer.
EVALUATIONS ET TRANSVALUATIONS
Bien des activités n’étaient plus restées l’apanage des hommes ou
des adultes : femmes et enfants avaient dû relayer les chefs de famille
éloignés, sur le front ou en captivité.
L’éducation s’est donc effectuée avec une autorité amoindrie, en l’absence
des pères : les marges de laisser-aller ont pu s’accroître.
Les mouvements de jeunesse ont alors pris une ampleur considérable en l’espace
d’une demi génération : leurs responsables entendaient mettre en valeur
l’initiative et le sens de la solidarité chez les jeunes. Il en résultait
une conception nouvelle de la jeunesse , consciente d'elle-même et de ses luttes.
Elle aspirait à une transformation de l’école.
En France, corrigeant les épreuves de la guerre et de l’occupation, un
renouveau démographique a témoigné d’une nouvelle ardeur à vivre à partir
de 1945 et jusqu’aux années 60.
Il s’est agi d’une véritable explosion scolaire vers le second degré,
suivie d’une seconde onde de choc produisant une explosion universitaire.
EXPLOSIONS SCOLAIRES ET UNIVERSITAIRES
Une commission, d’abord présidée par Paul Langevin puis par Henri Wallon,
était chargée d’élaborer de nouvelles dispositions, en application du projet
scolaire conçu par la Résistance : elle publia en 1947 des recommandations
connues sous le nom de Projet de Réforme Langevin-Wallon. Ce projet prévoyait
une organisation du système scolaire en 3 cycles : un premier cycle de 7
à 11 ans, un 2ème cycle de 11 à 15 ans (cycle d’orientation),
un 3ème cycle de 15 à 18 ans (cycle de détermination).
- En 1959 Réforme Berthoin, la
scolarité obligatoire et gratuite jusqu’à 16 ans et organisait un premier
cycle du second degré (de la classe de 6ème à celle de 3ème)
étendu enfin à tous les enfants.
- La montée des bacheliers :
une telle croissance est éloquente et indique assez les efforts qui ont dû être
accomplis par tous les acteurs du système éducatif, enseignants, administratifs,
responsables de tous niveaux mais aussi élèves et parents.
- Pour les élèves accédant à
l’enseignement technique professionnel,
on peut constater que celui-ci s’est aussi, en quelques années, puissamment
développé.
- A l’autre bout du système
scolaire, une croissance significative des effectifs d’enfants à l’école
maternelle s’est également produite, sous la pression des familles et en
raison de l’évolution de la condition féminine.
- Les recrutements, massifs et
accélérés mais irréguliers, qui se sont avérés nécessaires dans les années 60,
pour assurer les enseignements, ont trop souvent été difficiles, sinon aléatoires :
ils ont fait l’objet d’amères critiques portant un doute souvent injuste
sur leur qualité, en France comme dans la plupart des pays développés.
- L’effort consenti sous
la pression des familles a bénéficié à nombre d’entre elles, en vue d’assurer
la ponctualité scolaire.
L’aide aux familles s’est, en effet, considérablement développée :
aux quelques dizaines de mille de boursiers dans le second degré, avant guerre,
il faut opposer le million et demi de bénéficiaires actuels, soit plus d'un
quart des élèves du second degré.
Loin d’être satisfaite par les progressions réalisées, chaque famille française
demande toujours davantage à l’état pour encadrer ses enfants puis ses adolescents
de l’âge de 2 ans à 22 ans.
- L’admission massive des
élèves puis des étudiants perturba le fonctionnement routinier des établissements
du primaire, secondaire et supérieur. L’aménagement des locaux fut rarement
ajusté à temps à la mesure des effectifs. L’accueil des nouveaux élèves et
étudiants était plutôt de nature à les déconcerter qu’à les mettre au travail.
- La multiplication des diplômes
allait enfin accroître de façon aveugle la compétition entre les jeunes :
mais elle devait aussi dévaluer les titres, obtenus massivement, en les banalisant
et en réduisant les différences entre les individus.
- Enseigner serait aussi bien
fonder élitiquement les réussites scolaires de quelques-uns qu’établir un
fond étendu d’échecs répétitifs, dans leur scolarité, pour beaucoup de jeunes
taxés (républicainement) de l’épithète de mauvais élèves.
- Seules les familles d’enseignants
et de cadres supérieurs, encadrant habituellement les associations de parents
d’élèves, connaissaient le mode d’emploi du système pour obtenir l’admission
de leurs propres enfants aux établissements sûrs comme aux filières élitiques.
- En 1968, la France avait frissonné,
la bourgeoisie a eu chaud. Le pouvoir politique hésitant sur une « société
nouvelle » concéda, six ans plus tard, la majorité et le droit de vote à
18 ans.
- Entre-temps, la crise économique
s’était appesantie. Au lieu du besoin dévorant en cadres, après les destructions
de la guerre, pour bâtir les économies modernes, qui faisait que l’école
poussait tout le monde vers le haut, la conjoncture s’était totalement inversée.
Maintenant l’école devient une épouvantable pompe refoulante. Il faut qu’elle
trie, il faut qu’elle sélectionne. Les élèves le sentent bien. Les parents
et les profs aussi.
- Mais bientôt le ton s’échauffe.
Il y avait eu, en 1981, un profond changement politique. La nouvelle majorité,
avec un programme commun de gauche, suscitait des espoirs ou des impatiences excessives
en même temps que des hostilités véhémentes.
- Par suite, on dénonça à tort
et à travers des incompétences ou des complots, des haines et le mépris du savoir,
l’absence de sélection et le laxisme de notre système éducatif, le terrorisme
qui serait exercé depuis 1968 par des médiocres sur les savants, des arriérations
inadmissibles ou un progressisme insensé. C'était l’Apocalypse! Le vertige
de la chute du niveau ! Le pédagogisme.
- Le vieux débat école laïque
– école catholique se ranimait de façon fulgurante. Le gouvernement, qui
négociait avec l’Episcopat catholique se vit donc contesté par une puissante
marée de protestations (soutenues par l’opposition) auxquelles adhérèrent
les familles dont les enfants allaient dans le privé mais aussi dans le public.
- Car ce fut alors crié au cours
de défilés (dont le plus important, le 24 juin 1984, regroupa 1 million de manifestants),
ce fut au nom de la liberté et d’un dépit contre l’Etat, d’une
part, une remise à jour de l’école publique et de ses contraintes, majoritaire
mais critiquée pour ses taux d’échecs et de dissuasion, d’autre part,
le recours potentiel à un enseignement de relais, l’enseignement privé, en
cas d’insuccès dans le public.
- L’insécurité de l’emploi
en période de crise prolongée exigeait pour la jeunesse l’assurance d’une
formation personnelle et professionnelle réussie ; elle incitait à des réflexes
de survie de type individualiste et donc égalitaire, ainsi qu’à la contestation
de ce qui apparaissait trop réglementaire et trop bureaucratique.
- Se fondant sur les travaux du
Haut Comité Education – Economie et les projections établies par la BIPE,
J.P. Chevènement tirait la conclusion que les entreprises utiliseraient de moins
en moins d’ouvriers et d’agents à faible niveau de culture générale
et qu’il fallait donc orienter l’institution scolaire, comme l’avait
annoncé Alain Savary, vers la perspective de 80 % d’une classe d’âge
en Terminale.
- Il décidait, en conséquence,
la création d’un bac professionnel voué à un développement rapide car, contrairement
aux pratiques des pays voisins, les entreprises françaises s’en remettaient
totalement à l’Etat du soin des formations initiales des travailleurs (insertion
rapide à des emplois précis et cependant une adaptation facile aux incessants
changements technologiques dans les emplois).
- Les jeunes générations apparaissaient
incomparablement plus hétérogènes que ne l’étaient les échantillons limités
des générations d’antan qui étaient bénéficiaires des enseignements de l’école
dans ses divers degrés : en face de quoi, les corps enseignants apparaissaient
eux-mêmes profondément diversifiés et divisés, pour un métier de jour en jour
davantage compliqué et par rapport à des attentes professionnelles et culturelles
de plus en plus exigeantes et évolutives.
- La loi
d’orientation du 10 juillet 89 centrait désormais l’institution
scolaire sur les élèves et les étudiants : chacun d’entre eux se voyait
reconnu le droit d’un projet personnel de formation et d’orientation,
élaboré avec l’assistance des enseignants.
- Les enseignants, pour leur part,
étaient invités à travailler en équipe et leur formation initiale, différenciée,
était réorganisée dans le cadre d’IUFM où la parité de traitement était désormais
établie entre profs et instituteurs (ceux-ci devenus professeurs des écoles),
tous recrutés après la licence.
Automne 90 : il y eut, d’une part, une augmentation des effectifs dans
les classes qui fut mal supportée par les professeurs et les élèves, surtout dans
les banlieues. D’autre part, sensibles à la mise en évidence de leurs
besoins en formation les lycéens supportèrent de moins en moins leurs conditions
de travail et la vétusté de certains établissements. Enfin, les jeunes revendiquaient
leurs droits de citoyens et une meilleure prise en considération de la part des
enseignants et de l’institution.
CHAPITRE 3 : QUERELLES QUALITATIVES
ET QUANTITATIVES
Les enseignants acceptent la responsabilité de la réussite, mais pas celle de
l’échec. Le professeur dégage donc sa responsabilité de tout échec, en l’imputant
à la responsabilité des élèves, et en conséquence, globalement, à leur niveau
réputé insuffisant ou au climat familial et social en crise.
- Nous devrions, en conséquence,
chercher à situer la signification de cette rengaine ou de ce radotage séculaire
(comme le qualifiaient irrévérencieusement Baudelot et Establet) sur la crise
ou la baisse de niveau, trop aisément admise quoique la notion même de niveau
reste confuse et difficilement mesurable.
- Du niveau de quelle strate sociale
ou catégorie est-il question dans les allégations, les attributions, ou dans les
dires ? Par cette expression toute faite et qui dispense de toute recherche
difficile, tel enseignant peut tout d’abord expliciter les difficultés qu’il
ressent de façon croissante dans son métier (ex : modification de leur travail
par suite de réforme, de rénovation ou de conditions locales différentes).
- Il est habituel de signifier
son embarras devant une classe plus hétérogène, ou dont les élèves n’ont
pas les habitudes méthodologiques et les connaissances qu’on souhaiterait
acquises depuis l’année précédente : il faut alors lire que c’est
le niveau des facilités pédagogiques qui a baissé (ou le niveau de la complexité
d’enseigner qui s’est élevé).
- Plus on est réputé compétent,
moins on doit donc travailler devant les mêmes élèves, mais plus on doit être
rémunéré, même si le recrutement par concours et la formation reçue n’ont
permis l’acquisition d’aucune méthodologie professionnelle. Plus
généralement, chaque enseignant est enclin à se plaindre de la déficience de ses
collègues de l’année précédente et tout particulièrement des enseignants
du primaire. - Dans la lancée,
chaque famille était reconnue compétente pour juger les problèmes de l’école
en fonction des difficultés de ses enfants et dans la légitimation de ses propres
souvenirs scolaires, enjolivés ou noircis ; enfin le journalisme et les divers
médias ont généralisé, banalisé le débat sur l’éducation et rien ne pouvait
paraître plus pénible, voire insupportable aux enseignants, généralement si enclins
à douter du sérieux et de la validité des informations concernant l’éducation
diffusées par la presse ou par la radio-télévision.
- Les enseignants ont explicité
plus vivement leur déception chronique à l’égard des jeunes, tout en se livrant
à leurs conflits catégoriels. Les familles ont rétorqué en défendant
leur progéniture et en pratiquant une critique de plus en plus injuste à l’égard
des enseignants, considérés sans raison comme des privilégiés (à cause notamment
de leurs vacances), dans l’oubli de leurs charges réelles. -
L’opinion, on le voit bien, supportait de moins en moins l’évidence
fallacieuse d’une fatalité des échecs scolaires ou universitaires ;
elle admettait mal l’érosion de la valeur des titres et l’insuccès d’une
démocratisation des savoirs, décidément trop lente ou trop rapide.
- Ce n’est pas rien d’avoir
pu asseoir tous les jeunes de France sur les bancs des écoles maternelles, primaires
et secondaires du premier cycle ainsi que d’avoir plus que décuplées les
capacités d’accueil en lycée et université. L’amélioration importante
dans le primaire est à attribuer en partie à la généralisation de la pré scolarisation
en école maternelle, indispensable notamment pour les enfants des milieux non
favorisés.
- L’utilisation du redoublement
s’est avéré relativement inefficace, sa pratique a été abandonnée dans la
plupart des pays. Le certificat d’études : en 64-65 au faîte de
sa gloire, l’examen est décroché par à peine plus de la moitié (54%) d’une
génération d’enfants. Il faut aussi observer que l’enseignement primaire
allait autrefois jusqu’à 14 ans pour la très grande majorité des élèves,
alors qu’il s’arrête actuellement en moyenne vers 10-11 ans ?
- On ne peut donc comparer brutalement
les résultats globaux des écoles primaires d’antan à ceux de la totalité
des effectifs des écoles d’aujourd’hui. Il faut ajouter les différences
notables des programmes enseignés, mais aussi les nouvelles disciplines
introduites. Toutefois, les seules recherches sérieuses, trop peu nombreuses,
sont toutes opposées à l’hypothèse d’une baisse de niveau. Les
élèves d’aujourd’hui savent aussi bien faire les opérations qu’il
y a vingt ans et ont de plus la maîtrise d’outils que ne connaissaient pas
leurs aînés.
En 1975, la réforme Haby (appliquée en 1977) imposait alors de placer tous les
élèves dans les mêmes classes, en supprimant toute filière explicite. L’hétérogénéité
maximale était donc imposée à tous les professeurs quelles que fussent leur formation
et leurs habitudes, et sans qu’aucune préparation pédagogique ne leur soit
offerte.
- Devenu enseignement de masse,
l’enseignement des collèges et des lycées a néanmoins réalisé des progrès
qu’il serait injuste de méconnaître, même s’il accuse encore des limites.
Pour l’instant, l’hypothèse d’une amélioration générale reste plus
que raisonnable. De telles évaluations, à l’issue d’une enquête
minutieuse, devraient conduire à la modération les prophètes de malheur qui spéculent
à tout propos sur la prétendue baisse de qualité du système éducatif français.
Il y a actuellement dans les collèges 4 fois plus d’enfants qui font du latin
qu’il n’y en eut avant la guerre 39-45. Leur pourcentage est régulièrement
croissant. - La démocratisation
a donc eu des conséquences heureuses en permettant la diffusion élargie des fondements
de la langue française appuyés sur la référence du latin. Ce fait devrait modérer
les humeurs des élitistes ! Mais de toute façon, on ne peut oublier
que les améliorations, obtenues lentement restent, insuffisantes. Trop de jeunes
abandonnent encore les collèges ou en sortent sans bagage suffisant pour affronter
la vie moderne et pour s’insérer dans la trame professionnelle, de plus en
plus tendue. La France ne semble pas, pour le moment, menacée par l’éventualité
d’une baisse de niveau de ses élites intellectuelles.
- Dans le cadre des lycées professionnels, les sorties « prématurées »
des élèves ont beaucoup diminué en 10 ans : leur pourcentage est passé de
21 % en 1974 à seulement 7 % en 1984. Toutefois, ce fait couplé à une croissance
(discutable) des redoublements a eu tendance à élever légèrement l’âge moyen
des élèves des enseignements professionnels. Ceux-ci se sont, d’autre part,
améliorés notablement, grâce au développement des pratiques de contrôle continu
par unités capitalisables qui permettent un ajustement aux rythmes différents
d’acquisition des élèves. -
Il faudrait enfin tenir compte du nombre croissant de voyages, individuels ou
collectifs, de découverte ou d’études, qui démocratisent l’ouverture
à l’Europe et au monde comme à la connaissance affinée de la France et de
son patrimoine stimulant.
Les lycéens français ne manifestent pas, dans leur ensemble, une aptitude suffisante
à utiliser, dans un contexte différent, ce qu’ils ont appris ; ils ne
brillent pas suffisamment dans l’argumentation, la création, l’imagination
ou l’audace. Mais, en une douzaine d’années depuis 1980, l’effort
des enseignants aura permis que soit doublée la part des jeunes atteignant le
niveau IV et de ceux titulaires du baccalauréat. -
Le problème quantitatif et qualitatif des dimensions de l’école est habituellement
posé, notamment par les enseignants mais aussi par les parents, au niveau de la
taille des classes plus encore qu’au niveau du taux d’encadrement (c’est-à-dire
du nombre moyen d’élèves par enseignant au sein d’un établissement)
qui est la plus forte variable qualitative.
Mais surcharges maîtrisées ou non, quoi qu’il en soit, une évidence s’est
peu à peu constituée pour s’exprimer hautement : la qualité de l’enseignement
serait toujours affaiblie (sinon compromise) dès lors qu’on augmente le nombre
d’élèves dans une classe ; et naturellement, la diminution du nombre
d’élèves améliorerait systématiquement les résultats scolaires. -
En premier lieu, il n’y a pas de certitude tranquille et moins encore de
consensus à propos de la taille optimale qui conviendrait absolument à une classe.
- En deuxième lieu le fait
de diminuer l’effectif des classes n’assure pas de gain automatique
au plan des résultats scolaires. Entre 20 et 34 élèves, la taille de la classe
a relativement peu d’impact sur l’amélioration des performances, pour
la plupart des matières, dans le 1er et 2nd degré. Dans
les classes à effectifs allégés, le climat de travail peut être amélioré ou au
contraire se révéler moins dynamique ; et les résultats peuvent être moins
bons notamment pour les enfants des milieux populaires, en revanche, les petites
classes peuvent favoriser, dans des conditions déterminées, certains apprentissages.
On doit prendre en considération, parmi ces facteurs : la taille de l’établissement
scolaire ; l’origine socioculturelle des élèves à la composition de
la classe ; les dispositions matérielles ; la nature de l’environnement,
le choix des didactiques, et des contenus disciplinaires ; les techniques
d’enseignement, les objectifs pédagogiques ; le projet éducatif de l’établissement ;
les attitudes de l’équipe de direction ; le tempérament de l’enseignant
et son expérience ; les contraintes budgétaires ; enfin, la trame institutionnelle.
L’étude sociologique et statistique (Coleman 1996) est que, parmi
les 17 variables utilisées pour caractériser l’école, celles du nombre d’élèves
par classe ou par maître n’apparaissent pas comme importantes pour influencer
les résultats scolaires. Finalement, observe James Coleman, il apparaît que
la réussite d’un élève est fortement liée aux environnements éducatifs et
aux aspirations des autres élèves de l’école. Ces notations sur l’image
que l’individu a de lui-même devraient être prises en considération pour
l’organisation des classes dans les établissements et pour l’animation
de la vie scolaire. Toute formation pédagogique devrait soutenir les aspirations
des élèves, les mettant en évidence, et aider l’environnement parental à
donner à l’enfant confiance en lui.
CHAPITRE 4 : COMPLEXITE ET CHANCES
DE L’ORGANISATION SCOLAIRE
On conviendra sans difficulté, qu’outre la taille de la classe, d’autres
variables peuvent conditionner la vie et le travail des élèves dans les établissements
scolaires et assurer leurs chances de réussite ou leurs risques d’échec :
notamment la variable de la composition des classes et la taille de l’établissement.
La réforme Haby en 1975-76 a suivi fidèlement l’évolution
des modes pédagogiques vers la démocratisation et l’individualisation de
l’enseignement en créant les classes indifférenciées dans les collèges, tous
unifiés. Sans doute, la situation scolaire repose la plupart du temps sur l’hypothèse
implicite d’un rapport individuel du maître avec chaque élève, auquel il
consacrerait une quantité égale de temps aboutissant à l’acquisition par
l’élève d’une quantité égale de connaissances. Un grand groupe permet
aux élèves sujets à problèmes de s’effacer, de se fondre
dans la masse, au lieu de rester cibles possibles pour une pédagogie de questionnement.
Mais distance et abstraction ou impersonnalité peuvent entraîner l’ennui
et le découragement si des modes de proximité et de conseil méthodologique sur
le travail scolaire ne viennent pas les compenser par le recours complémentaire
à des groupes de petite taille. -
Les difficultés relationnelles sont encore accrues quand il s’agit d’adolescents.
Leur instabilité est, en effet, amplifiée en raison des changements de dimensions
et de perspectives dus à leur croissance et à leur puberté. Leur agressivité habituelle
donne toujours des signes d’un appel à la communication caché sous des formes
souvent incongrues, par crainte que leur appel ne soit rejeté.
Environ 20 % n’ont aucun problème, quel que soit le système d’éducation
employé ; 10 % présentent des difficultés considérables et quasi insurmontables.
Il en reste environ 70 % qui, s’y l’on y prend garde, risquent de voir
leur destin scellé par la médiocrité. Ceux-là méritent le plus d’égards.
- L’institution scolaire
a pour objet premier, en effet, simultanément d’assurer l’acculturation
des jeunes générations au patrimoine scientifique, technique culturel et social
de leur pays, mais aussi de les mettre en relation avec les conquêtes nouvelles
du savoir le plus récent. -
L’école ne peut se refermer sur son propre fonctionnement, qui, malgré sa
durée, reste temporaire pour la plupart des individus. Elle doit développer les
capacités d’autonomie des jeunes dans leur propre apprentissage, en canalisant
leurs activités d’étude les plus personnelles, et diamétralement, intervenir
en vue de relier les jeunes à la société et à l’économie environnantes, dans
le souci d’une insertion progressivement assurée. Marcel Postic souligne
que désormais « le rôle de l’enseignant est moins d’être un dispensateur
de savoir que l’organisateur et l’animateur de l’apprentissage ».
Car nous nous dirigeons (et la loi d’orientation
le marque avec éclat) vers une pédagogie qui mette en valeur le souci de responsabiliser
les jeunes, d’aider à ce que leur apprentissage soit soutenu et non pas inerte
ou sanctionné. La vrai sanction recherchée est l’épanouissement de chacun,
l’insertion dans la réalité scolaire. Nos élèves ont à jouer dans la société
des rôles de plus en plus complexes ; on n’attend plus d’eux qu’ils
soient des agents inactifs ou passifs dans la vie professionnelle qui les attend,
mais des créateurs, des personnes responsables. L’hétérogénéité
des individus peut garantir des chances de complémentarité entre des participations
et les rôles, mais aussi d’apprentissage des différences, indispensable à
la socialisation et à l’exercice présent et ultérieur de la démocratie.
L’ORGANISATION DIFFERENCIEE DES STRUCTURES SCOLAIRES : UN DEFI
Quelles qu’en soient les difficultés, une organisation souple mais
rationnelle et différenciée des établissements scolaires et universitaires, mais
aussi de toute notre institution d’éducation, s’impose désormais à tous.
Il n’est plus supportable d’osciller entre des conceptions affirmées
ou masquées, tantôt tournées vers l’accroissement d’un enseignement
élitiste et tantôt persévérant dans le développement d’une éducation de masse,
troublée par nos dérives identitaires. Il y va de la crédibilité et, il faut bien
en parler, de la progression et de la rentabilité de notre système éducatif. Car
on ne peut aucunement rompre avec la double nécessité d’assurer des
élites et d’élever les masses, dont l’interaction est, d’autre
part, puissamment stimulante. Il importe pour l’éducateur de préparer
les gens à entrer dans cet univers problématique, à s’orienter dans des situations
conflictuelles, à maîtriser avec courage un certain nombre d’antinomies.
On ne peut pas choisir entre s’occuper de ceux qui réussissent dans leurs
cursus scolaires, universitaires et professionnels ou se centrer uniquement sur
ceux qui piétinent, tâtonnent et sont placés en situation d’échec. Il n’est
pas loisible, non plus, d’incriminer les enseignants en général, ni les autres
acteurs du système, en raison des imperfections, des déconvenues, des ratés dans
les opérations d’une démocratisation irréversible, incontournable mais difficile.
Il faut être vigilant sur les risques d’un enseignement trop uniformisé,
selon un réglage, identitaire pour chaque élève, des tensions entre les visées
d’excellence, d’entraînement et d’apprentissage des savoirs ou
d’insertion pratique. Il s’agit donc de concevoir et de conduire l’organisation
d’ensemble du système d’éducation et d’instruction comme celle
de chaque établissement, en établissant la diversification des formes d’excellence.
Léon Blum écrivait le 23 février 1945 à Buchenwald : « J’ai
toujours considéré que l’égalité était le respect égal de la variété et les
formules de l’égalité sont non pas « tous à la toise » ou « tous
dans le même sac » chacun à sa place » et chacun « à son dû ».
Ainsi les élites dégagée par la sélection, pour la direction, l’organisation,
le commandement ne risqueront pas de devenir des aristocraties… » Car
les différences permettent la complémentarités nécessaires. Leur considération
renvoie dos à dos des prétendants de l’élitisme ou de l’identitarisme
à tout crin. Le Professeur Jean Bernard assure : chaque homme est un
être unique, irremplaçable, précisant, entre les hommes, il n’y a pas inégalité
mais différence ; le métissage est avantageux. La structure des établissements
scolaires est rendue monotone et rigide non seulement par la fixité des formes
de groupements des élèves, conformément à l’analyse que nous avons faite ;
mais elle est aussi bloquée centralement par une standardisation bureaucratique
des emplois du temps et des durées d’enseignement. Sur ce point, le mythe
identitaire envahit encore l’espace des conceptions, détruisant toute logique
organisationnelle. Et ce mythe vient aussi réfréner les possibilités d’initiative
et d’innovation ou même d’authenticité, chez les enseignants. La répétition
des heures de cours et des semaines invariables aboutit à une structure fixée
d’avance pour une année et figée dans l’immobilité .
La durée identique d’une heure, la formule identique d’un emploi du
temps répété sans adaptation au long d’une année paraissent s’imposer
absolument : on ne tient pas compte ni des différences dans les âges, dans
les matières ; dans les moments de la journée ou du trimestre ; ni des
différences dans les tailles des groupements ; ni de la diversité des élèves ;
ni de la variation dans les besoins pédagogiques qui peuvent apparaître inopinément ;
ni même des modalités contrastées nécessaires au développement des processus
d’enseignement ou d’apprentissage.
Y aurait-il quelque fatalité dans ce type de structure inerte, fruit d’un
dérisoire rêve jacobin ? L’habitude ? Ou l’alignement identitaire
du service de chaque enseignant déterminé en un nombre d'heures de présence directe
d'enseignement devant les élèves (ne définissant pas leur charge réelle de travail !
) et qui est appliqué à l’emploi du temps morcelé des élèves, pour des commodités
bureaucratiques (les imprimés vs, vie scolaire, servant à vérifier que soient
remplies les obligations de service ?). Mobiliser l’élève pour
une matière qui ne l’intéresse pas forcément était déjà difficile, mais soutenir
cet intérêt dispersé par un cours nouveau toutes les heures apparaît comme une
tâche ardue. Comment se fait-il qu’on ait pu ignorer à ce point la psychologie
scolaire ? Même pour des groupes moins larges, une durée longue, peut
permettre des inflexions vers des modalités pédagogiques variées, au lieu de ruptures
et de morcellements incessants.
Des modules de temps, regroupant chaque semaine les horaires de plusieurs enseignants
de matières différentes, ont été insérés dans l’emploi du temps : cette
globalisation laisse aux enseignants la responsabilité de gérer en commun leur
capitalisation d’heures, et, selon des opportunités techniques, de disposer
de durées variées d’enseignement. La dissymétrie structurelle dans la répartition
des durées ou dans celle des disciplines permet, d’autre part, à chaque semaine,
d’apparaître dès son début comme différente de la précédente et donc nouvelle
pour les élèves : le risque de monotonie sont ainsi corrigées. On sait l’importance
de ces risques et leurs poids sur le rejet de la vie scolaire et des études par
des élèves de plus en plus nombreux : l’ennui naquit un jour de
l’uniformité ! Des établissements ont pu mettre sur pied des organisations
temporelles plus originales, fondées sur des projets pédagogiques particuliers.
Mais le principe de tels projets, inscrit dans la loi d’orientation du 10
juillet 1989, est devenue obligatoire pour tous les établissements du premier
et du second degré ; ils doivent préciser des objectifs et des structures
spécifiques, débordant la simple organisation des temps.
Les projets ne se situent pas seulement dans l’ordre temporel, mais également
au plan de la composition différenciée de groupements d’élèves, notamment
dans le cadre de la rénovation des collèges et des lycées. La formule, inaugurée
dans les classes de seconde en 1992, de modules de formation personnalisée, sépare
une classe trois heures par semaine, en deux sous-groupes divers en faveur de
quatre disciplines : français, maths, langues et histoire-géographie pour
lesquelles les enseignants disposent de six heures prises sur leur service normal
sur trois axes : de particularité, de singularité et de généralité (ou synthèse)
on peut voir apparaître les lignes de force du rôle d’un chef d’établissement
sur les fonctions d’organisation de la vie scolaire, de mise en oeuvre des
moyens, de négociation et de régulation des relations, mais aussi de rappel de
finalités et du maintien de la qualité des études.
CHAPITRE 5 : L’ECOLE
DU TROISIEME MILLENAIRE… EN CHANTIER
Le problème des contenus d’enseignements et celui des méthodes de nature
à en assurer la transmission à des élèves divers de tempérament et de milieu,
font l’objet de brûlantes questions, d’incessantes querelles et de conflits
liés à notre habituel imbroglio. La résistance au changement est classique pour
les programmes. Et pourtant ils changent sans que soient bien définis et limités
les contenus qu’ils impliquent : mais ce qui, en contrepartie, donne
un alibi en béton pour assurer qu’on ne pourra pas faire ou terminer le programme !
En ce qui concerne les structures ou méthodes, en revanche, leurs modifications
ne s’imposent guère facilement : elles appellent la protestation d’un
« nous n’avons pas été formés pour ça » malgré ou à cause de la
demande fréquente de modalités concrètes. Le système éducatif peut également être
envisagé en tant que courroie de la machine économique et sociale ou bien comme
le lieu de développement personnel des jeunes et des adultes. Les visées imparties
à l’enseignement et à l’éducation peuvent aller du développement de
l’intelligence des individus à celui de leur volonté personnelle ou de leur
solidarité collective.
Elles peuvent comprendre l’obtention de savoirs définis, l’apprentissage
de capacités déterminées d’applications techniques et professionnelle, mais
aussi le développement des processus cognitifs, la révélation d’aptitudes
de création, la reconnaissance des valeurs sociales, la maîtrise des comportements
et des tempéraments.
Elles peuvent désigner la croissance des personnalités (avec ou sans modèle) l’exercice
des relations avec les autres et l’acquisition d’une discipline ajustée
aux exigences de la vie sociale. Elles peuvent, enfin, mettre en valeur l’accession
à une culture plus ou moins raffinée.
CLASSIFICATION SELON LES ATTITUDES
L’enseignant peut se déterminer à assurer une accumulation de savoirs,
transmis en choisissant, délibérément ou par entraînement, les formes didactiques
qui paraissent convenir aux contenus des disciplines qui lui reviennent, comme
aussi aux apprenants. Mais l’attitude de l’enseignant peut se centrer
davantage sur les élèves et sur leur situation existentielle d’apprenants,
plus ou moins en incertitude. Son attitude d’intérêt et d’observation
centrée sur les élèves et le groupe - classe relève alors du souci du développement
personnel des élèves et d’une volonté de communication avec eux. Le principe
de contrainte (et de modélisation) ou de directivité et le principe d’initiative
(et d’apprentissage actif par essais - erreurs) ou de non-directivité, peuvent
être habituellement combinés selon des dosages de comptabilité qui peuvent répondre
à la diversité des tempéraments d’enseignants ou aux variations des besoins
de groupes d’apprenants mais également à l’arc-en-ciel des référents
potentiels. Côté directivité, contraintes et modèles stricts, il y a une
commodité de reproduction des comportements ou des savoirs, une facilité des contrôles,
une économie des temps et des coûts d’apprentissage, grâce à la mise en œuvre
de réflexes conditionnels dans les mises en condition. Mais il y a un double inconvénient :
le manque de souplesse, en raison de la rigidité des comportements acquis, et
une dépendance excessive des élèves aux enseignants. Côté non-directivité,
initiative et exploration des savoirs, les acquisitions obtiennent plus de profondeur,
les conduites sont susceptibles d’adaptation, les apprenants ont pris des
habitudes de responsabilité et de créativité. Toutefois, les coûts et les délais
sont plus importants et certains individus peuvent se sentir déconcertés et incapables
de profiter valablement de l’autonomie consentie. C’est sur une base
de globalisation des comportements de découverte dans l’action et de centres
d’intérêt que Decroly a défini son programme,
selon une formule célèbre : « L’école pour la vie par la vie ».
Inspiré par Wallon, le GFEN a développé une pédagogie constructiviste invitant
les jeunes à élaborer les concepts et les savoirs-faire utiles à leur maturité
grâce à la mise en œuvre d’actions réfléchies. La pédagogie dite par
objectifs : la désignation progressive de paliers de connaissance ou de contrôle
sensori-moteurs à atteindre ayant pour objet de stimuler et d’encadrer les
efforts que doivent consentir les élèves. La pédagogie du projet qui associe les
élèves à la démarche d’apprentissage et de progression vers des savoirs
clairement délimités et acceptés. Une telle pédagogie a été recommandée officiellement.
Les techniques d’enseignement ont à être utilisées, sur un clavier de possibles
suffisamment étendu, par un choix personnalisé de chaque enseignant : mais
après des séquences de formation qui auront permis d’en assurer une maîtrise
suffisante et d’en apprécier leurs effets possibles. Et elles ne peuvent
être séparées d’une méthode pédagogique personnelle élaborée par chacun en
référence à un échantillon suffisant des méthodes déjà développées. Perplexités
sur les formes d’enseignement : on sait trop que toutes ont des vertus
et des inconvénients, chacune pouvant mieux ou moins bien correspondre au tempérament
et aux capacités de tel ou tel enseignant ainsi qu’aux attentes et aux besoins
de tel ou tel groupes d’élèves ou d’étudiants. Chaque enseignant doit
élaborer la méthode la plus appropriée à lui-même, à sa discipline et à ses élèves
de chaque année, empruntant ou non à plusieurs démarches ou inspirations, s’il
le souhaite ! Tout d’abord, le problème est de bien traiter les difficultés
et les turbulences, les fluctuations auxquelles le système éducatif, les établissements
scolaires, ou les enseignants dans leurs cours, doivent faire face actuellement
et pour longtemps (hétérogénéité amplifiée dans les groupes d’élèves, mais
aussi par suite de la complexité croissante des environnements sociaux ou familiaux
et de leurs pressions ou exigences grandissantes et sujettes à des réactions collectives.
Une gestion pédagogique insuffisamment variée introduit donc nécessairement un
mécanisme d’échec et une ségrégation de type élitiste aux dépens d’un
pourcentage plus ou moins important d’apprenants : ceux-ci sont naturellement
portés au découragement ou à des comportements violents.
C’est reconnaître que chaque enseignant doit mettre en œuvre une pédagogie
déjà variée dans ses propres classes, mais aussi que les enseignants d’un
établissement doivent s’entendre pour diversifier, dans le cadre concerté
du projet d’établissement, leurs pratiques individuelles et c’est, enfin,
observer que, dans chaque établissement, on devra différencier institutionnellement
dans son projet, comme on l’a vu, l’ensemble des procédures d’enseignement
et d’apprentissage. Contrairement aux craintes relatives à l’encombrement
et au désappointement qu’on pronostiquait chez les jeunes générations par
rapport aux diplômes, la demande sociale d’enseignement supérieur ne cesse
donc de croître; pourtant elle pousse à en différencier les formes.
Il est vrai que les besoins en cadres ne cessent d’augmenter et que les exigences
en une formation culturelle et technique des ouvriers ou des ruraux s’élèvent
avec la complexité de tous les matériels et leur évolution rapide. Nous retrouvons
la loi d’Ashby, il y a une variété indispensable à maintenir dans les systèmes,
si on veut correspondre à la pluralité des intérêts des besoins et des problèmes
et fonder un marché de la formation suffisamment fourni.
Il importe donc d’offrir des formes diversifiées au choix des jeunes
dont les tempéraments sont contrastés. Les uns ont besoin d’un cadre serré,
avec des perspectives à court terme ou des étapes évidentes pour assurer leur
meilleur rendement et leur brillance. Les autres ont besoin d’être en situation
plus souple, à des rythmes détendus et maîtrisables par leur tempérament plus
« secondaire », au sens de la caractérologie, regardant à de plus longs
termes. Un second cycle du secondaire sans la sanction d’un baccalauréat
ayant une valeur marchande sur l’espace des droits à l’enseignement
supérieur serait, en effet, privé d’une motivation forte à des études dont
la finalité échappe souvent aux élèves.
ORIENTATION ET PIEGES INEGALITAIRES
Question brûlante que celle de l’égalité des chances promises aux jeunes
Français confrontés à l’échec scolaire et à la sélection par la négative
qui en découle, mais aussi et par suite, celle de leur orientation accouplée vaille
que vaille à nos procédures d’évaluation.
Il importe donc de mettre en échec les causes, non de l’insuccès relatif,
mais de l’échec scolaire : lequel peut survenir par le biais des langages,
par celui des pièges identitaires, ou par le fait des confusions de nos pratiques
d’évaluation qui sélectionnent en obturant les voies d’orientation.
Sans doute ne faudrait-il pas incriminer de façon radicale et injuste les enseignants
et l’école à propos des difficultés qui tiennent, pour certains élèves, à
leur origine socioculturelle. L’intégration des classes sociales les plus
défavorisées pose le problème crucial de la nature de la société et du degré auquel
l’école peut elle-même accélérer le processus d’assimilation. Il faut
aussi attendre des améliorations, pour l’intégration des populations dans
le cadre de l’Europe, par le fait de l’enseignement précoce des langues
étrangères et des langues de cultures d’origine qui se développe. La participation
des élèves n’est qu’apparente : c’est le discours magistral
qui domine et l’hétérogénéité est rarement prise en compte. De la sorte,
bien qu’il existe une minorité de réussites encourageantes, les pratiques
pédagogiques restent décevantes. Même dans le champ des rapports écrits entre
les enseignants et leurs élèves, par la voie des corrections de copies, les annotations
sont trop souvent difficiles à comprendre, vagues, trop abondantes, ambiguës .
Ce peut être l’occasion pour les enseignants de mettre en œuvre dans
leurs classes des exercices de lectures de consignes, parmi l’éventail des
moyens d’une pédagogie différenciée et en vue d’une formation méthodologique
de leurs élèves. Il apparaît donc que, si les procédures de sélection successives
dans le système scolaire jusqu’à l’inscription dans l’enseignement
supérieur étaient fondées exclusivement sur le potentiel intellectuel mesuré par
le QI, on aboutirait à une diminution notable de l’inégalité. Les incidences
de l’origine sociale, de l’âge et notamment du profil scolaire qui prédestinent
le jeune pour la suite, sont pesantes. C’est dans les filières jugées
moins « nobles » que la fréquence des réorientations vers le second
cycle court, des exclusions et des abandons est la plus élevée. Peut-on encore
parler diplomatiquement d’orientation qui serait fiable et juste ?
Ou ne faut-il pas parler encore de sélection élitique, purement et simplement ?
Aux distorsions d’une telle sélection sévère et inégalitaire opérée dans
le premier cycle, il faut ajouter celles du second cycle avec les réorientations,
les redoublements, les abandons et les succès ou les échecs au baccalauréat d’un
certain type. Il faut souligner, l’importance du travail en équipe des enseignants
en vue d’équilibrer leurs diagnostics et leurs points de vue multiples (la
concertation des enseignants n’est pas aisée ni le travail en équipes solidaires
facilement pratiqué). Il en résulte pour la direction de chaque établissement
une tâche difficile en vue d’accroître ou maintenir la tolérance réciproque,
puis de chercher, sans solution unitaire ou totalitaire ni laxiste, des formes
modérées mais efficaces de concertations disciplinaires ou interdisciplinaires.
Une telle considération réciproque doit également être développée entre les professeurs
des différents degrés et niveaux, ainsi qu’entre tous les acteurs du système
éducatif et scolaire. La pédagogie n’est-elle pas l’art de la fraîcheur
conjugué à une connaissance scientifique des contraintes de l’éducation ainsi
que des ressourcements chez les jeunes ? Qu’est-ce qui empêche, sinon
l’empreinte du mythe identitaire, le professeur de diversifier afin de tenir
compte des différences de tempérament, de situation, de sentiments de son groupe
de jeunes ?
L’EVALUATION EN PROCES OU EN PROGRES ?
L’évaluation, établie selon ses diverses formes, devrait, en effet, permettre
de choisir, de renforcer et de soutenir les procédures de formation utiles
à chaque individu, en même temps qu’elle éclairerait sur les orientations
les plus profitables à celui-ci, lui donnant l’opportunité de se préparer
de façon motivante pour les sélections institutionnelles qui lui offriraient les
meilleures chances et satisferaient les attentes sociales.
Les notes et les moyennes incessantes, si elles peuvent encourager certains élèves
et complaire aux tenants de l’élitisme , ne peuvent y réussir qu’en
décourageant d’autres éléments d’une classe ou d’un établissement,
en disqualifiant la lenteur, la singularité ou l’approximation de leurs résultats
provisoires. La sécurisation est donc déprimée pour les élèves dits faibles ;
leurs élans de développement peuvent prématurément avorter. Que deviennent les
espoirs de valorisations, et donc les motivations à progresser pour nombre d’élèves ?
En termes de visées, il s’agit pour les enseignants de soutenir, dans la
confiance, le travail de chaque élève, de rythmer leurs efforts d’apprentissage
et d’acquisition des savoirs requis. L’intention d’encourager peut
effectivement s’affaiblir par lassitude ; celle de rythmer le travail
peut s’émousser ; les contrôles peuvent être crispés et les corrections
se durcir par impatience ; les projets sont également sujets à être raidis,
à force de souci professionnel, en jugements plus ou moins définitifs écornant
l’orientation et brouillant les voies de formation : l’émulation
peut basculer en compétition hargneuse. En fait, les notations sont soumises à
de multiples phénomènes qui altèrent leur constance et leur fiabilité entre plusieurs
notateurs, mais aussi pour le même notateur à des moments différents. L’usage
de la moyenne construit immanquablement la médiocrité comparative ou l’échec
d’un grand nombre d’élèves sans leur donner des indications sur des
lieux de progrès possibles pour chacun d’eux. Car, en fait d’évaluation
formative « l’objectif est donc d’obtenir une double rétroaction ;
rétroaction sur l’élève pour lui indiquer les étapes qu’il a franchies
dans on processus d’apprentissage et les difficultés qu’il rencontre ;
rétroaction sur le maître pour lui indiquer comment se déroule son programme pédagogique
et quels sont les obstacles auxquels il se heurte. L’Inspection générale
observait que les élèves semblent parfois posséder des connaissances qu’on
ne leur supposait pas, notamment en zones d’éducation prioritaires, et qu’il
est donc très important que les opérations d’évaluation évitent que ne perdurent
des représentations fausses.
